jeudi 30 mai 2024

ULTIMATE SPIDER-MAN #5 (Jonathan Hickman / David Messina)


"Suis-je un garçon... Ou homme ? Suis-je un héros... Ou quelque chose d'autre ?" : c'est ce que se demande Harry Osborn au terme d'un récit qui revient sur les origines du Bouffon Vert...


Et si le vrai personnage principal de Ultimate Spider-Man version 2024 était Harry Osborn, le Bouffon Vert ? C'est une théorie qui peut surprendre mais qui ressemblerait bien à Jonathan Hickman. Souvenons-nous de ce qu'il avait dit lorsqu'il avait rebâti les X-Men...


"J'ai appris que certains d'entre vous n'appréciez pas ma façon d'écrire les X-Men. A vous, je veux dire ceci : chaque mois, je vais écrire cette série en faisant tout pour qu'on me vire. Mais ça n'arrivera pas..." Hé bien, j'ai comme l'impression que le scénariste est en train de refaire le même coup.


Je m'explique : je ne lis pas de critiques avant de lire un comic-book (ou d'aller voir un film ou d'écouter un disque). C'est ma règle et j'y tiens, comme disait Brassens. En revanche, après, je suis parfois curieux de voir comment mes contemporains, qui s'essaient à l'analyse critique, comme moi avec ce blog, parlent de leur lecture.


Ce que j'ai retiré de l'avis des autres à propos d'Ultimate Spider-Man version Hickman, c'est généralement que son Peter Parker semblait s'engager à reculons dans sa nouvelle vie de super-héros tout en sachant qu'il avait accepté le "cadeau" de Tony Stark parce qu'il avait toujours senti qu'il manquait quelque chose dans sa vie, comme si on l'avait empêché d'être celui qu'il était destiné à devenir.

Cette remarque (ou ce reproche, c'est selon) n'est pas faux : Peter Parker ici est hésitant, il paraît dépassé par ce qu'il a accepté, il avance avec le frein à main. Et d'ailleurs n'est-ce pas d'abord pour cela qu'il n'a guère brillé jusqu'à présent dans le feu de l'action ? En revanche, sa rencontre avec Norman Osborn l'a bousculé : d'abord parce que ce dernier l'a aussitôt démasqué et ensuite parce qu'il l'a interrogé sur ce qu'il comptait faire avec les pouvoirs qu'il a acquis.

Ce cinquième épisode, qui est aussi le pénultième de ce premier arc de la série, va dévoiler les origines de Harry Osborn, comment il est devenu le Bouffon Vert, ce qui l'anime, le motive, ses méthodes d'action. Et c'est là qu'on voit la déviation opérée en profondeur par Hickman, c'est-à-dire faire de ce personnage peut-être le véritable héros, ou du moins le moteur de la série.

Tout démarre par l'attentat commis par les maîtres du monde, le Conseil du Créateur, mais imputé à Tony Stark/Iron Lad. Dans cette tragédie, Harry a perdu son père, Norman, et sa mère, Emily. Peu après, il apprend par l'avocat de son père (ici représenté avec les traits de John Romita Sr., ce qui a tout d'une adresse à celui que Hickman considère comme le père graphique de Spider-Man - et c'est assez amusant quand on se souvient du portrait décalé de Steve Ditko par Tom King et Jorge Fornes dans Rorschach) qu'il hérite de tout son empire avec sa propre épouse, Gwen Stacy. 

Peu après, Harry rencontre Wilson Fisk qui, ne voulant pas être associé au nom de Stark (le terroriste qui a tué des innocents à New York), lègue la compagnie de ce dernier au fils Osborn. Et, une fois dans la place, Harry, Gwen et un ingénieur du nom d'Otto Octavius découvrent les armures d'Iron Man et des fichiers stupéfiants sur le Conseil du Créateur...

La façon dont Hickman s'y prend est tout à fait sidérante : d'une part, il consacre un épisode entier à cette origin story, comme ça à la presque fin de l'arc ; ensuite il réussit à injecter dans le récit des éléments déterminants de façon très concise et percutante (les révélations sur Howard Stark, les secrets du Conseil du Créateur) ; et enfin il rédige un dialogue vif entre Harry et Peter sur ce qu'ils pourraient (devraient !) faire ensemble. Avant une ultime scène glaçante sur les moyens que se donne Harry pour obtenir des infos supplémentaires...

Je vais vous dire : quand j'ai commencé cette lecture, j'étais un peu échaudé parce que Marco Checchetto ne fait que dessiner la couverture, laissant encore une fois David Messina se charger des pages intérieures. Mais Messina se montre beaucoup plus en forme que le mois dernier, assumant un numéro avec des scènes et un découpage plus variés, plus exigeants : son style est différent de celui de Checchetto mais, définitivement, si c'est lui qui doit continuer à le suppléer, je dis "banco".

J'étais aussi perplexe parce que, en tournant les pages, ne voyant pas Peter, je m'interrogeai sur le procédé de Hickman, sa capacité à rendre Harry intéressant, et surtout à faire avancer l'intrigue. Et puis, paf ! il m'a eu, encore une fois. C'est passionnant, c'est efficace, ça progresse drôlement, et donc ça fonctionne, carrément. C'est inattendu, déroutant, mais à la fin de l'épisode, vraiment, rien n'est plus pareil et je suis motivé comme jamais pour lire la suite.

Il est quand même très fort, Hickman. Le reste des publications Ultimate ne m'attire pas du tout (même si je vais peut-être donner sa chance à The Ultimates). Mais Ultimate Spider-Man, c'est un carton plein : c'est intelligent, malin, original, captivant, et bien dessiné, ce qui ne gâche rien. Je n'ai pas l'impression que Hickman ait autant de contrôle sur tout cet univers qu'il en avait sur celui des X-Men (où il était toujours crédité comme "Head of X"), et c'est sans doute dommage (même si c'est certainement aussi un choix de sa part de se cantonner à une série, après avoir redémarré la machine). Mais ce qu'il fait avec ce titre, c'est parfait.

