Ce long prologue donne le la du film tout entier : il règne une ambiance bizarre, semblable au conte mais dans un cadre moderne. Le pari est déjà gagné sur ce plan-là. Anne Fontaine filme ce voyage de telle manière qu'il flotte quelque chose de surnaturel, à mesure que la voiture roule, traversant un paysage de montagne enveloppé dans une brume de plus en plus épaisse. Puis la scène dans la forêt achève de nous plonger avec Claire dans un environnement fantastique.
La suite redescend sur terre et nous entraîne dans un récit encore plus déconcertant. D'abord déroutée, voire effrayée, Claire s'habitue vite, étonnamment, à sa nouvelle vie. Elle se donne à chacun des frères, et c'est comme une révélation pour elle : tout à coup, elle s'éveille au désir, au plaisir physique - il n'est pas vraiment question de sentiments, sinon celui d'une liberté insoupçonnée, qui passe par le corps, les sens. Anne Fontaine ne cherche pas à provoquer ni à aguicher mais à montrer une jeune femme assumant ses pulsions et découvrant ce qu'elle voulait sans savoir ce que c'était : la jouissance.
Elle fait tourner la tête de tous les hommes sans le chercher. Mais leur regard n'est pas prédateur : il est plutôt subjugué, tendre, timide, et d'ailleurs tous ne veulent pas la posséder sexuellement. Le libraire ressent la cruauté infligée par la beauté et veut qu'elle le fouette avec une cravache comme pour mieux le calmer. Le curé ne veut pas trahir son voeu de chasteté mais la guider en citant Saint-Augustin ("Aime et fais ce que tu veux."). Clément, le fils du libraire, n'ose pas se déclarer. Sam, le vétérinaire, fantasme sur elle comme la femme inaccessible. Les jumeaux sont des hédonistes. Vincent le musicien cherche l'harmonie en sa présence. Et Bernard éprouve surtout de l'attirance pour sa jeunesse (qu'il ne trouve plus chez Maud ni chez lui).
Le scénario est découpé en trois actes : le premier avec Claire, le deuxième avec Maud, le troisième avec les hommes (les sept nains revisités, même si Anne Fontaine ne cherche pas à reproduire Grincheux, Simplet et compagnie dans leur caractérisation). Lorsque tous les éléments sont réunis, un suspense naît du projet de Maud d'éliminer Claire. Réussira-t-elle ? Comment ? Ou renoncera-t-elle en comprenant que sa belle-fille ne représente plus un danger pour elle et Bernard ? L'histoire glisse alors vers un quasi-thriller qui, là encore, reprend les codes d'un conte, avec la menace pesant sur l'héroïne jusqu'au bout. Le dénouement est encore une fois habile, malicieux même.
L'écriture et la réalisation sont donc impeccables, et même inspirées. Le casting l'est tout autant : Anne Fontaine est sans doute avec François Ozon la cinéaste avec le moins d'oeillères concernant les comédiens, qu'elle choisit en se fichant bien de savoir d'où ils viennent. Elle associe ainsi des humoristes comme Jonathan Coen, qu'elle dirige avec assez fermeté pour qu'il ne fasse pas de numéro de pitre, ou de comiques comme Benoît Poolvoerde, dont elle semble être la seule à percevoir la dimension dramatique, à des interprètes plus sérieux comme Charles Berling, qui hérite du rôle le plus en retrait des hommes de Claire, ou des nouvelles têtes comme Vincent Macaigne ou Pablo Pauly, tous deux excellents, sans oublier Richard Frechette, parfait en curé sage.
Isabelle Huppert est une sorte de genre en soi : avec une filmographie aussi riche que la sienne et un talent aussi fourni, elle compose un personnage qui est à la fois complètement générique pour une telle histoire tout en ne pouvant plus s'effacer derrière. Cela offre un contraste saisissant avec la beauté, la fraîcheur, la sensualité débordante de Lou de Laâge, sans doute la plus séduisante de nos actrices, mais aussi un des plus subtiles, des plus troubles et troublantes. Elle incarne, véritablement, cette Blanche Neige moderne avec un naturel désarmant.
Blanche comme Neige était un drôle de défi, il est relevé haut la main et vient compléter l'oeuvre d'une cinéaste passionnante.
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