mercredi 30 avril 2025

HELLHUNTERS (Philip Kennedy Johnson / Adam Gorham)


HELLHUNTERS
(Hellhunters #1-5)


1943. Des soldats allemands tentent d'échapper à leurs homologues russes, mais ces derniers abandonnent leur poursuite à la sortie d'une forêt. En effet, les nazis tombent sur un démon qui, en échange de leur servitude à sa cause, leur promet l'immortalité. Le capitaine Felix Bruckner accepte ce marché avec ses hommes. 


Six mois plus tard, en 1944, Sal Romero s'apprête avec ses camarades à sauter en parachute au-dessus d'une zone occupée en France, mais l'avion qui les transporte est détruit en vol. Romero s'en sort mais il tombe sur Bruckner et ses hommes qui le l'achèvent. Le démon de la vengeance Zarathos offre à Romero de venger ses compagnons en devenant son bras armé. Peu après, il tombe nez à nez avec les Howling Commandos de Nick Fury, Peggy Carter et Sebastian Szardos.
 

Une alliance se forme puisqu'ils traquent les mêmes individus. Puis le groupe gagne un membre supplémentaire en la personne d'un soldat canadien, Logan, qui a été obligé de tuer ses amis possédés par Bruckner. Tous ensemble, ils gagnent un campement militaire américain où stationne Captain America qui les introduit auprès du colonel Philips. Romero fait la connaissance de Bucky qui souhaite participer à leur mission...


Le recueil de cette mini-série ne paraîtra en vo qu'en Août prochain mais comme le cinquième et dernier épisode vient de sortir, je vous livre la critique de cette histoire désormais complète. Quoique... Philip Kennedy Johnson a exprimé son envie de la poursuivre. Est-ce que Marvel accèdera à sa requête ? Tout dépendra de l'appréciation des chiffres de vente par l'éditeur...


Avant d'entrer dans le vif du sujet, c'est la première fois que je lis un récit écrit par Philip Kennedy Johnson, un auteur qui signe actuellement la série Hulk mais auquel est souvent reproché sa narration très décompressée. Qui plus est, je ne suis pas un grand fan de comics horrifiques et donc j'ai lu Hellhunters un peu à reculons au début.

Puis le charme a opéré. Ce n'est pas un chef d'oeuvre, mais ça ne prétend pas l'être. Au contraire, Kennedy Johnson semble surtout avoir voulu rendre un hommage appuyé aux séries B en mixant récit de guerre, super-héros et horreur, en s'inspirant des comics publiés dans les années 50 chez Timely (pré-Marvel donc) comme chez DC (avec Sgt Rock) ou EC (avec les anthologies Creepy, Eerie).

C'est ce qui m'a séduit dans son projet : utiliser des figures connues à divers degrés mais dans un cadre rétro et en assumant les emprunts aux genres précités. Souvent, trop souvent, les mini séries Marvel manquent de saveur parce qu'elles sont surtout conçues comme des bouche-trous, des histoires sans intérêt ni conséquences (ou alors des conséquences que personne ne creuse ensuite).

Kennedy Johnson, lui, a pris le parti d'écrire une intrigue à la fois simple, divertissante et musclée que seul lui, donc, pourra reprendre si Marvel lui en donne la permission. Ce n'est pas hors continuité, mais on peut imaginer d'autres aventures avec cette bande de héros sans que cela n'oblige à des retcons. Et c'est vraiment malin et plaisant.

On sait que le cadre de la seconde guerre mondiale a été le théâtre de l'apparition des premiers super-héros de l'éditeur qui ne s'appelait pas encore Marvel : Jack Kirby et Joe Simon ont créé Captain America comme leur réponse au régime nazi, Namor est sorti de l'imagination de Bill Everett (un auteur complet trop oublié), la première Torche Humaine était le produit de Carl Burgos (lui aussi trop oublié).

Ensuite, quand Stan Lee avec Kirby, Steve Ditko et bien d'autres ont établi l'univers Marvel, certains personnages ont eu des origines liées au conflit mondial de 39-45, notamment Wolverine, Ghost Rider, Magneto, le professeur Xavier, etc. C'est exactement ce qu'exploite ici Philip Kennedy Johnson en imaginant une itération inédite des Howling Commandos de Nick Fury.

Le récit emprunte très vite les voies du fantastique et de l'épouvante avec un démon russe, né du châtiment infligé à une jeune femme amoureuse du diable, et qui asservit des soldats allemands, puis de l'esprit de la vengeance, Zarathos, qui est le créateur des Ghost Rider. Sebastian Szardos, le "soldat suprême" est aussi de la partie, détenteur à l'époque de l'Oeil d'Agamotto.

Si le début est un peu lent, et que le lecteur peut craindre que le scénario n'introduise un nouveau personnage à chaque épisode comme seul élément moteur, l'ensemble prouve que l'intrigue évolue de manière fluide et énergique. Les rencontres successives du Ghost Rider Sal Romero avec Nick Fury, Peggy Carter et Sebastian Szardos, puis Logan puis Bucky Barnes sont efficacement menées.

En parallèle, la menace de Calphaël, le démon qui se sert des nazis puis d'autres soldats pour dominer le monde et affronter Zarathos, se déploie de façon tout aussi dynamique, avec des moments intenses. Jusqu'à l'inévitable bataille finale, qui s'avère effectivement spectaculaire et indécise jusqu'au bout, même si la Grande Histoire est tout de même respectée.

Les dessins ont été confiés à un artiste que j'aime beaucoup, Adam Gorham, mais qui n'a pas la reconnaissance qu'il mérite. Je l'ai découvert avec Punk Mambo, un personnage de l'écurie Valiant, et surtout avec The Blue Flame, une mini série formidable écrite par Christopher Cantwell que je recommande chaudement.

C'est un choix parfait car il a un trait très expressif et une narration graphique très nerveuse, ce qui convient idéalement à un tel récit. Gorham est inspiré par Joe Kubert, le maître des récits de guerre, mais sans le singer. Il accorde à chaque protagoniste de superbes planches et se montre un complément impeccable au script de Kennedy Johnson.

L'un dans l'autre, ce projet, atypique mais vraiment chouette, m'a fait un peu penser à 5 Ronins de de Peter Milligan qui imaginait, à la façon d'un What if... ?, ce qu'auraient été certains personnages iconiques de Marvel dans le japon féodal. Ici, l'histoire est plus linéaire, moins expérimental et exotique, mais tout aussi divertissante.

J'espère vraiment qu'on aura une suite, avec évidemment le même scénariste et le même dessinateur. Marvel serait bien inspiré de développer un label permettant ainsi à des équipes créatives de s'amuser à côté de la quantité astronomique de séries régulières souvent médiocres qui inondent le marché. Mais oseront-ils seulement ?

mardi 29 avril 2025

ABSOLUTE BATMAN, TOME 1 : LE ZOO (Scott Snyder / Nick Dragotta, Gabriel Hernandez Walta)


ABSOLUTE BATMAN, TOME 1 : LE ZOO
(Absolute Batman #1-6)


Enfant, Bruce Wayne effectue une sortie scolaire au zoo de Gotham City en compagnie des élèves de sa classe et de son père instituteur. Un forcené, Joe Chill, ouvre le feu et tue Thomas Wayne. Elevé par sa mère Martha, Bruce tient le coup grâce à ses amis : Edward Nygman Harvey Dent, Oswald Cobblepot, Waylon Jones et Selina Kyle.


