lundi 27 janvier 2025

The Complete FRIDAY (Ed Brubaker / Marcos Martin)


Kings Hill, Noël. Friday Fitzhugh revient dans son patelin natal durant ses vacances universitaires. A peine arrivée, elle est attendue par son ami Lancelot Jones et le shérif Bixby. Ni une, ni deux, les voilà à crapahuter dans le froid et la neige au coeur de la forêt pour tenter de retrouver Weasel Wadsworth, le fils d'un notable local. Quand ils mettent la main dessus, il grave une inscription cryptique sur un arbre et Friday le maîtrise avec difficulté. Il est conduit à l'hôpital psychiatrique le plus proche.


Friday, elle, rentre chez elle, auprès de sa mère et de sa tante. Elle se souvient de sa première rencontre avec Lancelot, maltraité par des garçons de sa classe, et qui l'engagea comme garde du corps après qu'elle les ait corrigés. Ensemble, ils deviennent détectives amateurs et aident la police à résoudre plusieurs affaires locales. Mais lorsqu'elle part en ville poursuivre ses études à la fac, Lancelot coupe les ponts. Friday sort en douce cette nuit-là pour avoir une explication avec Lancelot.

Le blizzard se lève et Friday croise en chemin le Père Poole et son chien French Fry. Lorsqu'elle arrive à la cabane qui servait de quartier général à leur tandem, elle trouve Lancelot mort, assassiné, et l'endroit en feu. Elle le tire dehors avant d'être assommée. Au petit matin, l'inspectrice Trice Cross s'est déplacée de Knightbridge County pour prendre l'affaire en charge. Rapidement, elle classe le dossier, concluant à un accident, ce que refuse d'admettre Friday. Après plusieurs jours à pleurer son ami, la jeune femme se ressaisit et va voir le père de Lancelot, le gardien du phare de Kings Hill.


Celui-ci lui remet alors un paquet que lui destinait Lancelot. De retour chez elle, Friday découvre un journal tenu par son ami dans lequel il consignait ses enquêtes. Récemment, il s'était intéressé à Peter Gerrard, un fils de bonne famille. Elle le prend en filature jusqu'à l'Arcadian Club où il rejoint l'inspectrice Cross et le père de Weasel Wadsworth. Friday s'introduit dans le bâtiment pour écouter leur conversation.


Elle découvre dans un cache indiquée dans les notes de Lancelot une montre puis entend parler d'un complot en lien avec une légende locale, la Dame de Lumière. Mais la curiosité de Friday préoccupe Wadsworth qui commande à Cross de les tuer, elle, sa mère et sa tante. Friday tente de devancer l'inspectrice qu'elle affronte chez elle et tue. Le shérif Bixby n'a d'autre choix que de l'arrêter et de l'incarcérer dans une cellule du poste de police. C'est alors que Friday a l'idée d'actionner le mécanisme de la montre et, là, tout bascule...


Récemment, j'ai eu l'occasion d'emprunter les trois tomes (ou "livres" comme ils sont intitulés) de la mini-série Friday, traduits en France par Glénat. Ce projet a d'abord été disponible sur la plateforme PanelSyndicate, fondée par Brian K. Vaughan et Marcos Martin, où on paie la somme qu'on souhaite pour lire des webcomics, puis repris en albums par Image Comics en vo. 


Marcos Martin, comme il l'explique dans une des postfaces, a commencé à travailler sur ce projet en 2020 alors qu'il traversait une période difficile. On peut deviner qu'il avait des problèmes financiers puisqu'il ne travaille plus guère pour les Big Two, sauf pour signer quelques variant covers (même si, au mois d'Avril, il dessinera un épisode de Absolute Batman), et que les productions PanelSyndicate ne doivent pas l'enrichir.

Brian K. Vaughan occupé ailleurs, Martin a pu compter sur Ed Brubaker avec qui il avait jadis collaboré sur un Annual de Captain America pour composer une nouvelle oeuvre. Le scénariste a, lui aussi, pris ses distances avec Marvel et DC, mécontent d'avoir été spolié financièrement pour la création du personnage de Winter Soldier quand celui-ci a été exploité au cinéma.

Depuis, et même avant, Brubaker a aligné une impressionnante série de succès avec son comparse Sean Phillips en continuant leur magnum opus Criminal, puis Fatale, Fondu au noir, Kill or be killed, Reckless... Mais visiblement, il avait envie de sortir un temps de sa zone de confort et aussi de s'essayer au récit young adult en souvenir de ses lectures de jeunesse (Roal Dahl, Daniel Pinkwater).

Martin, emballé par le concept, a designé les personnages et le décor en s'inspirant des films de Wes Anderson, des paysages de la Nouvelle-Angleterre et de toute la littérature qui inspirait Brubaker. On peut d'ailleurs voir ses études préliminaires en bonus dans les albums - je ne sais pas pour vous, mais je suis toujours friand de ces coulisses.

Le résultat, ce sont neuf épisodes (dont le dernier fait une cinquantaine de pages à lui seul) tout à fait dépaysants et d'une qualité assez épatante. En vérité, Brubaker ne s'est pas contenté d'une histoire pour la jeunesse, il a réfléchi aux codes mêmes qui établissent ces intrigues et a construit un récit qui raconte à la fois l'amitié entre une jeune fille et un garçon motivés pour résoudre des crimes et comment, après des années de séparation, ils se retrouvent, dans des circonstances rapidement dramatiques.

Il y a deux dimensions dans Friday : d'abord l'apprentissage, et ensuite l'enquête. Sur ce dernier point, Brubaker emploie tout son savoir-faire mais en ne s'en contentant pas. J'avoue que si, au début, j'étais assez client de Criminal, ça m'a vite lassé parce que l'excès de voix off, de poncifs issus de la série noire, de protagonistes archétypaux, me donnaient le sentiment que Brubaker exploitait un filon.

