jeudi 4 décembre 2025

RED BEFORE BLACK (Stephanie Phillips / Goran Sudzuka)


RED BEFORE BLACK 
(#1-6)


Miami, Floride. Valeria "Val" Morel sort de prison et a besoin d'un job. Elle s'adresse à Miles Allen, avec qui elle a servi en Irak au début des années 2000, qui tient maintenant un bar. L'établissement lui sert de couverture pour divers trafics (drogue, armes...) mais il a un problème : Leonora "Leo" Copeland, qui cherche à vendre de la came à un de ses clients, Danny. Val accepte de liquider Leo qui, au même moment, voit son deal échouer avec Danny et se faire la malle avec la coke qu'elle a tenté de lui fourguer.


Après avoir sauvé Leo des griffes des hommes de main de Danny, Val la retrouve le lendemain au petit-déjeuner dans un diner. Leo s'est interrogée sur son intervention providentielle et en a déduit que Val travaillait pour Miles qui l'a envoyée pour la tuer. Au même moment, Elliot, le bras droit de Miles, se rend au motel où réside Val et apprend par le réceptionniste qu'elle a reçu un homme la veille au soir. Les caméras de surveillance l'ont photographié et Elliot charge Jess de l'identifier.
 

L'homme en question est l'agent spécial Charles Lamb du F.B.I. qui a permis à Val de sortir de prison en échange de sa coopération pour coincer Miles. Mais avec Val et Leo en cavale, la situation lui a échappé et sa supérieure, l'agent spécial Ashley Crane reprend les commandes de l'affaire. Alors que les deux filles s'arrêtent à une station service, Elliot coince Val qui l'abat. Il faut faire disparaître le corps mais Leo a une solution...


Publiée entre Juillet 2024 et Juillet 2025 bimestriellement, Red Before Black est une mini-série complète en six épisodes qui paraîtra en trade paperback le 16 Décembre chez Boom ! Studios. J'avais commencé à lire cette histoire en floppies mais son rythme de parution avait eu raison de ma patience pour en parler à chaque numéro. 


Avec la série bientôt disponible en album, je m'y suis replongé pour la lire d'une traite. J'ai toujours apprécié les projets en creator-owned de Stephanie Phillips, comme Grim (dont j'évoquerai très vite le cinquième et dernier volume). Lorsqu'elle travaille pour les Big Two, en revanche, c'est plus inégal, même si je suis curieux de voir comment elle va relancer Daredevil à partir de Mars prochain (avec Lee Garbett au dessin).


Red Before Black montre ce que Phillips sait faire de mieux et sans doute de plus personnel. La référence la plus immédiate nous renvoie aux films comme Thelma et Louise ou Love Lies Bleeding, donc vous en aurez déduit qu'il s'agit d'une affaire de femmes, ce qui n'a rien d'innocent pour une scénariste assumant franchement son homosexualité.

Pourtant, il ne s'agit pas d'une romance saphique mais plutôt d'un polar au féminin. Le cadre de l'action se situe en Floride, ses marais, son climat poisseux et les deux héroïnes sont dissemblables au possible : d'un côté, une ancienne militaire ayant servi en 2004 en Irak et qui souffre de stress post-traumatique, Val ; et de l'autre, une dealer qui a subi les viols de son père dans son adolescence, Leo.

Avec de tels antécédents, on pouvait craindre que l'intrigue ne sombre dans le pathos. Mais Phillips réussit l'exploit de ne pas se complaire dans cette direction. Leo et Val ont survécu, mais de manière opposée : Val a fini en prison, trahie par ses frères d'armes après une opération militaire qui a foiré ; Leo s'est mise à dos Miles Allen, un trafiquant à qui elle tente de chiper un gros client.

Val est employée par Miles pour se débarrasser de Leo mais les circonstances vont amener les deux filles à s'allier tout en prenant la tangente. Leo est poursuivie par un homme de main de Miles, Val par le FBI à qui elle avait promis son aide pour coincer Miles en échange de sa sortie de prison et du blanchiment de son casier judiciaire.

Les rebondissements s'enchaînent sans temps morts au fil des six épisodes, avec des seconds rôles qui vont rapprocher les deux protagonistes. Mais Phillips introduit une dose de fantastique dans son récit quand elle visualise le trauma de Val qui se trouve projetée dans une sorte de jungle où une voix l'appelle à l'aide sans jamais qu'elle retrouve qui est-ce. On le découvrira à la fin.

Or, lors de ces "absences", Val découvre que Leo peut également voir ce décor exotique où elle se perd. La scénariste a la bonne idée de ne jamais vraiment expliquer comment cela est possible, sinon par le fait que toutes les deux partagent un lourd passé, des démons jamais terrassés, des fantômes jamais expulsés. Une espèce de communion dans la douleur et qui fait de cet espace partagé un sanctuaire, un havre. 

Le scénario a lui tout de la fuite en avant et on se doute que ça ne va pas forcément bien se terminer pour tout le monde. Phillips déjoue au moins nos attentes en désignant la victime la moins évidente et l'émotion nous saisit sans qu'on puisse y résister. Cette fille-là sait croquer des personnages de façon à ce qu'on s'y attache, c'est certain.

Pour l'accompagner dans cette aventure, elle a pu compter sur Goran Sudzuka. Cet artiste n'a pas le crédit qu'il mérite, souvent utilisé comme doublure chez Marvel et DC, alors qu'il est un modèle de régularité et de solidité technique. On devine qu'il a campé les personnages selon des indications précises de la part de Phillips, notamment parce que cette dernière est sportive comme Val mais arbore un look tatoué et piercé comme Leo.

Sudzuka ne se contente pas de bien dessiner un script efficace, il soigne les décors, compose des plans avec élégance, passe de scènes réelles à d'autres fantasmagoriques avec la même habileté. Quand un personnage est au second plan, il le croque avec ce qu'il faut de personnalité pour le rendre mémorable. C'est un modèle de précision et de sobriété, qui devrait être davantage salué.

Aux couleurs aussi, la série est gâtée avec Ive Svorcina, qui travaille souvent avec Esad Ribic, et dont la palette est formidablement nuancée. Tout est là pour que le lecteur apprécie des planches bien conçues, au service de l'intrigue. 

Polar singulier, Red Before Black est une franche réussite qui, je l'espère, attirera l'attention d'un éditeur français (Delcourt serait parfait pour le traduire, ça ne dépareillerait pas à côté de Criminal d'Ed Brubaker et Sean Phillips) pour qu'un maximum d'amateurs en profitent. 

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