Adulte, Bruce, après de brillantes études, devient simple ouvrier dans le bâtiment. Mais il a consacré son temps libre à élaborer un plan ambitieux pour combattre la corruption qui gangrène sa ville. Sa mère est devenue membre du comité de soutien de James Gordon, le policier qui a arrêté Joe Chill et qui est devenu maire de Gotham, en lice pour un nouveau mandat contre Hamilton Hill.


Mais le gang des Fêtards sème la terreur et sous le masque de Batman, Bruce cherche à en savoir plus. Il croise la route d'Alfred Pennyworth, un espion, ancien militaire, envoyé à Gotham pour appréhender Roman Sionis et stopper éventuellement le justicier. Méfiant, Batman apprend que Sionis serait le malfrat Black Mask qui commanderait les Fêtards pour assurer la victoire de Hamilton Hill en pointant l'inaptitude de James Gordon à les arrêter. C'est alors que Black Mask propose un deal à Batman...
 

Et je vais terminer ma revue d'effectifs des titres Absolute par son navire amiral : Absolute Batman. Je parlerai d'Absolute Flash quand son premier recueil paraîtra. Par contre, aucune chance que je me tape Absolute Green Lantern, qui est vraiment d'une laideur graphique sans nom. Mais je continuerai à vous parler mensuellement d'Absolute Martian Manhunter.


Comme je le disais dans la critique d'Absolute Wonder Woman, publiée plus tôt ce jour, à l'origine, Scott Snyder voulait écrire les aventures revisitées de l'amazone mais DC l'a convaincu de revenir sur Batman auquel son nom reste associé depuis 2011 et son run à succès durant l'ère New 52. C'était donc un défi pour lui de trouver encore des choses à dire sur le personnage.


Mais en même temps, cette fois, encore plus que par le passé, il avait carte blanche. Il pouvait faire ce qu'il voulait puisque tout était à (ré)inventer. Et puis Snyder chez DC, c'est comme Hickman chez Marvel, quand on l'appelle, il ne vient que s'il a la garantie d'avoir les mains libres (plus encore, en réalité que Hickman).

Ainsi, c'est Snyder qui a baptisé cette nouvelle ligne de comics Absolute. Bien qu'initialement il voulait l'appeler AF, soit As Fuck. Mais c'était sans doute trop, même pour DC. C'est aussi lui qui a formulé le principe de la collection : enlever tout ce qui fait le folklore de ces héros. Et pour Batman, ça passe par son statut de milliardaire dont la fortune lui permet tout.

Donc, ici, Bruce Wayne n'est pas un héritier avec une Batcave dans son manoir. Il a perdu son père, tué par Joe Chill, mais Thomas Wayne était un instit', pas un médecin. Et il a toujours sa mère, qui est une travailleuse sociale, investie en politique. Elle soutient la nouvelle candidature de James Gordon, ex-policier devenu maire de Gotham.

Snyder modifie aussi les seconds rôles : Edward Nygma (le Sphinx), Oswald Cobblepot (le Pingoin), Harvey Dent (Double-Face), Waylon Jones (Killer Croc) ne sont plus des super-vilains mais ses amis d'enfance. Nygma est un électronicien, Cobblepot fait du business, Dent est avocat, Jones tient une salle de sport. Selina Kyle n'apparaît que dans des flashbacks, orpheline ballotée de foyer en foyer.

Les troisièmes rôles sont encore à l'état d'esquisses : Harvey Bullock est commissaire de police, Barbara Gordon simple flic.

Le changement le plus notable, c'est Alfred Pennyworth. Visiblement, Scott Snyder a aimé la série télé Pennyworth puisqu'il a conservé le personnage d'espion ex-militaire, mais vieilli, envoyé à Gotham pour appréhender Roman Sionis/Black Mask et observer (voire neutraliser) Batman.

On trouve dans ce casting très touffu la marque de fabrique de Snyder, incapable de se retenir. Tout de suite, il introduit une tonne d'éléments et le lecteur doit retenir une liste de noms imposante, des infos sur chacun, dans une intrigue elle-même très consistante, même si l'action, très violente et spectaculaire, est en bonne place.

Car Absolute Gotham est encore pire que ce que vous connaissez. Terrorisée par les Fêtards, elle ressemble à un champ de bataille permanent qui doit servir à discréditer l'action de Jim Gordon pour favoriser l'élection de son rival, Hamilton Hill. Snyder joue bien le coup avec une machination à la fois simple et complexe sur fond de politique.

Mais au fond, il est impossible de lire ça sérieusement. Contrairement à Jason Aaron sur Absolute Superman qui traite de l'exploitation des faibles par une multinationale, Snyder veut, lui, privilégier le divertissement en n'ayant pas peur d'en faire trop. C'est souvent grotesque, ridicule, mais aussi très marrant tellement c'est wtf.

Son Batman est une montagne de muscles, avec une cape redoutable. Le logo sur sa poitrine est en fait la lame d'une hache avec laquelle il n'hésite pas à trancher des membres. Les cornes de son masque sont en réalité des couteaux. Ses épaulettes sont hérissées de piques rétractables. Pour le coup, c'est vraiment une version absolue de Batman, terrifiante, bestiale, "hénaurme".

Et en ayant Nick Dragotta comme artiste, Snyder s'en donne à coeur joie. Le dessinateur fait son grand retour après avoir accompagné Hickman sur East of West et réalisé son propre creator-owned (Ghost Cage). Personne mieux que Dragotta n'a mieux intégré les codes visuels de la narration des mangas pour les associer à ceux des comics super-héroïques.

Ce qui aboutit à des scènes d'action d'une sauvagerie dingue, mais qui surtout servent le côté le plus absurde, le plus radical, le plus caricatural du projet. Tout est disproportionné sous son crayon : la Batmobile en est la meilleure illustration (voir plus haut). Et on comprend bien la référence : c'est The Dark Knight returns de Frank Miller.

Tout ça est donc d'un goût douteux mais parfaitement assumé. Et si on accepte la règle du jeu, ça débouche sur de vrais éclats de rire, pas pour s'en moquer, mais parce que c'est authentiquement drôle. Une scène résume ça idéalement quand Batman s'abat sur le yacht de Black Mask et affronte ses gardes, dont un gamin qu'il finit par jeter à l'eau comme s'il frappait dans un ballon de foot (voir plus haut). Impossible de ne pas s'esclaffer.

Reste à savoir où Snyder va avec ça. Sur le quatrième épisode, Dragotta fait une pause (parce que le premier chapitre fait quarante pages quand même) et il est remplacé par Gabriel Hernandez Walta. Je n'aime pas du tout son style et franchement, ça jure avec le reste. C'est aussi l'épisode le moins fun, le moins intéressant (une sorte d'origin story laborieuse).

