mardi 8 juillet 2025

RECKLESS, TOME 3 : ELIMINER LES MONSTRES (Ed Brubaker / Sean Phillips)


Los Angeles, 1988. Ethan Reckless approche de la quarantaine et il se sent vieillir. D'autant plus qu'il s'est brouillé avec Anna, son assistante. Il se souvient de leur rencontre en 1979 quand il la surprit en train de s'introduire dans le El Ricardo, son cinéma, avant d'apprendre que le père de cette adolescente en fut le projectionniste.


Aujourd'hui, donc, leur relation a de l'eau dans le gaz : Anna s'est maquée avec un certain Dimitri que Reckless ne peut pas sentir et elle a même emménagé avec lui à l'autre bout de la ville. Les affaires s'en ressentent jusqu'à ce qu'on l'informe que Isaac Presley veut le rencontrer. Il veut se venger d'un nommé Gerad Runyan, promoteur immobilier véreux et ancien associé de feu son père.


Reckless réussit à convaincre Anna de revenir l'assister, profitant d'une crise dans son couple. Ensemble, ils filent Runyan puis un de ses complices qu'ils font chanter après découvert qu'il trompait sa femme. Allen Kraft accepte de trahir Runyan et l'enquête prend une tournure très glauque où Reckless va méjuger des éléments clés qui pourraient leur coûter cher, à lui et Anna...


"Hé, mais, l'autre, il nous fait une critique du tome 3 après le tome 1 ? Où est-ce qu'elle est la critique du tome 2 ?" vous écriez-vous certainement. La réponse est simple et est indépendante de ma volonté : comme je l'ai dit précédemment, je n'ai pas acheté les albums de cette série mais je les ai empruntés à la médiathèque et le tome 2 n'était pas disponible (à moins qu'il n'ait pas été acheté, comme les 4 et 5...). 


Mais, je veux vous rassurer tout de suite, on peut très bien passer du tome 1 au 2 sans problème, sans avoir manqué quoi que ce soit d'essentiel. En tout cas, moi, j'ai tout compris et je crois que Ed Brubaker a pensé chaque tome comme une histoire indépendante, dont seuls les deux protagonistes (Ethan Reckless et Anna) ne changeaient pas.


Et puis, chose que je n'avais pas encore mentionnée, Brubaker en concevant Reckless avec Sean Phillips a voulu non seulement passé d'une série à épisodes publiés mensuellement à une série de romans graphiques, mais à un rythme très soutenu : en effet, les trois premiers tomes sont sortis en vo la même année !
  

J'espère quand même pouvoir lire le tome 2 bientôt et les suivants dans la foulée. Même si, fondamentalement, la prise de risque par les auteurs est proche du zéro. On trouve dans Destroy all Monsters strictement les mêmes procédés narratifs que dans le premier album de Reckless, à un point tel que Brubaker et Phillips ne s'en cachent pas : c'est une formule.

Mais c'était aussi la formule appliquée à bien des séries noires qui ont inspiré le projet initial de Brubaker. C'est même inscrit dans l'ADN de Reckless, le type qui résout des problèmes pour vous quand la police ne le peut pas (parce qu'on ne lui fait pas confiance surtout). Il y a bien quelques nuances dans cette nouvelle histoire, mais plus cosmétiques qu'autre chose.

La plus importante de ces différences avec le tome précédent réside dans la relation - et sa mise en scène - entre Ethan et Anna. L'enquête qu'ils vont mener donne une place plus importante, et même cruciale à Anna. D'ailleurs, une partie importante du scénario consiste à renouer les liens entre Anna et Ethan plutôt qu'à investiguer.

L'action se situe 8 ans après le premier album. Reckless approche de la quarantaine (et incidemment cela nous permet de situer son année de naissance). A la dernière page, on le voit même, vieillard, en train de taper à la machine ce qu'il semble être ses Mémoires, dont cette intrigue fait partie. Anna, elle, a alors 25 ans.

Passée la scène d'ouverture, l'utilisation des flashbacks domine la construction du récit. Reckless se souvient d'abord des circonstances dans lesquelles il fit la connaissance de son assistance, alors qu'elle était une ado fugueuse et passionnée de cinéma, s'introduisant dans le bâtiment du El Ricardo dont elle avait la clé puisque son défunt père en fut le projectionniste.

Elle accepte de travailler pour Ethan en échange d'un toit et d'un salaire (elle ne veut pas rentrer chez sa mère qui couche avec n'importe qui pour oublier qu'elle est veuve et qu'elle a une fille à charge). Mais donc, en 1988, rien ne va plus entre Ethan et Anna : cette dernière n'est plus une gamine et elle est amoureuse. Sauf que son mec ne plait pas du tout à Reckless et cela créé un clash entre eux.

Malgré tout, ils vont quand même travailler ensemble sur une nouvelle sombre et méandreuse affaire concernant un promoteur immobilier. Brubaker traite ce dossier de manière parfois étonnamment désinvolte alors que dans la postface il assure s'être beaucoup documenté sur le sujet et que le résultat est quasiment un reportage sous couvert de fiction.

On sent pourtant nettement, tout du long, que ce qui lui importe le plus, c'est bien d'orchestrer la réconciliation de ses deux héros. Comme il n'y a aucune romance entre Anna et Reckless, cela se passe de manière bien plus subtile. Et d'ailleurs à la fin, Ethan se met en retrait, offrant en cadeau le El Ricardo à sa protégée comme une récompense mais surtout comme un héritage légitime.

Ce qui manque cruellement d'originalité, c'est le fond de l'affaire : Brubaker ne nous épargne aucun cliché, entre promoteur immobilier véreux, vengeance d'un fils, affairistes et politiciens partouzards, etc. C'est "tous pourris", sans aucune nuance là. A force de vouloir faire noir, le scénariste sombre dans la facilité avec des méchants dénués de tout relief, et en prime un twist assez grotesque à la fin.

Evidemment, on a encore droit à une voix off omniprésente, ce truc facile dont surjoue Brubaker pour aller plus vite sans se casser les noix à rédiger des dialogues pour affiner la psychologie ou les interactions entre ses personnages. Après ça, on dira de Bendis ou de Tom King qu'ils sont des auteurs bavards, mais Brubaker l'est finalement bien plus qu'eux.

Graphiquement Sean Phillips, en revanche, rend une copie moins convenue, s'appuyant moins sur les ombres, surjouant moins le côté nocturne. Avec les couleurs délicates de son fils Jacob, le résultat, ce sont des planches plus lumineuses donc, et qui atténue le côté complaisamment sordide du récit. Le découpage demeure classique, très efficace, servant le script plutôt que de chercher à en augmenter les parti-pris. 

En fait, Reckless est décevant si on veut commencer à découvrir l'oeuvre de Brubaker & Phillips parce que leur travail ici est tout de même ici à la limite de l'autocaricature. En enchaînant trop vite des récits trop classiques, Reckless s'épuise tout seul. Et ses auteurs aussi. Dommage pour une équipe de ce calibre avec une telle réputation de qualité.

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