jeudi 30 janvier 2025

MOON KNIGHT : FIST OF KHONSHU #4 (Jed MacKay /Devmalya Pramanik)


Après ses déconvenues récentes (les médias l'accusent d'être un gourou vendeur de drogue), Moon Knight est tourmenté par ses personnalités multiples (Steven Grant et Jack Lockley) qui le poussent à réagir. Mais il refuse de mettre davantage en danger ses amis...


Alors, là, je vais acte de contrition. Non pas que je vais tout excuser à Marvel, qui ne donne pas beaucoup de raisons d'être satisfait de leurs productions, mais s'il y a bien une série que vous devez lire (ou dont vous devez guetter la traduction), c'est ce Moon Knight : Fist of Khonshu - et par extension tout le run de Jed MacKay sur le personnage.


Ne cherchez pas : vous ne trouverez pas mieux chez Marvel en ce moment. C'est fantastiquement bien écrit par un auteur qui maîtrise le personnage sur le bout des doigts, c'est superbement dessiné (par l'artiste principal ou ses fill-in), c'est accessible sans prérequis. Bref, c'est un sans faute imparable. Et s'il fallait le prouver, ce quatrième épisode serait parfait pour ça.


Par où commencer ? Peut-être par le dessin. Alessandro Cappuccio qui dessinait la série régulièrement depuis le début du run de Jed MacKay, a été retiré de la série pour s'occuper des pages de Ultimate Wolverine - une sorte de promotion, puisque, évidemment, Wolverine est un héros plus populaire que Moon Knight. Mais un sacré croche-pied pour Moon Knight.


Sauf que Marvel a rappelé Devmalya Pramanik pour le remplacer : ce dernier avait largement contribué à la mini-série précédant Fist of Khonshu, Vengeance of Moon Knight, et sa prestation a visiblement dissipé tous les doutes sur ca capacité à assumer le rôle de titulaire (même si Domenico Carbone, qui a fait la transition entre Cappuccio et lui, reviendra jouer les doublures).

Et bon sang, quelle trouvaille ! Pramanik sort d'entrée le grand jeu : les planches qu'il produit sont tout bonnement géniales, avec un découpage fabuleux, une mise en scène avec des compositions dynamiques, une énergie grisante. Ajoutez-y les couleurs de Rachelle Rosenberg, et vous avez un grand épisode, qui tourne la page Cappuccio avec une sacrée allure.

Ensuite, il y a le scénario : pour ce troisième volume sous sa direction, MacKay a décidé d'en faire voir de toutes les couleurs à Moon Knight, n'hésitant pas à raser ce que lui-même, comme auteur, avait établi. Adieu la Midnight Mission (ce bâtiment vivant repaire de MK et sa bande). Les alliés de MK ? Menacés de mort ! Et MK lui-même ?

Hé bien, au tout début de cet épisode, on le trouve prostré, totalement effrayé par ce qui se passe. Achilles Fairchild, un dealer et patron de night club, a réussi le coup parfait : il a soudoyé une inspectrice de police qui a un mandat d'arrêt contre Moon Knight et ses partenaires, il a avec lui une garde du corps qui a neutralisé la Midnight Mission, les médias pensent que le héros est en réalité un gourou et un trafiquant de drogue !

Moon Knight n'a pas peur pour lui, mais pour ses amis, qui sont devenus des cibles vivantes par sa faute et celle de Fairchild. Tigra ? Il lui a avoué que Hank Pym, son ex-amant et père de sa fille, était toujours en vie après le lui avoir longtemps caché : elle lui en veut donc suffisamment pour ne plus savoir si elle doit rester à ses côtés. Et sa nouvelle planque, une ancienne du SHIELD, est envahie par le super-vilain Vermine et sa horde !

On pourra arguer que l'épisode en soi n'est pas d'une folle densité, monopolisant plusieurs planches pour un affrontement épique, et dégageant tous les seconds rôles (à l'exception de l'inspectrice Frazier dans une scène à couper au couteau). Mais entre le retour des personnalités multiples de Moon Knight (un gimmick peu utilisé par MacKay jusque-là) et le contexte, il y a quand même de quoi faire.

On aimerait que MacKay soit aussi inspiré ailleurs (même si on me dit qu'il y a vraiment du mieux sur Avengers, avec un dessinateur bien meilleur et régulier - faudra que j'essaie de vérifier ça). On aimerait surtout que Marvel soit aussi en verve, dans une période dramatiquement faible en bonnes histoires.

Il y a des talents encore chez Marvel, mais on a le sentiment qu'ils sont mal utilisés (quand ils sont utilisés !), et surtout un manque total de vision d'ensemble. C'est la grande différence avec DC actuellement et un fossé abyssal s'est creusé entre les les Big Two. On ne peut pas considérer Moon Knight comme le signe d'un sursaut, mais on peut au moins compter sur sa série pour trouver une lecture de grande qualité chez son éditeur.

SUPERMAN : LEX LUTHOR SPECIAL #1 (of 1) (Joshua Williamson / Eddy Barrows)


Pour permettre à Superman de vaincre Brainiac il y a quelque temps, Lex Luthor a utilisé son génie mais perdu la mémoire ensuite. Cependant, tout le monde se charge de lui rappeler les horreurs qu'il a commises par le passé et il ne souhaite plus guérir de son amnésie, préférant saisir la nouvelle chance qui s'offre à lui d'être un homme meilleur. A moins qu'on ait besoin du génie maléfique qu'il incarne...


Après le one-shot Superwoman Special dont je vous ai parlé hier, voici venu le tour de Superman : Lex Luthor Special, un autre numéro unique en marge de la série régulière Superman, également écrite par Joshua Williamson. Le résumé ci-dessus vous renseignera sur la situation particulière de l'ex-ennemi du man of steel depuis qu'il a aidé ce dernier à repousser une énième attaque de Brainiac.


Lex Luthor est donc devenu amnésique mais cela ne signifie pas qu'il ignore qui il a été auparavant puisque tout le monde, à SuperCorp comme dans la rue, se charge de lui rappeler quel horrible personnage il fut. Dans ces conditions, malgré les sollicitations de sa fille Lena, il n'est pas motivé pour se rétablir, songeant qu'il tient là une opportunité pour être quelqu'un de bien.


Quand Joshua Williamson hérite de la série Superman, pour laquelle il a droit à un relaunch, Luthor est incarcéré. C'est lui qui, dans les pages d'Action Comics, écrit alors par Philip Kennedy Johnson, vient de tuer le magicien Manchester Black pour que plus personne ne sache que Clark Kent est Superman, comme l'avait voulu Brian Michael Bendis lors de son run.


Seul donc Luthor et Lois Lane savent que la double identité du gardien de Metropolis. Luthor assume son geste et accepte sa détention, allant même jusqu'à mettre ses gigantesques ressources au service de son ancien adversaire pour lui permettre de lutter plus efficacement contre ce qui menace leur ville. Williamson établit en effet que, avant l'arrivée de Superman dans la cité, Luthor ambitionnait d'en être le champion.