Il faudra gérer les coups de pompe inévitables de Dragotta (bonne nouvelle, les épisodes 7 et 8 sont dessinés par Marcos Martin, fill-in super luxueux). Mais aussi décider si la série va persévérer dans cette tonalité délirante, ou se calmer un peu et s'adapter. C'est à la fois le charme et la limite du projet de Snyder : un Batman rock'n'roll, voire hard rock. Mais qui gagnerait à avoir quelques ballades.

P.S. : Comme Wonder Woman et SupermanAbsolute Batman tome 1 sortira en France chez Urban Comics fin Mai, bien avant les trade paperbacks en vo. Ces trois tomes sont recommandables, même si vous n'êtes pas obligés de tous les acheter le même jour et si, pour l'instant, toutes les histoires sont assez déconnectées. Espérons tout de même qu'on aura droit aussi à Martian Manhunter, voire Flash, en vf à l'avenir (surtout le martien !).

ABSOLUTE WONDER WOMAN, TOME 1 : LA DERNIERE AMAZONE (Kelly Thompson / Hayden Sherman)


ABSOLUTE WONDER WOMAN, TOME 1 : LA DERNIERE AMAZONE
(Absolute Wonder Woman #1-5)


Dernière née des amazones mais prise à son peuple par Zeus qui voulait les punir de leurs crimes contre les dieux, Diana est confiée par Apollon à la sorcière Circé bannie en enfer. Celle-ci l'élève sans pouvoir lui dire d'où elle vient (car Apollon a banni le mot "amazone"). Devenue une jeune femme, Diana se pose des questions sur ses origines et elle se documente dans la bibliothèque de sa mère adoptive pour connaître la vérité.


Elle trouve un jour sur les rives de l'île sauvage où elle vit seule avec Circé Steve Trevor, un militaire américain mort au combat. Pour le renvoyer dans le monde des vivants, Diana consent un terrible sacrifice. Hécate informe Circé du destin de sa protégée et la sorcière lui confectionne un lasso aux propriétés bien particulières.


Diana apparaît dans notre monde lorsque des monstres surgissent sur la plage de Gateway City. Mais elle prévient l'armée sur place que ces créatures annoncent l'arrivée du Tétracide, une entité terrifiante qu'elle va tenter de repousser sans garantie de réussir. La population doit être évacuée. Steve Trevor refuse de la laisser se battre seule...


De toutes les séries Absolute, celle-ci était celle que j'abordai avec le plus de méfiance. En cause : le fait qu'elle soit écrite par Kelly Thompson, qui m'a tant déçu avec Birds of Prey, et dont la bibliographie contient finalement peu de franches réussites, en dehors de son run sur Hawkeye et sur Captain Marvel.


A l'origine, Absolute Wonder Woman ne devait d'ailleurs pas revenir à Thompson puisque Scott Snyder avait accepté de lancer cette collection en signant les aventures revisitées de l'amazone. Mais DC préférait qu'il pilote aux destinées de Batman, personnage qu'il a marqué de son empreinte lors des New 52 et qui est le fer de lance de cet univers.

Snyder a accepté et le projet est revenu à Kelly Thompson qui, forte du succès commercial de Birds of Prey, avait la confiance de l'éditeur. C'est un sacré défi car, en face, dans sa version classique, l'amazone jouit d'un net regain de forme grâce à sa série désormais écrite par Tom King, dans un run tout à fait formidable.

Après le Martian Manhunter psychédélique de Deniz Camp et Javier Rodriguez et le Superman immigré en colère de Jason Aaron et Rafa Sandoval, Kelly Thompson inscrit donc Diana dans une veine encore différente, sans doute la plus super héroïque du lot. Et pour ce faire, elle choisit de renverser les valeurs associées au personnage.

La gamme Absolute, c'est la volonté de dépouiller les héros iconiques de DC de leurs symboles : Batman n'est pas un riche héritier, Superman pas un alien élevé avec amour au Kansas, le Limier Martien par un vrai martien téléporté accidentellement sur Terre, Green Lantern pas un flic de l'espace. Wonder Woman sera, elle, la dernière amazone, littéralement.

On apprend donc qu'elle a été retirée à son peuple par Zeus et remise par Apollon à Circé bannie en enfer. Cette dernière vit sur une île hostile et désolée et reçoit le nourrisson sans enthousiasme. Un serpent est tout prêt à en faire son repas quand le bébé le repousse avec énergie. La magicienne est épatée par ce geste et, progressivement, va se laisser gagner par l'amour maternel.

Kelly Thompson organise chacun des cinq épisodes qui forment ce premier arc narratif en opérant des allers-retours fréquents entre passé et présent. Les flashbacks occupent pratiquement la moitié de chaque chapitre, un peu à la manière de ce qu'a fait Jason Aaron avec Krypton sur Absolute Superman, façon de dire que c'est là que s'est forgé le personnage.

Et comme Aaron a réussi à rendre ces passages sur Krypton passionnants, Thompson écrit avec inspiration ces moments en enfer en développant subtilement la relation entre Circé et Diana, duo improbable qu'elle rend attachant. Le minimalisme du décor, la difficulté de survivre dans pareil environnement, font presque penser à du Bergman.

Thompson évite aussi de sombrer dans un sentimentalisme facile quand apparaît Steve Trevor, suggérant l'amour que le militaire éveille chez la jeune Diana sans jamais qu'elle se déclare (et idem pour Trevor). Hécate est également là, mais très en retrait, à la fois comme une présence qui guide et qui inquiète. 

Puis, au temps présent, Thompson montre le combat spectaculaire que va mener Wonder Woman contre des monstres et leur maître, le Tétracide. Sur ce plan, la scénariste se montre moins probante, renouant avec ses marottes (les créatures gigantesques et menaçantes) dont elle peuple chacune de ses séries régulièrement. Néanmoins, la toute fin du cinquième numéro laisse espérer une suite moins convenue.

Toutes les séries Absolute bénéficient de dessinateurs haut de gamme, ce qui prouve que DC a décidé de mettre le paquet pour que cette collection séduise. Et je dois avouer que, ne connaissant pas son travail jusqu'alors, la prestation de Hayden Sherman m'a impressionnée et hisse à un niveau inespérée ce titre en la dotant de découpages audacieux.

Il n'est pas difficile de deviner que Sherman a dû beaucoup lire Promethea de Alan Moore et J.H. Williams III tant ses compositions font penser à celles de l'artiste de Batwoman et plus récemment Echolands. Les cases prennent des formes plus insensées les unes que les autres, la page devient elle-même une toile dans laquelle la vignette est un graphe.

On peut bien entendu trouver le procédé un peu artificiel et c'est vrai que parfois Sherman semble un peu trop vouloir épater la galerie. Mais dans l'ensemble, c'est vraiment bluffant car toujours lisible. Là où ça fonctionne le mieux, c'est quand l'artiste marque un contraste net entre les scènes en enfer et celles à Gateway City.

