dimanche 22 septembre 2024

THE TIN CAN SOCIETY #1 (Peter Warren / Francesco Mobili)


Johnny Moore était né avec une malformation congénitale de la colonne vertébrale, le handicapant lourdement. Abandonné par ses parents biologiques, il est adopté par une famille catholique. Scolarisé, il devient l'ami de Kasia, Greg, Adam et Val avec qui il forme "la société de la boîte de conserve". Adulte, il devient un scientifique et une entrepreneur, mais aussi le super-héros Caliburn. Lorsqu'il est trouvé mort assassiné chez lui, Kasia renoue avec ses amis d'enfance...
 

C'est une émotion rare mais toujours intense que de découvrir un comic-book qui vous bouleverse. Une histoire qui vous rappelle pourquoi vous aimez les comics. Et ce premier épisode de The Tin Can Society est d'ores et déjà l'une des plus belles lectures de 2024.


L'idée de cette mini-série en neuf épisodes vient de Rick Remender et Peter Warren, mais c'est ce dernier, seul, qui l'a développé pour en écrire le script. Et je vous parie qu'il ne faudra pas attendre longtemps pour qu'une plateforme de streaming sorte le carnet de chèque pour en produire une adaptation car c'est une sujet en or qui se prête parfaitement à une transposition.
 

On ne saisit pas tout de suite dans quoi on s'embarque mais la première scène donne le ton : une jeune photographe a soudoyé un agent de police pour pénétrer sur une scène de crime et elle prend des clichés du cadavre d'un homme qui morte un exosquelette. Elle s'appelle Kasia et la victime est Johnny Moore, une sorte de Tony Stark noir dont on va découvrir les origines dans les pages suivantes.
 

Johnny est né avec une grave malformation qui le handicapait lourdement. Adopté par un couple catholique qui avait déjà six enfants, il grandit avec un sentiment de rage car tout le monde est persuadé que ses débuts dans la vie le condamnent à une existence malheureuse. Pourtant, il se fait une bande d'amis à l'école et forme avec eux une "société" où tous l'aident à s'intégrer.


Le temps passe : Johnny devient un savant renommé et un affairiste fortuné, il se marie avec Hillary Cross. Surtout il devient Caliburn, un super-héros en armure, et sa double identité fait la "une" des journaux. Mais qui a pu tuer Johnny Moore en s'acharnant aussi violemment sur lui ? Kasia va mener l'enquête avec une intime conviction : le coupable est un membre de la "société de la boîte de conserve".

L'épisode prend le temps d'installer la situation et ses personnages avec une quarantaine de pages. Il faut que je dise tout de suite qu'elles sont dessinées par Francesco Mobili. Cet artiste italien a travaillé chez Marvel, servant notamment de doublure à Marco Checchetto sur Old Man Hawkeye et Daredevil. Néanmoins ceux qui le suivent sur les réseaux sociaux savent que c'est un dessinateur et aussi un peintre dont la technique n'a que rarement eu l'occasion de s'épanouir dans le cadre des comics de "la maison de idées".

En effet, Mobili a souvent dû s'encrer et c'est une étape qui nuit à son dessin. Son style est académique dans le sens où il est classique, réaliste. Je doute qu'un encreur, quel qu'il soit, puisse servir son dessin au crayon qui est davantage valorisé quand il est directement mis en couleurs. Cette tâche échoit ici à Chris Chuckry et le résultat est époustouflant parce que Chuckry est un coloriste très nuancé mais surtout parce que le trait de Mobili est révélé dans toute sa qualité.

Vous lirez peu de comics aussi bien dessinés actuellement si vous appréciez le dessin réaliste classique. La justesse des attitudes, l'expressivité des personnages, le soin avec lequel ils sont représentés enfants puis adultes, le soin apporté aux décors, la fluidité du découpage, le flux de lecture admirablement maîtrisé : tout est là, parfait. Tous ceux qui pouvaient trouver en Mobili un artiste honnête jusque-là, sans penser qu'il puisse élever son niveau, vont se prendre une claque. En vérité, c'est un grand.

Mais un bon, un très bon dessinateur ne serait pas grand-chose sans une bonne histoire à sa disposition. Et l'histoire imaginée par Rick Remender et Peter Warren est également magistrale. Certes le principe, un whoddunit, n'a rien de franchement original : qui a tué Johnny Moore et pourquoi, voilà à quoi tient le pitch de The Tin Can Society. Sauf qu'évidemment, ce matériau est transcendé par un traitement sensible et captivant.

Sensible parce qu'il est impossible de ne pas aimer Johnny Moore : son handicap motive notre compassion, sa détermination force notre respect, sa double vie de savant millionnaire et de super-héros suscite notre intérêt. Mais quand on découvre la naissance de cette "société de la boîte de conserve", cette bande d'ados à la vie, à la mort, une émotion nous étreint car elle sonne juste, elle vibre en nous. Qui n'a pas voulu être membre d'une telle bande à l'école ?

Et qui, après des années, arrivé à l'âge adulte, a constaté que le temps avait passé, que chacun avait fait sa vie, avec plus ou moins de succès ? Via Kasia, on retrouve Adam devenu chef de chantier bedonnant, Val professeur dans un collège, et Greg devenu le partenaire de Johnny/Caliburn. Kasia, elle, est devenue une photographe, limite paparazzi, qui file un billet à un flic pour pénétrer sur la scène de crime de son ami qu'elle "shootait" quand il participait à des galas avec sa fiancée. Celle-ci n'était pas une membre de la "société", mais le portrait qui en est fait la renvoie à une de ces starlettes people au physique avantageux qui épouse un homme riche pour accepter de parader à ses côtés en échange d'une vie dorée.

Peter Warren donne chair à ces personnages, ce ne sont pas seulement des créatures de fiction, on y croit. L'aspect super-héroïque du récit est en arrière-plan et on verra comment il est exploité par la suite. Il alimente la nature hybride du projet en pimentant l'enquête car Kasia est en mission : elle est certaine qu'un des membres de la "société de la boîte de conserve" est l'assassin et quand elle leur rend visite pour leur demander s'ils vont assister aux funérailles, elle les soupçonne tous, fait des remarques, des allusions. Les mobiles ne manquent pas : qui n'envierait pas, au point de l'éliminer, un homme comme Johnny ? On devine aussi que son ascension et la vie ont éloigné les membres de la bande.

The Tin Can Society commence comme beaucoup de comics et comme le plus fameux d'entre eux, Watchmen, avec la mort d'un personnage emblématique qui cristallise tous les fantasmes. Cette mort interroge notre rapport au mythe du surhomme et du self-made man, à l'amitié, au temps qui passe, à la notoriété. Mais pour que cela fonctionne et dépasse le simple exercice de style, il faut du talent et de l'allure : cette série ne manque pas ni de l'un ni de l'autre.

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