De quoi regretter que Panini ne traduise pas ça comme à l'époque du premier univers Ultimate, avec des revues dédiées à chaque série (à la place, les vf-istes auront droit à une revue anthologique), parce que s'il y a bien un titre immanquable, c'est celui-ci (alors que Ultimate Black Panther est jugé moyen, et Ultimate X-Men complètement hors sujet). Mon conseil donc : procurez-vous le trade peperback (en Septembre prochain), ça vous coûtera moins cher que la revue vf et vous n'aurez pas besoin de vous taper le reste de la gamme.

GONE BABY GONE (Ben Affleck, 2007)


Quartier de Dorchester, Boston. Les détectives Patrick Kenzie et Angie Gennaro sont engagés par Lionel McCready et sa femme Beatrice pour retrouver leur nièce, Amanda, âgée de quatre ans. Les médias couvrent l'affaire qui attirent d'innombrables badauds devant le domicile de la mère de la petie et la police est impuissante à cibler un suspect.


Grâce à ses connaissances dans le milieu local, Patrick découvre que Helen, la mère d'Amanda, avait une liaison avec Ray, et ils étaient tous deux toxicomanes. Un informateur les a vus ensemble le soir de la disparition de la petite en train de se droguer dans les toilettes d'un bar après avoir, soi-disant, escroqué de 130 000 $ un dealer haïtien, Cheese. 


Le commissaire Doyle, chargé de l'affaire, tolère sans plus la présence du couple de détectives et leur associe deux de ses meilleurs inspecteurs, Bressant et Poole, avec lesquels ils se rendent au domicile de Ray. Ils trouvent son cadavre passé à tabac et les soupçons se portent alors sur Cheese qui auraient voulu se venger tandis que Helen avoue avoir planqué l'argent dans son jardin.


Patrick intercède auprès de Cheese en lui proposant de lui rendre l'argent s'il remet Amanda aux inspecteurs. Le lieu de l'échange est une carrière près d'un lac la nuit suivante. Mais tout va déraper : Cheese est abattu, Amanda s'enfuit et tombe dans le lac. Cette issue dramatique coûte son poste à Doyle. L'affaire est classée après l'enterrement sans corps d'Amanda McReady.
 

Mais deux mois après, la disparition d'un garçon de sept ans va relancer l'intérêt de Patrick...


Ben Affleck est un drôle de bonhomme : d'un côté, il fait la "une" de la presse people pour sa romance avec la chanteuse Jennifer Lopez quand, de l'autre, la critique cinéma le considère (à raison, je pense) comme un acteur moyen mais un cinéaste intéressant (par ailleurs couronné de plusieurs Oscars pour Argo en 2012).


Gone Baby Gone est son premier film derrière la caméra et c'est un superbe film noir, poignant, très noir, d'une maîtrise assez épatante. Il a adapté avec Aaron Stockard le roman de Dennis Lehane qui a signé plusieurs aventures avec le couple de détectives privés Patrick Kenzie et Angie Gennaro.

Pour ma part, j'ai toujours eu du mal avec les polars de cet auteur, mais sans doute est-ce parce que j'ai trop lu de séries noires au style plus sec (Hammett, Goodis...) et que j'ai plus de difficultés avec des romanciers contemporains. Néanmoins, Affleck a su en extraire la substantifique moëlle et nous entraîne dans une intrigue méandreuse à souhait, d'une densité exceptionnelle.

Le résumé (ou plutôt le "et si vous avez manqué le début", car je suis nul en résumé) que j'en fais plus haut couvre à peine le premier quart de l'histoire. C'est dire. Cela suffirait à combler bien des cinéastes, mais le rebondissement qui suit cette partie relance complètement notre intérêt et nous mène jusqu'à un dénouement proprement stupéfiant, dont les répercussions seront terribles pour le couple Kenzie-Gennaro.

Lehane a donc quand même le talent d'écrire des récits qui vont au bout des choses quand le polar se contente de développer une idée simple en en soulignant l'ambiance et/ou les personnages. Et ça, Affleck l'a bien compris sans céder à l'envie d'en tirer un long métrage inutilement décompressé (comme Live by Night du même réalisateur, ou Mystic River de Clint Eastwood. Scorsese a adapté avec de gros sabots Shutter Island ).

Le décor de Dorchester à Boston donne un cadre particulier au film : ses habitants sont des gens issus de la classe ouvrière, donc de condition modeste. On y croise beaucoup de chômeurs aussi et des dealers avec leurs clients. Cette misère sociale rend le climat tendu, violent, et le fait que les deux héros soient des privés, plus habitués à traquer des mauvais payeurs qu'à enquêter sur des rapts d'enfants, aboutit à des heurts aussi bien avec la police, qui tolère leur présence parce que la famille de la gamine a fait appel à eux, qu'avec de possibles indics, qui les trouvent trop curieux.

L'histoire est traversée par un sens du tragique oppressant : on sent que tout ça va mal finir. Mais au bout du bout, ce sont bien Patrick et Angie qui paieront le plus lourd tribut dans cette affaire et le scénario montre avec beaucoup d'acuité à quel point leurs investigations les abîment - d'ailleurs, dès le début, Angie est réticente à s'engager car elle redoute de retrouver le cadavre de la fillette, tandis que Patrick s'investit au-delà du raisonnable auprès de la mère, de la tante, de l'oncle, et de l'officier Bressant.

Ben Affleck s'est appuyé sur un casting formidable, à commencer par son frère cadet Casey Affleck dans le rôle de Patrick Kenzie. Il incarne avec intensité et sobriété ce personnage, le premier d'une collection de types mis à mal par la vie (comme celui qui lui vaudra un Osacr pour sa composition dans le magnifique Manchester by the Sea en 2017, l'année où des accusations de harcèlement sexuel lui vaudront l'opprobre d'une partie du milieu du cinéma  - alors qu'il ne sera jamais inculpé et donc condamné par la justice. De quoi s'indigner de la réaction de Brie Larson qui refusa de l'applaudir quand il reçut sa statuette...). A ses côtés, Michelle Monaghan était encore le grand espoir découvert dans Kiss Kiss Bang Bang de Shane Black et elle prouvait qu'elle avait un énorme potentiel (hélas ! peu exploité ensuite).  Ed Harris est comme d'habitude magistral et, pour une fois, Morgan Freeman a un vrai personnage ambigu à défendre.

