mercredi 3 juillet 2024

THE RUNAWAYS (Floria Sigismondi, 2010)


1975. Los Angeles. Joan Jett est une jeune guitariste de 16 ans qui rêve de vivre en jouant du rock'n'roll. Elle remarque dans un club le producteur Kim Fowley et l'aborde pour lui parler de son idée d'un groupe 100% féminin. Intriguée, il lui présente Sandy West, 16 ans aussi, batteuse et leur donne sa carte en leur conseillant de jammer jusqu'aà ce qu'elles aient quelque chose d'intéressant à lui faire écouter.


Les deux filles recrutent une bassiste, Robin Robins, 16 ans, et une autre guitariste, Lita Ford, 17 ans, mais il leur manque une chanteuse. Fowley rêve de trouver "la fille d'Iggy Pop et Brigitte Bardot" et il écume les clubs du coin avec Joan qui repère Cherrie Currie, 16 ans, qui vient de remporter le premier prix d'un concours de talents dans son lycée. Elle est fan de David Bowie dont elle copie le look d'Aladdin Sane et ne souhaite qu'une chose : partir de chez elle, après que sa mère ait filé en Indonésie avec son amant, la laissant seule avec sa soeur jumelle Marie.


Le groupe se baptise les Runaways (fugitives) et les première répétitions débutent mal car Cherrie est trop timorée alors que  Fowley insiste pour que les filles excitent les garçons pour sortir du lot. Joan et Fowley composent la chanson "Cherry Bomb" puis le producteur négocie un contrat avec Mercury Records pour l'enregistrement d'un album. Celui-ci ne connaît pas un grand succès commercial et critique aux Etats-Unis mais fonctionne bien en Europe. 


Le groupe se rode en tournée, devant des publics souvent hostiles face à ces gamines provocantes. Elles enregistrent dans la foulée leur second album, qui confirme leur popularité outre-Atlantique. Soumises à un rythme infernal par Fowley, Joan et Cherrie se droguent et boivent pour tenir le coup. Puis c'est le départ pour le Japon où elles sont accueillies comme des stars. Ce sera leur apogée avant que Fowley ne commette l'erreur de vouloir mettre en avant Cherrie sans en informer les autres, la condamnant à être rejetée par ses camarades...


Il fallait un certain culot pour porter à l'écran les Mémoires de Cherrie Currie, Neon Angel, même si Joan Jett a co-produit le film dont il est tiré et qui est le premier effort derrière la caméra de Floria Sigismondi. Car, soyons lucides, qui se souvient des Runaways ?


Leur carrière fut météorique (seulement trois ans, quatre albums studio plus un live, et leur chanteuse quitta l'aventure après ce Live in Japan. Pourtant, sans les Runaways, difficile de croire que les Bangles, Vixen, The Go-Go's, The Donnas, L7, Hole auraient existé, ou alors si cela avait été le cas, avec le même impact. Ces cinq adolescentes coachés par l'extravagant Kim Fowley ont ouvert en grand les portes du rock'n'roll à toute une collection de rock bands féminins.


Mais il est vrai aussi que Cherrie Currie, Joan Jett, Lita Ford, Sandy West et Jackie Fox (la seule à ne pas avoir permis que son personnage soit porté à l'écran : elle est donc remplacée par Robin Robins, une version fictive) n'ont jamais connu un grand succès sur leurs terres alors qu'elles furent très populaires en Europe et au Japon. Puis, après leur séparation, c'est Joan Jett qui devint une star, notamment grâce à son hit I Love Rock'n'Roll.

Pour ma part, j'ai découvert les Runaways avec ce film, comme j'ai découvert les Doors avec le biopic réalisé par Oliver Stone, et ce fut une déflagration. Est-ce que le film est à la hauteur de la légende ? Globalement oui, même si en définitive Foria Sigismondi, qui a aussi signé le scénario, s'attache surtout à Cherrie Currie et Joan Jett, négligeant complètement les autres membres du groupe.

