mercredi 10 décembre 2025

ETAT SECOND (Peter Weir, 1993)


Un avion de ligne s'écrase dans un champ de maïs. Les secours, les pompiers et la police arrivent sur place et constatent l'étendue de la catastrophe. Un homme, Max Klein, sort des maïs en tenant dans ses bras un nourrisson et par la main un enfant, Byron Hummel, par la main, suivis d'autres rescapés. Un infirmier lui demande s'il va bien, il lui répond qu'il cherche la mère du bébé et le lui rend. Puis il s'éloigne du lieu du crash en montant dans un taxi. l loue une voiture dans la ville voisine et s'arrête en chemin pour rendre visite à Alison, une amie du lycée qu'il n'a plus vue depuis 20 ans.
  

Ils vont manger dans un diner, sans qu'elle se doute d'où il vient, mais s'étonne de le voir manger des fraises alors qu'il y était allergique. Il ne fait pourtant aucune réaction. Le lendemain matin, des agents du FBI le trouvent dans une chambre de motel et lui demandent pourquoi il n'a pas appelé sa famille pour les rassurer. La compagnie aérienne lui offre un billet de train pour rentrer mais il préfère reprendre l'avion. Il fait le voyage en compagnie d'un psychiatre employé par la compagnie, le Dr. Perlman.


Une fois chez lui, Max rassure enfin sa femme, Laura, et leur fils, Jonah. Perlman lui laisse sa carte de visite. Durant les jours suivants, les médias le harcèlent en le considérant comme un héros pour avoir sauvé plusieurs passagers. Max les fuit et commence à prendre des risques inconsidérés, convaincu que Dieu a voulu le tuer et qu'il est désormais invulnérable. Perlman resurgit pour lui demander de rencontrer une autre rescapé, Carla Rodriguez, qui a perdu son fils de 2 ans dans le crash et se laisse mourir à petit feu...


En 1993, Peter Weir est un cinéaste respecté par la critique et adoré du public, pourtant les grands studios ne savent pas sur quel pied danser avec ce cinéaste australien qui change de genre à chaque film : il a signé un polar atypique avec Witness, une fable humaniste avec Le Cercle des Poètes Disparus... Et le voilà qui aux commandes de Fearless (en vo) qui a tout d'un film catastrophe.


C'est la 20th Century Fox qui finance ce projet au début trompeur, car si Etat Second (en vf) démarre effectivement sur une spectaculaire scène de crash aérien, la suite est toute autre. Le scénario est adapté du roman de Rafael Yglesias par lui-même et explore le sentiment de culpabilité du survivant à travers deux rescapés de cette catastrophe.


Le film s'ingénie à aller dans le sens contraire à celui que l'audience attend. C'est sa grande qualité, mais c'est aussi ce qui explique son échec commercial. Peter Weir refuse tout sensationnalisme au profit d'un récit intimiste et parfois très symbolique. On croit entrevoir l'esquisse d'une romance, qui ne se concrétisera pas. Et la fin joue avec nos nerfs.


Toute l'oeuvre de Peter Weir, qui ne tournera plus que trois films ensuite (The Truman Show, Master and Commander et Les Chemins de la Liberté), est traversée par des personnages aux destins contrariés dans des histoires qui ne se donnent pas facilement au spectateur. C'est un cinéma de la patience, de l'étrangeté aussi, mais qui, si on accepte d'y plonger, vous restera longtemps en mémoire.

Le héros de Etat Second ne veut justement pas en être un alors qu'il a pourtant accompli un authentique acte de bravoure. Alors qu'il avait la phobie de l'avion, il accompagne son associé pour un voyage d'affaires lorsque l'appareil dans lequel ils ont embarqué rencontre de gros ennuis techniques et que le commandant de bord prévient les passagers qu'il va atterrir en catastrophe.