Gone Baby Gone est un coup d'essai en forme de coup de maître. Et la confirmation que Ben Affleck a définitivement plus sa place derrière l'objectif que devant.

mercredi 29 mai 2024

THE GRAY MAN (Joe & Anthony Russo, 2022)


2003. Courtland Gentry reçoit la visite de Donald Fitzroy, officier de la C.I.A., en prison où il purge sa peine pour le meurtre son père violent. On lui offre la liberté contre son recrutement par l'agence au sein du programme Sierra.


Dix-huit ans plus tard. Gentry, nom de code Sierra Six est à Bangkok avec l'agent Dani Miranda pour exécuter un homme sur le point de vendre des secrets d'Etat. Incapable de le tuer sans blesser des civils, Six l'attaque directement et le blesse mortellement. L'homme lui remet un pendentif contenant des documents informatiques accablant pour le nouveau directeur du programme, Denny Carmichael, qui chercher à se débarrasser des agents comme Six.


Intrigué, Six décide de ne pas se rendre au point d'extraction où l'attend Miranda et contacte Fitzroy après avoir envoyé la clé USB contenu dans le pendentif à Prague chez Margaret Cahill, une de leurs alliées communes. Carmichael, mis au courant de l'absence de Six, met Lloyd Hansen, un mercenaire, sur l'affaire avec l'ordre d'éliminer le fugitif et de récupérer la clé.


Hansen, disposant de fonds illimités et d'une liberté de manoeuvre absolue, fait enlever Claire, la nièce de Fitzroy, pour faire pression sur ce dernier afin de localiser Six sur lequel il lance un contrat auprès de tueurs à gages. Suzanne Brewer, adjointe de Carmichael, est chargée de superviser Hansen tandis que Miranda, suspectée d'être la complice de Six, se met elle aussi en tête de le trouver...


Que faire quand on vient de signer le plus gros succès au box office de tous les temps (avec Avengers : Endgame) ? C'est la question qu'ont due se poser Joe et Anthony Russo auxquels Marvel Studios n'a pourtant pas jugé utile de les associer à la suite du MCU (Kevin Feige restant seul maître à bord). Jusqu'à ce que Netflix leur signe quasiment un chèque en blanc avec la mission de concevoir une franchise pour leur plateforme de streaming.
 

Impliquant leurs co-scénaristes d'Avengers, Christopher Marcus et Stephen McFeely dans l'aventure, les Russo jettent leur dévolu sur la série de romans d'espionnage de Mark Greany dont ils sont fans. Le héros, Courtland Gentry alias Six est un espion affecté à des missions clandestines, impliqués dans des assassinats de criminels, dont les aventures l'envoient aux quatre coins du globe. La référence à James Bond est évidente.


Les deus cinéastes savent qu'il faut frapper fort pour accrocher le public de Netflix habitué à consommer des séries et des films mis en avant par un algorithme. Ils mettent donc le paquet en imaginant une adaptation efficace et en recrutant un casting de vedettes grâce à un budget aussi important que celui alloué à Lloyd Hansen.

Le résultat a pu décevoir parce qu'il apparaît assez impersonnel de la part de ceux qui avaient régalé même les détracteurs des super-héros avec Captain America : Le Soldat de l'Hiver, avec une intrigue intense et des enjeux bien plus élevés. Ici, on n'a "que" un divertissement solide et générique mais où la tension est moins électrique. En somme le piège de tout premier épisode d'une franchise où il faut présenter les protagonistes, l'univers dans lequel ils évoluent.

Est-ce que ça fait de The Gray Man un mauvais film pour autant ? Non, mais étrangement son côté luxueux joue contre lui, comme si tout ce pognon l'avait engourdi. En comparaison avec Tyler Rake (également écrit par Joe Russo) qui brille par ses morceaux de bravoure et son concept simple et musclé, il manque de la saveur à ce plat, comme si les Russo avaient trop voulu plaire et pas assez se faire plaisir, essayer de jouer davantage avec les codes du genre et même ceux de Netflix.

L'intrigue s'appuie sur le face-à-face entre deux surhommes, des professionnels implacables, avec le motif du fugitif insaisissable et du tueur sadique. Les seconds rôles sont principalement là pour les mettre en valeur et manquent souvent d'épaisseur pour exister en dehors de Six et Hansen. En fin de compte, tous ces films sont des déclinaisons du western mais avec l'apport de la technologie et le sens du grand spectacle. Tyler Rake s'appuyait sur une mythologie plus basique sans chercher à la transcender autrement que par sa physicalité, là où The Gray Man échoue trop souvent à nous faire vibrer aux exploits de son héros (quasiment seul contre tous) et de son ennemi (à la tête d'une armée incapable de l'arrêter).

Surtout la réalisation de Russo est trop lisse, en dehors d'une scène de chute libre vraiment impressionnante. Le scénario  nous prive trop de vraies confrontations entre Six et Hansen. On suit tout cela avec trop de détachement. Ce n'est pas déplaisant, mais on aurait aimé plus, plus fort, plus fou. Il semble que ce ne soit plus la priorité des Russo qui ont depuis migré sur une autre plateforme, Amazon, pour produire la série Citadel, encore plus terne mais tout aussi friquée.

A quoi s'accrocher alors si l'histoire ne nous comble pas et que la mise en scène paresse ? Aux acteurs qui ne sauvent pas les meubles mais font, eux, le job. On mettra en avant Chris Evans qui se (et nous) régale en campant un méchant aussi vaniteux que mesquin - une véritable moue pour celui qui incarna le vertueux Captain America. Ryan Gosling est parfait en super espion avec ce jeu minimaliste mais cette présence incroyable (sans doute, rétrospectivement, sa dernière composition dans ce registre). Billy Bob Thornton est également excellent en mentor rattrapé par son passé.

En revanche, Ana de Armas déçoit beaucoup, échouant complètement à rendre crédible son personnage qu'elle interprète avec une moue agaçante de petite fille exaspérée. Jessica Henwick semble un peu perdu être aussi dans tout ça. Et Regé-Jean Page n'a absolument pas la perversité requise dans le jeu pour nous convaincre qu'il est en mesure de menacer Six (un acteur plus madré, plus âgé, plus consistant, à la manière de Thornton aurait bien mieux convenu que le minet des Chroniques de Bridgerton).