Il aurait d'ailleurs, à mon sens, été préférable que ces deux temporalités soient plus distinctes dans leur découpage pour que les effets de mise en scène soient mieux valorisés. On assiste par exemple sur trois pages à l'enfance puis l'adolescence de Diana dans la grotte de Circé, entièrement avec des cases occupant toute la largeur de la bande, avant des affrontements sur la plage de Gateway City, servis par des cadres de toutes dimensions et formes.

La simplicité d'un côté, la sophistication de l'autre montrent l'abattage de Sherman et son intelligence pour représenter deux ambiances, deux époques. Alors que quand il traite à l'identique ces deux parties, l'émotion n'est pas la même et se dilue. Mais le trait fin, expressif, évocateur de l'artiste suffit à faire d'Absolute Wonder Woman une bien belle BD, avec les couleurs nuancées de Jordie Bellaire.

Avec son look digne de Mad Max : Furiosa (tatouages, cuir), son énorme épée (digne de celle de Magik chez Marvel) et son cheval Pégase (sublime design), cette Diana détonne mais plutôt dans le bon sens. Kelly Thompson est bien plus à son avantage et Hayden Sherman est une vraie révélation. A suivre donc.

samedi 26 avril 2025

ABSOLUTE MARTIAN MANHUNTER #2 (of 12) (Deniz Camp / Javier Rodriguez)


Alors qu'il déambule en ville en se demandant s'il ne perd pas la tête parce que le martien n'arrête pas de lui parler, l'agent John Jones est averti d'une fusillade non loin. Il se rend sur place pour tenter de raisonner le forcené...


Sergio Leone, le grand cinéaste italien, avait un principe très simple lorsqu'il filmait et qu'il résumait ainsi : "un plan, une idée.". Oh, je sais, ça parait évident, une lapalissade. Mais réfléchissez-y et trouvez un film qui applique cette formule. Ou un livre. Un comic book. Pas si évident finalement. Mais actuellement, il y a au moins une bande dessinée qui y parvient. Et pas qu'un peu.


Cette semaine, j'ai donc lu Absolute Superman tome 1, G.I. Joe #6, Superman #25, Justice League Unlimited #6 et The Amazing Spider-Man #2. Mais, sans être déplaisant avec toutes ces séries, pas une, honnêtement, n'arrive ne serait-ce qu'à la cheville de Absolute Martian Manhunter #2. Ce que font Deniz Camp et Javier Rodriguez ici, c'est tout simplement incomparable.


Il y a 13 ans de ça, quand Marvel a lancé la série Hawkeye écrite par Matt Fraction et illustré par David Aja, je suis tombé immédiatement amoureux de cette série. C'était tellement inventif, fun, riche, atypique, que même son scénariste ne pensait pas que ça durerait plus de six épisodes. Et en plus c'était dessiné par un espagnol très lent, donc avec des retards de plus en plus conséquents...


Et finalement, on a eu droit à 22 épisodes, avec effectivement des délais qui ont explosé, mais, qui grâce à un editor intelligent et des fans patients, ont évité à la série une annulation précoce. Il y a 13 ans, Marvel osait ça, ce genre de projet fou, déraisonnable, avec un héros qui n'était pas une vedette, traité différemment.

C'était en quelque sorte le meilleur des mondes : Hawkeye avait ce côté à la fois populaire et arty, mainstream et indé. Fraction était inspiré, Aja se surpassait à chaque numéro qu'il dessinait, et les fill-in avaient la classe. 13 ans ont passé sans vraiment que je retrouve une série pareille. Jusqu'à Absolute Martian Manhunter.

Je ne veux pas dire que c'est pareil que Hawkeye, c'est même très différent. Mais ce qu'on éprouve en lisant ce genre de comics, c'est quelque chose de rare, de précieux donc : on ne sait pas à quoi s'attendre, c'est imprévisible, c'est beau, c'est étrange, et... C'est beau. Zut ! Je l'ai déjà dit, ça. Mais surtout c'est inattendu.

Je veux dire : combien de comics vous procure cette sensation ? Combien de fois dans une année vous lisez un comic book en vous disant : "mais qu'est-ce que je lis ? Comment ça peut être publié par un des Big Two ?". Et vous aimez ça parce que vous voyez un éditeur prendre un vrai risque et d'autres lecteurs adhérer, transformer ce truc en succès surprise.

Alors, oui, Absolute Martian Manhunter correspond à plein de descriptifs : psychédélique, foutraque, etc. C'est de très loin le titre Absolute le plus déconnecté du projet global. Je doute même que le reste de l'univers Absolute connaisse l'existence du martien, de John Jones (d'ailleurs, à ce stade, la notion d'univers partagé est encore floue : les Absolute Batman, Superman, Wonder Woman, Flash ne semblent jamais avoir entendu parler les uns des autres).

Et, au fond, je me demande si la série de Deniz Camp et Javier Rodriguez n'appartient pas à la gamme Absolute surtout pour faciliter le marketing de DC. Pour moi, ça aurait limite plus sa place sur le Black Label (surtout si on reste à douze numéros comme c'est désormais prévu). Mais bon, passons. L'essentiel, c'est que ça existe. Qu'importe l'endroit.

Et puis, au fond, cet épisode pose la question de manière presque méta : tout y est question de perception. John Jones accepte petit à petit l'idée qu'un martien communique avec lui. Mais attention, pas un martien au sens littéral : Deniz Camp prend garde à ne pas trop identifier sa créature. Le martien ici renvoie à une créature étrangère, un alien.

Si cette entité est appelée martien, c'est plus pour ce que ça évoque dans l'inconscient collectif : la créature venue d'ailleurs, le fantasme de l'alien débarquant d'une planète lointaine sur laquelle on projette plein de choses (le bonhomme vert, avec une intelligence différente, un langage différent, un physique différent). C'est malin.

Mais au lieu d'en rester là, Camp va pousser Jones et le martien dans l'action, quand un forcené se met à ouvrir le feu dans un quartier de la ville en délirant sur le fait que les gens ne sont pas ce qu'ils paraissent être, que ce sont justement des créatures étrangères, venues d'ailleurs, pour prendre notre place. Une métaphore sur le grand remplacement, la lubie de certains complotistes.

La situation est traitée avec une dose d'ironie puisque justement Jones est en contact avec un authentique alien qui cherche, non pas à le remplacer, mais à cohabiter avec lui. Et ce que fait Camp de cette idée est merveilleux car on voit l'application des pouvoirs du martien comme on ne les a jamais vus auparavant, dans sa version classique.

C'est somptueusement traduit au niveau visuel par Javier Rodriguez, qui applique littéralement la formule de Sergio Leone : un plan, une idée. Ses planches généreuses dans leur découpage débordent d'idées, et le meilleur dans tout ça, c'est qu'il faut vraiment les lire comme un langage en soi, qui vient s'ajouter au texte (quand il ne s'y substitue pas).

Rodriguez rappelle à quel point la bande dessinée, l'art séquentiel, le storytelling, appelez ça comme vous voulez, c'est du récit en texte et en images. On ne peut séparer les deux. Ou alors vous avez une BD bien écrite mais mal dessinée, ou une BD bien dessinée mais mal écrite, dans les deux cas une mauvaise BD parce qu'une BD incomplète.