Malgré l'énormité de cette retcon et du partenariat entre Superman et Luthor, Williamson construit alors une première intrigue très efficace. C'est un peu comme si Wilson Fisk décidait de financer la lutte contre le crime de Daredevil, mais ça passe étonnamment bien. Parce que le scénariste n'oublie pas de montrer le doute permanent chez Superman, la méfiance de Lois, la perplexité de Mercy Graves (la directrice par intérim de Lex Corp devenu SuperCorp).

Et il faut bien reconnaître que si ça fonctionne, c'est aussi parce que le génie de Luthor associé aux pouvoirs de Superman forment une paire impressionnante. Jusqu'au sacrifice de Luthor face à Brainiac, qui change encore la donne pour transformer Lex en quasi-handicapé. Williamson développe intelligemment son idée pour que le lecteur croit à l'envie de Lex de devenir meilleur.

Dans ce one-shot, le scénariste revient sur la disparition de Darkseid après son attaque dans la Tour de Guet de la Justice League. Mister Terrific a étudié les conséquences de ce qui s'est produit mais se heurte à un mur qu'il rechigne à abattre car cela l'effraie. En revanche, si un homme supérieurement intelligent comme lui mais dénué de cette peur s'y attaquait...

Donc, il a besoin de Luthor, mais cela suppose : 1/ que ce dernier veuille l'aider et 2/ que pour cela, il redevienne l'être détestable et dangereux qu'il était. Un vrai cas de conscience, pour l'intéressé en premier lieu. En tout cas, le propos est captivant : doit-on renoncer à son humanité, à sa bonté, pour élucider un mystère ?

La fin de ce récit, que je ne vais pas spoiler, offre une réponse suffisamment ambigüe pour que le lecteur ne sente pas floué, pris pour un imbécile à qui on donne une issue trop simple. Mais cependant, si, par curiosité, vous tombez sur les sollicitations de DC Comics pour Avril prochain, évitez de lire les textes accompagnant la présentation du crossover We are Yesterday car, eux, vous diront ce que Luthor va devenir... Pour le coup, c'est dommage que l'éditeur (et les couvertures de Dan Mora) dévoilent cette partie.

Au dessin de ce one-shot, on trouve celui qui succédera bientôt à Dan Mora sur la série Superman : il s'agit de l'artiste brésilien Eddy Barrows (de son vrai nom Eduardo Barros), un fidèle parmi les fidèles de DC, pour qui il a signé des planches sur Freedom Fighters, Birds of Prey, Teen Titans, Detective Comics, Action Comics et... Superman déjà.

Son style réaliste et détaillé est mis en valeur par l'encrage précis de son collaborateur de longue date Eber Ferreira, avec les couleurs d'Adriano Lucas. Certains n'aiment pas du tout, jugeant ça inutilement chargé, avec des expressions chez les personnages un peu figées. Pour ma part, je juge que Barrows est un dessinateur à la technique très solide mais qui manque effectivement de dynamisme.

Cependant, on ne peut que s'incliner devant les efforts qu'il consacre à chacune de ses pages et vignettes. C'est aussi cela qui l'empêche de produire beaucoup d'épisodes à la file. Le personnage de Superman lui convient parfaitement, et il donne à Luthor, ici, une humanité assez touchante, ce qui est raccord avec la volonté de Williamson. Des pages en noir et blanc, pour des flashbacks sur l'enfance de Lex, ponctuent le récit et sont de toute beauté, quasiment des gravures.

On peut trouver ce one-shot, comme celui sur Superwoman, un peu frustrant, mais Williamson se sert de ce format pour suggérer des éléments qu'il développera plus tard. Il ne s'agit donc pas de livrer une histoire complète mais bien de teaser le futur de Superman. Et il s'annonce captivant.

mercredi 29 janvier 2025

SUPERWOMAN SPECIAL #1 (of 1) (Joshua Williamson / Edwin Galmon, Laura Braga, Nikola Cizmesija)


Lois Lane essaie, sans succès, de rédiger un article sur la tentative par Amanda Waller de neutraliser les super-héros. Elle reçoit la visite des deux Supergirl (Kara Zor-El et Lana Lang) qui l'invitent à se changer les idées en traquant quelques criminels. Pendant qu'elles patrouillent à travers le monde, Lois récapitule les événements ayant conduit à la découverte de ses super-pouvoirs et son enquête pour en déterminer l'origine...


Je commence donc cette nouvelle salve de critiques par un one-shot paru au mois de Décembre dernier et que j'avais oublié dans ma pile à lire. Je me suis souvenu de l'existence de ce Superwoman Special après avoir reçu mon exemplaire de Superman : Lex Luthor Special #1 sorti aujourd'hui et dont je vous causerai imminemment sous peu, promis.


En marge de la série Superman, Joshua Williamson a donc écrit deux one-shots pour revenir sur deux faits marquants dans les intrigues qu'il a développées depuis qu'il s'occupe de ces personnages. Et donc, en premier lieu sur Lois Lane qui est récemment devenue Superwoman. Mais dans quelles circonstances ?


La réponse ne tarde pas : tout cela découle évidemment d'Absolute Power, l'event de Mark Waid et Dan Mora, dont la principale conséquence a été que plusieurs super-héros ont vu leurs pouvoirs disparaître ou être échangés avec leurs camarades (comme par exemple Fire et Ice ou Plastic Man et Panthom Girl). 


Cela s'est produit lorsque Green Arrow, en tirant une flèche sur un des androïdes Amazo au service d'Amanda Waller : tous reliés, et ayant absorbé les pouvoirs des héros, quand l'un a été court-circuité, tous les autres ont été hors service. Mais les pouvoirs en se libérant ne sont pas tous revenus à leur propriétaire. Et encore quand ils sont revenus (Barry Allen a carrément perdu son lien avec la Force Véloce par exemple).

Au moment de cet assaut final, Lois Lane, apprenant que son mari se trouvait sur l'île de Gamorra, a voulu s'y rendre et, pour cela, a emprunté une armure de SuperCorp, histoire d'aller plus vite. Mais en route, l'armure a connu un bug et ramené Lois à bon port. Inexplicablement, ensuite, elle a découvert, par hasard, qu'elle était dotée de pouvoirs similaires à ceux de Superman... Bien que celui-ci ait recouvré ses capacités surhumaines.

D'abord réticente à se confier à ce sujet, elle s'en est remise à l'expertise de Mercy Graves, la directrice de SuperCorp, qui lui a conseillé de ne pas utiliser ses pouvoirs avant de nouvelles analyses. Mais Lois n'a pas obéi et a fini par en parler à Clark Kent... Puis donc aux deux Supergirl.

Joshua Williamson, sur la forme, propose un récit bien rythmé, et les échanges entre Lois, Kara et Lana sont bien troussées : ces dernières s'étonnent que Lois soit allée voir Mercy Graves avant de leur en parler et cette réaction est légitime dans la mesure où Mercy a été l'assistante de Lex Luthor, donc sujette à caution.