The Gray Man n'a donc pas bien vieilli. Et les chances d'une suite sont de plus en plus hypothétiques (malgré son succès en nombre de vues), étant donné les agendas bien remplis de Gosling, voire de de Armas, sans parler de celui des Russo. 

mardi 28 mai 2024

TRIPLE FRONTIERE (J.C. Chandor, 2019)


Santiago "Pope" Garcia, ancien membre de la Delta Force, travaille désormais comme conseiller militaire auprès de la police colombienne en guerre contre les narco-trafiquants. Pope a une espionne, Yovann, au sein du cartel dirigé par le baron de la drogue Lorea, qui lui fournit l'adresse où il cache son magot, dans une forteresse au coeur de la jungle.


Toutefois, au lieu de partager cette information avec les autorités locales, Pope part en Floride demander à d'anciens camarades de l'armée de l'aider à coincer Lorea : il convainc "Redfly" (reconverti en agent immobilier), "Ironhead" (instructeur militaire) et son frère Benny (combattant de MMA) et enfin Catfish (ex-pilote) de le suivre. 


Une fois sur place, Pope leur montre un container dans lequel il a entreposé des armes, des kits de première urgence, des moyens de communication saisis par la police. Puis il explique à ses amis que s'il compte bien éliminer Lorea, il souhaite aussi s'emparer de sa fortune qu'il garde chez lui et dont le montant est estimé par Yovanna, qui tient sa comptabilité, à 75 M $. DE quoi leur assurer à tout une retraite dorée.


Yovanna leur fournit un plan des lieux et, pour épargner la famille de Lorea (femme et enfants), l'opération aura lieu quand celle-ci partira à la messe un dimanche. Pour Yovanna, Pope a promis la libération de son frère de prison. Evidemment, rien ne va se passer comme prévu...


La genèse de Triple Frontier (en vo) a été chaotique. Kathryn Bigelow a été a première à s'intéresser à cette histoire écrite par Mark Boal et J.C. Chandor puis elle en confié la réalisation à ce dernier pour seulement le co-produire. Ensuite, beaucoup d'acteurs différents ont été pressentis pour les rôles principaux.


Bigelow, semble-t-il, voulait Tom Hanks (pour le rôle de Redfly) et Johnny Depp (pour celui de Pope). Depp, engagé sur d'autres projets, a cédé sa place à Will Smith avant d'abandonner quand Hanks s'est retiré à son tour. Lorsque Chandor a assumé la réalisation, il a d'abord jeté son dévolu sur Tom Hardy (Refly) et Channing Tatum (Pope) et Mahershala Ali (dans un rôle non spécifié), puis faute de les avoir convaincu a proposé à Ben et Casey Affleck de partager l'affiche. Seul le premier est resté à bord.


Malgré ces péripéties, le résultat ne sent pas le film fait faute de mieux. Chaque acteur finalement retenu est excellent et compose une troupe homogène et talentueuse pour un film qui emprunte en fin de compte beaucoup plus au film d'aventures qu'à un long métrage mettant en scène des vétérans de l'armée.

L'intrigue m'a fait penser au Trésor de la Sierra Madre (1948) de John Huston dans lequel Humphrey Bogart, Walter Huston et Tim Holt mettent la main sur de l'or avant d'entamer leur retour à la civilisation et que la fortune leur fait perdre la tête. Ici, les cinq compagnons d'armes s'emparent du magot d'un narco-trafiquant sous le prétexte de l'éliminer et tombent sur un paquet de dollars bien plus conséquent que prévu qui va faire perdre les pédales à l'un d'eux.

S'ensuit une fuite pathétique où les problèmes se succèdent et manquent d'avoir raison du groupe. C'est la différence avec le chef d'oeuvre de Huston qui montrait de manière plus cruelle comment le trésor dominait ceux qui l'avaient trouvé. Mais Huston était un cinéaste plus impitoyable que Chandor et il aurait été intéressant de voir si Bigelow, en restant la réalisatrice, aurait livré un film plus ou moins noir (j'aurai tendance à penser qu'elle aurait osé un dénouement plus sombre au regard de ces oeuvres comme Zero Dark Thirty ou Démineurs).

Ce qui est certain, c'est que, même si l'action ne manque pas, l'écriture est dense et documentée. Dès la première séquence (l'arrestation de complices de Lorea retranchés dans une discothèque), on est saisi par l'ambiance fiévreuse que réussit à établir Chandor, ce côté immersif mais aussi ambivalent (puisqu'on découvre que Pope a une taupe dans les rangs du baron de la drogue et n'a pas mis la police dans la confidence).

Les personnages sont formidablement caractérisés et le scénario montre surtout des anciens soldats prêts à repartir à l'aventure car désoeuvrés depuis leur retour à la vie civile. Redfly est un agent immobilier qui veut assurer à ses enfants un avenir tout en devant payer la pension alimentaire à son ex-femme. Ironhead sert le même sempiternel discours moralisateur à des engagés en fin de formation. Benny se passe les nerfs dans l'octogone de combats de MMA. Et Catfish se morfond depuis qu'on lui a retiré sa licence de pilote à cause d'une affaire de conduite sous emprise de stupéfiants. Pope n'a pas à se forcer pour les convaincre de le suivre : ils sont mûrs pour replonger car ils ne savent en vérité rien faire d'autre que la guerre.

Là où Triple Frontière désarçonne, c'est par son traitement de ce que le spectateur pense être le coeur du film, à savoir le vol de l'argent de la drogue. En effet, l'opération est rondement mené, le trafiquant éliminé de façon expéditive. Tout va très vite, preuve que l'équipe est encore en forme, que leur plan est bien huilé, mais surtout que c'est la suite qui va importer. Et cette suite, c'est la fuite de ces cinq hommes avec un butin bien plus colossale que prévu (250 M $ !).

Comme dans l'excellent (mais plus drôle) Barry Seal, l'argent est en telle quantité qu'il devient plus un problème qu'une bénédiction. Contenu dans des sacs si nombreux qu'il doit être transporté dans un filet tracté par un hélico, il va considérablement compliqué le voyage vers le Pérou. Ainsi Chandor souligne l'absurdité de la situation en montrant Benny, dans les montagnes enneigées de la Cordillère des Andes mettant le feu à de grosses liasses de billets pour se réchauffer...