Absolute Martian Manhunter résiste à plusieurs lectures. Et à chaque fois vous allez découvrir quelque chose, un détail ici, un autre là, une composition d'ensemble, une invention géniale et simplement déployée. Comme cette "vision martienne" (voir plus haut) : génial !

Je crois qu'il existe au fond deux genres de BD, de comics : il y a ceux qui vous font passez un bon moment (ou pas), et c'est déjà bien puisque ça provoque une réaction. Et puis il y a ceux qui vous proposent une expérience, qui vous font cogiter, qui qui vous poursuivent, et ce sont ceux-là que vous avez le plus envie de suivre. Ceux-là dont vous attendez avec le plus d'impatience le prochain numéro.

Absolute Martian Manhunter fait partie de cette seconde catégorie. Parce que comme John Jones, c'est un absolute martian mindfucker !

THE AMAZING SPIDER-MAN #2 (Joe Kelly / Pepe Larraz)


Spider-Man et Peter Parker sont sujets à des hallucinations d'un réalisme dérangeant. Et quand la situation devient ingérable, Peter s'en remet à Norman Osborn qui confirme ses soupçons : il a été empoisonné. Tout comme l'a sûrement été le Rhino que Spider-Man décide d'aller voir dans l'asile Ravencroft...


Le premier numéro de cette relance de The Amazing Spider-Man était convaincant et prometteur. Joe Kelly a choisi de faire simple pour réconcilier les fans avec la série, alors que ses prédécesseurs voulaient partir en chamboulant tout. Formule payante pour un résultat distrayant. Mais le scénariste transforme-t-il l'essai pour cette fois ?


J'ai envie de dire que oui. Parce que si Kelly reste sur des bases faciles à apprécier, il réussit à semer le trouble chez son héros et le lecteur. Spider-Man est confronté à une menace insaisissable puisqu'il est empoisonné par quelque chose qui le fait littéralement halluciner. Cela affecte sa double vie puisque sous le masque il est perturbé mais en tant que Peter Parker il est aussi désorienté.


Le scénario montre très bien comment et Peter et Spider-Man perdent les pédales grâce à une mise en scène extrêmement intense. Que Joe Kelly puisse s'appuyer sur un artiste du calibre de Pepe Larraz est une plus-value inestimable tant l'espagnol fait feu de tout bois avec un découpage très nerveux et des compositions très audacieuses.
 

On retiendra notamment cette double page d'entrée (voir plus haut) où le lecteur distingue bien ce qui relève du délire de la réalité autour de Spider-Man qui, croyant affronter tous ses pires ennemis, dévaste une rue en étant filmé par les habitants du coin. Ou encore cette pleine page où Peter croit que le Bouffon lui fonce dessus (voir ci-dessus).

C'est très spectaculaire et on sent que Larraz se lâche complètement. Sa maîtrise technique fait le reste : c'est l'avantage d'avoir un dessinateur non seulement en pleine possession de ses moyens mais surtout arrivé à une maturité exceptionnelle, qui transcende le script pour l'élever à un niveau que le scénariste n'avait sans doute pas lui-même imaginé.

En même temps, on se dit que la seule chose qui manque encore à Larraz, c'est la régularité. Le jour où il arrivera à enchaîner les arcs de cinq-six épisodes, il sera inarrêtable, ce sera le nouveau Immonen, le nouveau Samnee. Peut-être que s'il contenait un peu son énergie, il y parviendrait, mais comme beaucoup de ses pairs aujourd'hui, il a encore trop tendance à tout donner très vite et donc il se fatigue.

Mais on ne va pas chipoter : c'est superbe et jubilatoire. Joe Kelly a été gâté par Marvel. Et Spider-Man n'a pas été si bien servi depuis des lustres (dans la mesure où les très bons artistes que sa série a eus n'ont pas pu ou voulu rester - je pense à Patrick Gleason, Ryan Ottley, Carmen Carnero, tous pour des raisons d'ailleurs différentes).

Bien entendu, il y a de grosses ficelles (quand on parle de poison inhalé et que le collègue de Peter lui montre des champignons sur lesquels il travaille, il y a sûrement un lien...). Mais Kelly, par ailleurs, sait installer des ambiances puissantes et surtout construire un enchaînement de scènes qui font perdre leurs repères aussi bien au héros qu'au lecteur, ce qui n'est pas rien.

Bref, ce deuxième épisode est tout à fait à la hauteur du précédent et ce run démarre mieux que bien. De quoi être confiant pour la suite.

vendredi 25 avril 2025

WE ARE YESTERDAY, PART 2 (of 6) - JUSTICE LEAGUE UNLIMITED #6 (Mark Waid, Christopher Cantwell / Travis Moore)


De nos jours. Gorilla Grodd est investi des pouvoirs du Limier Martien et s'en sert pour planifier son attaque contre la Justice League. Pour cela, il va corrompre Air Wave à qui il va faire croire que les héros n'en sont pas. Puis, grâce à son moi passé qu'il contacte, il recrute les membres de sa nouvelle Legion of Doom...


Pour ce deuxième volet du crossover We Are Yesterday, l'histoire se poursuit de nos jours dans les pages de la série Justice League Unlimited. Vous remarquerez que Mark Waid reçoit le renfort de Christopher Cantwell et ce dernier n'est pas venu pour faire de la figuration puisqu'il est crédité comme co-auteur de l'intrigue (tandis que Waid assure seul la rédaction du script).


Sur la forme, cet épisode n'est rien d'autre qu'un long flashback mettant encore une fois au premier plan Grodd. Waid et Cantwell rebondissent sur les répercussions d'Absolute Power, ce dont on ne peut se plaindre puisque ce n'est pas si fréquent qu'un event soit exploité des mois après sa parution.


L'élément dont Waid et Cantwell se servent, c'est le fait que des super-héros ont perdu tout ou partie de leurs pouvoirs sans savoir qui en a hérité. On sait que le Limier Martien a notamment perdu ses capacités télépathiques et il se trouve que c'est Grodd qui les a récupérés. C'est pratique, un peu facile je vous l'accorde, mais bon, ne chipotons pas.


Là où je suis plus réservé, c'est sur la suite. Alors que j'aurai apprécié que l'épisode montre davantage la formation de cette nouvelle Legion of Doom, c'est totalement relégué au second plan. Bon, ce sera peut-être plus développé dans l'Annual de World's Finest qui sort Mercredi prochain, mais ça me semble en tout cas nécessaire vu la bande de psychopathes ici réunie.

Waid et Cantwell se concentrent donc surtout sur la corruption de Air Wave pour justifier qu'il trahisse ainsi la Justice League depuis sa formation. Et, ce qui est étonnant, c'est que les deux scénaristes n'ont pas choisi la simplicité. Alors qu'avec ses nouveaux pouvoirs, Grodd aurait pu facilement laver le cerveau de ce jeune héros, il en va tout autrement.

