samedi 26 avril 2025

ABSOLUTE MARTIAN MANHUNTER #2 (of 12) (Deniz Camp / Javier Rodriguez)


Alors qu'il déambule en ville en se demandant s'il ne perd pas la tête parce que le martien n'arrête pas de lui parler, l'agent John Jones est averti d'une fusillade non loin. Il se rend sur place pour tenter de raisonner le forcené...


Sergio Leone, le grand cinéaste italien, avait un principe très simple lorsqu'il filmait et qu'il résumait ainsi : "un plan, une idée.". Oh, je sais, ça parait évident, une lapalissade. Mais réfléchissez-y et trouvez un film qui applique cette formule. Ou un livre. Un comic book. Pas si évident finalement. Mais actuellement, il y a au moins une bande dessinée qui y parvient. Et pas qu'un peu.


Cette semaine, j'ai donc lu Absolute Superman tome 1, G.I. Joe #6, Superman #25, Justice League Unlimited #6 et The Amazing Spider-Man #2. Mais, sans être déplaisant avec toutes ces séries, pas une, honnêtement, n'arrive ne serait-ce qu'à la cheville de Absolute Martian Manhunter #2. Ce que font Deniz Camp et Javier Rodriguez ici, c'est tout simplement incomparable.


Il y a 13 ans de ça, quand Marvel a lancé la série Hawkeye écrite par Matt Fraction et illustré par David Aja, je suis tombé immédiatement amoureux de cette série. C'était tellement inventif, fun, riche, atypique, que même son scénariste ne pensait pas que ça durerait plus de six épisodes. Et en plus c'était dessiné par un espagnol très lent, donc avec des retards de plus en plus conséquents...


Et finalement, on a eu droit à 22 épisodes, avec effectivement des délais qui ont explosé, mais, qui grâce à un editor intelligent et des fans patients, ont évité à la série une annulation précoce. Il y a 13 ans, Marvel osait ça, ce genre de projet fou, déraisonnable, avec un héros qui n'était pas une vedette, traité différemment.

C'était en quelque sorte le meilleur des mondes : Hawkeye avait ce côté à la fois populaire et arty, mainstream et indé. Fraction était inspiré, Aja se surpassait à chaque numéro qu'il dessinait, et les fill-in avaient la classe. 13 ans ont passé sans vraiment que je retrouve une série pareille. Jusqu'à Absolute Martian Manhunter.

Je ne veux pas dire que c'est pareil que Hawkeye, c'est même très différent. Mais ce qu'on éprouve en lisant ce genre de comics, c'est quelque chose de rare, de précieux donc : on ne sait pas à quoi s'attendre, c'est imprévisible, c'est beau, c'est étrange, et... C'est beau. Zut ! Je l'ai déjà dit, ça. Mais surtout c'est inattendu.

Je veux dire : combien de comics vous procure cette sensation ? Combien de fois dans une année vous lisez un comic book en vous disant : "mais qu'est-ce que je lis ? Comment ça peut être publié par un des Big Two ?". Et vous aimez ça parce que vous voyez un éditeur prendre un vrai risque et d'autres lecteurs adhérer, transformer ce truc en succès surprise.

Alors, oui, Absolute Martian Manhunter correspond à plein de descriptifs : psychédélique, foutraque, etc. C'est de très loin le titre Absolute le plus déconnecté du projet global. Je doute même que le reste de l'univers Absolute connaisse l'existence du martien, de John Jones (d'ailleurs, à ce stade, la notion d'univers partagé est encore floue : les Absolute Batman, Superman, Wonder Woman, Flash ne semblent jamais avoir entendu parler les uns des autres).

Et, au fond, je me demande si la série de Deniz Camp et Javier Rodriguez n'appartient pas à la gamme Absolute surtout pour faciliter le marketing de DC. Pour moi, ça aurait limite plus sa place sur le Black Label (surtout si on reste à douze numéros comme c'est désormais prévu). Mais bon, passons. L'essentiel, c'est que ça existe. Qu'importe l'endroit.

Et puis, au fond, cet épisode pose la question de manière presque méta : tout y est question de perception. John Jones accepte petit à petit l'idée qu'un martien communique avec lui. Mais attention, pas un martien au sens littéral : Deniz Camp prend garde à ne pas trop identifier sa créature. Le martien ici renvoie à une créature étrangère, un alien.

Si cette entité est appelée martien, c'est plus pour ce que ça évoque dans l'inconscient collectif : la créature venue d'ailleurs, le fantasme de l'alien débarquant d'une planète lointaine sur laquelle on projette plein de choses (le bonhomme vert, avec une intelligence différente, un langage différent, un physique différent). C'est malin.

Mais au lieu d'en rester là, Camp va pousser Jones et le martien dans l'action, quand un forcené se met à ouvrir le feu dans un quartier de la ville en délirant sur le fait que les gens ne sont pas ce qu'ils paraissent être, que ce sont justement des créatures étrangères, venues d'ailleurs, pour prendre notre place. Une métaphore sur le grand remplacement, la lubie de certains complotistes.

La situation est traitée avec une dose d'ironie puisque justement Jones est en contact avec un authentique alien qui cherche, non pas à le remplacer, mais à cohabiter avec lui. Et ce que fait Camp de cette idée est merveilleux car on voit l'application des pouvoirs du martien comme on ne les a jamais vus auparavant, dans sa version classique.

C'est somptueusement traduit au niveau visuel par Javier Rodriguez, qui applique littéralement la formule de Sergio Leone : un plan, une idée. Ses planches généreuses dans leur découpage débordent d'idées, et le meilleur dans tout ça, c'est qu'il faut vraiment les lire comme un langage en soi, qui vient s'ajouter au texte (quand il ne s'y substitue pas).

Rodriguez rappelle à quel point la bande dessinée, l'art séquentiel, le storytelling, appelez ça comme vous voulez, c'est du récit en texte et en images. On ne peut séparer les deux. Ou alors vous avez une BD bien écrite mais mal dessinée, ou une BD bien dessinée mais mal écrite, dans les deux cas une mauvaise BD parce qu'une BD incomplète.

Absolute Martian Manhunter résiste à plusieurs lectures. Et à chaque fois vous allez découvrir quelque chose, un détail ici, un autre là, une composition d'ensemble, une invention géniale et simplement déployée. Comme cette "vision martienne" (voir plus haut) : génial !

Je crois qu'il existe au fond deux genres de BD, de comics : il y a ceux qui vous font passez un bon moment (ou pas), et c'est déjà bien puisque ça provoque une réaction. Et puis il y a ceux qui vous proposent une expérience, qui vous font cogiter, qui qui vous poursuivent, et ce sont ceux-là que vous avez le plus envie de suivre. Ceux-là dont vous attendez avec le plus d'impatience le prochain numéro.

Absolute Martian Manhunter fait partie de cette seconde catégorie. Parce que comme John Jones, c'est un absolute martian mindfucker !

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