mercredi 28 mai 2025

THE NEW GODS #6 (of 12) (Ram V / Evan Cagle, Felipe Andrade)


Lightray s'est sacrifié pour permettre aux habitants survivants de New Genesis de quitter la planète. Le Black Racer l'accueille dans l'au-delà pour le guider jusqu'à la Source où sera décidé s'il doit rester mort ou s'il pourra revivre... Cependant, sur Terre, la JLU se porte au secours des refugiès de New Genesis dont le vaisseau risque de se crasher...


Cet épisode est tout de même d'une audace folle. Si folle qu'elle en laissera certains sur le carreau et j'ai déjà lu par ailleurs des avis très tranchés de lecteurs qui ont décidé d'arrêter les frais. Pas forcément d'ailleurs à cause du contenu et de l'emballage de cet épisode mais pour une raison qui me paraît beaucoup plus superficielle et témoigne d'une profonde ignorance. Mais j'y reviendrai.


Il m'était impossible de critiquer cet épisode sans spoiler le sort réservé à Lightray à la fin du précédent et confirmé au début de celui-ci. Pour empêcher Karok Ator de tuer Izaya, le Haut-Père de New Genesis, le jeune héros s'est interposé et a péri, pourfendu par l'épée du conquérant. Mais, comme Ram V se le demandait, qu'en est-il de la mort d'un dieu ? Un dieu peut-il seulement mourir ?


La force de l'approche de Ram V sur The New Gods, c'est d'envisager la création de Jack Kirby avec respect mais sans déférence exagérée. Il faut, encore une fois, se rappeler que le king avait fait un bide avec The New Gods et toutes les séries du "Quatrième Monde" : ce n'est pas être ingrat de le dire, c'st un fait. Et DC avait même demandé à Jim Starlin d'orchestrer la mort de tous ces personnages dans la foulée de l'event Final Crisis.


On peut toujours s'interroger sur les raisons d'un échec sans dévaloriser le travail qu'il a exigé de son auteur. Kirby, quand il créé The New Gods et ses séries annexes, veut d'abord, à l'évidence, prolonger ce qu'il a fait sur Thor chez Marvel, mais en inventant de nouveaux personnages, un nouveau cadre. Pourtant les fans de DC n'adhéreront pas, tout comme ils ne suivront pas Kirby dans ses autres projets pour l'éditeur.

J'ignore s'il s'agissait d'un décalage trop grand entre l'époque et l'auteur, les attentes des lecteurs et les aspirations de Kirby. Mais ça n'a pas fonctionné. Pourtant DC, avec sa légion de héros quasi-divins, était l'endroit idéal pour The New Gods. Mais en vérité, jusqu'à Tom King et Mister Miracle, c'est comme si les Néo-Dieux du king restaient des outsiders, des marginaux, presque des anomalies.

Ram V a compris, selon moi, une chose essentielle : pour que le grand public adhère enfin aux Néo-Dieux de Kirby, il fallait leur donner une intrigue simple sans renier la complexité de leur situation. ET c'est ainsi qu'au lieu de les raconter frontalement, il a préféré biaiser et y glisser des références auxquelles Kirby n'aurait pas pensées mais qui ont en quelque sorte rafraîchi leur concept même.

Un peu comme quand J. Michael Straczynski avait écrit Thor ou Neil Gaiman puis Kieron Gillen les Eternels, Ram V s'est donc appuyé sur une base simple : et si les dieux étaient chassés de leur panthéon au moment même où, en parallèle, un enfant-dieu se manifestait, sans qu'on sache s'il incarnait une force positive ou négative ?

Arrivé à la moitié de la série, on a pu suivre simultanément la chute d'Apokolips et de New Genesis par un conquérant vengeur et l'émergence d'un enfant divin convoité par différents acteurs (les uns voulant le supprimer, les autres le protéger, les derniers l'exploiter). Et dans cet épisode, il est question de mort, peut-être de renaissance, et d'exil.

La majeure partie de cet épisode suit donc Lightray dans une sorte d'au-delà où il est guidé par le Black Racer, l'incarnation de la Mort, qui n'appartient pas aux Néo-Dieux tout en étant le dernier personnage qu'ils rencontreront tous. Il emmène le défunt à la Source où il sera fixé sur son sort. Lightray ne veut pas mourir, non pour être sauvé, mais pour continuer à protéger les siens.