Ensuite, le scénariste montre qu'il n'a pas transformé Lois en Superwoman par caprice : l'arc actuellement en cours de parution de Superman la met en scène aux côtés de ce dernier et on la voit s'adapter rapidement à sa nouvelle condition, sans pour autant être trop grisée. Visiblement, Williamson compte jouer là-dessus pendant un bon moment, même si je ne crois pas que Superwoman soit faite pour durer.

Car, si ce one-shot peut frustrer en n'apportant pas de réponse claire sur l'origine des pouvoirs pendant la majeure partie de sa quarantaine de pages, il ne faut cependant pas zapper l'épilogue qui révèle à qui ses pouvoirs appartiennent et donc à qui Lois les doit, même si c'est par accident. Je ne vais bien sûr pas vous spoiler, mais cela annonce le retour d'un personnage emblématique, qui, pour le coup, aura des raisons légitimes d'être contrarié... Mais sans savoir comment une telle situation peut se régler !

C'est donc assez malin, même si c'est tout de même un peu long. 40 pages comme je le disais, là où la moitié, ou disons une trentaine auraient largement suffi. Williamson n'est pourtant pas du genre, d'après ce que j'ai lu de lui, à trop décompresser, mais disons que, sur ce coup, surtout vers la fin, il y a franchement quelques scènes en trop.

Est-ce pour cela qu'il a fallu pas moins de trois dessinateurs pour compléter ce numéro spécial ? Edwin Galmon, qui signe aussi la couverture, réalise les planches 1 à 7 puis 9 à 21 et 25 à 28 : le résultat est excellent, même si la numérisation de son dessin pourra en incommoder certains avec des couleurs un peu vitrifiées.

Laura Braga, à contrario, semble avoir été sollicitée uniquement pour boucher des trous, sans doute parce que Galmon était à la bourre : elle signe les pages 8 et 29. C'est trop peu pour juger de leur qualité, mais au moins elles ne jurent pas avec celles de Galmon, tout en ayant leur propre style.

Enfin, et c'est là qu'on touche au gros point noir de l'affaire, parce que cela concerne des pages surnuméraires et surtout vraiment pas très belles, Nikola Cizmesija s'occupe des planches 22 à 24 et 30 à 40. Je trouve que c'est vilain, et là, honnêtement, ça tranche trop avec le reste pour ne pas choquer. Dommage.

On préférera retenir de tout ça que Joshua Williamson est un scénariste très malin avec un plan pour Superman, qu'il a revivifié par sa manière de l'appréhender sans complexe. Scott Snyder a vraiment eu du nez puisque Williamson, comme James Tynion IV, était un de ses poulains. Mais le scénariste a su s'émanciper, grandir, sans plus rien devoir à son mentor.

lundi 27 janvier 2025

The Complete FRIDAY (Ed Brubaker / Marcos Martin)


Kings Hill, Noël. Friday Fitzhugh revient dans son patelin natal durant ses vacances universitaires. A peine arrivée, elle est attendue par son ami Lancelot Jones et le shérif Bixby. Ni une, ni deux, les voilà à crapahuter dans le froid et la neige au coeur de la forêt pour tenter de retrouver Weasel Wadsworth, le fils d'un notable local. Quand ils mettent la main dessus, il grave une inscription cryptique sur un arbre et Friday le maîtrise avec difficulté. Il est conduit à l'hôpital psychiatrique le plus proche.


Friday, elle, rentre chez elle, auprès de sa mère et de sa tante. Elle se souvient de sa première rencontre avec Lancelot, maltraité par des garçons de sa classe, et qui l'engagea comme garde du corps après qu'elle les ait corrigés. Ensemble, ils deviennent détectives amateurs et aident la police à résoudre plusieurs affaires locales. Mais lorsqu'elle part en ville poursuivre ses études à la fac, Lancelot coupe les ponts. Friday sort en douce cette nuit-là pour avoir une explication avec Lancelot.

Le blizzard se lève et Friday croise en chemin le Père Poole et son chien French Fry. Lorsqu'elle arrive à la cabane qui servait de quartier général à leur tandem, elle trouve Lancelot mort, assassiné, et l'endroit en feu. Elle le tire dehors avant d'être assommée. Au petit matin, l'inspectrice Trice Cross s'est déplacée de Knightbridge County pour prendre l'affaire en charge. Rapidement, elle classe le dossier, concluant à un accident, ce que refuse d'admettre Friday. Après plusieurs jours à pleurer son ami, la jeune femme se ressaisit et va voir le père de Lancelot, le gardien du phare de Kings Hill.


Celui-ci lui remet alors un paquet que lui destinait Lancelot. De retour chez elle, Friday découvre un journal tenu par son ami dans lequel il consignait ses enquêtes. Récemment, il s'était intéressé à Peter Gerrard, un fils de bonne famille. Elle le prend en filature jusqu'à l'Arcadian Club où il rejoint l'inspectrice Cross et le père de Weasel Wadsworth. Friday s'introduit dans le bâtiment pour écouter leur conversation.


Elle découvre dans un cache indiquée dans les notes de Lancelot une montre puis entend parler d'un complot en lien avec une légende locale, la Dame de Lumière. Mais la curiosité de Friday préoccupe Wadsworth qui commande à Cross de les tuer, elle, sa mère et sa tante. Friday tente de devancer l'inspectrice qu'elle affronte chez elle et tue. Le shérif Bixby n'a d'autre choix que de l'arrêter et de l'incarcérer dans une cellule du poste de police. C'est alors que Friday a l'idée d'actionner le mécanisme de la montre et, là, tout bascule...


Récemment, j'ai eu l'occasion d'emprunter les trois tomes (ou "livres" comme ils sont intitulés) de la mini-série Friday, traduits en France par Glénat. Ce projet a d'abord été disponible sur la plateforme PanelSyndicate, fondée par Brian K. Vaughan et Marcos Martin, où on paie la somme qu'on souhaite pour lire des webcomics, puis repris en albums par Image Comics en vo. 


Marcos Martin, comme il l'explique dans une des postfaces, a commencé à travailler sur ce projet en 2020 alors qu'il traversait une période difficile. On peut deviner qu'il avait des problèmes financiers puisqu'il ne travaille plus guère pour les Big Two, sauf pour signer quelques variant covers (même si, au mois d'Avril, il dessinera un épisode de Absolute Batman), et que les productions PanelSyndicate ne doivent pas l'enrichir.

Brian K. Vaughan occupé ailleurs, Martin a pu compter sur Ed Brubaker avec qui il avait jadis collaboré sur un Annual de Captain America pour composer une nouvelle oeuvre. Le scénariste a, lui aussi, pris ses distances avec Marvel et DC, mécontent d'avoir été spolié financièrement pour la création du personnage de Winter Soldier quand celui-ci a été exploité au cinéma.

Depuis, et même avant, Brubaker a aligné une impressionnante série de succès avec son comparse Sean Phillips en continuant leur magnum opus Criminal, puis Fatale, Fondu au noir, Kill or be killed, Reckless... Mais visiblement, il avait envie de sortir un temps de sa zone de confort et aussi de s'essayer au récit young adult en souvenir de ses lectures de jeunesse (Roal Dahl, Daniel Pinkwater).

