Ayant échappé de peu à une noyade, Batman rentre, avec Robin, à son manoir. Peu après Laura Lyn, des services sociaux, s'y présente pour s'assurer que Dick se porte bien et que Bruce s'en occupe sérieusement. Le soir venu, Batman, seul, rend visite au général Grimaldi...
Que dire ? Lire chaque mois un nouvel épisode de cette mini-série ne me donne qu'un seul regret : qu'il ne s'agisse que d'une mini-série. Autant certains aspects de Batman/Superman : World's Finest du même Mark Waid me dérangeait parce que je savais que les histoires ne pouvaient pas se permettre de bousculer la continuité, autant ici je m'en fiche royalement.
Pourquoi ? Tout simplement parce que, déjà, ce que nous raconte Waid, on ne l'a jamais lu, alors qu'on croyait pourtant tout savoir des débuts de Batman et Robin. Mais à la rigueur, c'est accessoire. J'irai même plus loin : on s'en fiche de cet Année Un de Batman et Robin, de l'intrigue avec le général Grimaldi. Ce sera peut-être passionnant à la longue, mais pour le moment, peu importe.
Car ce qui emballe dans cette série est ailleurs, et je défie quiconque de ne pas être charmé, enthousiasmé par cet ailleurs. En fait, ce qui est génial, ce n'est pas l'année 1 de Batman et Robin, mais plutôt l'année 1 de Bruce Wayne et Dick Grayson. Et ça, parce qu'on ne l'avait pas vu venir, c'est encore plus réjouissant.
C'est peut-être subjectif, mais quand on devient, par la force des choses, les années passant, un "vieux" lecteur de comics, qui en a lu un paquet, qui s'est arrêté d'en lire, puis qui a replongé, ce qui finit par compter, ce n'est plus tant le folklore qui entoure les comics de super-héros, c'est ce qui se passe à la marge. Ou, disons-le autrement, ce qui peut encore surprendre avec des personnages octogénaires.
Si je suis honnête, Batman, Robin et tout le reste de cet univers, ça ne représente pas/plus grand-chose pour moi. Bon, il reste des intrigues intéressantes, le savoir-faire de certains auteurs, le talent de certains artistes, mais en vrai, c'est secondaire : Batman va affronter un vilain, il va gagner (parfois difficilement), et puis au suivant.
En plus Batman, le dark knight, le caped crusader, le solitaire, tout le monde a compris que c'était une grosse arnaque. Le gars, c'est un pilier de la Justice League, il a créé les Outsiders, il a dirigé sa Justice League of America, il a monté les Arkham Knights : c'est un solitaire quand il le veut bien. Mais c'est du flan : au-delà de toutes ces formations, il y a la Bat-family, avec les Robin, Nightwing, Oracle, Batwoman, le Signal, les Batgirls, Red Hood, et même, tiens, James Gordon...
Robin, c'est le sidekick originel, qui deviendra le chef des Teen Titans, des New Teen Titans, des Titans, qui remplacera Bruce Wayne dans le costume de Batman, c'est l'amant d'Oracle, de Starfire, c'est devenu récemment le symbole du DCU (le héros lumineux, positif, incarnant l'espoir). Bref, c'est l'autre facette de la médaille Batman, son contraire et son complément à la fois.
Mais avec ce Batman and Robin : Year One, Waid avec Chris Samnee (crédité comme co-plotter, c'est-à-dire co-auteur de l'intrigue), on voit bien depuis quatre mois que ce qui les motive, les intéresse, les passionne, les amuse, c'est d'abord Bruce et Dick quand ce dernier est adopté par le premier et devient son partenaire en même temps que son fils adoptif.
Cet épisode est clairement découpé en trois segments : la suite directe du cliffhanger de l'épisode précédent, une séquence avec Laura Lyn (des services pour l'enfance), et la visite de Batman au général Grimaldi. Le premier et le troisième segments sont d'une efficacité redoutable, imparable, merveilleusement ouvragés, aussi bien pour l'écriture que pour le dessin.
