2011. Jenny Sparks enlève Ronald Weither, un affairiste qui s'est enrichi durant la crise des subprimes, dans son appartement luxueux à New York. Aujourd'hui, Jenny Sparks rentre dans le bar où Captain America retient toujours ses otages pour négocier avec lui. En échange, elle réclame la libération de deux des personnes qu'il détient...
Bon. On a un problème. Pas la peine de tourner autour du pot, contrairement à ce que fait cette mini-série - à laquelle vient d'être rajouté un septième épisode, ce qui ne manquera pas d'interroger car, quand même, quand un auteur et son éditeur annoncent six numéros puis un supplémentaire au bout de quatre mois de parution, c'est quand même bizarre.
Bref. Je n'aime pas cette mini-série, je ne l'aime plus. Je suis pourtant un fan de ce qu'écrit Tom King, même s'il m'est arrivé de zapper quelques-uns de ses travaux, par manque de motivation ou d'intérêt (Omega Men ; Vision ; Gotham City : Year One ; Batman : The Winning Card), mais quand même, c'est un auteur que j'apprécie, dont la voix est singulière et qui pique ma curiosité à chacun de ses projets, particulièrement sous le Black Label de DC.
En outre, je n'ai pas souvent l'occasion de quitter le navire d'une histoire avant son terme. Il faut, pour ça, que je tombe sur quelque chose qui me perde complètement en route. Et c'est ce qui se produit avec Jenny Sparks. C'est donc, je préviens tout de suite, le dernier épisode que je critiquerai - avant, peut-être, d'y revenir, une fois la publication achevée, pour parler des trois derniers chapitres.
Pourtant, tout avait plutôt bien commencé, avec ce duel entre l'esprit du XXème siècle et Captain Atom. King s'y livrait, comme il aime le faire, à des considérations philosophiques intéressantes et il appréhendait avec le bon ton le personnage de Jenny, cette anglaise, fée électrique, née en 1900 et morte en 2000, revenue d'entre les morts pour défier celui qui se prenait pour Dieu. Dieu qu'elle avait tué, littéralement à la fin du run de Warren Ellis et Bryan Hitch sur The Authority.
Mais les deux épisodes suivants donnaient l'impression d'un mécanisme tournant à vide, rabâchant complaisamment des échanges déjà à l'oeuvre dans le premier épisode, l'action en moins. Le mois dernier, j'étais même resté franchement sur ma faim. Et cette fois-ci, c'est encore pire.
Car je ne vois pas du tout où veut en venir King, et la perspective de m'infliger encore trois épisodes m'ennuie déjà considérablement. Si j'ai bien appris une chose depuis que je sais lire, c'est qu'il ne faut jamais se forcer à le faire. Lecteur, connais-tu tes droits, formulés par Daniel Pennac ? Les voici :
1. Le droit de sauter des pages.
2. Le droit de ne pas finir un livre.
3. Le droit de relire.
4. Le droit de lire n’importe quoi.
5. Le droit au bovarysme (maladie textuellement transmissible).
6. Le droit de lire n’importe où.
7. Le droit de grappiller.
8. Le droit de lire à haute voix.
9. Le droit de nous taire.
10. Le droit de ne pas lire.
On reproche souvent, chez ceux qui ne l'aiment pas, à Tom King de s'écouter un peu écrire, comme quelqu'un qui aime s'écouter parler. Ce n'est pas tout à fait faux : c'est un auteur qui a tendance à verbaliser à outrance et je me demande parfois s'il serait capable de se plier à l'exercice d'un épisode muet, comme quand Marvel faisait des "Nuff said issues.
Mais King sait écrire, c'est indéniable, il a du vocabulaire, et cela lui permet de développer des idées qu'on trouve rarement creusées à ce point dans les comics. Il a des obsessions dont il nourrit ses histoires. Selon que vous appréciez ou non non son langage, sa narration (volontiers décompressée), vous goûterez à sa manière d'investir les personnages, de développer des intrigues.
Seulement avec Jenny Sparks, il semble buter sur ce qu'il veut dire, ce qu'il veut faire passer. Ce n'est pas la première fois qu'il reprend un personnage d'un grand scénariste (même si avec Rorschach, il avait habilement contourné la création d'Alan Moore), sauf que là il s'est approprié l'héroïne de Warren Ellis de manière directe tout comme le Captain Atom de Steve Ditko et Joe Gill sans parvenir à trouver un moyen de dépasser leur nature initiale.
Captain Atom est devenu un cinglé qui se prend pour Dieu et veut être reconnu comme tel : c'est le moteur du récit, mais son délire messianique bégaie plus qu'il ne progresse. On ignore ce qui l'a rendu ainsi, ce qui a provoqué cette crise alors que ça aurait été utile pour apprécier l'histoire. Jenny Sparks, elle, est traitée de manière finalement trop superficielle, King n'en retenant que le caractère insoumis, provocateur, le langage ordurier, quand il n'est pas occupé dans des flashbacks chelous à en faire une moralisatrice justicière.
Ces fameux retours en arrière sont un vrai souci pour moi : King semble avoir une idée derrière la tête en les dévoilant, mais c'est tellement obscur que c'en est exaspérant. Là, elle enlève un affairiste qui s'est rempli les poches en faisant du lobbying et en profitant de la crise des subprimes (des prêts immobiliers variant en fonction de la valeur du bien qu'ils ont permis d'acheter : plus celui-ci vaut cher, plus les intérêts que paie l'emprunteur sont bas. Les prix de l'immobilier augmentant en fonction de l'offre et de la demande, les emprunteurs voulant en acquérir se surendettent alors car ils ont de faibles revenus).
Mais quel est le rapport avec ce qui se déroule au présent ? Avec Captain Atom ? Pourquoi Jenny Sparks s'en prend-t-elle à cet individu, certes véreux mais qui n'est qu'un parmi d'autres à avoir fait fortune sur le dos de pauvres gens ? Pourquoi cette anglaise s'engage-t-elle à punir cet américain pourri ? J'ai beau chercher, je ne trouve pas, je ne comprends pas ce que raconte King.
Et si on s'en tient au face-à-face Sparks-Atom ? Hé bien, ça n'avance pas. Depuis quatre mois, Captain Atom retient des otages dans un bar et rien ne peut l'arrêter, même pas Jenny Sparks. Il a neutralisé la Justice League en claquant des doigts, accompli un miracle, tué des hommes gratuitement. Jenny le nargue, l'énerve, puis change de tactique, négocie. Mais c'est surtout très chiant, ça n'en finit pas de blablater dans le vide...
Tout cela est souligné par le découpage de Jeff Spokes qui use (et abuse) de copier-coller. Les "gaufriers" en neuf cases semblent ici une caricature de ce qu'affectionne tant King, sur le modèle incontournable de Watchmen de Moore et Dave Gibbons. Tous les effets de mise en scène sont tellement appuyés qu'ils en deviennent grotesques.
L'artificialité à tous les niveaux : voilà ce qu'on ressent en lisant Jenny Sparks. Une mini-série qui fait le singe. C'est abscons, c'est aussi con tout court. Après Hickman qui piétine sur Ultimate Spider-Man, King semble atteint ici d'une sévère baisse d'inspiration. Confirmée ou infirmée par Black Canary : Best of the Best qui démarre la semaine prochaine ?
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