Martin, emballé par le concept, a designé les personnages et le décor en s'inspirant des films de Wes Anderson, des paysages de la Nouvelle-Angleterre et de toute la littérature qui inspirait Brubaker. On peut d'ailleurs voir ses études préliminaires en bonus dans les albums - je ne sais pas pour vous, mais je suis toujours friand de ces coulisses.

Le résultat, ce sont neuf épisodes (dont le dernier fait une cinquantaine de pages à lui seul) tout à fait dépaysants et d'une qualité assez épatante. En vérité, Brubaker ne s'est pas contenté d'une histoire pour la jeunesse, il a réfléchi aux codes mêmes qui établissent ces intrigues et a construit un récit qui raconte à la fois l'amitié entre une jeune fille et un garçon motivés pour résoudre des crimes et comment, après des années de séparation, ils se retrouvent, dans des circonstances rapidement dramatiques.

Il y a deux dimensions dans Friday : d'abord l'apprentissage, et ensuite l'enquête. Sur ce dernier point, Brubaker emploie tout son savoir-faire mais en ne s'en contentant pas. J'avoue que si, au début, j'étais assez client de Criminal, ça m'a vite lassé parce que l'excès de voix off, de poncifs issus de la série noire, de protagonistes archétypaux, me donnaient le sentiment que Brubaker exploitait un filon.

En revanche, quand il sortait des sentiers battus, comme avec Fatale (où l'horreur fantastique s'invitait), Incognito (où le super-héros revenait), Velvet (superbe hommage au genre espionnage), là, je renouais avec l'auteur que j'avais tant aimé sur Captain America, DaredevilWinter Soldier, Secret Avengers. Autant dire qu'avec Friday, j'ai été heureusement surpris par l'imprévisible choix narratif choisi.

Et c'est là qu'on parle de récit d'apprentissage, car, au fond, c'est surtout ça, il me semble, qui fait le vrai charme de Friday. Dans les toutes dernières pages de cette aventure, sans rien spoiler de l'issue de l'intrigue, on voit l'héroïne extrapoler son existence adulte, enquêtant encore et toujours, à l'université, puis devenant une détective à part entière, embarquée dans des péripéties de plus en plus échevelées. 

Ces quelques vignettes donnent évidemment envie d'une suite - ce à quoi Brubaker n'est pas fermé, mais en même temps pas disposée avant un certain temps (autant dire qu'on n'est pas prêt de la lire, vu son emploi du temps). Mais surtout, ça confirme que le plus important dans tout ça, ce sont bien les personnages.

Friday comme Lancelot sont des adulescents mal dégrossis : ils ont entamé leur relation, on l'imagine, en fantasmant sur des cas mystérieux, puis se sont pris au jeu, se sont avérés si efficaces qu'ils ont aidé la police, et ont acquis un réputation, certes locale, mais solide. Puis Friday a connu son premier amour (avec Danny Buttons) avec lequel elle a perdu sa virginité...

Et c'est ce qui l'a faite réfléchir à ses liens avec Lancelot. L'aimait-il ? Il n'en était pas sûr lui-même, alors ils ont tenté de coucher ensemble pour le vérifier - une catastrophe. Peu après, Friday s'est envolée pour la ville, l'université, et c'en était fini du duo Fizthugh-Jones. Pourtant, quand elle revient au bercail, à la faveur des vacances d'hiver cette année-là, Lancelot l'accueille comme si de rien n'était et l'entraîne aussitôt sur sa nouvelle enquête.

La suite, comme le résumé ci-dessus vous la renseigne, est une suite de péripéties endiablées. A la fin du premier Livre, Lancelot meurt dans des circonstances aussi tragiques que mystérieuses. Friday pleure son ami, mais alors qu'elle paraît ne jamais pouvoir s'en relever, trouve dans le fait que l'affaire soit vite classé la motivation pour renouer avec sa vocation d'investigatrice.

Brubaker ne recule devant aucun coup de théâtre, s'amusant avec des éléments folkloriques (la Dame de Lumière est une variation de la légende de la Dame en Blanc), des clichés romanesques (le voyage dans le temps). Des monstres, une dague magique, un complot, et un palet de hockey sur glace plus tard, et le tour est joué. Mais avec l'impression d'avoir traversé l'histoire à bord d'un train fantôme ou dans un wagon de montagnes russes.

Marcos Martin est un artiste devenu bien trop rare pour ne pas savourer ses planches. Celui qui aurait pu devenir, sans problème, une superstar des comics, notamment pour sa version magnifique de Spider-Man (durant le run de Dan Slott), a pris les chemins de traverse, en version ultra-indépendante. Une orientation audacieuse, sans doute la plus radicale depuis David Mazzucchelli.

Surtout, comme je le disais plus haut, avant Friday, Martin était dans une mauvaise passe. Et on sent surtout un dessinateur ravigoté, totalement engagé dans ce qu'il fait, passionné par le sujet, les personnages, l'ambiance. Ses découpages témoignent de son inventivité intacte et son trait est toujours d'une élégance folle, avec des compositions incroyablement harmonieuses et baroques à la fois.

Marcos Martin, c'est un peu le mix entre Steve Ditko (son idole) et Jim Steranko : un immense formaliste donc, mais qui ne sacrifie jamais la narration, sa limpidité, sa clarté, sa lisibilité. C'est encore un magnifique designer : Kings Hill n'existe pas, c'est une synthèse fantasmé de plusieurs décors, un carrefour de références, mais en suivant Friday dans cette ville et ses environs, on croirait visiter une de ces petites localités américaines comme on en voit chez Stephen King ou Wes Anderson.

Il y a un côté rétro, vintage, provincial, mais nimbé d'une atmosphère inquiétante, accentuée par le temps neigeux, le blizzard. Les scènes nocturnes, nombreuses, sont somptueusement mises en valeur par Munsta Vicente, la coloriste et épouse de Martin, qui, sans jamais forcer le trait, avec des à-plats, réussit à imprégner l'histoire d'une aura particulière, unique, inoubliable.

Quand le fantastique prend pratiquement toute la place, grâce à Martin et Vicente, on ne sombre jamais dans le ridicule, le grotesque, ça ne paraît jamais bizarre par rapport à la partie enquête classique. Tout ici est sous le signe de la nuance, c'est remarquable d'intelligence, de bon goût. Il a fallu trois années pour compléter ces neuf épisodes, mais vu le résultat, on comprend pourquoi. La qualité est à ce prix, ce n'est pas du comic-book ordinaire, c'est plus ambitieux, personnel, singulier.