Les efforts de Grodd paraissent du coup exagérément soutenus pour abuser de Air Wave à qui il fait croire que les héros n'en sont pas et qu'ils méritent donc d'être corrigés. Mais surtout le portrait qui est fait de Air Wave en fait un jeune homme pas seulement gentiment naïf et influençable mais passablement benêt (pour ne pas dire complètement stupide et je reste poli).

Déjà que le personnage sortait un peu de nulle part et ne suscitait pas la sympathie puisque le lecteur savait qu'il était un espion, autant dire que son sort ne s'améliore guère dans cet épisode et, sans trop spoiler, ce qui va lui arriver ne nous émeut pas franchement. Je me demande quand même si Waid, en particulier, n'a pas raté sa cible.

Parce que, imaginons qu'il ait pris un personnage plus important, auquel les fans soient immédiatement plus attachés pour être le traître manipulé par Grodd par des moyens qui plus est plus simples, alors l'émotion et le suspense auraient été bien percutants. Dommage.

Je peux paraître un peu difficile, mais en fait si ce crossover n'est pas non plus mauvais, il manque de piment. Tout ça est trop évident. La première partie, la semaine dernière, dans World's Finest #38 ne ressemblait déjà pas vraiment à un départ canon, et cette deuxième partie continue d'exposer la situation de manière assez molle alors que pour une histoire en six chapitres, ça devrait aller plus vite, plus fort.

Et puis, soyons honnêtes, même avec ce Grodd augmenté, et cette nouvelle Legion of Doom, on ne sort pas des sentiers battus. Waid est pourtant un auteur qui a su prouver son habilité pour donner aux héros des adversaires inattendus. Et honnêtement, malgré son envie de faire de Grodd un méchant redoutable, on a du mal à voir autre chose qu'un super gorille avec un gang de vilains suremployés.

J'espère me tromper et que la sauce prenne, que tout le projet devienne plus savoureux, épicé. Mais ce n'est pas non plus visuellement une folie. Travis Moore est un artiste très élégant, mais je ne le trouve pas à sa place sur un crossover qui se veut ambitieux et punchy. C'est trop propre, trop sage, pas assez musclé.

Je peux comprendre qu'on ait, chez DC, voulu laisser Dan Mora souffler un peu avant le final (dans lequel Waid a promis une double page avec pas moins de 800 personnages - ! - qui montrera que la Justice League est vraiment Unlimited), mais c'est dommage de ne pas avoir mis là-dessus des artistes un peu plus toniques que Clayton Henry et Travis Moore.

Bref, ce n'est pas désagréable du tout, mais c'est plat. Croisons les doigts pour que l'Annual de World's Finest (qui ne sera finalement pas dessiné par Henry mais par Dan McDaid au passage) change la donne.

SUPERMAN #25 (Joshua Williamson / Jamal Campbell, Eddy Barrows, Dan Mora)


Avant de laisser Superman l'arrêter et lui céder LexCorp, Luthor avait conçu X-El, un clone possédant les mêmes pouvoirs que le kryptonien. Aujourd'hui, regrettant l'ancien Lex, Mercy Graves lâche ce clone contre Superman pour une bataille décisive...


Comme c'est désormais l'usage, on célèbre le 25ème épisode d'une série à la manière d'un petit événement - ça en dit long sur l'industrie des comics et sa capacité à faire exister un titre sans le relancer régulièrement. Car, enfin, 25 numéros, c'est à peine plus que deux ans de parution... Mais baste ! Joshua Williamson a le droit de faire péter le champagne pour un run sans faute.


N'attendez pas des invités surprises pour cette occasion : le scénariste a gagné le droit d'écrire seul ce numéro anniversaire qui poursuit directement l'histoire en cours. Par contre, ce qui est plus frustrant au regard de ce que la couverture promettait, on peut déplorer que Williamson n'en ait pas profité davantage pour teaser ce qui attend le fan dans les prochains mois.


Donc, pas de retour de Lobo, pas de Dr. Pharm et Graft, pas de victoire aux élections municipales de Perry White, pas de Doomsday, pas de mariage entre Jimmy Olsen et Silver Banshee, pas de Supergirl... Mais attention, ça décoiffe quand même bien avec une belle baston entre Superman et un clone de Lex Luthor !
 

Sans parler de la toute dernière page, dont je ne vous dévoilerai évidemment pas le contenu mais qui marque un tournant évident... Et incidemment sans doute l'arrivée d'un vieil ennemi dans quelques mois (ou peut-être même 2026 car Williamson a d'ores et déjà annoncé qu'un event autour de Superman était dans les tuyaux pour bientôt - cet automne ?).

Faut-il s'en plaindre ? Cet épisode, un peu plus gros que d'habitude (une trentaine de pages), est finalement très classique, très balisé. On apprend que Lex avait conçu un clone de lui-même avec les pouvoirs de Superman, nom de code X-El, avant d'être incarcéré et de céder son entreprise au man of steel. Mais il jugeait cette invention trop dangereuse, trop peu fiable pour remplacer Superman un jour.

C'était sans compter sur la nostalgie de Mercy Graves qui, devenue sa maîtresse, regrettait l'ancien Lex, ennemi de Superman, protecteur de Metropolis, génie mal aimé, qui décide donc d'activer X-El... La bataille qui s'ensuit donne au lecteur tout ce qu'il est en droit d'espérer avec son lot de coups de théâtre, de destruction massive, de riposte massive.

Alors, certes, c'est convenu, sans doute trop, surtout pour un épisode qui se veut milestone, mais c'est efficace, avec une énergie débordante. Williamson peut s'appuyer sur ses dessinateurs de première classe dans cet effort, à commencer par le revenant Jamal Campbell qui signe les trois premières planches (on sait qu'il n'a pas pu faire plus puisqu'il est déjà occupé par Zatanna).

Puis c'est au tour d'Eddy Barrows de briller sur les pages 4 à 20, une prestation solide, généreuse en détail, en intensité, tout ce qu'on attend du brésilien dans ses meilleurs jours. Puis Dan Mora revient pour les pages 21 à 31 et balance la sauce comme toujours, des planches explosives, dramatiques, où le costa-ricien ne s'économise pas.

Hormis donc la surprise de la dernière page, rien que très ordinaire. Mais je ne trouve pas ça plus mal : certains de ces épisodes anniversaire sont souvent des gloubi-boulgas narratifs et graphiques sous prétexte d'y convier des auteurs et artistes ayant marqué la série. Là, au moins, Williamson est seul à la barre et ses trois artistes sont familiers.

Rendez-vous pour la prochaine fiesta au n° 50 !

jeudi 24 avril 2025

G.I. JOE #6 (Joshua Williamson / Tom Reilly)


Duke et le Cobra Commander se font face alors que le scanner du Pr. Monev est activé, prêt à convertir la population environnante en disciples de Cobra.  Cependant, poursuivis par Destro, les G.I. Joes font demi-tour pour aider Duke au mépris du danger...


Je vais être totalement transparent dans cette critique (je le suis toujours, mais cette fois de manière encore plus appuyée) : c'est une énorme déception. Ce sixième épisode marque la fin du premier arc de la série et ce sera aussi la dernière fois que j'en parlerai car je ne vais pas poursuivre l'aventure. Mais je vais vous expliquer pourquoi.


