Pour se réconcilier avec sa petite-fille, Barnabas Cole l'enmmène une dernière fois dans l'Autre Monde. Ils atteignent en barque une grotte marine où Barnabas obtient un droit de passage sécurisé pour les profondeurs de l'océan. Là-bas, Helen va rencontrer sa mère...
Très souvent, et à juste titre, quand les scénaristes de comics interpellent les journalistes qui critiquent leurs livres ou les éditeurs qui veulent rappeler la sortie d'un album, ils se désolent que ne soit mentionné que le nom de l'auteur du script et pas l'artiste (ou les artistes) qui les ont aidés à mettre leur projet au jour.
Evidemment on peut penser qu'ils disent ça pour se donner bonne conscience sans oublier que ce sont eux qui fournissent les histoires. Mais je crois quand même à leur sincérité et à leur volonté de partager les honneurs avec leurs dessinateurs. Il en est même qui estiment que sans lesdits dessinateurs, l'idée même du livre qu'ils ont écrit n'aurait pas existé, que c'est la rencontre avec le dessinateur qui a donné sa forme au livre.
Je prêche un peu pour ma chapelle, puisque je suis moi-même dessinateur, mais c'est vrai qu'il y a quelque chose d'affligeant à lire une critique où le travail de l'artiste est seulement survolé - quand il n'est pas carrément oublié. Généralement la critique consiste à dire des platitudes du genre "c'est beau", "c'est efficace", et voilà, emballé, c'est pesé, ça suffit.
Alors que les lecteurs et les critiques peuvent philosopher des paragraphes entiers sur le scénario, le style, le récit, le dessinateur lui n'a droit qu'à quelques mots banals. L'excuse que prononce le lecteur ou le critique quand on l'interroge sur le peu de place qu'il consacre au dessin se résume souvent à un "j'ai pas les mots, je ne connais pas suffisamment le vocabulaire du dessin pour en parler autrement".
Bon, admettons que vous ne connaissiez aucun terme technique. Est-ce que vous en avez besoin ? Bien sûr, ça aide, ça permet de formuler un avis mieux défini sur les compétences du dessinateur, les émotions qu'engendre son dessin chez vous, la lisibilité de sa narration graphique, etc. Mais en vérité, ça n'a rien d'essentiel car le vocabulaire technique n'est souvent compris que des initiés et on peut se cacher facilement derrière l'excuse de ne pas le connaître, même s'il existe bien des ouvrages de vulgarisation à ce sujet (l'exemple le plus évident : L'Art Invisible, de Scott McCloud).
Non, ce qui compte, c'est le coeur - comme disait Saint-Exupéry : "on ne voit bien qu'avec le coeur. L'essentiel est invisible aux yeux.". J'ai ma propre devise à ce propos : l'art, c'est l'évidence, il s'impose à vous. Vous trouverez les mots, ne vous inquiétez pas, même si c'est laborieux. Il suffit de dire, simplement, ce qui vous touche dans un dessin, une planche. Pas la peine de faire de grandes phrases, laissez-vous aller, comme quand vous parlez d'une chanson, d'un morceau de musique - où vous n'avez pas besoin de sortir du conservatoire pour savoir en parler.
Pourquoi je vous dis tout ça ? Parce que Helen of Wyndhorn est une bande dessinée qui a été écrite pour une artiste. Tom King a demandé à Bilquis Evely, avec qui il souhaitait retravailler après leur somptueux Supergirl : Woman of Tomorrow, ce qu'elle aimerait dessiner, raconter en images. Et elle lui a donné un carnet de croquis dans lequel il a puisé son inspiration pour lui livrer une histoire sur mesure.
Tom King a fait mieux que rappeler aux critiques et aux lecteurs l'importance de l'artiste, il a précisé dès le départ que leur projet était ce qu'il avait tiré de ce carnet de croquis. Ainsi, plus moyen de rabaisser, d'oublier Bilquis Evely : si vous vouliez mentionner, parler de Helen of Wyndhorn, vous seriez obligé de parler de la dessinatrice, co-autrice à part entière (et pas seulement parce qu'il s'agit d'une oeuvre en creator-owned).
Sur le dénouement de cette histoire, je ne vais, volontairement, rien vous dire. Sauf ceci, qui serait la morale de l'intrigue : nous sommes tous les histoires que racontent nos parents, nos proches, nos amis racontent à notre sujet. Nous sommes faits de mondes, le notre bien sûr, mais aussi celui qu'imaginent les autres sur nous. Ce que ceux qui ne nous connaissent pas apprennent de nous, c'est autant ce qu'on leur confie que ce qu'ils entendent à notre sujet. Et cela forme un résumé parfait à Helen of Wyndhorn, où fiction et vérité s'entremêlent jusqu'à ne plus être distinctes.
Mais ce que je veux vous dire sur la fin de cette série, c'est que, comme toutes les bonnes séries, on en aurait aimé davantage. Plus d'épisodes, pourquoi pas même une ongoing sur Helen Cole, son grand-père, sa gouvernante, ses parents, sa vie (peut-être rêvée, fantasmée) dans l'Autre Monde... Et quand ça se produit, ça veut dire qu'on a adoré ce qu'on a lu. Donc que c'est excellent.
Mais ça veut aussi dire que cette bande dessinée, si belle, si touchante, si épique, elle vient donc de Bilquis Evely et que Tom King l'a en quelque sorte synthétisée en six épisodes. Vous serez ébloui en lisant ces pages, vous serez dépaysé, vous serez heureux, ému aussi. Vous vous en souviendrez longtemps. L'éditeur français qui traduira Helen of Wyndhorn a intérêt à mettre le paquet sur la publicité qu'il consacrera à cette mini-série parce qu'elle le mérite, il faudra que le plus de fans l'achètent, des fans de King, de Evely, de belles BD, de bons comics.
Et surtout cet éditeur, ces lecteurs, ne pourront pas oublier Bilquis Evely au moment de parler de Helen of Wyndhorn. Ce ne sera pas une mini série de Tom King. Ce sera une mini-série de Bilquis Evely ET Tom King, avec le scénariste en second pour une fois parce que, je suis sûr qu'il serait d'accord avec ça, il s'est mis au service de sa dessinatrice et c'est elle, cette fois, la vedette, l'argument de vente n°1.
Et vous, les lecteurs, qui achèterez cet album, quand vous le lirez, vous saurez que j'ai raison. Mais surtout, vous aussi, vous ne pourrez pas en parler autour de vous, sur des blogs, des forums, sans mentionner en premier Bilquis Evely. Vous trouverez facilement les mots pour ça parce que ses planches vous laisseront sidérés et vous serez naturellement motivés pour partager cette sidération aux gens à qui vous recommanderez cette lecture. Vous direz la beauté bien sûr, mais aussi la magnificence, le luxe de détails, la fluidité, l'expressivité, l'élégance, vous ne pourrez plus vous arrêter.
Et alors, vous ne citerez peut-être plus jamais une BD en l'associant seulement à son scénariste.
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