Mais là où, réellement, Waid et Samnee se surpassent, c'est dans la séquence au manoir Wayne lors de la visite matinale de Laura Lyn. Celle-ci vient s'assurer, à l'improviste (le meilleur moyen pour découvrir si quelque chose cloche sans que ses interlocuteurs soient préparés), que tout se passe bien pour Dick Grayson, que Bruce Wayne est sérieux.
Et c'est un pur régal. Rien que pour ces pages, il faut lire cette série. C'est irrésistible, drôle, enlevé, merveilleusement caractérisé, contextualisé. Je vais vous dire : c'est du Lubitsch, du Wilder, c'est de la grande screwball comedy, c'est étincelant, virtuose. C'est ce que j'ai envie de lire dans du super-héros, c'est intelligent, malicieux. Vraiment extraordinaire.
Voyez, sur Youtube, récemment, je visionnais des retours de lecture sur la revue X-Men lancée par Panini Comics à l'occasion de la relance de la franchise. Et beaucoup de ces reviews disent la même chose : "c'est pas fou", c'est pas bien écrit, pas bien caractérisé, ça n'arrête pas de faire référence non seulement à Krakoa mais même à des trucs antérieurs, ça veut faire branché avec des vannes, des clins d'oeil pop, et c'est juste insupportable. C'est la plaie des comics : toujours regarder dans le rétro, toujours se sentir obligé de rappeler qui est qui, quand ça se passe, d'où ça sort. Arrêtez avec ça, arrêtez de regarder en arrière, pensez à aujourd'hui et demain. Ou alors appuyez-vous sur hier de manière abordable et constructive, pour rebondir.
Aucune spontanéité. Batman and Robin : Year One, c'est l'opposé absolu. Oui, ça se passe dans le passé, mais Waid et Samnee ne font jamais d'allusion à la continuité, c'est plus frais que tout ce poisson avarié, plus spontané, plus abordable.
Et c'est un comble de se rendre compte que ça arrive avec une histoire racontant les débuts de Batman et Robin, des personnages qui ont 80 ans d'existence. C'est dingue de se dire que Mark Waid, 63 ans, et Chris Samnee, 45 ans, font une BD qui est vraiment plus amusante, plus accessible, que Jed MacKay, 42 ans, et Ryan Stegman, 44 ans, avec X-Men !
Je ne dis pas que tout est mauvais en comparaison, mais juste que Waid et Samnee ne flattent pas un public cible (celui des vieux lecteurs ou des newbies) : pour eux, ce qui compte, c'est d'abord, ostensiblement, de faire une BD qui soit divertissante, belle, abordable, efficace. Ils ne sont pas là pour nous dire à quelle point la mention Year One est primordiale pour leur projet, mais pour nous prouver qu'on peut encore écrire et dessiner Batman et Robin avec la même fraîcheur qu'à l'origine.
Et pour ça, ils inventent une intrigue, qui vaut ce qu'elle vaut pour l'instant, pas révolutionnaire, mais sympa, contrebalancé par un amour des personnages, des héros. Ici, pas de dark knight (ou alors pour en sourire), pas de über Batman, pas de Robin traumatisé, pas de pathos. Pas non plus de volonté de flatter une frange particulière du lectorat. Juste le souci de faire un bon comic-book, fun et captivant.
Puis, ces planches de Samnee, bon sang ! Ce mec est un génie : tout est fluide, vous n'avez aucun effort à faire pour lire ça, ce n'est pas surchargé de détails inutiles, le découpage est magnifique (cette scène où Batman manque de se noyer, sans un mot !), les personnages sont expressifs (sans grimacer, sans surjouer), les couleurs sont superbes. C'est sublime.
Samnee n'est jamais là pour épater la galerie : il est très bon (plus que ça même), mais il ne se la pète pas. Résultat : non seulement chaque page fonctionne du tonnerre, mais l'épisode entier est une masterclass. Vous voulez savoir comment un comic-book fonctionne ? Vous voulez apprendre à dessiner un comic-book ? Lisez du Samnee ! C'est limpide, c'est magistral, ça coûte pas cher, et ça ne vous prend jamais de haut.
J'ai pas aimé cet épisode, je l'ai adoré. J'adore cette série. ET je le répète, ça devrait durer plus que douze épisodes.
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