Moins viscéral sans doute qu'il l'aurait été avec Bigelow, le film bénéficie donc d'une bande d'acteurs de premier ordre, à commencer par Oscar Isaac (qui avait déjà tourné avec JC Chandor le magistral A Most Violent Year), parfait en chef ambigu. Il donne la réplique à Garrett Hedlund pour la deuxième fois après Inside Llewyn Davis. Charlie Hunnam joue le frère de ce dernier et ensemble ils composent une fratrie très convaincante. Pedro Pascal a aussi un rôle intéressant en pilote nerveux. Seul Ben Affleck, trop monolithique comme toujours, déçoit. Adria Arjona a un second rôle qui aurait mérité un peu plus de développement.

Efficace, maîtrisé, Triple Frontière est peut-être un peu trop tiède parfois, mais ne manque pas d'atouts et représente une curiosité dans la filmo de son auteur.

lundi 27 mai 2024

TYLER RAKE 2 (Sam Hargrave, 2023)


Après avoir frôlé la mort durant sa dernière mission et être resté hospitalisé durant de longs mois, Tyler Rake décide de raccrocher et retourne en Australie, encore convalescent. Il est pourtant retrouvé apr un certain Alcott qui lui propose une mission qu'il ne pourra pas refuser : sauver Keteva, sa propre belle-soeur, marié à Davit Radiani, un trafiquant géorgien qui purge une peine prison et a obtenu qu'elle y vive avec leurs enfants. 
 

Ce qu'ajoute Alcott, c'est que le frère de Davit, Zurab, et son armée se lanceront à leur recherche dès que sera connue la nouvelle de leur exfiltration. Tyler demande son aide à son amie Niki et son frère Yaz pour infiltrer la prison avec la complicité d'un gardien qu'ils ont soudoyé. Mais l'opération dégénère quand un voisin de cellule de Davit remarque Tyler avec Ketevan, son fils Sandro et sa fille Nina et donne l'alerte, déclenchant aussi une émeute dans la prison.


Après bien des obstacles, Tyler, Niki et Yaz sortent de là avec Ketevan et ses enfants. Mais, comme prévu par Alcott, ils sont aussitôt prius en chasse par Zurab et ses hommes, lourdement armés et équipés d'hélicoptères alors que Rake et son commando s'enfuient à bord d'un train. Une fois leurs ennemis semés, ils prennent un avion pour Vienne en Autriche. Mais Sandro, qui a compris que son père a été tué durant l'exfiltration, se débrouille pour avertir son oncle de sa destination...
   

Trois ans après le premier volet, Tyler Rake revient donc aux affaires. Même si la fin du précédent film laissait planer le doute sur le fait qu'il ait survécu à Dacca au Bangladesh, on le retrouve très mal en point. Si mal que Yaz soutient même le médecin qui suggère de le débrancher, ne croyant pas qu'il se réveillera du coma dans lequel il est plongé.


Evidemment, contre toute attente, Tyler reviendra bien à lui mais cette expérience a laissé des traces. Physiquement déjà, il est très diminué. Mentalement ensuite, il est littéralement au bout du rouleau et décide de raccrocher. Puisque la mort n'a pas voulu de lui, ce qui lui aurait permis de retrouver son fils, alors autant tout arrêter et profiter. Il retourne donc en Australie. Mais, comme on le dit dans ce genre d'histoire, son passé va le rattraper.


Nouvelle mission donc. Cette fois, on s'adresse directement à lui sans passer par Nini Kahn, et pour cause, sa belle-soeur est en danger, mariée à un gangster géorgien qui la force à vivre en prison avec lui. Comme son équipe a été décimée dans le premier film, Tyler ne peut compter que sur Niki et son frère Yaz pour l'aider, ce qui suggère au spectateur que la suite va être non seulement mouvementée mais périlleuse. Effectivement, tout le monde n'en reviendra pas vivant...


Joe Russo est encore une fois l'auteur du script et, avec Sam Hargrave à la réalisation, son objectif semble d'avoir voulu augmenter les enjeux, de faire toujours plus fort, toujours plus fou. Donc, oui, il y a un phénomène de surenchère dans cette suite, mais qui ne se fait pas au détriment de l'intrigue et du résultat car Extraction 2 est en vérité meilleur.

En embarquant le héros dans une mission qui est surtout une affaire de famille pour lui, l'investissement est plus intense. Ensuite, le niveau de difficulté à s'en sortir est nettement à la hausse. Enfin, cette fois, Netflix sait que Tyler Rake est une franchise à succès, qui peut être développée et donc tout est mis en place dans ce sens. Le personnage d'Alcott, à la fin, s'avère être non pas un commanditaire comme les autres mais l'homme de main d'un homme peu fréquentable qui souhaite embaucher le mercenaire à temps plein. La graine est donc planté pour un troisième épisode (et plus si affinités).

Comme dans le premier volet, on a droit à des morceaux de bravoure très spectaculaires, avec caméra embarquée, et cette fois Hargrave a mis le paquet puisqu'il a orchestré un nouveau plan-séquence d'anthologie de 23' (plus du double de celui du premier film donc !). On suit Tyler à partir du moment où le maton soudoyé le fait entrer dans la prison, puis il grimpe jusqu'à l'étage où est la cellule de Davit Radiani dont il sort Ketevan, Sandro et Nina, puis il redescend avec eux alors que l'émeute éclate dans la prison, il affronte des gardiens, des détenus sortis de leurs cellules, tue Davit, confie les enfants à Niki et Yaz, traverse la cour de la prison pleine de gardes et de détenus en train de se battre sous la neige en se battant avec les uns et les autres indifféremment au point de recevoir un coktail molotov sur un bras (mais il continue à bastonner tous ceux qui se dressent sur son passage !), puis il exfiltre Ketevan et rejoint Niki et Yaz dans des véhicules, ils sortent tous de l'enceinte de la prison, sont pris en chasses par des motos et un quad, arrivent à une fonderie, atteignent le train, le train démarre et est pris en chasse par deux hélicoptères qui lâchent des hommes armés, Tyler avec Niki et Yaz les neutralisent puis descendent les hélicoptères, les freins du train sont hors service, le train déraille.

C'est absolument dingue et virtuose. On est admiratif devant ce tour de force filmique mais aussi par l'énergie déployée par les acteurs sans doublures. Tout ça est surtout constamment lisible et d'une fluidité impeccable dans les mouvements de la caméra. Je n'ose imaginer le temps qu'il a fallu pour répéter tout ça mais à l'image, c'est tout simplement bluffant. Surtout ça prouve que quand l'action n'est pas découpée au montage, la sensation d'immersion, les impacts des coups, la puissance des explosions, le déchaînement des tirs sont jouissifs. Le spectateur voit que ça ne triche pas, qu'il n'y a pas de fond vert, de CGI : c'est un sentiment unique, irremplaçable.

L'autre morceau de choix est la bataille à Vienne, véritable moment de guérilla urbaine recréée, avec là un montage très nerveux mais jamais haché, et toujours au plus près de l'action, de ses acteurs. Jamais on est perdu dans la succession des combats, on ressent la férocité et l'effroi des protagonistes, frissons garantis.

Enfin, le dernier acte, à l'aérodrome et dans l'église est électrique. D'une brutalité animale, on tremble pour les héros face à un méchant complètement dingue. L'écriture de Joe Russo réussit la prouesse de diversifier ces passages tout en leur conservant une grande intensité, avec entre chacun d'eux des plages plus calmes qui permettent à tout le monde de respirer. Mine de rien, ce sont des films très bien fichus, qui remplissent leur contrat à la perfection.

Encore une fois, Chris Hemsworth épate : amateur de sensations fortes dans sa vie privée, l'acteur assure. On voit qu'il est affûté, et la question ne se pose jamais de savoir s'il est doublé ou pas, ce qui en fait sûrement avec Tom Cruise le comédien le plus investi dans ce genre. Le script lui donne aussi la possibilité de jouer son personnage avec plus de nuance, sans qu'il soit nécessaire de recourir à des scènes lacrymales faciles. De ce point de vue, avoir introduit Mia, la femme de Rake, jouée par la très belle et talentueuse Olga Kurylenko donne un supplément d'âme au héros et l'occasion de faire la paix avec ses démons. Golshifteh Farahani rempile et a cette fois droit à plus d'espace pour exprimer son engagement physique mais surtout la finesse de son interprétation. Enfin, Idris Elba apparaît comme un personnage destiné à rester dans la saga et il est parfait d'ambiguïté.

Encore une fois, je ne vais pas dire que Tyler Rake est un grand film, mais il ne faut pas non plus être condescendant avec ce genre de productions, surtout quand elles sont si bien manufacturées et divertissantes.

dimanche 26 mai 2024

TYLER RAKE (Sam Hargrave, 2020)


Fils du baron de la drogue indien Ovi Mahajan, en prison, Ovi Junior fait le mur pour rejoindre ses amis à une fête. Trop timide pour aller parler à la fille qui lui plait, il sort avec un copain fumer lorsqu'ils sont abordés par deux policiers. Ovi Jr. est enlevé. Informé, son père refuse de payer la rançon qu'on lui réclame car il connaît le commanditaire du rapt : Amir Asif, son rival basé à Dacca au Bangladesh.


Il ordonne donc à son homme de main, Saju Rav, de lui ramener son fils sinon il fera exécuter sa femme et son propre enfant. Pour faire le sale boulot, Saju fait appel aux services de Niki Khan qui, elle-même, contacte Tyler Rake, un ancien soldat australien devenu comme elle mercenaire. Ils partent avec une équipe réduite à Dacca au Bangaldesh. Tyler rencontre les ravisseurs, des hommes de main sans envergure, et les élimine puis prend la fuite avec Ovi Jr. avec lequel il gagne le point d'extraction, un bateau stationné sur la rivière la plus proche.
 

Mais Saju élimine les hommes sur le bateau et le sniper de l'équipe de Niki qui les couvre en attendant Tyler et Ovi Jr. pour récupérer ce dernier. Cependant, Niki comprend qu'on les a doublés car l'argent qui devait leur être versé pour cette mission n'est pas transféré - et pour cause : les comptes de Mahajan ont été gelés par les autorités indiennes. Elle en informe Tyler qui, échappant à Saju, file avec Ovi Jr..
 

Mais les ennuis ne font que commencer pour le mercenaire et son "colis" car, prévenu de la situation, Amir Asif a fait boucler toute la ville de Dacca par les forces de police aux ordres du colonel Rashid qu'il soudoie...


Récemment, à l'occasion de la sortie de The Fall Guy, un article dans le magazine "Première" revenait sur les films dont la réalisation était confiée à d'anciens cascadeurs comme David Leitch, et ce depuis le duo Hal Needham - Burt Reynolds (le premier ayant été d'abord la doublure du second avant de le diriger) dans les années 70.


Sam Hargrave est un des anciens élèves de Leitch et il a aussi ces dernières années beaucoup collaboré sur les films Marvel studios comme coordinateur des cascades. C'est ainsi qu'il a attiré l'attention d'Anthony et Joe Russo, les réalisateurs de Captain America : Le Soldat de l'Hiver ou le diptyque Avengers : Infinity War / Endgame. C'est Joe Russo qui a écrit le scénario de Extraction (le titre original de Tyler Rake) et l'a confié à Hargrave pour le mettre en images.


Les présentations étant faites, il me faut maintenant préciser que j'avais vu ce premier volet des aventures de Tyler Rake dès leur mise en ligne sur Netflix en 2020, mais je l'ai revu pour rédiger cette critique et j'ai enchaîné avec la suite (dont je vous parlerai plus tard).

Depuis le premier John Wick, sorti il y a tout juste dix ans, le film d'action s'est trouvé un nouveau maître étalon, un peu comme la saga Jason Bourne a lourdement influencé la saga James Bond incarné par Daniel Craig. Désormais, le public veut visiblement ressentir sur le grand écran les épreuves des héros de ce genre d'histoires et ne plus avoir affaire à des surhommes impeccablement coiffés même après une grosse baston. Cela s'accompagne d'une écriture plus viscérale et d'une caractérisation parfois plus sommaire où la motivation du héros est expliquée par une contrariété somme toute assez accessoire (John Wick part en guerre parce qu'on a tué son chien).