La grande réussite du film tient d'abord à ce qu'il montre des gamines car c'était d'abord ça : elles avaient entre 16 et 17 ans, avaient appris la musique sur le tas, et rêvaient de quitter Los Angeles et ses bas quartiers. Cherrie Curry vivait seule avec sa soeur jumelle, serveuse dans un fast food, après que leur mère les ait abandonné pour partir vivre avec son amant en Indonésie du jour au lendemain, et leur père était un alcoolique absent. Joan Jett se voyait refuser de jouer de la guitare électrique par son prof de musique car ce n'était pas féminin. Sandy West tapait sur sa batterie sans avoir de projet. Lita Ford, la plus douée du lot, cherchait un groupe à accompagner.

Et donc ces gamines tombent sur un type plus dingo que pervers qui sent le bon filon quand Joan Jett lui parle de créer un groupe 100% féminin. Il va forger leur image en leur donnant à chacune un rôle caricatural : Cherrie sera la fille d'Iggy Pop et Brigitte Bardot, Joan l'oiseau noir et rebelle, Lita Ford la virtuose, Sandy la fille qui ne s'en laisse pas conter, Jackie/Robin la bonne copine. Avec Joan, il compose "Cherry Bomb", leur premier single inspiré par le fantasme qu'incarnera Cherrie Currie. Mais surtout, il va les sexualiser à outrance, en faire l'équivalent des rockeurs mâles qui ne parlent que de sexe, de drogues, d'excès en tous genres.

Cette première partie passée, Sigismondi ne zappe pas les galères de ces débutantes : elles jouent dans des fêtes données chez des gosses de riches qui leur jettent des canettes de bière à la tête, puis dans des salles minables où elles assurent des premières parties pour des formations qui refusent qu'elles fassent des balances en utilisant leurs amplis. La détermination dont elles font preuve et l'insouciance totale qu'elles affichent forcent le respect et en disent long sur cette époque où tout était à faire, où elles étaient, sans le savoir, des pionnières. Elles n'avaient aucune limite puisque rien de tel n'existait avant. Il y avait bien Suzi Quatro, cette chanteuse bassiste sexy et énervée, mais elle jouait avec des mecs et avait déjà 25 ans à l'époque (une vieille !).

Puis le récit s'accélère, devient plus elliptique et cède parfois aux clichés, inévitables en vérité : les enregistrements express des albums, les tournées sans fin, la dope, l'alcool, Cherrie qui couche avec le roadie et avec Joan, l'ascension spectaculaire qui précède la chute violente, moins en fait à cause de tout ça que parce que Cherrie a le mal du pays, ne supporte pas la gloire quand Joan et les autres vivent entièrement pour la musique. Dommage que le film n'ait pas été un peu plus long, notamment pour évoquer la fin du groupe et les vraies dissensions, comme celles entre Joan et Lita (la première désirant aller dans la voie punk rock quand la seconde ne jurait que par le hard rock)...

Malgré le manque de moyens évident du film, qui nous prive de scènes de concert dignes de ce nom (comme celui au Japon, qui donna ce Live absolument décapant et magistral), Floria Sigismondi touche du doigt l'essence des Runaways : leur jeunesse, leur audace, leur avant-gardisme... Sur ces points, le film ne triche jamais, ne frime pas et il nous épargne le gros des écueils du genre. Pas d'angélisme, pas de côté biographie autorisée, pas de légende flatteuse. Ces jeunes filles ont tout donné puis ont implosé, et la plus investie, la plus talentueuse, s'en est sortie, ne crachant jamais sur le passé. Visuellement, ça passe aussi par un choix de saisir cette histoire en 16 mm avec un travail sur la photo de plus en plus radical au fur et à mesure que l'équipe fonce dans le mur. Un vrai parti-pris.

Et puis il y a les actrices choisies, qui d'ailleurs donnent de leur voix sur certains titres. Dakota Fanning a peut-être tenu là son meilleur rôle, elle est incroyable. Kristen Stewart ne ressemble pas à Joan Jett mais elle l'incarne avec ce mélange qui n'appartient qu'à elle d'insolence et d'indolence (elle a tourné entre deux chapitres de Twilight, ce qui prouvait déjà son intention de ne pas être enfermée dans cette saga). Michael Shannon en fait des caisses dans le rôle de Kim Fowley mais il est parfait.

