- Frank Kakfa goes to Hollywood - Mars 2012. Jacob Kurtz se rend à Hollywood pour y rencontrer le producteur Dan Rails qui a acquis les droits d'adaptation de son comic strip Frank Kafka pour en tirer une série télé. Mais, une fois sur le plateau de tournage du pilote, Jacob déchante vite en voyant que son oeuvre a été trahie. Il tente de faire réécrire les scripts, en vain, et se résigne.
Il rend alors visite à sa tante Suzy, qui vit sur les hauteurs de la ville. A 90 ans, elle a encore la santé et il se rappelle du passé avec elle, quand elle travaillait comme attachée de presse pour la 20th Century Fox tandis que son mari écrivait des scénarios de série B. Suzy songe à léguer sa maison à Jacob car il reste le seul à venir la voir.
Jacob est logé dans un motel près du studio de tournage et il entame une relation avec Karma, l'assistante de Rails. Elle découvre son carnet de croquis où il se moque de ce dernier. Peu après ses dessins tombent dans les mains de Rails qui le licencie. Les années passent. La série Frank Kafka aura été annulée au bout de 8 épisodes. Jacob a repris sa vie lorsqu'un matin de 2022, il reçoit une lettre lui annonçant le kidnapping de sa tante et lui réclamant une rançon de 100 000 $...
- Requiem pour un poids lourd - Bay City, 2018. Angie Watson a été élevée par la Grogne, le gérant du bar Undertow, après la mort de ses parents. Après une adolescence difficile, elle devient serveuse dans l'établissement mais on diagnostique un cancer à la Grogne.
Pour payer son traitement, elle se met à cambrioler. La Grogne succombe à la maladie et, peu après, Brandon Hyde, le propriétaire de l'Undertow, vire Angie...
- La Colocataire Occasionelle - Janvier 2022, Bay City. Leo Patterson, en prison, demande à Jacob Kurtz d'héberger quelque temps Angie. La cohabitation est d'abord difficile entre lui qui a l'habitude de vivre seule et cette gamine dont il ne sait rien. Puis durant la pandémie de Covid, ils sont forcés de rester dans le même espace.
Durant cette période, ils apprennent alors à s'apprécier. La situation sanitaire redevient normale. Angie part de chez Jacob quand elle a 21 ans pour s'installer avec son petit ami, Logan. Un soir, Jacob la retrouve chez lui, le visage tuméfié. Puis il reçoit la demande de rançon pour sa tante Suzy et part à Los Angeles pour régler ça...
- La Reine des Mauvaises Décisions : une histoire d'amour - Lorsqu'elle part vivre avec Logan, Angie ignore ce qu'il fait exactement pour le compte de Brandon Hyde. Mais après une mission ratée, Logan est "suicidé" chez lui. Angie entreprend de le venger en cambriolant l'appartement de Hyde...
- Jusqu'en Enfer et retour - Jacob demande à Tracy Lawless de l'aider dans l'affaire du kidnapping de tante Suzy... De retour à Bay City, Jacob surprend un homme sur le point de tuer Angie chez lui...
- Un Nouveau Jour se lève - Tracy rencontre Brandon Hyde pour lui soumettre un deal...
Je ne vais pas tourner autour du pot : Criminal : The Knives (en vo) est un chef d'oeuvre. C'est même certainement le meilleur travail accompli par Ed Brubaker et Sean Phillips sur leur série fétiche. Leur plus ambitieux aussi : un récit complet de 200 pages, qui peut s'apprécier sans prérequis, mais qui est encore meilleur si vous êtes déjà un fan de la série et familier de certains de ses personnages.
Peu de comics communiquent cette sensation de plénitude à la lecture et ensuite. Cette année, par exemple, au cinéma, c'est ce qui s'est produit, pour moi, avec Une Bataille après l'autre de P.T. Anderson, cette fresque éblouissante, qui se déploie avec majesté, à une allure folle. C'est le même sentiment qu'on éprouve après avoir lu Criminal : Les Acharnés (en vf).
Dans la postface de l'album (disponible chez Delcourt comme d'habitude), Brubaker revient, comme il le fait toujours, sur la genèse de cette histoire. Comme Jacob Kurtz, il avait un oncle qui fut scénariste à Hollywood et un de ses amis lui remit un jour les manuscrits qu'il avait conservés. A cette époque, la tante de Brubaker était au coeur d'une bataille pour son héritage, exactement comme la tante Suzy de Jacob.
En notant cela dans un carnet, Brubaker savait qu'il en tirerait un jour une histoire, mais également que cela ne suffirait pas. Patiemment, il élabora la suite avec la volonté d'explorer l'univers de Criminal sans replonger dans le passé. C'est en effet la première fois que l'intrigue se déroule à notre époque (entre 2018 et 2022), évoquant même la pandémie de Covid.
Le déclic se produisit quand HBO Max lança la production pour une série télé de Criminal. Brubaker et Phillips y participèrent en qualité de consultants, avec un droit de regard sur l'adaptation, le casting, la réalisation. En voyant leurs personnages prendre vie, être incarnés par des comédiens, Brubaker a eu envie de planter une partie de l'action de son histoire dans le milieu des séries télé.
Enfin, même s'il ne le dit pas, il est assez évident que l'arc narratif d'Angie Watson renvoie à son run sur Catwoman au début des années 2000, puisque cette jeune fille devient une monte-en-l'air, et ressemble à un amalgame de Selina Kyle et Holly Robinson. En agrégeant tous ces éléments, on n'a pourtant qu'une vague idée de là où Les Acharnés vont nous entraîner.