En revanche, quand il sortait des sentiers battus, comme avec Fatale (où l'horreur fantastique s'invitait), Incognito (où le super-héros revenait), Velvet (superbe hommage au genre espionnage), là, je renouais avec l'auteur que j'avais tant aimé sur Captain America, DaredevilWinter Soldier, Secret Avengers. Autant dire qu'avec Friday, j'ai été heureusement surpris par l'imprévisible choix narratif choisi.

Et c'est là qu'on parle de récit d'apprentissage, car, au fond, c'est surtout ça, il me semble, qui fait le vrai charme de Friday. Dans les toutes dernières pages de cette aventure, sans rien spoiler de l'issue de l'intrigue, on voit l'héroïne extrapoler son existence adulte, enquêtant encore et toujours, à l'université, puis devenant une détective à part entière, embarquée dans des péripéties de plus en plus échevelées. 

Ces quelques vignettes donnent évidemment envie d'une suite - ce à quoi Brubaker n'est pas fermé, mais en même temps pas disposée avant un certain temps (autant dire qu'on n'est pas prêt de la lire, vu son emploi du temps). Mais surtout, ça confirme que le plus important dans tout ça, ce sont bien les personnages.

Friday comme Lancelot sont des adulescents mal dégrossis : ils ont entamé leur relation, on l'imagine, en fantasmant sur des cas mystérieux, puis se sont pris au jeu, se sont avérés si efficaces qu'ils ont aidé la police, et ont acquis un réputation, certes locale, mais solide. Puis Friday a connu son premier amour (avec Danny Buttons) avec lequel elle a perdu sa virginité...

Et c'est ce qui l'a faite réfléchir à ses liens avec Lancelot. L'aimait-il ? Il n'en était pas sûr lui-même, alors ils ont tenté de coucher ensemble pour le vérifier - une catastrophe. Peu après, Friday s'est envolée pour la ville, l'université, et c'en était fini du duo Fizthugh-Jones. Pourtant, quand elle revient au bercail, à la faveur des vacances d'hiver cette année-là, Lancelot l'accueille comme si de rien n'était et l'entraîne aussitôt sur sa nouvelle enquête.

La suite, comme le résumé ci-dessus vous la renseigne, est une suite de péripéties endiablées. A la fin du premier Livre, Lancelot meurt dans des circonstances aussi tragiques que mystérieuses. Friday pleure son ami, mais alors qu'elle paraît ne jamais pouvoir s'en relever, trouve dans le fait que l'affaire soit vite classé la motivation pour renouer avec sa vocation d'investigatrice.

Brubaker ne recule devant aucun coup de théâtre, s'amusant avec des éléments folkloriques (la Dame de Lumière est une variation de la légende de la Dame en Blanc), des clichés romanesques (le voyage dans le temps). Des monstres, une dague magique, un complot, et un palet de hockey sur glace plus tard, et le tour est joué. Mais avec l'impression d'avoir traversé l'histoire à bord d'un train fantôme ou dans un wagon de montagnes russes.

Marcos Martin est un artiste devenu bien trop rare pour ne pas savourer ses planches. Celui qui aurait pu devenir, sans problème, une superstar des comics, notamment pour sa version magnifique de Spider-Man (durant le run de Dan Slott), a pris les chemins de traverse, en version ultra-indépendante. Une orientation audacieuse, sans doute la plus radicale depuis David Mazzucchelli.

Surtout, comme je le disais plus haut, avant Friday, Martin était dans une mauvaise passe. Et on sent surtout un dessinateur ravigoté, totalement engagé dans ce qu'il fait, passionné par le sujet, les personnages, l'ambiance. Ses découpages témoignent de son inventivité intacte et son trait est toujours d'une élégance folle, avec des compositions incroyablement harmonieuses et baroques à la fois.

Marcos Martin, c'est un peu le mix entre Steve Ditko (son idole) et Jim Steranko : un immense formaliste donc, mais qui ne sacrifie jamais la narration, sa limpidité, sa clarté, sa lisibilité. C'est encore un magnifique designer : Kings Hill n'existe pas, c'est une synthèse fantasmé de plusieurs décors, un carrefour de références, mais en suivant Friday dans cette ville et ses environs, on croirait visiter une de ces petites localités américaines comme on en voit chez Stephen King ou Wes Anderson.

Il y a un côté rétro, vintage, provincial, mais nimbé d'une atmosphère inquiétante, accentuée par le temps neigeux, le blizzard. Les scènes nocturnes, nombreuses, sont somptueusement mises en valeur par Munsta Vicente, la coloriste et épouse de Martin, qui, sans jamais forcer le trait, avec des à-plats, réussit à imprégner l'histoire d'une aura particulière, unique, inoubliable.

Quand le fantastique prend pratiquement toute la place, grâce à Martin et Vicente, on ne sombre jamais dans le ridicule, le grotesque, ça ne paraît jamais bizarre par rapport à la partie enquête classique. Tout ici est sous le signe de la nuance, c'est remarquable d'intelligence, de bon goût. Il a fallu trois années pour compléter ces neuf épisodes, mais vu le résultat, on comprend pourquoi. La qualité est à ce prix, ce n'est pas du comic-book ordinaire, c'est plus ambitieux, personnel, singulier.

Malgré sa fantaisie et ce mélange entre aventure et gravité par moments, Friday est une oeuvre aboutie, qui parvient au plus délicat : rendre attachant les lieux, les personnages, et faire honneur à ceux qu'elles saluent, au genre qu'elle visite. Allez, Brubaker, écris-nous une suite, ne serait-ce que pour le plaisir de relire des pages illustrées par Martin !

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