L'adoption de Dick Grayson par Bruce Wayne rend soupçonneux les services sociaux et leur directrice, Laura Lyn, décide d'aller vérifier par elle-même si le gamin est bien traité. Cependant, Harvey Dent/Double-Face propose au général Grimaldi son aide pour vaincre Batman...
Je préfère vous avertir tout de suite car ça risque d'être souvent comme ça, mais j'adore déjà cette série et ce deuxième épisode comme le premier m'a comblé. Franchement, ça (me) fait un bien fou de relire du Mark Waid mis en images par Chris Samnee : ce duo fonctionne d'une manière parfaite, et rappelle que la bande dessinée n'est jamais l'affaire d'un seul homme mais d'une équipe créative et d'un sujet qui les rassemble.
Par ailleurs, si j'ai adoré Batman : Year One, tout comme Batgirl : Year One et Robin : Year One, je ne pense pas beaucoup m'avancer en affirmant que Batman and Robin : Year One ne dépareillera pas aux côtés de ces classiques. Le plaisir qu'on a lire ces origin stories par des auteurs et des artistes toujours magistraux vous rappelle à quel point respecter et aimer ces personnages est une condition sine qua non pour bien les raconter.
Mark Waid continue donc, sur un tempo à la fois alerte et posé en alternance, suivant les scènes, de disposer ses pions. Mais, le plus fort là-dedans, c'est que on n'a pas l'impression de lire une histoire déjà vue. Pourtant on croyait tout connaître des débuts du dynamic duo, mais la démarche du scénariste s'inscrit dans une volonté de nous la conter avec fraîcheur.
Car, bien que ce ne soit pas que ça, ce qui enthousiasme dans ces deux premiers épisodes, c'est bien le sentiment de légèreté qu'entretient Waid avec ce sujet. Jamais autant et mieux qu'ici, il me semble, il n'a mieux réussi à renouer avec la verve de son run sur Fantastic Four avec le regretté Mike Wieringo, dans ce mélange délicat entre amusement et aventure.
D'ailleurs, citer le run de FF n'est pas innocent puisque, souvenez-vous, Waid l'entamait avec justement un récapitulatif ingénieux des origines de l'équipe avant de nous dévoiler qu'il s'agit d'un débrief fait par une agence de publicitaires engagés par les héros pour les rendre plus populaires, plus frais. S'ensuivait le récit sur une semaine d'un de ces publicistes au Baxter building où il tâchait de mieux connaître ses clients pour savoir comment moderniser leur image.
Hé bien ici, c'est presque pareil. Waid ne va pas retconner les origines de Batman et Robin, il a bien trop de respect pour la continuité et on sait que le bonhomme est une encyclopédie vivante des comics. Non, tous ses efforts se portent sur la façon de rendre ces origines attrayantes pour un lecteur en 2024. Comment parler de Batman et Robin, avec leurs huit décennies d'existence au compteur, sans qu'ils soient perçus comme des dinosaures ?
Jeff Lemire, dans sa mini-série Robin and Batman (aquarellée par Dustin Nguyen), avait pris le parti de de raconter une histoire semblable du point de vue de Robin. Mais il manquait quelque chose dans son projet : l'intimité de Dick Grayson adopté par Bruce Wayne. Tout ou presque, chez Waid, consiste à replacer Dick et Bruce au centre du dispositif. Y compris quand ils revêtent leurs costumes et partent en patrouille, sur le terrain.
Et donc, on ne lit plus seulement les origines de Batman et Robin, mais aussi, mais surtout les origines de Bruce et Dick, et ça change tout. Quand ils sont montrés en civil, comme lors de l'hilarante visite de la directrice des services sociaux au manoir Wayne où Bruce tente de jouer le bon père adoptif et que Dick fait l'andouille au pire moment, comme quand on les suit en tant que Batman et Robin, ça reste une histoire de père et de fils, avec l'inquiétude du premier quand le second manque d'y rester à cause de son intrépidité.
On rigole donc beaucoup quand Chris Samnee capte à merveille, grâce à son trait simple et si expressif et son découpage où chaque angle de vue est génialement choisi, l'agacement de Bruce devant les pitreries de Dick, mais on frémit aussi avec Batman quand Robin est pris au piège d'un immeuble en feu. A ce moment-là, ce n'est plus un justicier qui a peur pour son sidekick, mais bien un père pour son fils. Et pour cela, la série est incroyable de justesse, d'émotions.
Puis, en parallèle, Waid développe, à pas comptés, l'intrigue avec le général Grimaldi et son père (encore un duo père-fils donc, comme en miroir à celui de Bruce/Batman-Dick/Robin) et de Double-Face avec le dossier volé à James Gordon. Le scénariste nous surprend là aussi parce que Harvey Dent, qui pense être en position de force, perd ses moyens face à un interlocuteur qui se donne le temps de réfléchir à son offre.
Et, là encore, Samnee nous sert des planches royales (voir ci-dessus) : sa maîtrise du noir et blanc lui permet de composer des images entre chien et loup expressionnistes en diable à l'intérieur d'un bureau dont les murs semblent se rapprocher au fil du dialogue. C'est du grand art et je pense, en toute honnêteté, en toute impartialité, qu'il n'existe pas, aujourd'hui, un dessinateur capable de faire mieux que Samnee dans ce domaine.
La scène d'action finale répond à celle qui ouvre l'épisode (où Robin s'entraîne dans la Batcave sans se soucier des ordres de Batman et Alfred). Samnee découpe cette intro avec une double page de 21 (!) cases, parfaitement lisibles, et qui traduisent la vitesse et le rythme effrénée. A la fin, en revanche, il privilégie des pages plus aérées, alternant vignettes de taille modeste et plans plus larges pour créer une tension entre ce qu'accomplit Robin et la position d'attente de Batman (et du lecteur) - qui se demande si son partenaire va s'en sortir vivant.
Si vous voulez prendre un cour de narration graphique, lisez des scènes comme celles-ci : c'est un concentré de ce qu'est l'art séquentiel, la manière de doser ses effets, d'imprimer un tempo, de jouer sur la valeur des plans et d'orchestrer une planche dans son ensemble et une séquence sur plusieurs pages. C'est du mouvement suggéré avec virtuosité. Seuls les plus grands savent faire ça.
Avec ça, on oublie que Matheus Lopes a cédé sa place de coloriste à Giovanna Niro (connue des lecteurs des séries de Mark Millar). J'ignore la raison de ce remplacement et s'il est définitif ou ponctuel, mais en vérité la qualité reste identique (et pourtant Lopes est un des meilleurs dans sa partie actuellement).
Bref, Batman and Robin : Year One, c'est à la fois une bonne histoire, de bons dessins, une leçon dans les deux parties, et une lecture à la fois fabuleusement prenante et instructive quand au processus de la BD. Se passer de ça, c'est juste passer à côté de ce qui se fait de mieux.
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