Comme je le disais plus haut, le film néglige totalement les autres membres du groupe : Stella Maeve joue Sandy West mais fait de la figuration. Scout Taylor-Compton est Lita Ford, clairement le rôle le plus détestable de l'affaire (elle détestait réellement Cherrie depuis le début et, même si ce n'est pas montré, c'est elle qui a vraiment fait exploser les Runaways en s'opposant ensuite à Jett), mais là aussi c'est juste survolé. Idem Pour Ali Shawkat dans le rôle de Robin Robins (Jackie Fox), transparente. Les remplaçantes qui ont intégré le groupe vers la fin ne sont même pas mentionnées. Riley Keough joue Mary Currie, mais elle n'apparaît que trop épisodiquement pour être consistante (alors que la relation des deux soeurs fut cruciale).

Ce n'est donc pas exempt de défauts ou de faiblesses. Mais l'un dans l'autre, The Runaways, à sa manière, modeste et énergique, brille surtout pas sa justesse. Découvrez, écoutez The Runaways (il existe un coffret de leurs cinq albums, qui ne coûte pas cher, intitulé Neon Angels On The Road to Ruin : 1976-1978) !

ABSOLUTE POWER #1 (Mark Waid / Dan Mora)


Superman surprend une bande de braqueurs. L'un d'eux s'affole et ouvre le feu sur lui. Surprise : Superman voit la balle lui traverser la poitrine et il chute... 28 heures plus tôt, Animal Man et sa fille sont agressés par des civils. Puis des images de super-héros circulent dans tous les médias, les montrant en train de tuer des innocents... Qu'est-ce qui lie tous ces événements ?


C'est donc au tour de DC Comics de lancer son event estival avec Absolute Power. Tout comme Blood Hunt chez Marvel, peu d'épisodes (quatre en tout et pour tout), mais diffusés sur quatre mois. Mark Waid est aux commandes et s'appuie sur une série d'événements qui ont ponctué le DCU ces derniers mois.


Car ce qui distingue Absolute Power, c'est sa préparation : DC et plusieurs de ses scénaristes vedettes ont anticipé cet event dans des arcs narratifs ou des sagas événementielles dont on voit ici la culmination. Le point commun à tout cela : Amanda Waller, la patronne de la Task Force X / Suicide Squad, désormais locataire de l'ancien Hall de Justice, rebaptisé Hall de l'Ordre.


Depuis toujours, Waller a oeuvré pour un contrôle des méta-humains, les considérant plus comme des aimants à problèmes, des déclencheurs de catastrophes, que comme des réponses au crime. Partant de sa position vis-à-vis de la Suicide Squad, Joshua Williamson a montré qu'elle comptait profiter des retombées de Dark Crisis (on Infinite Earths) au terme duquel la Justice League s'auto-démantelait au profit des Titans de Nightwing.


Ensuite, dans la série Batman de Chip Zdarsky, on a vu apparaître Failsafe, un robot conçu par Bruce Wayne pour le neutraliser si jamais son alter ego pétait les plombs. Tom Taylor s'est appuyé sur la série Titans pour Beast World dans lequel Garth Logan devait repousser une attaque contre la Terre en se transformant en Starro mais perdait la maîtrise de lui-même à cause du Doctor Chaos (le double maléfique du Doctor Fate), allié de Waller.


Enfin, dans les pages de Superman et d'Action Comics par Joshua Williamson développait un crossover, House of Brainiac, et créait Lady Brainiac sur laquelle Waller mettait la main. On peut ajouter à ce tableau de chausse la Wonder Woman de Tom King dans laquelle l'amazone était mise à mal par le Souverain et son bras armé, Sarge Steel, après un massacre commis par une de ses "soeurs". Et dans le Green Arrow de Williamson (décidément l'architecte de beaucoup de choses jusqu'à présent), Oliver Queen acceptait de s'allier à Waller.

Bref, au moment où démarre Absolute Power, les super-héros sont dans l'oeil du cyclone. Mark Waid hérite donc d'éléments patiemment mis en place par ses collègues et a pour première mission des les porter à ébullition pour créer une crise spectaculaire, suffisamment impressionnante pour ébranler le lecteur le plus blasé. On voit là la grande différence entre cet event, qui est en quelque sorte le dernier étage d'une fusée, la cerise sur le gâteau, longuement mijoté, et Blood Hunt avec ses vampires pathétiques, aussi vite surgis qu'ils seront oubliés. DC a réussi là où Marvel a échoué en semant les graines du chaos tout en laissant le lecteur dans l'expectative.

