jeudi 28 novembre 2024

DETECTIVE COMICS #1091 (Tom Taylor / Mikel Janin)


Bruce Wayne est en plein questionnement : Batman reste impuissant devant le meurtre de jeunes garçons qui avaient toute leur vie devant eux alors qu'au même moment Scarlett Scott lui offre de tester le Sangraal, qui assurerait une plus longue espérance de vie à des privilégiés comme lui. Harvey Bullock comme Superman lui assurent qu'il fera le bon choix tandis que le Pingouin lui cause des tracas...


Après vous avoir parlé, un peu plus tôt aujourd'hui, de Superman #20 où Joshua Williamson réussissait à confronter le champion de Metropolis à un dilemme terrible, il est troublant de remarquer que Tom Taylor fait de même avec Batman dans Detective Comics. Il ne s'agit par d'une entreprise de déconstruction du héros, comme tant de copieurs d'Alan Moore ont voulu le faire, mais bien de réhumaniser ces personnages iconiques.


L'intrigue met en parallèle le fait que Bruce Wayne a la possibilité de rallonger son espérance de vie, grâce à la potion Sangraal concoctée par son ex-généticienne Scarlett Scott, et la mort de jeunes garçons qui avaient toute la vie devant eux. D'un côté, un privilège accordée à des adultes fortunés ; de l'autre, le malheur qui frappe des adolescents délaissés.
 

Pour un héros comme Batman, vieillir est une hantise. Il n'est pas comme Superman, sur lequel le poids des ans n'est pas comparable : Bruce Wayne n'est qu'un homme, certes surentraîné, physiquement au top, mais pas à l'abri des blessures, du handicap, de la maladie. Si une potion magique pouvait le faire durer plus longtemps, en bonne santé, alors Batman aussi en profiterait et subséquemment Gotham.


Mais la moralité de cette opportunité taraude Wayne : le Sangraal n'est destiné qu'à des gens qui peuvent se payer ce traitement très coûteux, ce qui exclut de facto la majorité de la population. De quel droit en profiterait-il quand cela serait utile à tant d'autres, plus modestes mais aussi sinon plus méritants ? 

Tom Taylor débat de ce problème dans un excellent dialogue avec Superman qui est convaincu que son ami Batman trouvera un moyen de rendre ce remède miracle accessible au plus grand nombre. Plus loin, face au Pingouin qui a menacé un autre garçon, qui l'a volé, Batman est mis en difficulté sur un même plan rhétorique quand Oswald Cobblepot lui fait remarquer que celui qui tue ces jeunes innocents inspire désormais davantage la peur que le dark knight.

Le scénario est très bien construit et développé. Bien que j'ai été surpris que Taylor ne recourt pas, comme dans le n° précédent à des flashbacks sur Thomas Wayne pour exploiter la situation à laquelle il était confronté, ça ne veut pas dire qu'il n'y reviendra pas. L'auteur semble partir sur une histoire où hier et aujourd'hui se répondent via des personnages dont on sait ou devine les filiations : abattre ses cartes trop vite serait donc maladroit.

Par ailleurs, Taylor prouve une fois encore à quel point il sait cerner les personnages dont il a la charge. Dans Nightwing, malgré des arcs narratifs très inégaux, il avait su valoriser l'attitude positive et résiliente de Dick Grayson, au point d'en faire le coeur de l'univers DC (après des années passées pour l'éditeur à dépeindre un ensemble plus sombre). Là, il saisit Batman dans ce qui est rarement exploité : sa fragilité, sa vulnérabilité, son rapport au temps - parce que donc il est un héros sans super-pouvoir, soumis aux vicissitudes de l'existence. 

C'est une rupture consommé avec l'über-Batman de l'ère Grant Morrison et il est presque amusant de constater que Tom Taylor, que certains confondent (plus ou moins volontairement) avec Tom King (les deux hommes s'en amusent d'ailleurs volontiers), s'inscrit dans ce qu'avait initié son collègue lors de son run sur le dark knight (en jouant lui sur la romance contrariée avec Catwoman).

C'est d'autant plus malicieux qu'aujourd'hui Taylor se trouve à collaborer avec l'artiste qui, justement, a longtemps accompagné King sur Batman : Mikel Janin. L'artiste ibérique a sa propre version du héros de Gotham : il le représente souvent avec un air renfrogné, ombrageux, qui peut se lire ici comme de la préoccupation.

Et quand il s'agit de montrer Bruce Wayne, il n'hésite pas à souligner son côté plus aimable, sociable, qui joue la normalité pour mieux sonder ceux qui l'entourent. A cet égard, la scène ave Scarlett Scott est une petite merveille : elle doit l'ausculter pour vérifier qu'il est apte à recevoir son traitement, mais évidemment Bruce ne peut pas trop se déshabiller car cela révélerait ses nombreuses cicatrices et interrogerait la généticienne. Il ne peut pas non plus passer les tests d'efforts qu'elle lui réclame trop aisément sinon cela trahirait sa condition physique hors du commun.

Dans l'action comme dans ce genre de scènes où c'est Wayne qui doit cacher Batman, Janin effectue un travail remarquable, avec une colorisation superbe qui réalise lui-même désormais avec un talent consommé.

Vous l'aurez compris : comme pour Superman, Detective Comics à des qualités indéniables qui en font une lecture emballante et prometteuses.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire