Los Angeles, Novembre 1989. Ethan Reckless fait la connaissance de Francis MacLean lorsque celui-ci empêche deux gosses de voler son van. Ils deviennent amis. Aussi quand Francis demande quelque temps après un service à Ethan, ce dernier ne peut le lui refuser. Cela concerne Rachel,la compagne de son fils Joey, qui a subitement disparu un mois plus tôt, après le tremblement de terre survenu à San Francisco le 17 Octobre.
La police, débordé, n'a pas mené d'enquête sérieuse car Joey et Rachel sont d'anciens junkies. Ethan se rend à San Francisco et rencontre Joey qu'il interroge sur le comportement de Rachel. Puis il fouille leur appartement à la recherche d'indices et finit par trouver une lettre bien cachée, provenant du pénitencier où croupit un certain Richard Brickman, qui avoue un crime horrible contre la jeune femme dans son enfance.
Il ne reste plus que quelques mois à vivre à Richard Brickman, atteint du Sida, mais il refuse de dévoiler à Ethan de ce dont il a parlé avec Rachel quand elle est venue le voir le 21 Octobre. Mais un gardien informe Reckless que le détenu a reçu dernièrement la visite de policiers au sujet de l'assassinat de son frère Oren, tué par une jeune femme en pleine rue et dont la description correspond à Rachel...
C'est à ce jour, et sans doute pour un bon moment, le dernier tome de la série Reckless : comme l'explique Ed Brubaker dans sa postface, lui et Sean Phillips (et Jacob Phillips aux couleurs) ont produit cinq albums en deux ans et tous ont ressenti le besoin de quitter ce personnage, son univers avant, peut-être, un jour, d'y revenir.
Brubaker revient aussi sur la conception de ce tome en particulier : au départ, il aurait en faire le complément de lecture du tome précédent, un peu comme un flip book, puisque l'action se déroule en même temps que l'enquête menée par Anna dans Ce Fantôme en toi où on apprenait que Reckless était, lui, en mission à San Francisco.
Brubaker raconte que cela a été un défi d'écrire cette histoire car il ne pouvait faire intervenir Anna. Le sujet de l'enquête l'a aussi pas remué puisqu'il y est question d'abus sexuels commis sur des enfants. C'est, de fait, l'intrigue la plus noire de toute la collection, et, si je m'abuse, ce tome est aussi le plus long avec ces 140 et quelques pages (soit presque vingt de plus que d'habitude).
En définitive Reckless roule au diesel : il démarre lentement, en toussant un peu, mais quand il est parti, le trajet peut être long et captivant. Je ne veux pas en trop en dire sur les ressorts du récit, ses rebondissements, mais ce qui le distingue, c'est son ampleur, sa générosité. On embarque pour un voyage tumultueux qui s'achève en 2004 et un épilogue magnifique.
Bien entendu, si Brubaker avait été plus prompt à embrasser ce genre de trip, la série aurait sûrement gagné en qualité. Mais ça valait le coup d'attendre un peu. Et puis c'est une sorte de performance que d'avoir aligné cinq tomes en deux ans en gardant un tel cap, mieux même en produisant des livres de plus en plus qualitatifs.
Pour revenir sur le rythme, Reckless, c'est d'abord un canevas toujours scrupuleusement respecté : une ouverture qui donne le ton, très dramatique, puis un ordre de mission, puis le déroulement de cette mission. Brubaker insiste sur le réalisme des investigations, leur caractère laborieux, la sale besogne qu'elles impliquent.
On passe beaucoup de temps avec le héros dans son van, à avaler des miles, à chercher, à être en planque. Ce n'est pas gratuit, pas fait pour tirer à la ligne. C'est fait pour poser un contraste entre ces moments de calme, voire d'inertie, et des explosions de violence. Le lecteur est pris d'une sorte de torpeur, de frustration aussi, et il en est brutalement extrait.
Parfois cette violence passe davantage par des mots, comme ici avec la lettre écrite par Richard Brickman du fond de sa cellule alors que le Sida le ronge. Et bien sûr parfois elle passe par des coups échangés, des coups de poing, de pied, de feu. La série ne donne jamais dans le sensationnalisme, ici la violence est toujours sèche, sale, méchante.
Reckless ne ressent plus guère d'émotions mais la colère est celle qui remonte le plus facilement. Elle lui tord les tripes et elle doit sortir. Il ne réfléchit plus alors. Cela lui vaut presque d'échouer vers la fin, avant ce bond dans le temps où tout se dénoue d'une manière cathartique, apaisée, mélancolique. C'est à la fois très beau et très triste. On comprend mieux pourquoi l'équipe a eu besoin d'en rester là...
Sean Phillips est étonnant : voilà un dessinateur qui semble se transcender dans l'effort. Il a dessiné plus de 600 pages de BD en deux ans et il paraît plus en forme qu'au début de l'aventure. C'est une impression très surprenante, mais je trouve que cet album (comme le précédent) est comme la preuve que plus on dessine, mieux on dessine.
Régulièrement, Brubaker donne à Phillips des espèces de respirations avec des splash pages et il les réalise comme des instantanés, synthétisant des ambiances, des faits relatifs à l'histoire, absolument saisissants. Son découpage a ce classicisme élégant et brut à la fois qui convient à merveille à ce genre de récit et que les couleurs de son fils Jacob magnifient.
A propos de Jacob Phillips, je dois bien reconnaître qu'au début j'avais du mal avec sa palette. Par le passé, Phillips a collaboré avec de grands professionnels comme Val Staples et surtout Elizabeth Breitweiser (qui faisait un boulot somptueux). Le fiston ose autre chose, qui ne me plaît pas autant, mais qui, à la longue, fait son effet, donne vraiment une personnalité unique à Reckless.
Lire Reckless est une expérience. Je l'ai déjà dit mais la série a pris du temps pour me conquérir et ce sont surtout ses deux derniers tomes qui m'ont comblé. Cependant l'oeuvre formée par ces cinq livres compose quelque chose de peu commun qu'il faut embrasser totalement.
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