La première scène vous plonge dans le bain quand Superman est blessé par balle : toucher tout de suite le super-héros le plus emblématique, c'est garantir que personne, vraiment, n'est à l'abri.  Ensuite, tout va très vite, via un flashback sur les 28 heures qui ont précédé cette scène : l'agression sauvage d'Animal Man, les images de super-héros commettant des massacres sur des civils, l'allocution de Waller, la trahison de Green Arrow...

De ce point de vue, le défi est amplement relevé : Waid tape fort et dur. Mais il ne s'arrête pas là : c'était déjà percutant mais les scénariste enrichit ce spectacle de plusieurs réflexions captivantes. Par exemple, les images générées par l'Intelligence Artificielle sont dûment mentionnées, et cela fait écho à la fois aux campagnes de désinformation dans le champ politique mais aussi dans les domaines artistiques (et DC est sous le feu des critiques après les accusations portées contre Andrea Sorrentino ou Francesco Mattina, accablés par leurs collègues pour leur utilisation de l'IA dans leurs dessins).

Waid revient aussi sur un marronnier dans les comics : les super-héros sont-ils le remède ou la cause aux crises ? J'ignore si la suite d'Absolute Power tranchera la question, mais comme c'est Waller qui la pose, l'ambiguïté est réelle puisqu'elle-même fait appel à des méta-humains pour régler certaines situations, et ici elle est entouré par deux androïdes très perfectionnées (Failsafe et Lady Brainiac) ou la Suicide Squad et Green Arrow (qui n'est certes pas un méta-humain mais a été un membre régulier de la Justice League).

Ce qui est fascinant, c'est de lire une scène dans laquelle même Batman comprend que si Waller abat ses cartes aussi vite et publiquement, c'est parce qu'elle est sûre d'elle et que, surtout, lui n'a pas su l'anticiper. Plus loin, Green Arrow annonce à Batman qu'elle a tellement bien orchestré son coup, qu'elle s'est assurée le soutien des Planètes Unies, mais aussi qu'elle contrôle le Temps et le Microvers. Ce qui ôte leurs pouvoirs aux super-héros le fait définitivement (bon, ça, on sait que ce n'est pas vrai...). Mais bon, Waller fait une méchante implacable, bien entourée, et dangereuse, à des lieux des vampires de Marvel actuellement.

Et puis Waid fait à nouveau équipe avec Dan Mora. Même si Beast World a souffert du fait qu'Ivan Reis n'a pas dessiné tous les épisodes (étant déjà sur le départ) et que Knights Terror était aussi très inégal graphiquement, DC avait déjà misé sur Daniel Sampere sur Dark Crisis avec succès. Et Mora (qui a laissé Travis Mercer le soulager sur World's Finest) est tout entier investi dans Absolute Power.

Mora n'est pas l'artiste le plus subtil du monde mais donnez-lui un script brassant une quantité de personnages, de l'action à tout-va, et pour consigne d'en mettre plein la vue au lecteur, vous serez comblés. C'est exactement le sentiment qu'on a en lisant ce premier épisode qui est haletant, explosif, dramatique au possible, mais entre les mains d'un dessinateur qui maîtrise son sujet comme peu d'autres actuellement.

Même avec les couleurs, plus sombres, d'Alejandro Sanchez (à la place de l'habituelle Tamra Bonvillain), les planches de Mora conservent cette énergie démente qui colle si bien à ce qui se joue là.

Le plus dur reste à faire : maintenir cette tension, surprendre encore, et bien finir. Mais Waid et Mora sont des hommes sur qui compter pour ce genre d'entreprise. Et Absolute Power pourrait bien être le meilleur event d'un des Big Two depuis belle lurette.

mardi 2 juillet 2024

HAPPIEST SEASON (Clea DuVall, 2020)


Abby Hollad et Harper Caldwell sont en couple depuis un an et s'apprêtent à fêter leur premier Noël ensemble, même si Abby déteste ça depuis le décès de ses parents. Harper lui propose alors spontanément de passer les fêtes chez sa famille dans sa ville natale. Mais une fois en route, elle avoue à sa partenaire n'avoir jamais révélé à ses parents très conservateurs qu'elle est homosexuelle et en couple. Abby accepte à contrecoeur de jouer la comédie pendant les prochains jours à condition que Harper dise la vérité le matin de Noël.
   

