jeudi 3 avril 2025

DAREDEVIL : COLD DAY IN HELL #1 (of 3) (Charles Soule / Steve McNiven)


Matt Murdock se recueille sur une tombe dans un cimetière puis prend un ferry pour rentrer à Manhattan. Il y tient un refuge pour les démunis. Après leur repas, il sort les poubelles lorsqu'une bande de jeunes sort en courant du métro. Une explosion suivie d'un nuage de fumée toxique s'ensuit..


Alors que, actuellement, Saladin Ahmed écrit la série régulière Daredevil avec des résultats qui ne convainquent personne, Marvel a décidé de surprendre tout le monde avec cette mini en trois épisodes imaginée par Charles Soule et Steve McNiven. Un projet qui ne peut que rappeler ce que DC accomplit avec son Black Label.


En 2008, Mark Millar avec, déjà, Steve McNiven créait Old Man Logan, une histoire en neuf parties, qui imaginait dans un futur post-apocalyptique Wolverine, retiré après avoir commis l'impensable. L'immense succès de ce projet inspira ensuite Ethan Sacks en 2018 pour Old Man Hawkeye, puis en 2019 pour Old Man Quill.


Old Man Hawkeye suggérait un spin-off consacré à Daredevil, mais il ne vit jamais le jour. Jusqu'à aujourd'hui. Ou plutôt jusqu'à il y a cinq ans, quand Charles Soule, qui de 2015 à 2018, écrivit un run de Daredevil vit des dessins de Steve McNiven avec le diable de Hell's Kitchen. Les deux hommes s'entendirent avec l'editor Nick Lowe pour développer un récit complet.


Mais leur collaboration dut composer avec la pandémie du Covid, évoluant en une mini en trois chapitres intitulée Daredevil : Cold Day in Hell. A la fin de ce premier épisode, on a droit à plusieurs pages bonus qui reviennent sur la genèse du projet et sa conception, l'implication de McNiven, l'ambition de l'histoire (qui ne s'inscrit plus dans l'univers des Old Man).

Soule a travaillé en suivant la méthode Marvel de Stan Lee, c'est-à-dire en rédigeant un plot transmis à McNiven qui ajouta, enleva ou modifia des éléments. Le script ensuite respectait la même voie : un traitement sommaire que McNiven avait toute liberté pour le mettre en images. Enfin, Soule signait les dialogues définitifs.

Le résultat est simplement époustouflant. Sans être daté, le récit se situe dans le futur. Matt Murdock est un vieil homme, dans la soixantaine (selon Soule), mais qui a perdu ses pouvoirs (en particulier son fameux sens radar). Il n'est plus avocat mais tient un refuge pour démunis qui sert la soupe populaire et offre quelques lits. On ignore ce que sont devenus ses proches, comme Foggy Nelson.

Par contre, le décor de New York suggère fortement qu'il s'est passé une catastrophe terrible. Plus loin dans l'épisode, alors que Matt tombe sur Steve Rogers, il est question de héros "désactivés". Frank Castle est également présent à la fin, mais dans un (très) sale état. Quant à Wilson Fisk... Non, je ne vais rien dire à son sujet, mais dès le début, on est informé de ce qu'il est devenu.

Tout est fait pour que Matt Murdock soit au centre. Murdock d'abord. Mais Daredevil est de retour dans cet épisode. L'explosion d'une bombe sale va réactiver les pouvoirs du diable de Hell's Kitchen et le précipiter dans une intrigue immédiatement accrocheuse, brutale, où l'âge du héros n'est pas esquivé. On voit néanmoins que Matt a gardé la forme, même si, comme il le dit, il regrettera les efforts physiques qu'il s'inflige.

Même si je sais très bien que la prestation de Soule sur Daredevil il y a dix ans n'a pas plu à grand-monde, j'en reste un fervent supporter. Sans lui, Chip Zdarsky aurait dû trouver un tout autre départ à son propre run. Il y avait d'excellents idées, des faiblesses certes, mais aussi de vrais points forts. Je ne désespère pas que ces épisodes soient un jour réhabilités.

En attendant, il ne faudrait pas que leur réputation décourage les fans de Daredevil de lire Cold Day in Hell. Trois épisodes, ce n'est pas long (même si la pagination est plus conséquente qu'à l'accoutumée, notamment à cause des bonus), mais surtout ce début est intense, brillant, inattendu. On est happé par cette histoire et cette version du personnage.

L'attrait de cette mini doit aussi énormément à Steve McNiven. La trajectoire de cet artiste est atypique : au lendemain de Civil War, il est devenu un dessinateur dont le nom suffisait à convaincre les foules de lire ce qui y était attaché. Pourtant, il s'est fait relativement rare : un arc sur Captain America (avec Ed Brubaker), un autre sur Uncanny Avengers (avec Rick Remender), des variant covers...

En définitive, McNiven n'a pas été très productif, préférant se préserver pour des projets auxquels il pouvait se consacrer sans être une rouage remplaçable. Son rythme de travail n'a jamais été rapide de toute manière. Et surtout il a expérimenté, beaucoup, s'inspirant de ses maîtres, jusqu'à copier leur style - comme celui de Barry Windsor-Smith ou Moebius.

Aujourd'hui, donc, son retour est un événement en soi. Il s'encre lui-même et a digéré ses influences tout en proposant quelque chose de très différent de ce qui l'a fait connaître. Certains y ont vu du Frank Quitely. Ce qui est certain, c'est qu'il s'est beaucoup investi dans ce Cold Day in Hell et n'a pas ménagé ses efforts (allant jusqu'à coloriser ce premier épisode, avant de passer le relais à Dean White).

Ses planches sont à la fois épurées et grouillent de détails. Son découpage est un hommage sidérant à Frank Miller, avec souvent plus d'une quinzaine de cases par pages, des "gaufriers" d'une minutie maniaque. McNiven s'éclate visiblement dans cet exercice et dans la représentation d'un héros âgé, au visage parcheminé, à la silhouette de danseur (effet accentué par ses vêtements noirs qui le font ressembler à un chorégraphe façon Bob Fosse ou Maurice Béjart).

Dans les dessins que Soule avait remarqué, McNiven s'amusait à croquer des héros aux costumes déchirés, au visage tuméfié ou vieilli, comme des paysages érodés. Cette décrépitude, loin d'être sordide ou complaisante, donne au récit une épaisseur, une émotion étonnantes. Rarement, la vieillesse, le poids des ans, l'usure aura été si bien traduire visuellement dans un comic-book super-héroïque.

On devine que Soule et McNiven visent à faire de Daredevil : Cold Day in Hell leur The Dark Knight returns. Ils n'y parviendront certainement pas (c'est un sommet équivalent à Watchmen), mais leur démarche ne manque pas de panache et ce premier épisode promet beaucoup. Trop pour y résister. Et surtout ce n'est pas si fréquent que Marvel ose un tel projet...

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