Tyler Rake sort du même moule : derrière la machine à tuer super coriace il y a un coeur qui bat. Notre mercenaire a perdu son fils de six ans atteint d'un lymphome mais était absent lorsqu'il est mort, parti en mission en Afghanistan, moins par sens du devoir que parce qu'il ne supportait pas la souffrance de son enfant. Son couple n'y a pas résisté et au début du film il vit dans une région isolée de l'Australie où il boit beaucoup de bière tout en s'abrutissant avec des calmants. En fait il se suicide à petit feu et ne repart au charbon qu'en souhaitant sans le dire en finir.

Mais le scénario  est roublard : cette fois on fait appel à ses talents pour exfiltrer un gamin qui est certes le fils d'une ordure mais qui n'a rien demandé, et donc s'il le sauve, c'est un peu comme s'il sauvait son propre fils. Le voici lâché en plein Dacca au Bangladesh, pris entre mille feux : un homme de main qui veut récolter les lauriers après que Rake et son équipe aient fait le plus dur, un baron de la drogue à l'origine du kidnapping du gamin qui veut humilier son rival, des flics corrompus et surarmés, des petites frappes hargneuses...

Sam Hargrave fait preuve d'une solide maîtrise de son affaire : le récit file à toute allure, sans temps mort, et les scènes spectaculaires, souvent brutales, s'enchaînent avec quelques morceaux de bravoure exceptionnels comme ce plan-séquence de 11' depuis la fuite en voiture de Rake et Ovi Jr. jusqu'à leur ascension dans un immeuble bientôt envahi par les forces spéciales puis un combat féroce entre Rake et Saju puis enfin la fuite à nouveau dans un van qui finira sans course sans ses passagers qui en ont sauté avant la collision avec un autre véhicule. C'est littéralement à couper le souffle et l'opérateur steadycam accomplit une prouesse tout comme le coordinateur des cascades pour ces enchaînements sidérants.

Alors évidemment ça ne vole pas très haut et le passage où Rake raconte son drame au gamin est mélo au possible. Cette brute écrase une larme pour nous montrer qu'il est encore sensible. Le gamin lui-même est une vraie tête à claques au début puis ensuite devient le meilleur allié de Rake. Saju est sans doute le plus ambivalent. Quant au grand méchant Asif, c'est l'archétype de la crapule sans coeur qui fait jeter des enfants dans le vide pour savoir qui l'a volé, arrose des flics pour se salir les mains à sa place, et monte le bourrichon à des petites frappes rêvant devant ses bijoux dorés. Donc, oui, c'est manichéen, binaire, mais c'est aussi bougrement divertissant et le cadre est exotique et magnifiquement exploité.

Hargrave peut surtout s'appuyer sur Chris Hemsworth, une autre vieille connaissance puisque l'acteur a été entraîné par son réalisateur sur les Avengers des frères Russo. Hemsworth avec sa voix de baryton et sa présence physique impressionnante, qui assure la majorité de ses cascades, authentiquement folles, mais qui montre quand même un vrai talent d'acteur et fait de Tyler Rake autre chose qu'un personnage qui aurait pu être joué par Chuck Norris. Dans in second rôle, on trouve aussi Golshifteh Farahani, cette sublime comédienne iranienne honnie par les mollahs et qui s'avère étonnamment à l'aise et crédible dans son rôle à la fois classe et badass. David Harbour campe lui un gredin de la pire espèce, trahissant son ami pour une prime.

Le final est tout de même assez audacieux car les auteurs, n'étant pas assurés que Netflix commande une suite, suggèrent le pire pour le héros. Mais je ne spoile personne en disant que Tyler Rake survit puisque suite il y a eu (et même qu'un troisième volet est prévu) et qu'elle est encore plus folle, plus aboutie, plus "plus". Mais donc, je vous en parlerai très vite.

BLACK WIDOW & HAWKEYE #3 (of 4) (Stephanie Phillips / Paolo Villanelli)


Le passé : Hawkeye pénètre dans l'ambassade russe pour libérer Black Widow de Damon Dran, après avoir écarté Iron Man qui tentait de le raisonner... Le présent : sauvé par le symbiote de Black Widow, Hawkeye commence à sentir l'influence de la créature sur son comportement...


Le mois dernier, je n'avais pas ménagé cette mini-série et à vrai dire je n'ai pas grand-chose à rajouter, même si je me suis emporté plus que de raison. C'est le piège : quand on lit beaucoup de comics et qu'on tombe sur un numéro de piètre qualité, il prend pour les autres.


Ce qui m'invite toutefois à être plus indulgent cette fois, c'est justement que de tous les comics que j'ai lus cette semaine, Black Widow & Hawkeye #3 est peut-être finalement le moins pire du lot. Car, enfin, ça n'a pas été bien difficile : The Immortal Thor a sombré, Batman/Superman : World's Finest tourne en rond, et Blood Hunt n'est rien d'autre qu'un attrape-couillon.


Stephanie Phillips, au moins, ne cherche pas à abuser le fan : c'est un travail de commande et le remplit avec professionnalisme. Pour elle, ce genre de mini-séries est une sorte de test où elle doit convaincre les editors de Marvel de lui faire confiance pour de futurs projets plus ambitieux. C'est ingrat, d'autant plus pour un auteur qui a montré ce qu'elle valait par ailleurs (avec sa propre création, Grim, en particulier).


Mais ça commence quand même à bouger pour la scénariste : elle va relancer Spider-Gwen. Pas encore ce qui se fait de plus glorieux, mais un personnage populaire, avec une fan base solide, et appartenant à la franchise Spider-Man, le fer de lance de Marvel (avec celle des X-Men), donc quand même un bon pas en avant.

D'ailleurs, avec Black Widow & Hawkeye, elle touche déjà un peu à l'univers des araignées puisque Natasha Romanoff dispose maintenant d'un symbiote et dans cet épisode on peut apprécier la manière dont Phillips s'en sert pour altérer le personnage de Clint Barton, qui entend la voix de la créature l'invitant à laisser parler ses pulsions les plus violentes.