Chez les Caldwell, c'est l'effervescence car Ted, le père, est en campagne électorale et sa femme, Tipper, supervise tout pour donner à sa famille une image respectable. Sur place, Abby fait la connaissance de Connor, le garçon qu'a failli épouser Harper, puis de Riley, sa première amante. Les deux soeurs de Harper sont aussi dissemblables que possible entre Jane, artiste excentrique, et Sloane, toujours en compétition avec Harper pour avoir les faveurs de leur père.


Une farce concoctée par les enfants de Sloane vaut à Abby d'être mise à l'écart pour le reste du séjour car Ted et Tipper craignent qu'un scandale ne ruine la campagne électorale. La jeune femme, de plus en plus isolée, trouve du réconfort auprès de Riley qui a, elle aussi, souffert des cachotteries de Harper, craignant la réaction de ses parents s'ils apprenaient qu'elle est lesbienne.


La situation, déjà tendue, va véritablement exploser lors d'une réception donnée chez les Caldwell à laquelle sont conviés des donateurs pour la campagne de Ted, quand Sloane surprend Harper en train de s'excuser auprès d'Abby puis l'embrassant sur le point de plier bagages et qu'elle menace de la dénoncer...


Longtemps actrice, Clea DuVall s'est tournée vers la réalisation lorsque les propositions de rôles se sont raréfiées. Happiest Season (aussi titré Ma belle-famille, Noël et moi....) est son deuxième long métrage derrière la caméra et elle en a écrit également le scénario avec Mary Holland, qui tient ici le rôle de Jane Caldwell, la soeur artiste de Harper.


Ouvertement lesbienne, DuVall en a logiquement profité pour parler de ce qu'elle connaît le mieux, c'est-à-dire d'un couple de femmes dont l'une n'a jamais osé faire son coming out auprès de sa famille par peur de leur réaction puisque ses parents sont très conservateurs. Elle a pu compter sur un casting bien doté et investi dans le projet et le financement de Disney qui a produit le film pour sa plateforme de streaming Hulu.


On redoute et on déplore souvent la "Disney-ification" des productions en pointant du doigt justement le fait de prôner des valeurs surannées. Ce n'est pas toujours justifié mais hélas !, c'est le cas ici. Entre les intentions louables de la cinéaste et le résultat final, on sent bien que tout a été considérablement édulcoré pour ne pas déranger le public le plus conservateur.

Sans parler de la fin, qui, ce n'est même pas un spoiler, est outrageusement dégoulinante de bons sentiments, après une cascade de révélations si rapides qu'on croirait qu'elles sont délivrées en espérant que personne ne les retiendra (et donc ne sera choqué par elles), on a droit à une collection de scènes gênantes à force de tomber à plat ou parce qu'elles s'éloignent du sujet comme, là encore, pour mieux le cacher.

Le fait d'avoir traduit le titre original en Ma belle-famille, Noël et moi renvoie à la série de longs métrages Mon Beau-Père et moi avec Ben Stiller et Robert de Niro. Mais au moins ceux-là étaient assez drôles, pas subtils pour un sou mais drôles. Là, c'est juste pas drôle du tout, c'est embarrassant car embarrassé : d'un côté, on a une réalisatrice qui tente de parler à une audience familiale de la nécessité d'accepter ses enfants pour ce qu'ils sont  et de l'autre une major qui veut ostensiblement éviter de fâcher ses abonnés.

Par conséquent, Happiest Season n'est jamais assez rigolo pour prétendre être la comédie ambitionnée ni assez romantique pour être aussi charmante que le genre dans lequel elle veut s'inscrire. Passée la révélation su secret de Harper à Abby et donc la mécanique entière à laquelle l'intrigue va devoir se plier (personne ne doit savoir pour les deux filles qui s'aiment), les 100' que dure le film se traîne et ressemble à un calvaire autant pour Abby que pour le spectateur.

Pour tenter d'être plus réussi, Happiest Season aurait pu être traité comme un drame ou une comédie dramatique. Mais aurait-il été plus convaincant. Comme drame, cela aurait été certainement exagérément mélo et lourd. Comme comédie dramatique, il aurait fallu un script bien plus subtil, nuancé, ciselé, ce qui paraît hors de portée du duo DuVall-Holland.

