dimanche 20 juillet 2025

LES INDOMPTES (Daniel Minahan, 2025)


Au début des années 1950. Muriel vit avec Lee Walker dans la ferme du Kansas dont elle a héritée. Lui rêve de s'établir en Californie mais cela suppose de vendre cette maison, ce que la jeune femme se refuse à faire. Le soir de Noël, Julius, le frère de Lee, débarque : il vient d'être démobilisé après avoir été blessé en Corée, ce qui annule le plan des Walker de profiter de leur pension pour déménager. Lee en profite, avant de retourner combattre, pour demander la main de Muriel, qui accepte, et qu'il confie à Julius.


Six mois plus tard. Lee et Muriel vivent à Los Angeles. Elle est serveuse dans un diner, lui travaille comme sidérurgiste et ils mettent de côté un peu d'argent chaque mois pour se payer une maison plus confortable que leur studio. Julius, lui, est parti à Las Vegas mais plutôt que de se faire surprendre en train de tricher au poker, il convainc le personnel de la sécurité d'un casino de l'embaucher pour repérer les escrocs. Il fait équipe avec Henry et ils deviennent amants. 
 

De son côté, Muriel épie les conversations de parieurs au diner et tente sa chance à l'hippodrome. Elle rafle la mise une première puis une deuxième fois. Elle fait ensuite croire à Lee qu'elle a vendu la ferme du Kansas et il l'emmène visiter un chantier de construction pour de futurs lotissements sur les hauteurs de la ville. Muriel rencontre à cette occasion Sandra qui risque l'expropriation à cause d'un projet d'autoroute qui passerait sur son terrain et elle tombe sous son charme...


Sorti fin Avril en France, On Swift Horses (en vo) n'a pas attiré les foules (il faut dire que sa distribution n'a été accompagnée d'aucune promotion). C'est bien dommage car il s'agit d'un très beau mélodrame, un genre dont aime à se moquer les cyniques car il exacerbe les sentiments dans des romances contrariées.


Soyons clairs : Daniel Minahan n'est pas Douglas Sirk - ce dernier en aurait fait un long métrage aux couleurs éclatantes, avec une musique appuyée, et une interprétation bien moins sobre. Mais cette adaptation du roman éponyme de Shannon Puhfal, sorti en 2019, vaut vraiment la peine qu'on lui accorde sa chance car il ne démérite pas.


Bien que situé au début des années 50, en pleine guerre de Corée, le récit ne sombre jamais dans la reconstitution pesante. La grande réussite du script de Bryce Kass, c'est justement de ne jamais trop s'attarder sur l'aspect historique. A peu de choses près (notamment l'importance accordée à la correspondance épistolaire entre Muriel et Julius), ça pourrait aussi bien se passer aujourd'hui.


D'ailleurs le film se concentre avant tout sur ses cinq personnages principaux, et plus spécialement sur le trio Muriel-Lee-Julius. Muriel est une jeune femme en couple avec Lee, celui-ci est un garçon honnête et droit qui rêve simplement de la Californie parce qu'il ne veut pas vieillir dans une ferme du Kansas. Il veut du soleil, une vie confortable, avec celle qu'il aime.

Muriel, pourtant, nous est présentés comme une femme dissimulatrice. La scène d'ouverture voit le couple faire l'amour puis Lee redemande à sa bien aimée si elle veut l'épouser. Elle répond qu'elle le lui dira le lendemain, pour Noël. Mais on sent qu'elle hésite. Et ensuite elle entre dans sa salle de bain non pas pour se doucher, comme elle le prétend, mais fumer en cachette.

C'est au même moment que débarque Julius, le frère de Lee. Il est très beau et le spectateur s'attend légitimement à suivre une histoire de triangle amoureux avec Muriel partagée entre les deux frères. Sauf que non. Lee accumule les sous-entendus sur Julius, esprit libre, indomptable, comme s'il voulait faire comprendre à Muriel que s'il l'adore, ils sont très différents.