Bon, après, tout le reste n'est quand même terrible : le méchant de cette histoire est inconsistant et générique au possible, l'intrigue tourne autour d'une vengeance vue et revue, et Clint est l'appât pour piéger Natasha. Tout ce qui a trait à l'action au présent est plutôt mollasson, en tout cas très convenu.

Phillips pimente ça avec des flashbacks qui montre Hawkeye et Black Widow à leurs débuts, quand ils étaient encore des complices mais que l'archer avait intégré les Avengers (Iron Man fait une apparition). C'est un ajout à leurs antécédents qui n'est pas une retcon car c'est insignifiant.

Par contre, ça permet à Paolo Villanelli de faire parler la poudre avec Hawkeye dans l'ambassade russe : le découpage du dessinateur italien fait merveille par son dynamisme. Bien représenter un archer est toujours délicat et il y parvient parfaitement. Pas au point de s'extasier, mais c'est le meilleur morceau de l'épisode et de la série jusque-là.

Est-ce que tout ça aura un impact positif pour les deux héros au final, c'est-à-dire la possibilité qu'ils aient leur propre série régulière (ensemble ou séparément) ? Je l'ignore, j'en doute fort, mais Stephanie Phillips est décidément à l'aise avec les couples (après Rogue & Gambit) et Paolo Villanelli a un vrai potentiel. 

samedi 25 mai 2024

BLOOD HUNT #2 (of 5) (Jed MacKay / Pepe Larraz)


Plutôt qu'une critique, assez inutile vu la médiocrité du produit, je vous propose aujourd'hui un exercice de style au sujet de l'event Blood Hunt. Comme vous le savez peut-être (vous le savez en tout cas si vous avez lu l'entrée que j'ai consacrée au premier numéro), Marvel a trouvé une nouvelle astuce commerciale (qui a dit "escroquerie" ?) pour vendre cette histoire (et pas que celle-ci, puisque l'éditeur a décidé de reprendre la formule pour la future mini Wolverine : Revenge de Jonathan Hickman et Greg Capullo) : publier une version classique du comic-book et une version dite "Red Band".

 


Concrètement, ça ressemble à ça dès la couverture avec un bandeau rouge nous prévenant que le contenu s'adresse alors à un public averti : en clair, c'est plus violent, graphiquement explicite (oulala !). C'est surtout plus racoleur ("Hé, les fans, ça va saigner !") et typique de l'hypocrisie US où on peut montrer des personnages en train de s'étriper mais surtout pas en train de baiser ("Cachez ce sein que je ne saurais voir !"). De la part de Marvel qui appartient à Disney, c'est plutôt savoureux ("Mickey, défonce le méchant mais ne t'envoie pas en l'air avec Minnie !").
   

Donc, si vous êtes un lecteur délicat et sensible, achetez la version classique de Blood Hunt. Mais sinon, la version "Red Band" est pour vous. Et pour appâter le chaland, Marvel promet dans cette version explicite des pages en plus. Le contenu reste le même, les pages additionnelles n'ajoutent rien à l'intrigue et dans les deux cas, on peut admirer les planches magnifiques de Pepe Larraz (comme celle ci-dessus) qui sont le principal intérêt de Blood Hunt (celui qui prétend lire ça pour la qualité du scénario de Jed MacKay est un farceur).


Maintenant, un autre exemple concernant justement le matériel réservé à la version "Red Band" : cette page ci-dessus ne se trouve pas dans la version normale. Captain Marvel vient de bastonner un membre du Couvent du Sang (Bloodcoven en vo). On nous montre la tronche amoché d'un des membres de cette équipe de super-vampires : oui, il a vraiment la tête de l'emploi (ouf !) et comme Carol Danvers vient de lui coller une patate, il saigne, donc il est encore plus moche (mais est-il vraiment plus effrayant ? C'est bien le problème de Blood Hunt, comme ce le fut pour Knights Terror chez DC, les méchants ne font pas/plus peur).


Autre cas d'école, encore plus frappant : cette scène où Hunter's Moon (le remplaçant de Moon Knight - je ne vous dis pas qui c'est au cas où vous ne le sauriez pas, mais non, ce n'est plus Marc Spector que Jed MacCkay, qui écrit aussi Moon Knight, s'est débarrassé), Tigra (qui travaille désormais avec ce personnage), et Miles Morales arrivent chez Doctor Strange et Clea pour découvrir que le bon docteur n'est pas au mieux de sa forme (là non plus, je ne vous dis pas qui l'a mis dans un état pareil, vous le découvrirez à la fin du premier épisode). Bon, cette quasi splash page est déjà impressionnante en version normale...


... Mais, me direz-vous, on peut toujours faire plus explicite pour les idiots qui n'auraient pas compris que Strange est mal en point. Donc, en version "Red Band", on montre tout : les tripes à l'air, Strange qui convulse, etc. Au moins, là, c'est clair, il est vraiment pas en forme. Bon, après, Pepe Larraz doit dessiner deux fois la planche, c'est pas comme s'il avait que ça à faire et que Marvel en avait quelque chose à fiche ("Hé coco, on te paie, on est déjà bien gentil, tu dessines donc deux fois la page dont une bien dégueulasse et que ça saute !").


Heureusement pour lui et pour nous, Larraz peut quand même lâcher une page comme celle-ci, superbe, iconique, qui n'a pas besoin d'en rajouter, et qui surtout nous fait (presque) supporter cette nanardise qu'est Blood Hunt

Parce que, sinon, c'est quand même la misère, cet event : l'intrigue ne progresse pas d'un iota, les ficelles sont grosses comme des câbles, c'est écrit avec les pieds. Mais c'est beau quand ça ne demande pas à l'artiste de faire n'importe quoi. Bon, ça fait quand même chier de voir Larraz se commettre là-dedans, il mérite tellement mieux (mais il me semble désormais condamné à dessiner des events).

Après, rappelez-vous : personne ne vous oblige à acheter cette merde quand ça sera traduit. Parce que vous pouvez être sûr que ça n'aura aucune conséquence pour la suite, que Panini va vendre ça à 16 E (en softcover, 22 en hardcover) avec de tie-in insupportables, et en plus ce sera mal traduit (par Laurence Bélingard peut-être, c'est quand même la championne). Non, gardez vos sous, achetez-vous n'importe quoi d'autre, ne vous faîtes pas avoir, ne soyez pas faible comme moi.