Malgré sa fantaisie et ce mélange entre aventure et gravité par moments, Friday est une oeuvre aboutie, qui parvient au plus délicat : rendre attachant les lieux, les personnages, et faire honneur à ceux qu'elles saluent, au genre qu'elle visite. Allez, Brubaker, écris-nous une suite, ne serait-ce que pour le plaisir de relire des pages illustrées par Martin !

samedi 25 janvier 2025

THE MAGIC ORDER 5 #4 (of 6) (Mark Millar / Matteo Buffagni)


Qui est vraiment Clyde Bailey, ce magicien qui vient en aide à Cordelia Moonstone alors que sa fin est prophétisée et qui finit par coucher avec elle ? C'est ce qu'il va lui raconter, tandis que la Communauté de la Cloche dirigée par Samuel Mott sacrifie un jeune garçon aux déesses du Nord, du Sud, de l'Est et de l'Ouest pour réveiller d'anciens dieux piégés jadis par l'Ordre Magique...


Commençons par... La fin. Pas la fin de cet épisode, rassurez-vous, mais la fin de The Magic Order : le mois prochain, comme convenu, sortira le cinquième et pénultième épisode, puis il faudra attendre Avril pour lire le dénouement à la fois de ce cinquième volume et de toute la saga. Pourquoi ce délai ? Mark Millar, d'habitude si bavard, n'a fourni aucune explication. En tout cas, le dernier numéro de The Magic Order ne sera même pas un épisode double.


Mais, bon, je ne vais pas jouer les impatients car, en vérité, j'aurai bien aimé que ça continue. Tout en félicitant Millar de savoir mettre un point final, en beauté j'espère, à sa saga. Quand je vois ce qu'il en est de Jupiter's Legacy, qui n'en finit pas de finir, avec des artistes qui se succèdent, sans jamais égaler (mais était-ce seulement possible ?) Frank Quitely...


Cet épisode est divisé en deux parties distinctes : la première et la plus consistante revient sur les origines de Clyde Bailey, ce personnage énigmatique apparu dans ce cinquième volume. Jusqu'à présent, c'est surtout sa dégaine qui a marqué les esprits : coiffé d'un chapeau Stetson, moustachu, il fait plus penser à un post-cowboy qu'à un magicien, mais il en impose spontanément.


Il s'est posé en garde du corps de Cordelia Moonstone, jurant à celle-ci qu'elle échapperait à la mort auquel un ancien et puissant sort qu'elle jeta pour tirer de la tombe sa famille (dans le volume 1) la condamne tel une malédiction. En effet, depuis, ses frères, son père, sa mère, tous y sont passés. Quant à l'Ordre Magique dont elle est devenue la chef, il a été décimé.

Garde cu corps donc, Clyde Bailey a poussé le devoir jusqu'à devenir l'amant de Cordelia comme on le découvre ici. On le sait, la jeune femme a toujours eu faible pour les bad boys mais aussi les hommes qui se sacrifiaient pour la protéger. Maintenant, Clyde Bailey est-il si fort que ça ?

Millar lui brosse une histoire qui prouve encore que le scénariste sait y faire pour dresser le portrait d'un personnage ambigu mais charismatique en diable. Sauvé par un démon après un accident de la route, il en est devenu l'instrument et a commis son lot de massacres au nom d'une justice occulte et violente. Jusqu'à ce qu'il tente de maîtriser ce qui le possédait et se fasse arrêter, juger et condamner à mort.

En attendant son exécution, dans sa cellule de prison, Bailey a réussi à dominer son démon. La chaise électrique n'a pas non plus eu raison de lui et après vingt ans à l'ombre, il a été libéré. Depuis, il s'efforce de se racheter. Et sa mission la plus importante est donc que Cordelia soit épargnée. Mais ses ennemis s'agitent en coulisses, notamment la Communauté de la Cloche de Samuel Mott...

De toutes les séries qu'a créées Mark Millar en indépendant, The Magic Order, malgré des volumes inégaux, est celle qui tient le mieux la route car c'est celle qui a proposé les intrigues les plus cohérentes, les plus solides, les plus accrocheuses, jusqu'à ce dénouement. Ses personnages sont attachants, car le goût de l'écossais pour la provocation facile est mineur.

C'est clair, comme Cordelia, il y a deux Millar : celui qui répète complaisamment ses erreurs comme un sale gosse qui ne retient aucune leçon sous prétexte qu'il a le droit et les moyens de faire ce qu'il veut : et puis celui qui se donne de la peine pour rappeler au monde qu'il est un prodigieux raconteur d'histoires, à l'imagination féconde, qui aime les comics plus que tout. C'est ce Millar-là qui écrit The Magic Order.

L'autre indice permettant d'être affirmatif sur ce point se trouve dans ses collaborateurs. Loin de moi l'idée de dire que les autres dessinateurs avec lesquels il travaille sont moins bon, mais sur The Magic Order, c'est un sans-faute. Il aurait souhaité garder Coipel, mais il a fallu le remplacer et il a convaincu Immonen, Cavenago, Ruan et Buffagni.

Matteo Buffagni, comme ses prédécesseurs sur le titre, a pour lui une technique solide, un sens de la narration sans pareil, un style affirmé et surtout une manière de contenir les excès de Millar. Par exemple, quand on voit les abominations commises par Clyde Bailey, Buffagni ne tombe pas dans le piège de les rendre trop graphiquement racoleuses : il sait trouver la bonne distance et la scène y gagne une classe folle.

Contrairement à beaucoup d'artistes que Millar a su attirer, comme Rafael Albuquerque, Matteo Scalera, Greg Capullo, John Romita Jr., Pepe Larraz, le dessin de Buffagni ne fonctionne pas sur le nerf, mais sur une élégance racée. Tout y est merveilleusement dosé et je pense que, sachant cela, Millar se contient. 

Pour la plupart des dessinateurs, travailler avec Millar revient à bénéficier de conditions de travail et d'une exposition exceptionnelles. Buffagni, contrairement à tous ceux que j'ai cités, n'était pas une vedette quand Millar s'est adjoint ses services. Mais ça ne veut pas dire qu'il n'était qu'un exécutant au service d'un auteur vedette. Il a su imprimer sa marque, subtilement, et redonner de la tenue au script. Seuls les meilleurs, les plus intelligents, les plus rigoureux savent le faire.

C'est pour cela que, encore une fois, ce duo fonctionne tellement bien, peut-être le meilleur partenaire qu'ait eu Millar (avec Quitely) sur la durée. Souhaitons : 1/ que la fin de The Magic Order soit à la hauteur, et 2/, surtout, qu'elle ne marque pas la fin du tandem Millar-Buffagni.

SUPERMAN #22 (Joshua Williamson / Dan Mora)


L'armée de la planète Calaton, autrefois ravagée par Doomsday, exige par la voix de son chef qu'on lui remette le monstre détenu dans les locaux de SuperCorp. Tout refus entraînera des représailles telles que Superman et ses proches en feront les frais. Evidemment, la situation ne peut que dégénérer dans des proportions insoupçonnées...


DC a décidé de sortir l'artillerie lourde en prévision de la sortie du film Superman de James Gunn, en Juillet prochain : on aura droit à un numéro spécial Summer of Superman, à une nouvelle série régulière (Superman Unlimited) écrite par Dan Slott et dessinée par Rafael Albuquerque en plus d'Action Comics et du titre Superman (adjectiveless), sans oublier Absolute Superman qui cartonne.