Les personnages sont tous trop caricaturaux et leurs relations trop grossièrement taillées : Jane, l'artiste excentrique de la famille, est trop hystérique ; Sloane n'est définie que par sa rivalité avec Harper ; les parents sont en vérité plus des managers incapables de réaliser qu'ils ont nourri cette compétition entre leurs filles. Connor est un type trop falot pour convaincre qui que ce soit qu'il a jamais pu séduire Harper. Seule Riley bénéficie d'un peu plus de finesse, échappant au cliché de l'ex qui, comme on le pense d'abord, pourrait profiter du chaos pour récupérer Harper.

Le vrai hic, au fond, c'est que le film se trompe de point de vue : au lieu de se focaliser sur Harper, il aurait dû être raconté en se concentrant sur Abby, sa découverte des Caldwell, son malaise grandissant face aux mensonges de Harper (constatés in situ ou rapportés par Riley). Le pardon qu'elle finit par accorder à son amante est impensable après tout ce qu'elle endure.

Il n'y a donc pas grand-chose à sauver là-dedans : les acteurs jouent avec ce qu'on leur a écrit et leur talent n'est pas discutable. Mais quand on dispose de Mary Steenburgen, Victor Garber, Alison Brie, Aubrey Plaza ou de Daniel Levy, ils méritent mieux que ça. MacKenzie Davis joue si bien la fille qui a honte qu'elle a certainement surtout honte de jouer dans ce film. Et Kristen Stewart, qui s'essaie à la comédie, semble souvent se demander ce qu'elle fait là, sauf qu'elle conserve cette sensibilité unique qui lui maintient la tête hors de l'eau : en somme, elle est trop douée pour se commettre dans un machin pareil et elle le sait, elle le montre, elle ne peut pas faire autrement (et je doute qu'on l'y reprenne).

A vite oublier. Mais c'est vite oubliable.

lundi 1 juillet 2024

EQUALS (Drake Doremus, 2015)


Dans le futur, les citoyens, appelés "membres", font partie du Collectif, une entité législative qui surveille et contrôle les émotions du peuple. La plupart des maladies ont été éradiquées, mais les sentiments amoureux et l'activité sexuelle sont contraires aux règles en vigueur : la procréation ne se fait que par insémination artificielle via une convocation au Bureau de la Conception.


Slias, un jeune homme, travaille pour la compagnie Atmos qui développe un programme spatial. En rentrant chez lui un soir, il assiste à l'arrestation d'un couple par la police car ils sont atteints du syndrome d'activation, une affection en plusieurs étapes qui restaure les émotions humaines. Ceux qui ne se suicident pas à cause de ça sont emmenés et confinés dans le Centre de Neuropathie Emotionnelle (CNE), un institut spécialisé dont personne n'est jamais revenu.


Le lendemain, justement, un employé d'Atmos se jette du toit de la compagnie. Les travailleurs assistent à l'évacuation du corps sans manifester le moindre trouble, sauf Nia, une collègue de Silas, qui dissimule son malaise. La nuit venue, c'est au tour de Silas da faire un cauchemar et il décide de consulter un médecin qui lui fait une prise de sang. Le verdict est sans appel : il est au stade un du syndrome d'activation et doit suivre un traitement à base d'inhibiteurs.


Silas fait la connaissance de Jonas, atteint au stade 2, qui l'invite à participer à un groupe de parole dont il fait partie avec une infirmière du CEN. Malgré cela et les médicaments, Silas va de moins en moins bien et son travail s'en ressent. Nia le remarque et comme il pense qu'elle est aussi malade, il la confronte. Elle lui avoue en être au stade 3 mais le cache à ses collègues au prix d'efforts considérables. Le soir venu, ils se revoient en secret et commencent à se toucher, partageant leurs ressentis et bientôt, ils tombent amoureux malgré les risques auxquels ils s'exposent...
 

Drake Doremus a eu l'idée de cette histoire qu'il a mise en forme avec Nathan Parker. Son cinéma s'intéresse souvent au thème de l'incommunicabilité des sentiments, comme ce sera encore le cas dans son long métrage suivant, Newness (2017) qui traite des applis de rencontre, puis Zoe (2018) où deux chercheurs tentent d'améliorer chimiquement les relations amoureuses.


