Matty introuvable, John Bannan préfère mettre sa soeur Mary à l'abri chez Eva, la femme de Matty. Tandis que ses sbires tentent d'abattre Harry Woods, John est enlevé par Adnan qui tient Matty et veut se débarrasser des gêneurs. Mais John réussit à sauver sa peau en lui promettant de lui livrer des documents compromettant Harry Woods. Il doit pour cela s'introduire chez son ennemi qui garde peut-être captive sa nièce, Grace, et après ça, encore trouver le moyen de ne pas être tué par Woods ou Adnan...
La fin de Mugshots tient vraiment toutes ses promesses et j'espère vivement qu'un éditeur français aura la bonne idée de traduire cette mini-série. Delcourt, qui publie tout ce que Ed Brubaker écrit, serait ainsi bien avisé de s'y intéresser car cette pépite trouverait parfaitement sa place aux côtés des polars noirs de leur star.
Résumons un peu l'histoire jusque-là puisque Mugshots est sorti à un rythme bimestriel : John Bannan est un homme de main qui revient à Brighton après que sa soeur l'ait prévenu de la disparition inquiétante de sa nièce, Grace. Celle-ci fréquentait Ian, le fils d'Harry Woods, un parrain de la pègre locale et vieil ennemi de John, dont elle serait enceinte.
Mais les choses se compliquent quand John doit composer avec un gang de proxénètes albanais qui veut faire affaire avec Woods - et à terme le détrôner. Et si c'étaient eux qui avaient enlevé Grace pour faire pression sur Ian et son père ? La police n'est d'aucun secours puisque la commissaire est corrompue par Harry...
On en est donc là quand débute ce dernier épisode, toujours aussi généreusement paginé (une cinquantaine de pages de BD) : Matty, un des acolytes de John, a été enlevé par les albanais qui n'apprécient pas que Bannan interfère dans leur business et qui veulent donc s'en débarrasser. John offre alors à Adnan de quoi faire tomber Harry. Ce qui va déclencher une réaction en chaîne avec son lot de tragédies...
Jordan Thomas a réussi, magistralement, à développer son intrigue en caractérisant fortement tous les protagonistes et en les reliant dans une toile bien serrée. On est en pleine série noire et l'auteur connait ses classiques. Le cadre, avec la ville portuaire de Brighton, donne un supplément d'âme à cette histoire où chacun se cherche, quitte à se perdre.
Le personnage de John Bannan est un de ces héros archétypaux du roman noir : il a quitté sa famille après avoir été chassé par un gangster plus puissant que lui et il doit revenir pour sauver sa nièce. Evidemment les ennuis l'encerclent et se referment sur lui progressivement au point que, dans ce dernier épisode, sa vie et celles de ceux qui l'aident sont plus que jamais en danger.
Le tempo est soutenu mais pas frénétique : Jordan Thomas a cette manière bien à lui de maintenir la tension tout en ménageant des moments d'accalmie où John réfléchit à comment éliminer tous ses adversaires en un minimum de coups. C'est une partie de billard périlleuse, d'autant qu'il est seul et que son véritable objectif, sa mission la plus importante restent de retrouver sa nièce.
Celle-ci va se révéler pleine de ressources et de surprises : le père de l'enfant qu'elle porte n'est pas celui qu'on croit et les circonstances de sa grossesse sont tout aussi inattendues. Les confidences d'une mère et épouse délaissée vont servir à John à un moment crucial après que Grace ait recueilli des informations a priori insignifiantes.
Mais Jordan Thomas n'est pas non plus là pour amuser la galerie en resservant des clichés : pour finir en beauté, il n'hésite pas à sacrifier plusieurs personnages de manière particulièrement poignantes et l'inspiration de Jim Thompson se fait sentir de façon troublante comme dans cette scène très intense entre Harry et Ian Woods, ou à la fin avec l'intervention de Mary.
Graphiquement aussi, Mugshots est une vraie claque. Quand j'ai lu le premier épisode et que je vous en ai parlé, j'avais évoqué Darwyn Cooke pour évoquer le dessin de Chris Matthews. En effet comme dans la tétralogie des Parker de Richard Stark adaptée par Cooke, Matthews a recours à une colorisation minimaliste, des à-plats de bleu et d'orange (les mêmes qu'utilisés par Cooke), posés sur un train fin qui fait penser à du cartoon.
Cela n'empêche pas la série d'être d'une richesse visuelle et d'une inventivité épatante. Les personnages conservent leur expressivité et leur charisme immédiats, leurs physionomies sont toutes différentes et identifiables, ce qui fait que, bien que le casting soit fourni, le lecteur n'est jamais perdu et reconnaît chacun, même avec des épisodes qui sortent seulement tous les deux mois (un délai compréhensible pour produire 50 pages, mais durant lequel on peut facilement oublier quand on lit d'autres comics).
A cet égard, cet ultime chapitre est une vraie leçon de storytelling : le flux de lecture est impeccablement fluide, certaines scènes culminent dans une puissance brutale, et pourtant Chris Matthews ne donne jamais l'impression de forcer, il sait parfaitement doser ses effets et entraîner le regard du lecteur là où il le désire. Ses enchaînements de plans sont redoutables et même quand il met en scène un simple dialogue, on est tout de suite happé par ce que les personnages échangent. Rien n'est en trop.
Je croise le doigts pour que Mugshots soit traduit : il faut que cette mini-série soit disponible au plus grand nombre puisque son éditeur américain reste une petite structure. C'est, disons-le, un chef d'oeuvre, qui fera plaisir à ceux qui aiment le polar, qui pensent avec nostalgie à Darwyn Cooke, et qui apprécient simplement la très bonne BD.
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