Le récit bondit dans le temps. On renoue avec Muriel et Lee qui vivent alors à Los Angeles. Ils y ont trouvé du travail facilement, mais ne gagnent pas bien leur vie. Leur rêve californien est encore loin d'être accompli. Julius a pris la route pour Las Vegas où il espère gagner facilement de l'argent car il est doué au poker. Mais plutôt que de risquer d'être pris en train de tricher, il va devenir celui qui surveille les tricheurs dans un casino.

De manière très fluide, le scénario met en parallèle les trajectoires de Muriel, petit bout de femme fébrile, et Julius, beau gosse malin, qui vont découvrir leur véritable identité sexuelle. Muriel croise d'abord une parieuse à l'hippodrome avec laquelle elle échange un baiser inattendu après avoir gagné une course, puis rencontre Sandra, une voisine qui la trouble par son assurance à s'assumer.

Julius, on va comprendre les allusions de Lee, est lui homosexuel, mais dans les années 50, c'est encore une condition clandestine. Il s'éprend de Henry, son collègue qui, comme Sandra est hispanique et affiche ses préférences sans se soucier du quand dira-t-on. Lee est aussi lucide sur son frère (qui avait promis de le rejoindre à Los Angeles) qu'aveugle envers sa femme.

Le film se montre très explicite sur la relation entre Julius et Henry, mais aborde avec beaucoup de discrétion, de sobriété, de délicatesse l'éducation lesbienne de Muriel, chez qui tout ça est plus complexe à accepter. On peut croire qu'elle est secrètement éprise de son beau-frère, mais en vérité elle paraît plutôt saisir progressivement ce qu'il lui a permis de comprendre sur elle-même.

De façon troublante, Lee reprochera tardivement à Muriel d'être comme Julius, non pas en apprenant qu'elle a une liaison avec Sandra, mais parce que, comme lui, elle n'aime pas faire ce qu'on lui dit et encore moins ce qu'on lui dit être bon pour elle. Lee n'est pas un mari rétrograde ou même jaloux, il se fait plutôt du souci pour Muriel comme il s'en est fait pour son frère.

Daniel Minahan et Bryce Kass réussissent à traiter tout cela avec brio, parvenant même à entrelacer tous ces destins à un moment sans que cela paraisse trop grossier narrativement. C'est en cela que Les Indomptés gagne à être écrit et réalisé : plus mélodramatique, plus flamboyant, il aurait été kitsch alors que sa retenue formelle et écrite lui donne une dignité et de l'élégance.

C'est aussi grandement dû au casting, absolument formidable. Daisy Edgar-Jones est une actrice qui est toujours sur la réserve mais sa beauté, son air mélancolique, son raffinement lui permet de se glisser dans la peau de tous ses personnages impeccablement (elle a quand même enchaîné des films aussi variés que Twisters, Là où chantent les écrevisses, Fresh, et la série Normal People).

Jacob Elordi aussi s'est d'abord fait remarquer sur le petit écran dans Euphoria, avant d'éclater dans Priscilla, Saltburn et Oh, Canada. Il a ce côté rétro qui me fait penser à un néo Montgomery Clift, effectivement très beau, avec une présence à l'écran imposante, mais sans jamais en jouer ni surjouer. Wil Poulter hérite d'un rôle plus ingrat en campant Lee, à qui il donne une intégrité imparable.

Dans des partitions à peine plus secondaires, Diego Calva, repéré dans Babylon, et Sasha Calle (Supergirl dans le calamiteux The Flash) sont également superbes en obscurs objets du désir, sacrifiés sur l'autel des passions. J'espère vraiment qu'on les reverra dans d'aussi bons films.

J'ai beaucoup aimé ces Indomptés, leur classe, leur charme, leurs histoires d'A.. Et je le recommande à tous ceux que les grands sentiments, le souffle romanesque, ne rebutent pas.  

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