Cette fois, avec Equals, il situe l'action dans un futur dystopique où la société a complètement prohibé les émotions et le sexe. Tout est régenté par le Collectif qui applique des lois rigoureuses pour ses membres, considérant les sentiments comme une véritable maladie. Ceux qui ont choisi de fuir ce régime sont appelés les déficients et vivent dans la Péninsule, une section de terre isolée et primitive d'où on ne revient jamais.
 

Le héros, Silas, est troublé par l'arrestation de voisins dénoncés pour avoir eu des relations sexuelles et embarqués pour être traités dans un centre de soins d'où, là aussi, on n'a jamais vu revenir personne. Plus tard, en rencontrant une infirmière qui y travaille, il apprendra que le personnel de cet institut ne prodigue aucun soin et encourage même le suicide.

Quand, par malheur, on se remet à éprouver des sentiments ou du désir pour quelqu'un, on est atteint du syndrome d'activation qui compte quatre stades - au stade quatre, les malades se suicident. L'arrestation de ses voisins va progressivement détraquer Silas, pourtant un modèle d'équilibre, qui travaille comme illustrateur dans une compagnie développant un programme spatial sur Mars. Il est spécifiquement chargé de mettre en image les plans d'une de ses collègues, Nia, dont il remarque, lors d'un accident dans le siège de la compagnie, le malaise.

Le rythme lent, l'ambiance oppressante, les décors et les vêtements blancs des personnages contribuent à établir un climat froid, de plus en plus en pesant. A travers Silas, on comprend comment toute une société a été patiemment conditionnée pour réprimer ce qu'elle ressent, aussi bien positivement que négativement. Ainsi, tout le monde est mis au pas, rien ne dépasse, en même temps que règne la suspicion permanente (car on est encouragé à dénoncer ceux qui pourraient être atteints du syndrome).

Le drame se noue évidemment quand l'inévitable se produit : Silas tombe amoureux de Nia qui lui avoue être malade depuis un moment mais le cache au prix de gros efforts en public. Ils se retrouvent après les heures de bureau d'abord dans les toilettes mixtes de la compagnie où ils parlent tout bas, commencent à se toucher, s'embrasser, faire l'amour. La peur est permanente : s'ils sont découverts, a fortiori par leur directeur, ils seront arrêtés, séparés et placés en confinement.

Ni Silas ni Nia ne peuvent se fier à quiconque : la jeune femme est particulièrement méfiante alors que lui fait la connaissance d'un stade 3 qui l'invite à se joindre à un groupe de parole. Le spectateur sent que des espions du Collectif ont certainement infiltré cet endroit. C'est la force du récit mais aussi sa limite : sa force parce qu'on devient aussi parano que les héros mais sa limite parce que toute l'histoire est un eu trop balisée, le scénario ne se déploie jamais dans une direction surprenante (par exemple Jonas, le stade 3, est en relation avec des gens qui peuvent emmener des "membres" sur la Péninsule, mais on ne les voit jamais et on se demande comment une société aussi autoritaire que le Collectif peut ne pas avoir déjà appréhendé ces passeurs et leurs complices).

Néanmoins, parce que le film n'est pas long (100'), on ne s'ennuie pas trop et la toute dernière scène va quand même laisser place à un mince espoir très émouvant. Cette ultime note, on la doit aux interprètes qui composent des partitions particulièrement délicates puisqu'il leur faut ne pas jouer - ou plutôt jouer à être éteints. Nicholas Hoult, (qui retrouvera Doremus pour Newness), incarne à la perfection Silas dont il exprime avec un jeu très nuancé la progression. Face à lui, Kristen Stewart montre une fois encore l'étendue de sa palette : elle est admirable de sensibilité et de retenue tout en s'illuminant quand elle partage son amour avec Silas/Hoult. Guy Pearce (habitué de la filmographie de Doremus) officie dans un second rôle mais n'a que peu d'occasion de briller.

Equals a beaucoup de qualités, mais son manque évident de moyens limite son histoire dans ses développements. Heureusement, il peut compter sur ses deux acteurs principaux, dévoués au projet et produisant des interprétations déchirantes - les seuls à briser la glace qui paralyse le cinéaste.