A travers lui, Ram V dresse le portrait d'un jeune homme fondamentalement bon. Il fut d'abord un enfant ordinaire, le meilleur ami de l'ombrageux Orion, puis, pris dans une embuscade par les Paradémons de Darkseid, il failli périr. De longs jours alité, il ne dut son salut qu'au réveil inattendu de ses pouvoirs et depuis il s'évertua à honorer la chance qui lui fut accordé en l'attribuant à l'entourage qui le veilla. 

Le Black Racer lui-même est troublé par Lightray pour qui il éprouve une sorte d'admiration défiant sa mission, son rôle. Laisser mourir un être si pur est-il moral ? Il comprend que non et outrepasse sa position en le défendant une fois parvenu à la Source. Réussira-t-il à le sauver ?

Ram V s'aventure dans des territoires rarement explorés dans un comic-book super-héroïque mainstream. Je peux comprendre que ça ne touchera pas tout le monde, que certains même trouveront cela inutilement philosophique, complexifiant une histoire dont la trame est fondamentalement simple. Pourtant je trouve aussi cela dommage de ne pas s'abandonner à ce voyage, situé stratégiquement au milieu du voyage.

Les planches de Felipe Andrade risquent aussi d'en désorienter un paquet. Souvent à la limite de l'abstraction (et parfois même carrément abstraites), en couleurs directes, avec un mélange de crayons de couleurs et d'aquarelles, le résultat est pourtant là aussi d'une beauté unique, invitant à la méditation, au trip, dans des ambiances éthérées et des nuances fantastiques.

C'est sûr qu'on ne voit pas ça tous les jours et il faut un sacré culot à la fois de la part de Ram V, de Andrade et de DC pour publier un épisode aussi atypique, étrange, qui invite à la transe plus qu'à la simple lecture. Mais j'ai aussi envie de dire que l'abstraction est ce qu'on en fait : il n'y a pas de règle, il faut juste se laisser flotter, se laisser dériver, ne pas chercher forcément du sens.

Si vous vous plongez dans ces pages en résistant parce que ça ne ressemble pas à du comics traditionnel, alors n'insistez pas. Vous serez frustré, ça ne vous plaira pas du tout. Par contre, si vous vous décontractez, si vous êtes prêt à embarquer, alors non seulement le dépaysement est garanti mais surtout vous serez touché et vous comprendrez pourquoi Andrade est parfait pour cet épisode, creusant comme il l'a déjà fait avec Ram V ces atmosphères.

Comme je le disais plus haut, j'ai lu aussi que certains lecteurs avaient choisi de stopper leur lecture de la série pour une autre raison qui est que Evan Cagle ne dessine finalement que quatre pages. Ce n'est évidemment pas beaucoup, et peut-être pas suffisant. Pourtant c'était déjà le cas dans l'épisode 3 et cela s'explique.

Cagle n'a jamais dessiné de série mensuelle et c'est un rythme à prendre qui n'est pas facile. Surtout cela rappelle à point nommé deux choses que les fans de comics ne devraient jamais oublier : la première, c'est qu'un artiste n'est pas une machine à pisser des planches pour satisfaire des lecteurs addicts au format mensuel. Un artiste, c'est, comme vous et moi, d'abord un être humain.

Et c'est quelqu'un qui gagne mal sa vie la plupart du temps en s'échinant à produire des épisodes de vingt pages par mois sans avoir le droit d'être malade ni, apparemment pour certains, de ne pas respecter les délais de production. Et ça, ça m'énerve de le répéter, mais je le ferai jusqu'à mon dernier souffle parce que j'en ai marre des fans pourris gâtés qui pensent que tout leur est dû, en particulier la productivité des artistes.

Et la deuxième chose que je veux ici rappeler, c'est que Cagle a un style exigeant : regarder les quatre pages qu'il fait et notez le niveau de détails qu'il y met. Relisez maintenant les épisodes qu'il a entièrement dessinés et si vous ne comprenez pas qu'on ne peut pas, humainement, produire ça chaque mois, alors je ne peux rien pour vous. Attendez de lire des BD générées par l'IA, vous les aurez tous les mois sans retard. Mais ça n'aura jamais d'âme.

Pour ma part, je vais en tout cas continuer The New Gods parce que je trouve ça magnifique et même si ça signifie que dans un avenir proche, à nouveau, Evan Cagle laisse la majorité d'un épisode à un autre pour souffler ou pour qu'un artiste serve au mieux le script de Ram V.

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