Pour commencer, quand un auteur termine un arc narratif, à mes yeux, c'est comme s'il terminait une petite histoire (dans la grande que constitue la série). Il est donc convenu, comme un contrat passé entre le scénariste et le lecteur, que cette fin doit comporter un climax, une sorte d'apothéose, qui donne à la fois le sentiment que tout ce qui a précédé a un sens et que la suite mérite d'être lue.


Et ce n'est absolument pas le cas ici. Le dénouement de cet arc sonne creux, il est cliché, il n'a aucune intensité, et ne donne pas envie d'enchaîner avec le prochain. Le duel tant attendu entre Duke et le Cobra Commander souffre d'une absence totale de tension et le sort des autres personnages laisse indifférent. Même la dernière page ne créé pas de véritable sensation.


Ensuite, la fin d'un arc, c'est l'occasion de dresser un premier bilan de la série. G.I. Joe est une production divertissante mais qui manque cruellement d'aspérités. On lit ça sans réussir à s'y investir, ni non plus à sentir que les auteurs s'engagent dans quelque chose de vraiment ambitieux. C'est une série de série, un truc très industriel, formaté, qui ne décolle jamais.

En comparaison, la mini Duke, qui servait de rampe de lancement (avec d'autres mais que je n'ai pas lues), avait pour elle de rester focus sur un personnage, certes archétypal, d'un bloc, mais le résultat était efficace, divertissant. Là, en changeant de dimension, d'envergure, c'est comme si Joshua Williamson avait perdu de vue ce qui faisait le charme de Duke.

Tout est dilué dans une myriade de seconds rôles sans grand relief, trop manichéens, et Duke lui-même y perd de son attrait. Qu'il s'agisse de la Baronne, de Clutch, de Risk, aucun des G.I. Joe's n'a de vrai charisme, un moment qui le fait briller. Et c'est pareil du côté des méchants : Destro, le Cobra Commander sont fantomatiques, réduits à leur emploi de vilains. 

Cette absence d'ambiguïté, de pouvoir de séduction, de distinction aboutit à un récit qui enchaîne certes les scènes d'action, mais au détriment de la caractérisation et de la dynamique de groupe. Sur ce dernier point, jamais on ne sent un esprit d'équipe chez les G.I. Joe's : il y a Duke, et les autres, qui sont davantage des faire-valoir qu'autre chose.

Mais le plus aberrant là-dedans, c'est qu'on partait avec cet espoir d'une série qui aurait pu être ce qu'une série SHIELD chez Marvel ou Checkmate chez DC a été. Seulement voilà, il n'y pas d'équivalent là-dedans : l'intrigue est à la fois trop simpliste, et bizarrement trop éclatée, trop confuse. Il est question de l'Energon, des Transformers, de l'organisation Cobra, des G.I. Joe's...

... Mais aucun de ces éléments n'est creusé. S'il fallait lire les minis consacrés au Cobra Commander et à Destro pour mieux apprécier G.I. Joe, alors c'est surtout un problème éditorial parce que le lecteur qui démarre direct par G.I. Joe a l'impression que tout ça est très désincarné, manque de background. En tout cas, c'est la sensation que j'ai eue.

En fait, cet Energon Universe veut à la fois être le beurre et l'argent du beurre : c'est vendu à la fois comme un univers partagé et des séries qui ne sont pas dépendantes. Sauf qu'à la lecture de G.I. Joe, on a plutôt l'impression que si on n'a pas lu au minimum Transformers, il nous manque quelque chose pour apprécier le contexte.

Et c'est ce qui me fait peur pour la suite de Void Rivals car si Robert Kirkman se met à faire référence aux Transformers, ça va devenir compliqué. Pourtant, c'est une série qui s'en passerait fort bien, alors que Transformers et G.I. Joe sont clairement beaucoup plus connectées. Mais bon, moi en tout cas, je n'ai aucune envie de me taper la lecture de Transformers.

La seule chose à sauver dans cette entreprise, c'est l'aspect visuel. Kirkman a Lorenzo de Felici, Daniel Warren Johnson a dessiné un arc de Transformers avant de passer le relais à Jorge Corona, un de ses fidèles, et Williamson a Tom Reilly. Ce dernier tire visiblement la langue sur ce sixième épisode mais assure quand même et boucle l'arc avec une bonne note.

Néanmoins, il va lui aussi céder sa place sur les prochains épisodes. Le défaut de Reilly est aussi sa principale qualité : il est un émule de Chris Samnee dont il a piqué tous les tics. C'est donc agréable à lire, un découpage vif, un trait sobre, des designs soignés. Mais c'est aussi très impersonnel. Et surtout, il y a un fossé entre Reilly et Samnee, dont la maîtrise est bien supérieure.

Pour terminer, il se trouve qu'en ce moment la série historique G.I. Joe : A Real American Hero publie des épisodes done-in-one "Silent Mission", entièrement muet. J'en ai lu deux (un par Dan Watters et Dani, l'autre par Leonardo Romero), ce sont de vraies merveilles narratives et graphiques. Des exercices de style certes, mais réellement impeccables.

Watters et Dani comme Romero font un vrai travail d'auteur tout en respectant les fondamentaux des personnages. Surtout, jamais on n'a le sentiment de lire un comic-book inspiré de jouets alors que la série de Williamson et Reilly ressemble trop souvent à un récit reproduisant des figurines et des véhicules sans ce supplément de style, d'âme.

Mais peut-être, comme on dit, que je n'étais pas le bon public pour ça, ça arrive, ça n'en fait pas quelque chose de mauvais, même si je serai curieux de savoir si ça se vend bien en France (en tout cas par rapport à Transformers et Void Rivals). Essayez si ça vous tente, mais seulement si vous avez de l'argent en trop à dépenser : il y a tellement d'autres choses meilleures actuellement....

ABSOLUTE SUPERMAN, TOME 1 : LES POUSSIERES DE KRYPTON (Jason Aaron / Rafa Sandoval)


ABSOLUTE SUPERMAN, TOME 1 : LES POUSSIERES DE KRYPTON
(Absolute Superman #1-6)


Jor-El et Lara Lor-Van étaient promis à un brillant avenir parmi l'élite scientifique de Krypton, mais leur indépendance d'esprit leur a valus d'être relégués socialement. Jor-El travaille dans les mines depuis lesquelles il constate l'épuisement des ressources naturelles de la planète tandis que Lara Lor-Van répare les véhicules des agriculteurs. Ils ont un fils, Kal-El, dont il espère qu'il connaîtra un meilleur sort qu'eux...


Mais quand Jor-El veut alerter la ligue scientifique de la fin prochaine de Krypton, il est condamné à mort pour hérésie. Lara va le libérer de sa prison tandis que Jor découvre que les élites ont fait construire des vaisseaux pour évacuer les notables de la planète avant sa destruction, en laissant derrière eux la majorité de la population...