Et dire que, il n'y a pas si longtemps, certains fans pensaient que Superman était ringard, dépassé par Batman ! Ce retour en force du man of steel me fait plaisir car cela prouve que, quand des auteurs s'approprient le personnage sans être impressionné par son aura, son passé, il n'y a aucune raison qu'il soit considéré comme démodé.


Il ne faudra pas, au moment des réjouissances, oublier de féliciter Joshua Williamson qui a réussi là où Peter J. Tomasi puis Brian Michael Bendis ont quelque peu échoué en appréhendant Superman non plus comme une icone mais simplement comme un personnage avec lequel on pouvait encore raconter des histoires sans s'en faire une montagne.


Je ne veux pas dire que Tomasi ou Bendis ont été mauvais durant leurs runs, mais il faut bien reconnaître que le premier a hérité d'un Superman qui n'était pas tout à fait Superman (rien que d'y penser, j'ai la migraine) et que le second voulait tellement honorer la dimension unique du personnage qu'il a surtout fait n'importe quoi avec le meilleur de ce qu'avait apporté Tomasi (je pense ici évidemment au vieillissement de Jon Kent, qui a occulté tout son passage sur la série).

Pendant que Philip Kennedy Johnson tâchait dans Action Comics d'effacer l'autre twist choc de Bendis (Superman ayant révélé au monde sa double identité), Williamson a hérité de Superman avec la volonté affichée de l'écrire simplement, comme un super-héros (presque) normal, bousculant juste ce qu'il fallait (dans sa relation avec Lex Luthor notamment, puis plus récemment avec Lois).

Que reste-t-il au fond ? Le plaisir de lire Superman face à des intrigues qui savent le remettre en danger. De ce point de vue, cette histoire avec Doomsday et le Time Trapper puis maintenant l'armée de Calaton et Radiant est un concentré parfait de la démarche de Williamson : l'action est très présente, très efficace, mais n'oublie ni les personnages, ni le lecteur.

Le plus étonnant, et le plus réussi, c'est que ça reste accessible, même si vous n'avez pas lu le début du run. Evidemment, il y a des éléments ça et là qui peuvent dérouter si vous n'êtes pas à jour (comme l'amnésie de Luthor, consécutive au crossover House of Brainiac). Mais dès que j'aurai du temps (disons, dans deux semaines, je pense), je préparerai une rétrospective des arcs précédents que je me suis procurés.

Les rebondissements à l'oeuvre ici sont spectaculaires et aboutissent à un numéro percutant, mouvementé. Il y a de la puissance, de l'ampleur, et les dessins de Dan Mora les traduisent idéalement. Autant j'avais trouvé que sur son bref passage sur Detective Comics (quand Mariko Tamaki écrivait le titre) il maîtrisait bien Batman, autant avec Superman il a la main sur un héros qui lui convient mieux car il peut lui donner toute sa vigueur.

J'ai spoilé un peu le coup de théâtre de cet épisode avec la double page ci-dessus, qui montre Superman faire équipe avec Doomsday contre Radiant et son armée. Mais je peux vous promettre que ça ne gâche en rien l'issue de ce chapitre où Superwoman est confrontée à un terrible dilemme. Et puis, si je n'avais pas montré ça, ça n'aurait été qu'un sursis puisque le prochain épisode garantit de le dévoiler et je n'aurai pas pu le cacher.

Il reste que, s'il y en a, ceux qui n'aiment pas Dan Mora, les temps sont durs car rien que cette semaine, on en a eu une double dose (avec Justice League Unlimited). Que ces grincheux se rassurent, le #23 est le dernier qu'il dessine (après quoi Eddy Barrows prend le relais) et, comme je l'ai dit dans la critique de JLU, Mora sera absent tout le mois d'Avril durant le crossover We are yesterday (mois funeste dont sera aussi absent Batman and Robin : Year One...).

Mais il me semble quand même difficile de faire la fine bouche. Williamson nous régale. Et Mora est en feu. Vivement la suite !

vendredi 24 janvier 2025

THE TIN CAN SOCIETY #5 (of 9) (Peter Warren / Francesco Mobili)


La bande réussit à géolocaliser l'armure de Caliburn et Adam reconnaît l'adresse. Tandis qu'ils se rendent sur place, sans se douter que Hillary Cross, la veuve de Johnny Moore, les a l'oeil, Val se souvient que ce dernier l'avait dépossédé d'un bon nombre de ses idées pour ses prothèses et son armure...


Est-ce que, par hasard, je vous ai déjà dit que The Tin Can Society est la meilleure mini-série actuelle, chez un éditeur indépendant (et même peut-être en général) ? Oui, je sais que je vous l'ai dit, mais je vais me répéter parce que c'est exceptionnel que, numéro après numéro, non seulement la qualité ne baisse pas, ne stagne pas, mais monte encore d'un cran.


Cet épisode en témoigne. Peter Warren pourrait se contenter de dérouler sa pelote et déjà, ce serait éblouissant car l'intrigue, car les personnages, car le mélange des genres, car l'imprévisibilité de l'intrigue, etc. Sauf que non : le scénariste développe ses idées, enrichit la trame et le résultat est d'une telle force, d'une telle densité qu'on est littéralement sur le cul.


Jusqu'à présent la figure de Johnny Moore était comme idéale : handicapé, génial, juste, amoureux, c'était un héros dont la mort suscitait un sentiment d'injustice poignant chez le lecteur comme chez ses amis. Pourtant, on savait qu'il avait déconné lors d'une patrouille dans l'armure de Caliburn, mais même ça n'entachait pas sa réputation. Il avait déconné, oui. Mais qui n'a jamais déconné ?


Et puis c'était un accident dont il ignorait le terme exact, pour lequel il s'était efforcé d'être, encore une fois, juste, de se racheter. La monstruosité de son assassinat surpassait en quelque sorte son erreur la plus dramatique et, pour tous, cela ne suffisait pas à justifier son atroce décès. Mais, et si Johnny Moore avait commis quelque chose de vraiment dégueulasse, indigne ?

C'est ce qu'on découvre dans cet épisode. Il n'a pas fait quelque chose d'innommable mais il s'est mal comporté envers un de ses amis, peut-être même son ami le plus précieux, celui avec lequel il a conçu ses prothèses révolutionnaires qui préfigurèrent l'armure de Caliburn. Cet ami, c'est Val, le dernier membre de la Société de la Boîte de conserve qu'on n'avait pas encore eu le loisir de connaître vraiment.

Aujourd'hui, Val est un professeur dans un lycée, mais dès l'adolescence, c'était un bricoleur inventif qui complétait à merveille ce que concevait Johnny. Ensemble ils fabriquèrent des prothèses pour ce dernier. Ensemble ils fondirent la société de Johnny et Val consentit à rester en retrait, n'ayant que peu de goût pour tout ce qui était de vendre un produit et conscient surtout que Johnny était celui qui devait être sur le devant de la scène.