Avant le crash pourtant Max Klein est saisi par un sentiment de sérénité inattendu. Il voit un jeune garçon assis seul quelques rangées devant lui et, pour le rassurer, va s'installer à côté de lui. Il observe les passagers affolés et leur livre un regard, un geste rassurants en progressant. Puis c'est le choc, l'avion se disloque, prend feu...

Il s'en sort sans une blessure (à l'exception d'une égratignure au flanc) et guide les survivants hors de l'appareil sur le point d'exploser, dans le plus grand calme. Au lieu de rester sur zone pour être examiné, il s'éclipse et loue une voiture dans la ville voisine. Pendant 24 h., il disparaît des radars, passe voir une vieille amie, avant de rentrer auprès de sa femme et de son fils, en compagnie d'un psychiatre.

Le film montre cet homme qui semble être devenu un autre, il est distant avec les siens, refuse d'être suivi par un thérapeute, prend des risques comme pour défier Dieu qui a voulu, selon lui, le tuer. Il est un miraculé et se sent intouchable. Une scène le montre grimpant sur la corniche du toit d'un immeuble, grisé par la sensation d'être littéralement au bord du précipice.

Max Klein rencontre ensuite une autre survivante, Carla Rodriguez, qui a perdu son fils de 2 ans dans le crash. Elle ne s'en remet pas, se laisse dépérir, culpabilise. En plein complexe messianique, il entreprend de la sauver, de lui redonner goût à la vie. Il l'embrasse même à un moment, mais pas pour la séduire, juste comme un geste supplémentaire pour qu'elle apprécie un plaisir simple.

Peter Weir ne fait pas de Carla une rivale pour Laura, l'épouse de Max, mais plutôt un personnage qui va leur permettre de le protéger de lui-même, de le ramener à son tour à la vie. Une fois rétablie, Carla sacrifie son amitié avec Max pour qu'il consente enfin à revenir chez lui, près de sa famille, de son fils, de sa femme. Dans ces circonstances, dire "adieu", c'est une manière de rendre quelqu'un aux siens.

Le deuil dans Fearless est moins une affaire de chagrin que de renaissance, de nouveau départ. Max dit à Carla qu'il n'a pas envie de revenir, mais elle, à ce moment-là, grâce à lui, est revenue à la vie et, en le quittant, elle espère le motiver à faire de même. C'est une nouvelle fois en frôlant la mort qu'il va être vivant, et rentrer chez lui, littéralement, revenir à la vie.

Le film se déroule sur un rythme lent, contemplatif. Il est ponctué de moments à la fois intenses et légers, sans effusions, Peter Weir ne cède jamais au mélodrame, au pathos. Cette intériorité tranche avec ce qu'on pourrait attendre de l'histoire d'un homme qui défie Dieu pour prouver qu'il est invulnérable. Mais ce pari est gagnant car il fait de Max Klein un sujet fascinant, dont on ne sait pas s'il va s'en tirer, sombrer ou refaire surface.

Outre la mise en scène très sobre et élégante, on a droit à une interprétation de haute volée. Jeff Bridges n'a jamais été un acteur qui a eu la reconnaissance qu'il méritait, parce qu'il privilégie la simplicité, l'incarnation aux effets, à la composition, à la performance. C'est pour ça qu'il est si bon en général, et tellement bon ici.

Face à lui, Rosie Pérez, on le sent, a été canalisée par Peter Weir : son jeu d'habitude si volcanique est ici une merveille de délicatesse, de sensibilité (le rôle était prévu pour Winona Ryder mais Bridges pensa qu'elle serait trop jeune). Isabella Rossellini campe une épouse perdue, dépassée, mais résolue. Tom Hulce est parfait en avocat âpre au gain. Et John Turturo est encore meilleur en psy qui laisse faire les choses plutôt que de prétendre avoir réponse à tout.

Etat Second est un film curieux - comme tous les films de son réalisateur. Il introduit un personnage énigmatique, qui sort de lui-même, s'égare et retrouve son chemin. Si parfois la charge symbolique est un peu maladroite, elle contribue à raconter une histoire imprévisible et intense, mais avec une étonnante douceur.

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