Lara et Jor ont construit leur propre vaisseau à bord duquel ils embarquent avec leur fils et des amis. Mais l'implosion de Krypton projette des éclats qui endommagent l'appareil et les sépare. Le souffle de l'explosion propulse Jor dans le vide sidéral à bord d'une capsule de secours. L'enfant erre dans l'espace pendant de longs mois avant d'échouer sur Terre, dans le champ de la ferme des Kent au Kansas...


Cinq ans après, au fil de ses pérégrinations sur Terre, Kal attire l'attention de la compagnie Lazarus qui exploite des mines et des ouvriers qu'il tente de protéger. L'agent Lois Lane, qui travaille au sein des Peacemakers, assurant le maintien de l'ordre pour Lazarus, enquête en espérant l'appréhender...


Cet album ne sortira que le 30 Mai prochain en vf (et en Août en vo), mais j'ai pu lire les six numéros qu'il contient grâce à un ami qui suit tous les titres Absolute. Il m'en a dit le plus grand bien (même s'il préfère Absolute Batman alors qu'il a lâché Absolute Wonder Woman après les cinq premiers chapitres et qu'il a apprécié Absolute Flash #1 et 2, tandis que moi, je me suis contenté de Absolute Martian Manhunter).


Comme j'aime beaucoup ce qu'écrit Joshua Williamson sur la série Superman classique, j'étais plutôt méfiant avec cette relecture du héros. En effet, j'ai l'impression que, jusqu'à présent, à l'exception de Absolute Martian Manhunter, ces versions des icones DC se résument surtout à des réinterprétations dark qui m'attirent assez peu.

Je verrai si je donne sa chance à Absolute Batman, mais Absolute Wonder Woman ne me tente pas et le premier épisode de Absolute Flash m'a laissé de marbre. Toutefois, je dois dire que j'ai été très séduit par Absolute Superman, qui bénéficie d'un scénario efficace et de superbes dessins. La paire Jason Aaron-Rafa Sandoval fonctionne à merveille.

Ce qui est frappant, c'est la place accordée à Krypton dans ce premier arc. Non seulement, on a droit à des flashbacks consistants mais l'épisode 3 y est quasiment intégralement consacré. Jason Aaron en dresse un portrait passionnant, avec le souci d'en décrire les classes sociales et d'expliquer pourquoi Jor-El et Lara Lor-Van ont été relégués socialement et ne pourront empêcher la catastrophe.

Pour un peu, on dirait presque que c'est ce qui a d'abord motivé Aaron : raconter vraiment d'où vient son Superman en brossant le portrait de ses parents, dont l'indépendance d'esprit et la lucidité vont se briser sur le mur d'une élite vouée à la science mais en réalité composée de notables hypocrites, n'hésitant pas in fine à sacrifier leur peuple quand l'inévitable se produira.

En comparaison, j'ai eu plus de mal à suivre, du moins au début, Superman sur Terre. Mais progressivement, Aaron fait parler son métier en décrivant de manière plus subtile son héros. Là aussi, en vérité, il serait plus juste d'appeler la série Absolute Superboy car Kal-El est encore un jeune homme, qui maîtrise mal ses pouvoirs, sa force, agit impulsivement, selon des critères manichéens.

Mais ces défauts font aussi qu'on s'attache à lui : qui ne serait pas sensible à son combat contre les injustices de la compagnie Lazarus, dépeinte comme une multinationale ayant la main sur diverses exploitations (agricoles, minières...), partout dans le monde, traitant sa main d'oeuvre comme des esclaves.

Tout ça est écrit en caractères bien gras, Jason Aaron n'y va pas avec le dos de la cuiller pour dire tout le mal qu'il pense de cette entreprise tentaculaire avec ses Peacemakers brutaux, et le parallèle entre la catastrophe écologique qui a raison de Krypton et celle qui menace cette Terre n'a rien de bien fin. Mais au moins, on identifie clairement les méchants et le gentil.

Pour trouver quelque chose de plus trouble, il faut s'intéresser à Lois Lane, ici transformée en agent de la sécurité au caractère bien trempé, qui enquête sur Superman et découvre les malversations de ses collègues Peacemakers et donc les ordres donnés par Lazarus. Comme dans sa version classique, Lois est la fille d'un ancien officier militaire et agit en investigatrice (mais pas pour un journal).

On observe donc avec intérêt d'un côté cette femme forte tête, dont les certitudes s'effritent, et de l'autre ce jeune homme venu d'ailleurs, qui lui apprécie la situation avec simplicité sinon simplisme. L'ambiance est effectivement sombre, violente, mais aussi spectaculaire sans sacrifier une vraie évolution chez les deux protagonistes, ni négliger certains mystères pour la suite (avec la révélation du patron de Lazarus à la toute dernière page du sixième épisode).

On n'est assurément pas dans une proposition aussi originale et atypique que Absolute Martian Manhunter, mais l'ensemble est assez captivant pour qu'on passe un chouette moment et donner envie de lire la suite. Jason Aaron se montre à l'aise avec ce projet, qui a connu la genèse la plus compliquée de la collection...

... Car, initialement, Rafa Sandoval ne devait pas dessiner la série. Rafael Albuquerque a en effet signé les characters designs et devait aussi réaliser les planches intérieures, avant de devoir jeter l'éponge à la dernière minute à cause des inondations survenues au Brésil. Le premier épisode lui est d'ailleurs dédié. Mais Albuquerque aura l'occasion de se refaire puisqu'il dessinera Superman Unlimited, la nouvelle série écrite par Dan Slott, qui débute le mois prochain.

Sandoval accomplit un épatant remplacement, en s'appropriant avec aisance ce que son collègue avait préparé. Il dessine les cinq premiers numéros, supplée sur le sixième par Carmine di Giandomenico qui assure l'intérim avec qualité.

Les planches de Sandoval sont d'un niveau excellent, qu'il s'agisse des scènes d'action très dynamiques ou de celles plus intimistes, traitées avec beaucoup de soin. Les moments sur Krypton témoignent d'un investissement important pour donner vie à ce monde, ses décors, ses différentes classes sociales (mention spéciale aux costumes), ses vaisseaux.

La colorisation d'Ulises Arreola participe grandement à cette réussite graphique avec des ambiances sensibles, entre le climat dans des tons chauds sur Krypton et ceux plus gris sur la Terre. Le trait de Sandoval comme celui de di Giandomenico sont respectés, mis en valeur. Certains instants clés sont aussi magnifiquement traités, comme l'implosion de Krypton.

Par ailleurs, visuellement, Sandoval et Arreola réussissent très bien à illustrer des éléments très originaux, comme la cape de Superman qui est ici un équipement à part entière, une sorte d'intelligence artificielle qui déploie à la fois une protection pour Kal-El en ayant un aspect gazeux et qui communique avec son porteur pour l'alerter sur le niveau de ses pouvoirs, pirater des systèmes informatiques, etc.

Jason Aaron a visiblement beaucoup d'idées à exploiter (comme ce qui est arrivé aux Kent après le départ de leur ferme de Kal-El, le patron de Lazarus, son complice, etc), de quoi voir loin. Mais surtout avec une intention proche de l'univers Ultimate premier du nom, quand Marvel voulait séduire des lecteurs profanes. Vu le succès rencontré, DC a réussi son coup.