Val devint l'ingénieur de Johnny, celui qui dirigeait les recherches de sa boîte, et évidemment quand Caliburn apparut, Val comprit qui était dans l'armure de ce super-héros. Entre temps, l'entreprise fit la fortune de Johnny et quand Val, qui en possédait des actions, exigea que sa participation soit valorisée, il essuya un refus cinglant. Et une humiliation terrible.

Parce que Johnny, anticipant sans doute cette situation, s'était mis en quête d'un remplaçant pour Val. Sans le lui dire. C'est cela, sans doute, qui eut raison de leur amitié, plus que l'argent, la reconnaissance. Le fait que Johnny le considérait comme interchangeable. Quand Johnny est mort, cela faisait trois ans que lui et Val ne se parlaient plus.

L'épisode ne s'attarde pas sur un quelconque ressentiment de Val. Ce qui s'est passé, l'assassinat, le vol de l'armure, a pris toute la place. Et il n'est pas question pour Val d'en profiter. A la rigueur, ce qui le préoccupe le plus, c'est de récupérer l'armure de Caliburn avant que son voleur n'en fasse un mauvais usage. Et, de ce point de vue, il va jouer un rôle déterminant dans l'expédition de la bande...

Peter Warren ajoute une couche à son récit en montrant que Hillary Cross surveille la bande, elle sait tout de leurs mouvements, de leurs découvertes, et emploie un service de sécurité très zélé, qui va faire du vilain... Mais ce n'est rien en comparaison du cliffhanger, étourdissant, de l'épisode. Encore une fois, on ne voit rien venir, encore une fois, la table est renversée.

Sur tout cela, Francesco Mobili, avec le coloriste Chris Chuckry (vraiment le top du top, du même niveau que Jordie Bellaire par rapport à Alvaro Martinez Bueno pour The Nice House...), produit des planches absolument sublimes. Ce que je j'observe encore une fois à travers le cas de cet artiste, c'est à quel point Marvel a été nul avec lui : ne jamais lui avoir proposé quelque chose de décent, susceptible de valoriser son immense talent, a quelque chose d'incompréhensible, de sidérant...

Ce n'est pas le premier à avoir été complètement négligé de la sorte : quand Michael Lark a terminé son run sur Daredevil (écrit alors par Ed Brubaker), Marvel l'a inexplicablement laissé choir. Matteo Buffagni, que Mark Millar a su exploiter avec intelligence et perspicacité, pareil. Mobili est de ce niveau-là : un dessinateur extraordinaire que Marvel n'a pas su du tout considérer.

Aujourd'hui quand je vois Marvel débaucher tous les dessinateurs italiens possibles, mais souvent sans le niveau minimum requis, je reste stupéfait que Buffagni, Mobili et même Valerio Schiti (qui doit se contenter d'épisodes d'Avengers de temps en temps) aient été ou soit si mal traités... Et c'est encore plus désolant d'en parler pour vanter le travail de Mobili sur The Tin Can Society.  

Il est de bon ton, dans les comics, de dire qu'on vient pour les dessins et qu'on reste pour le scénario. Mais dans le cas présent, c'est bien l'union des deux qui distingue cette mini-série magistrale, qu'un éditeur français serait bien avisé d'acquérir les droits parce que, je le répète, c'est un chef d'oeuvre.

DETECTIVE COMICS #1093 (Tom Taylor / Mikel Janin)


Avec la Bat-family, Batman met à l'abri des adolescents de la maison de correction visés par le tueur, mais, conscient qu'il ne peut les retenir, il les équipe de vêtements connectés grâce auxquels ils seront géolocalisables. Cependant, il apprend que le Pingouin a mis un contrat sur le tueur, ce qui a attiré à Gotham plusieurs mercenaires...
 

Si Tom Taylor fait comme sur Nightwing des arcs narratifs de cinq épisodes, alors ce troisième chapitre de Detective Comics marque un point de bascule dans l'histoire qu'il nous raconte, et c'est bien ce qu'on observe. Le tout est emballé avec la même maîtrise affichée par le scénariste depuis qu'il écrit le titre historique de Batman (d'ailleurs, sur la couverture on peut lire "Batman in Detective Comics" au cas où ça aurait échappé au lecteur...).


Il arrive souvent qu'un éditeur offre à un auteur une série comme un pari sur sa capacité à l'assumer. Je suis à peu près sûr que c'est ainsi que Tom King se vit proposer Batman en son temps, succédant à Scott Snyder au départ de l'ère DC Rebirth. Puis il arrive, plus rarement, qu'un auteur soit fait pour une série et c'est peut-être alors une évidence pour l'éditeur.


Je pense que c'est le cas pour Tom Taylor et Detective Comics : bien entendu, écrire Batman, c'est une promotion pour un scénariste, une consécration, la garantie d'être sous les feux des projecteurs (et des critiques !) mais aussi de signer pour un run assuré de bien se vendre car Batman reste le héros le plus populaire de DC. Après, donc, il faut assumer ce statut, s'en montrer digne aussi.


Dans le cas qui nous intéresse, c'est similaire à ce que fait Joshua Williamson sur Superman : Taylor ne semble pas impressionné par le défi qu'il relève, il ne se montre pas écrasé par l'ombre de Batman, qu'il aborde avec un regard frais et la volonté à la fois de lui faire honneur sans excès de déférence. D'où ce sentiment de lire une série dénuée de lourdeur.

Cet épisode vaut, en quelque sorte, surtout (mais pas que) pour l'affrontement tant attendu entre Batman et le tueur d'enfants, dont on apprend qu'il s'appelle Asema. Cette information est communiquée par le Pingouin qui a mis un contrat sur cet assassin et après que Batman ait interrogé un des mercenaires attiré par la prime.

On comprend qu'Asema est une femme à sa morphologie, mais n'allez pas croire qu'elle ne met pas en difficulté Batman. Leur combat est fulgurant, violent, et s'achève rapidement sur la défaite du dark knight ! Mais plus étonnant encore, cela va avoir des conséquences inattendues pour Bruce Wayne... Et sans doute pour toute sa Bat-family.

Car Taylor a l'intelligence d'utiliser les nombreux disciples de Batman dans son intrigue : d'abord pour assurer la sécurité des gamins visés par la tueuse, ensuite lorsqu'on apprend que tous, à commencer par Robin (Damian Wayne) mènent aussi leur enquête pour identifier le tueur. Taylor joue d'ailleurs avec nos nerfs, paraissant nous indiquer qui est cette méchante... Mais sans qu'on puisse en être sûr (cela semble trop évident pour être certain).

Il évoque à nouveau le passé de la compagne de Joe Chill, l'assassin de Thomas et Martha Wayne, dans une scène poignante. Comme dans tous les cas où un scénariste retconne les origines d'un héros, surtout aussi emblématique que Batman, on trouvera certainement à redire. Mais pour ma part, j'estime que Taylor s'y prend fort bien et ce qu'il ajoute là n'abîme rien - au contraire, elle donne du poids à la tragédie.