La construction du récit, en cinq chapitres, avec une narration allant et venant entre deux époques, citant la mythologie de Criminal, investissant le présent, est magistrale. La manière dont Brubaker fait converger toutes ces histoires est d'une maîtrise absolue et vertigineuse. C'est à la fois très dense, très fluide, rythmé parfaitement, caractérisé idéalement : une authentique leçon de storytelling.
On renoue avec Jacob Kurtz, qui fut le héros de Putain de Nuit !, ce dessinateur de comic-strips, qui part pour Hollywood après que son agent ait convaincu le producteur Dan Rails d'adapter sa BD Frank Kafka pour la télé. De manière prévisible, l'expérience aboutit à un échec : l'oeuvre originale est dénaturée, et pour ne rien arranger, Jacob s'amourache de l'assistante qui le trahit copieusement.
Mais aussi, sinon plus important, est donc le subplot de cette première partie, avec la tante Suzy, inspirée directement de la propre tante de Brubaker, avec à la clé le legs d'une maison sur les hauteurs de Los Angeles. Qui va alimenter le cinquième chapitre de l'album...
Angie Watson est un personnage inédit dans la galaxie Criminal mais il est introduit via un second rôle bien connu des amateurs de la série, la Grogne, cet ancien boxeur poids lourd qui est ensuite devenu le gérant du bar Undertow de Bay City, repaire de tous les malfrats de la ville. Cette gamine, qui a perdu ses parents, est élevée par Jake Brown jusqu'à ce qu'il tombe gravement malade et meurt.
Leo Patterson, le héros de Lâche !, demande à Jacob d'héberger Angie que Brandon Hyde a délogé de l'Undertow pour y placer un de ses hommes. Dans ce troisième chapitre, Brubaker situe l'action durant la pandémie de Covid et dépeint la cohabitation délicate entre le dessinateur solitaire et cette jeune fille qui dérange sa tranquillité, puis comment ils deviennent amis quand ils sont confinés.
La quatrième chapitre nous instruit sur la romance passionnée entre Angie et Logan, un jeune homme de main de Hyde, et la vengeance de la jeune femme après la mort de son amant. C'est là que Brubaker fait, à mes yeux, un retour sur son run sur Catwoman, et c'est étonnant comment ça s'intègre bien avec l'univers de Criminal.
Le cinquième et sixième chapitres opèrent à la fois sur ce qui se joue à Los Angeles, avec le tandem formé par Jacob Kurtz et Tracy Lawless, appelé en renfort, dans un registre série noire que Brubaker manie comme personne, et clôt l'aventure d'Angie. Le scénariste s'y montre étonnamment positif, renonçant cette fois à sacrifier ses personnages, à sombrer dans sa veine la plus sombre et désespérée, comme s'il avait conscience que, pour la série, c'était une étape à franchir, un cliché à dépasser.
Comme je le dis plus haut, c'est épatant comment toutes les pièces s'emboîtent : au départ, on pense lire une saga éparpillée mais divertissante, et au bout du compte, tout fait sens, les pions en mouvement légitiment les actions des uns et des autres, ce qu'ils subissent, ce à quoi ils réagissent et comment et pourquoi.
Sur 200 pages, on peut aussi s'amuser à compter les pages pour chaque chapitre et on se rend compte alors de l'équilibre de l'édifice : 45, 16, 26, 40, 43 et 8 pages successivement. La structure est quasi semblable à celle du tome 3, Mort en sursis, avec ces histoires imbriquées, qui n'en formaient qu'une au final. Mais ici, le volume est autrement plus conséquent et donc l'impression est beaucoup plus imposante.
Il y a dans Les Acharnés ce souffle des grandes oeuvres, celles que des auteurs accomplissent quand ils sont au sommet de leur art. Sean Phillips est également au top, jamais il ne s'essouffle, c'est bluffant. Il réussit à rendre crédible chaque situation, chaque cadre, chaque décor. Ses personnages ont cette humanité qui distingue la série de toutes les autres.
On pourrait croiser des individus comme Jacob, Angie, Tracy, la tante Suzy, sinon dans la vraie vie, en tout cas dans d'autres médias, comme la littérature, le cinéma, les séries télé. Ils sont, sous le crayon de Phillips, puissamment incarnés, fruits d'une observation acérée et murie. C'est aussi pour cela que Criminal, même s'il a fallu du temps, devait être adapté sur écran : tout est déjà là, par la magie de l'écriture et du dessin.
Pour ne rien gâcher, alors que j'ai toujours eu un problème avec la colorisation de Jacob Phillips, cette fois sa contribution est impeccable. Il a renoncé à sa palette trop bigarrée pour revenir à quelque chose de plus classique, dans la lignée de ce que faisait Val Staples au tout début de la série. Et franchement, c'est magnifique, sobre, nuancé. J'espère vraiment qu'il va rester dans ce registre pour les prochains épisodes.
Je le dis rarement comme je vais le faire, mais achetez et lisez Criminal : Les Acharnés. Si vous êtes un fan de la série, vous le ferez sans hésiter. Si vous commencez à découvrir ce titre, ce tome vous éblouira. Si vous n'y connaissez rien, vous aurez envie de lire tout ce qui a précédé. C'est un chef d'oeuvre. C'est indispensable.











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