2020. La pandémie de Covid-19 s'abat sur la France. Véra, jeune avocate, arrive à Paris où elle doit passer un entretien d'embauche pour un cabinet de conseil juridique, qui va donc se faire par vidéo. Hortense, une amie, partie à la campagne, lui a laissée son appartement. Son fiancé, Medhi, est en voyage d'affaires en Espagne et espère la rejoindre au plus vite, bien qu'elle ne semble pas pressée de le revoir.
Un jour, on sonne à sa porte : Sam, un ami d'Hortense, vient récupérer son appareil photo. Chacun étant confiné chez lui depuis les annonces du gouvernement, ils s'échangent leurs numéros de téléphone au cas où l'un aurait besoin d'un service de la part de l'autre. Et quand Véra se cogne bêtement la tête contre le porte d'un placard de cuisine et s'ouvre le front, elle appelle Sam à l'aide, qui va jusqu'à la pharmacie voisine acheter de quoi la panser.
La gentillesse de Sam touche Véra qui se donne à lui puis lui propose de rester à ses côtés. Il travaillait dans un restaurant qui a dû fermer comme tous les établissements accueillant beaucoup de personnes et donc susceptibles de se transformer en cluster, et il est donc au chômage technique. Elle télétravaille avec ses clients, des personnes confrontés à des licenciements abusifs. Véra et Sam entretiennent une liaison passionnée, mais s'aiment-ils vraiment ? Se connaissent-ils même ?
Bon, pour ceux qui liront cette critique (et je sais déjà qu'ils seront peu nombreux, étant donné que les films dont je parle sont peu consultés - ce n'est pas un reproche, c'est un constat), hé bien, ce film, vous n'aurez aucune excuse pour ne pas le voir, d'abord parce qu'il est récent (il date de Mars dernier) et surtout parce qu'il est disponible sur Arte.TV, puisqu'il s'agit en réalité d'un téléfilm.
Oui, alors je sais ce que vous allez penser parce que c'est ce que je pense aussi, les téléfilms français sont souvent nuls, ce sont des productions formatées pour passer en prime time, des machins sans grand relief ni saveur, avec des acteurs moyens, des histoires pas sexy, etc. Mais, en même temps, A la Joie, c'est un téléfilm d'Arte.
Et là aussi, grâce à mes dons prodigieux de mentaliste, je sais ce que vous allez penser : Arte, c'est chiant, ils passent que des trucs déprimants sur la Shoah ou sur des sujets maussades ou intellos. Sauf que, non. Enfin, si, un peu. Mais pas là. A la Joie, en fait, c'est super bien, ça parle pas de la Shoah ou d'un truc déprimant ou morose ou intelligent. Même si ça se passe pendant la crise du Covid...
Bon, allez, faîtes un effort. En fait, cette histoire, écrite et réalisé par l'excellent Jérôme Bonnell (dont je n'avais vu que A trois on y va, en 2015), elle aurait presque pu nous arriver à tous. D'une certaine manière, elle nous est arrivés puisqu'on a tous été confinés pendant le Covid, peut-être même que vous avez attrapé ce virus ou quelqu'un que vous connaissez. C'était hier. Et pourtant ça parait étrangement loin.
L'action démarre au tout début de la pandémie, en 2020. Le gouvernement d'Edouard Philippe annonce la fermeture des établissements accueillant du public, on doit tous porter des masques, Raoult fait croire à tout le monde que l'hydroxychloroquine va guérir tout le monde, on attend un vaccin, on écoute la radio ou on regarde la télé et les infos nous filent la trouille, etc.
Véra, une jeune avocate, monte à Paris pour tenter d'être embauchée par un cabinet prestigieux mais doit passer son entretien par vidéoconférence - elle n'aura pas le job parce qu'elle n'a pas voulu relever les compliments libidineux du recruteur, plus intéressé par son physique que par ses compétences. Sa copine Hortense lui a laissée son appart pendant qu'elle est parie à la campagne s'isoler. Et puis un jour on sonne à la porte et elle rencontre Sam, un ami d'Hortense...
