jeudi 8 août 2024

THE UNCANNY X-MEN #1 (Gail Simone / David Marquez)


La chute de Krakoa a dispersé les X-Men en divers endroits de la Terre. Le manoir de Westchester est investi par le Dr. Ellis et une équipe paramilitaire à qui elle commande détruire tout ce qui peut évoquer les mutants. Cependant, au Mexique, Wolverine reçoit l'aide de Malicia et Gambit pour régler un problème avant qu'ils ne soient appelés au chevet d'un jeune mutant malade par Diablo...
 

Tous ceux qui, comme moi, ont globalement beaucoup aimé la période Krakoa des X-Men la regretteront sans doute encore longtemps, bien que le départ de Jonathan Hickman n'avait pas été remplacé et qu'après lui ce ne fut plus tout à fait pareil, ni surtout aussi bon, aussi original. Désormais, tous les auteurs et artistes sont partis vers d'autres aventures et l'editor Jordan White a cédé sa place au vétéran Tom Brevoort, ancien capitaine de la franchise Avengers.


On verra sur le long terme ce que vaut sa stratégie appliquée aux mutants (à savoir inonder le marché de séries régulières et de mini-séries), mais son plus gros défi dans l'immédiat sera surtout de convaincre les fans que ce qui les attend n'est pas une régression. Pourtant, à première vue, ça y ressemble fort avec à nouveau des X-Men éparpillés, traqués, obligés de se cacher.


Je vous l'accorde volontiers, ces deux premiers paragraphes ne sentent pas le lecteur ravi et optimiste. Mais parmi l'offre déjà pléthorique de titres (disponibles et à venir, et ce n'est même pas fini), The Uncanny X-Men était le seul sur lequel j'étais prêt à miser. D'abord parce que "Uncanny" est l'adjectif historique, ensuite parce que l'équipe artistique me semble la plus solide.


Brevoort a en effet décidé, pour la première fois en plus de 60 ans, de confier l'écriture à une femme et pas n'importe qui : Gail Simone. Cette scénariste, très active sur les réseaux sociaux et très drôle, ne faisait plus trop parler d'elle depuis quelque temps et c'est donc un retour par la grande porte. Elle le conçoit pourtant avec humilité, sachant après qui et quoi elle passe, et envie. On a envie d'y croire et elle livre un premier épisode prometteur.


Ce premier épisode voit les choses en grand avec une pagination augmentée (40 pages plus un peu de rab à la fin, après une postface et les annonces des publications X à venir). Cela permet à Simone d'installer son propos tout en gardant de la marge. Ainsi, sur la couverture, on voit que Jubilé et Diablo seront de la partie même si, ici, ils n'ont droit l'un et l'autre qu'à une courte scène. L'essentiel se concentre sur le trio Malicia-Gambit-Wolverine (Logan).

Avant cela, on a droit à une scène d'ouverture avec un personnage inédit, le Dr. Ellis, qui prend possession du manoir de Westchester où elle veut effacer toute trace des anciens pensionnaires, puis reçoit le prisonnier X (dont on ne voit pas le visage, mais je parie qu'il s'agit de Magneto). Ensuite, donc vient le plat de résistance avec une longue et spectaculaire séquence, un peu artificielle, mais destinée à respecter le quota d'action spectaculaire avec Malicia et Gambit aidant Wolverine à mater le dragon Sadurang (qui possède son propre Oeil d'Agamotto).

Puis on a droit au pire de l'épisode avec la scène tire-larmes où, rejoignant Diablo dans un hôpital (à la demande de Cyclope), le trio rend visite à un jeune mutant mourant. J'ai trouvé ce moment particulièrement malaisant dans la mesure où ça ne sert qu'à justifier, plus loin, le besoin qu'a Malicia de perpétuer le rêve de Charles Xavier. Etait-il nécessaire d'en passer par là ? Franchement non, et je m'étonne que Gail Simone se soit complu dans une telle facilité. Le dénouement est un cliffhanger facile aussi mais accrocheur quand même.

Tout ça est plein de bonnes intentions et séduisant. Mais c'est plus mécanique que vraiment sensible et il faudra attendre un peu avant de pousser un "ouf" de soulagement. Disons que, côté pile, il y a une vraie habileté à saisir ce qui plait chez les X-Men dans leur classicisme, c'est-à-dire la solidarité des vétérans, la lassitude de combattre pour des gens qui vous haïssent, la combinaison entre les personnages choisis est réussie ; et côté face, il y a des moments trop larmoyants pour ne pas horripiler, une méchante qu'il faudra caractériser et rendre vraiment menaçante, un mystère qui semble surtout là pour introduire de nouveaux jeunes mutants (comme s'il n'y en avait pas assez qui mériteraient qu'on s'occupe d'eux, surtout après la chute de Krakoa - d'ailleurs, les grands absents de cette refonte sont les New Mutants).