Mikel Janin, lui aussi, tient la grande forme. Son plaisir à redessiner Batman, et tout ce qui va avec, l'environnement urbain, les nombreux seconds rôles, l'action, mais aussi les personnages inédits créés pour l'occasion, est manifeste.

Comme désormais il assume dessin, encrage et colorisation, Janin maîtrise parfaitement sa narration graphique. Ses planches sont parmi les plus belles qu'il ait produites, avec un soin apporté à l'ambiance intense et tendue correspondant à l'histoire. C'est vraiment une renaissance pour l'artiste espagnol que DC a su relancer, au lieu de laisser végéter ou en le condamnant à dessiner des séries sans envergure.

On ne peut que se réjouir de la qualité de cette production, tout en notant bien qu'elle se confond avec un paquet de séries publiées par DC actuellement : Jim Lee n'a jamais été mon dessinateur favori, mais en tant que directeur créatif, ce qu'il accomplit aujourd'hui est tout de même impressionnant d'intelligence.

jeudi 23 janvier 2025

JUSTICE LEAGUE UNLIMITED #3 (Mark Waid / Dan Mora)


Un méga incendie ravage la forêt amazonienne et plusieurs membres de la JLU sont envoyés sur place. Mais Superman découvre que le feu a une nature magique et Zatanna, Dr. Occult et Xanthe Zhou arrivent en renfort. Pendant ce temps, Plastic Man et Phantom Girl, dont les pouvoirs ont été intervertis, reçoivent l'aide des deux Atom..


DC vient d'annoncer qu'au mois d'Avril prochain Justice League Unlimited et Batman/Superman : World's Finest, deux séries écrites par Mark Waid partageraient une aventure commune en six parties (qui se terminera en Mai) : We Are Yesterday. Waid sera aux commandes, mais Dan Mora se contentera de signer les couvertures (qui seront connectées pour les trois premiers numéros).


Si je commence cette critique par là, c'est parce qu'à l'occasion de ce crossover, on découvrira, nous promet l'éditeur, qui se cache derrière l'organisation Inferno (mais également les origines de la Legion of Doom), qui est au coeur une nouvelle fois de cet épisode de Justice League Unlimited. Mark Waid a la patate et il compte bien prouver qu'à 65 ans il ne se repose pas sur ses lauriers.


C'est aussi la confirmation de deux choses le concernant : 1/ depuis son retour chez DC, le scénariste a retrouvé son mojo (avec pas moins de trois séries en cours actuellement : JLU, World's Finest et Batman and Robin : Year One, sans compter le retour de la mini Superman : The Last Days of Lex Luthor que Bryan Hitch a fini de dessiner).


Et : 2/ DC compte sur Waid, même si celui-ci ne se pose pas en architecte du nouveau statu quo (il semble d'ailleurs que l'éditeur ne confie plus à un seul auteur les clés de sa continuité, comme ce fut le cas avec Geoff Johns, Scott Snyder puis Joshua Williamson). Comme Waid s'appuie sur des artistes de première classe, il est à la fête.

Et ce regain de forme trouve sa forme la plus concrète dans Justice League Unlimited, parce que non seulement la série marque le retour de la Ligue des Justiciers donc, dans une formule très spectaculaire, mais surtout parce que ce titre semble quand même résumer la philosophie de DC All-In, littéralement une formule tout compris, intégrale de ce qu'est l'univers DC maintenant.

Pour la deuxième fois donc en trois mois, Inferno est au centre des problèmes de cette JLU, cette fois avec un incendie gigantesque qui dévaste la forêt amazonienne. Evidemment, impossible de ne pas penser aux feux qui ravagent actuellement la Californie, même si on se dispensera d'y voir une espèce de prophétie de la part de Waid (qui a dû écrire ce numéro il y a un moment, et aussi parce que ces catastrophes touchent régulièrement la région).

L'épisode abandonne sa formule done-in-one car il se termine sur un cliffhanger assez saisissant pour un personnage - c'est aussi pour cela que l'annonce du crossover We Are Yesterday d'Avril prochain prend tout son sens : ce qu'on nous raconte aujourd'hui s'inscrit dans la durée avec une échéance. 

C'est donc riche en action et si Waid convoque encore des personnages déjà là précédemment (Superman, Wonder Woman, Star Sapphire, Dr. Occult), il en appelle d'autres (Aquaman, Airwave,Stargirl, S.T.R.I.P.E., Shazam, Flash et surtout Zatanna - dont peut lire une preview de sa prochaine mini, qui démarre le mois prochain -et Xanthe Zhou, héroïne créée par Alyssa Wong et Haining dans la mini Spirit World de 2023).  

J'apprécie que le scénariste respecte le principe d'une Justice League qui ne se résume pas aux vedettes de l'équipe. D'autant que cela lui permet de ne pas perdre de vue le subplot concernant le traître dans les rangs de sa JLU : on ignore toujours ce qui le motive et/ou pour qui il fait ce qu'il fait, mais c'est très bien exécuté. Le lecteur a un temps d'avance (puisqu'il sait qui est le traître) sans tout savoir non plus.

Le mobile d'Inferno est formulé (la vengeance), mais il reste suffisamment flou quant à sa raison pour que même une grosse tête comme Mr. Terrific reste dans l'interrogation (et ce, même si ce dernier comprend quand même ce que cet incendie vise vraiment). C'est malin et franchement jubilatoire : dans le registre super-héroïque, JLU est une sorte de masterclass que feraient bien d'étudier des auteurs de la concurrence...

Et puis il y a Dan Mora. C'est un phénomène : si son absence du futur crossover peut étonner, il ne faut pas oublier que le garçon turbine sur deux mensuels simultanément (celui-ci et Superman), et actuellement c'est un des très rares à pouvoir assumer une telle charge de travail sans baisser en qualité. Et de la qualité, il y en a ici.

Certes, ce à quoi font face les héros ne relève pas de l'ordinaire (pas de baston homérique, pas de vilain à tabasser), mais Mora fait preuve de plus de lisibilité dans son découpage que sur le premier épisode où, avec une situation semblable, le résultat était nettement plus brouillon. 

Ces maladresses sont compensées largement par son aisance à s'approprier n'importe quel personnage, à lui donner des poses charismatiques, à intensifier les moments les plus dramatiques (cf. ce qui arrive à Dr. Occult). Là encore, on est gâté et surtout DC a de la chance de disposer d'un tel artiste - le seul à mon avis, en ce moment, à pouvoir animer un tel team book (même si Pete Woods sur Titans n'est pas en reste).

Ne croyez pas que le cas du Limier Martien soit oublié : Batman est à sa recherche. C'est une seule page mais elle est absolument magnifique. 

Je ne veux pas la jouer DC contre Marvel, mais force est de constater la supériorité artistique écrasante de l'éditeur aux deux lettres en ce moment sur le super-héros. Même dans le classique, comme ici, on a Waid, on a Mora, on a des héros qui ne font pas leur âge, on a des histoires captivantes, on a une production superbe. On a, en bref, tout ce qu'on a pas/plus chez Marvel. Tout simplement.