Quasiment tout le film se déroule dans l'appart d'Hortense avec Véra et Sam. A la suite d'un incident, il lui porte secours et elle se donne à lui. Avant cela, on a pu remarquer comment elle évitait soigneusement de ne pas répondre aux appels de son fiancé ou seulement par de vagues textos, comme si elle l'évitait ou ne voulait pas qu'il la rejoigne (alors qu'il se trouve en Espagne pour affaires). Véra songe déjà à le quitter mais ne trouve pas le courage de le faire.
Dans les bras de Sam, elle oublie et s'abandonne. Elle retrouve un plaisir visiblement éteint. C'est un moulin à paroles, elle est plus posée. C'est un cuistot (dont le resto qui l'emploie a donc dû fermer) mais il s'adonne à la photographie et il la shoote à la moindre occasion. Elle télétravaille en conseillant des gens qui sont victimes de licenciements abusifs. Lui a le projet, une fois la crise terminée, d'ouvrir son propre resto, avec un pote, Constantin, mais celui-ci ne répond plus à ses appels.
Entre elle qui ne veut plus parler à son mec et lui qui n'arrive pas à parler à son ami, dans la promiscuité de ce petit appart (en fait davantage un studio qu'un vrai appartement), alors que la situation, les nouvelles à la radio (il n'y a pas de télé dans ce studio), pourraient leur peser et générer des tensions rapidement, ils s'aiment. Ils font l'amour, ils deviennent complices, échangent beaucoup. Sans forcément se dévoiler beaucoup.
Car Jérôme Bonnell montre de manière subtile à quel point ce n'est pas la proximité qui créé de l'intimité. Par exemple, quand Véra asticote un peu Sam sur le fait que les mecs refusent l'introspection, avec pour exemple le fait qu'une fille pour voir son sexe doit se contorsionner tandis qu'un garçon n'a que baisser les yeux pour voir sa bite, la conversation dérive sur le constat que le mouvement #MeToo empêche les hommes désormais de dire franchement à une femme qu'elle peut raconter n'importe quoi sous peine de passer pour un macho.
Mais justement, tout ça n'alimente que des dialogues de surface. Sam et Véra parlent de masculinité, de féminité (et de féminisme), de boulot, de famille, de relations amoureuses et sexuelles, mais rarement d'eux. Ils ne se confient que très peu. Pourtant tout indique qu'ils tombent amoureux, ils ne peuvent plus se passer l'un de l'autre, ont des sentiments sincères, des rapports physiques intenses et harmonieux. Mais au fond ils restent des étrangers que des circonstances extraordinaires ont réuni.
Je ne vais pas vous spoiler la fin, mais il y a un secret chez l'un des deux héros de cette histoire et quand l'autre va l'apprendre, tout ce qui a précédé est remis en question de façon très troublante, bouleversante. Juste dire alors qu'à un moment, Véra et Sam sont à leur balcon pour applaudir, comme on le faisait tous, le personnel soignant à cette époque, lorsqu'ils voient les voisins d'en face qui ont accroché une banderole avec inscrit "et il revient quand le bonheur ?". Sam estime que ce n'est pas l'important, le bonheur est une idée, lui préfère la joie qui est un état, concret. Et quand vous apprenez ce fameux secret à la fin, le titre du film et ce propos tenu par Sam deviennent limpides et poignants.
Tout le film repose sur les épaules de deux jeunes comédiens (même s'il y a d'autres acteurs dans des scènes fugaces) : Pablo Pauly, j'en avais déjà dit tout le bien que j'en pensais dans Et plus si affinités, est encore une fois prodigieux, il a cette fébrilité merveilleuse et en même temps une espèce d'assurance étonnante qui électrise toutes les scènes ; et Amel Charif, c'est étonnant, elle a un faux air de Rachel Brosnahan (The Marvelous Mrs. Maisel), plus sur la réserve, mais avec une intensité, une intelligence, et un charme absolument fous. Ils sont vraiment super tous les deux, avec une alchimie formidable.
A la Joie, en souvenir de cette drôle de période, et pour ce qu'elle a inspiré de plus beau.
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