On sent quand même de la sincérité chez Gail Simone, qui a révisé ses classiques et se revendique de Claremont (ce qui est toujours bon signe, surtout si on pense à ce que l'auteur a bâti dans les années 75-90). Elle aime ces personnages et a à coeur de les rendre attrayants, d'établir une dynamique de groupe, de jouer à la fois sur ce qu'on aime d'eux et de ne pas oublier ce qu'ils viennent de vivre depuis 5 ans. Je suis surtout curieux de voir comment elle va appréhender Diablo (plus que Jubilé, mais je ne demande qu'à être surpris positivement), en espérant qu'elle ne va pas en refaire le Père Wagner (comme elle est fan de Cockrum, je veux être confiant sur ce point). Et puis j'aime bien cette formule d'une équipe réduite, au moins pour commencer, avec chaque membre ayant des liens forts avec à peu près tous les autres.

Depuis son passage peu convaincant chez DC (pour collaborer avec Tom King sur Batman : Killing Time et retrouver Bendis sur un arc de Justice League), on ne savait plus trop où était passé David Marquez, sinon qu'il avait produit un webcomics (The Unchosen) sur la newsletter Zestworld (qui, comme Substack, n'a, semble-t-il, été qu'un fantasme d'alternative aux éditeurs déjà existants). Il remet donc son titre en jeu en revenant chez Marvel pour qui il a longtemps travaillé (Ultimate Spider-Man, Invincible Iron Man, Defenders...).

On constate, avec plaisir, qu'il n'a pas perdu la main, et même qu'il s'est repris en main depuis ses épisodes très décevants de Justice League (guère aidé il est vrai par la colorisation hasardeuse de Tamara Bonvillain). Son webcomic lui a permis d'expérimenter, en s'inspirant des mangas (notamment de ceux de Naoki Urusawa), et ça se traduit ici par un découpage très dynamique avec des cases de dimensions souvent généreuses. Marquez a envie d'en découdre, c'est évident, et il est aussi visiblement heureux des scripts de Gail Simone où l'action et les scènes intimistes alternent régulièrement.

Si la séquence avec le dragon prouve que Marquez n'a rien à envier aux meilleurs artistes actuels quand il s'agit d'animer une baston, on remarque que son trait comporte des nouveautés, notamment des hachures, qui donnent une texture plus brute à ses images. Ses personnages ont conservé le même charme que ce à quoi il nous a habitués et c'est un régal de le voir dessiner Malicia, Jubilé, Gambit, Diablo, et Wolverine - pour ces trois derniers, il a aussi procédé à de subtils redesigns de leurs tenues, en épurant.

L'influence manga se ressent dans le visage du jeune mutant mourant qui contraste avec le réalisme en vigueur avant et après. Le dragon a une putain d'allure, très impressionnante. Mais c'est sans doute la scène du feu de camp qui est, par sa simplicité évocatrice, la plus réussie : tout comme Gail Simone, on sent que David Marquez a voulu marquer des points en usant de sobriété et ça fonctionne. L'expressivité des personnages, l'ambiance même de la scène, les couleurs superbes de Matt Wilson, tout est impeccable - et là encore, le contraste est saisissant avec l'ouverture dans le manoir de Westchester, un peu timide, un peu fade.

Bref, si je dirai pas comme certains que c'est une reprise extraordinaire ("x-traordinaire"), on ne peut qu'acquiescer. Parce que ce numéro 1 est fait avec le coeur, loin du mercantilisme abrutissant que veut imprimer Brevoort à la franchise. Il faut évidemment désormais confirmer ces bonnes dispositions et la tâche est ardue. Il est certain qu'on ne va pas renouer avec la singularité de l'ère Krakoa, que tout ça, y compris sur The Uncanny X-Men qui regarde dans le rétro des 90's (quand Jim Lee a poussé Claremont vers la sortie, mais aussi en référence aux dessins animés X-Men'92 et '97). Mais qui sait, avec Gail Simone et David Marquez, on a des chances d'échapper aux conventions.

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