samedi 12 octobre 2024

LE MEDIUM (Emmanuel Laskar, 2023)


Michaël est professeur de musique dans un collège et ses élèves ont déjà la tête aux vacances d'été. Lui vient, avec sa soeur Myriam, d'enterrer sa mère, Barbara, célèbre dans toute la région du Var pour ses dons de médium et, après l'avoir accompagnée dans sa dernière demeures, les amies de la défunte se demandent si Michaël n'a pas hérité de ses talents. Il nie, mais même sa soeur est convaincue du contraire.


C'est que Myriam tient une librairie dont les finances sont dans le rouge et elle souhaiterait que Michaël accepte que ses clients le consultent pour arrondir les fins de mois. C'est ainsi qu'entre dans sa vie Alicia, une jeune et jolie veuve, qui se plaint d'entendre de drôles de gémissements dans sa maison. Michaël accepte de passer chez elle voir ce qu'il peut faire pour y  remédier. Le mari d'Alicia était un architecte qui s'est noyé le jour de l'An après avoir trop bu. Depuis, elle n'a plus goût à rien et peint les objets qu'il lui avait offert. 


Michaël raconte qu'il sent la présence du disparu mais l'assure que c'est résiduel et provisoire. Rentré chez lui, il voit le fantôme de sa mère dans son lit, lui expliquant n'être pas encore prête à monter au ciel et l'implorant de la laisser passer encore quelques jours ici-bas. En vérité, Michaël a donc bien hérité du don de Barbara et il voit aussi le spectre de Christian, l'époux d'Alicia. Comment faire alors pour la séduire, entre une mère encombrante, une soeur pressante et cette femme en plein deuil ?


A la lecture de ce résumé, vous vous dîtes sûrement que Le Médium est un drame sur le deuil teinté d'un zeste de fantastique. Mais ce n'est pas le cas - non pas que ces thèmes ne soient pas traités, mais ils le sont sous l'angle de la comédie. Mais pas de la comédie grasse, appuyant ses effets. Non, le registre est tout autre et c'est ce qui fait toute la singularité du film.


Emmanuel Laskar (c'est son vrai nom et il le porte bien, car c'est un vrai phénomène) est un acteur-scénariste-réalisateur franco-suisse. Et on peut dire que ça se sent parce que, si la caricature des helvètes en fait des gens un peu mous, lents, alors c'est exactement ça. Le personnage de Michaël est un type qui tourne au ralenti, évoluant doucement, jetant un regard placide sur ce qui l'entoure, mais non dénué de malice.


Le ton est donné dès la première scène : on assiste à la mise en terre du cercueil de la mère de Myriam et son frère Michael quand le téléphone portable sonne en pleine homélie du curé. Michaël décroche mais l'appareil lui glisse des mains et atterrit sur le cercueil dans la fosse. Il se penche pour le ramasser, puis s'allonge et manque de tomber à son tour après avoir appuyé sur la touche haut-parleur - tout le monde entend alors sa copine actuelle lui annoncer qu'elle rompt avec lui.
 

La mère défunte était une médium connue dans le Var et ses clients, venus lui rendre un dernier hommage, sont tous persuadés qu'un de ses enfants a hérité de son don. Myriam nie mais est convaincue que son frère a aussi ce pouvoir de communiquer avec les morts. Il dément vigoureusement et on le croit. Mais quand ses petites nièces essaient avec un ouija de joindre leur grand-mère, il accepte de participer et, miracle, elles obtiennent un message affectueux.

Pourtant, ce qui fait basculer Michaël, c'est la visite d'Alicia dans la librairie de Myriam : elle se plaint de bruits bizarres dans sa maison et aurait aimé que Barbara vienne s'en occuper car il doit s'agir d'un esprit. Michaël, sous le charme, décide de s'improviser médium. Et, en arrivant chez sa cliente, il aperçoit effectivement le fantôme de Christian, l'époux décédé d'Alicia. Ce ne sera pas le premier à lui apparaître...

Plutôt que de s'éparpiller avec des scènes faciles avec d'autres clients (même si on a quand même droit à un moment hilarant où une touriste cherche à communiquer avec Pablo Picasso et que Salvador Dali possède Michaël), le film ne perd pas son idée de vue. Il est d'ailleurs concis (78'). Mais Laskar avance à pas comptés et c'est de ce décalage subtil entre la nonchalance de son personnage et de la brièveté de son film que naissent les situations les plus improbables et irrésistibles.

Le spectateur, comme Michaël, se prend alors à ne plus s'étonner de grand-chose mais à savourer ces instants complètement lunaires aux dialogues imparables. Exemples : Michaël accompagne Alicia sur la plage où s'est noyé son mari et, sans avoir cette information, lui dit trouver ce cadre superbe, avant qu'elle ne lui apprenne le drame qui s'y est joué. 

Plus tard, il est chez elle et se saisit d'une guitare qu'elle avait offerte à son mari (une reproduction d'une six-cordes de Jean-Jacques Goldman, chanteur qu'il méprisait pourtant) et se met à en jouer (fredonnant les paroles de la chanson "Là-bas"). Alicia revient et se met à chanter les couplets de Sirima. Leurs voix s'accordent tellement bien qu'elle tombe sous le charme. Ils font l'amour et Michaël est possédé brièvement par Christian. Alicia semble s'en rendre compte et abrège puis s'excuse en expliquant qu'elle croit sentir la présence de son mari partout et n'importe quand.

Des scènes comme ça, Le Médium en est plein. Si vous aimez l'humour absurde, à la Blake Edwards ou à la Woody Allen, vous adorerez le film d'Emmanuel Laskar, vous adorerez son personnage décalé, qui réussit à vous faire éclater de rire par son impassibilité. On devine qu'il a beaucoup étudié le cinéma muet, Buster Keaton en particulier, mais en vérité tout son casting est au diapason, jouant au premier degré des moments surréalistes (le secret des bonnes comédies : ne jamais en rajouter dans le jeu).

Cette grâce qui habite l'histoire, presque au-delà de son humour par moments, elle est incarnée par les acteurs : Maxime Tual dans le rôle du prêtre, Anne Elodie Sorlin dans celui de Marguerite Duras ("La jouissance ! Il faut jouir ! Je n'ai pas assez joui !"), Bogdan Hatisi dans celui de Dali, mais surtout Noémie Lvovsky dans celui de la mère (qui s'envoie en l'air avec le fantôme du plombier qu'elle aimait avant de se marier et avoir des enfants), Maud Wyler dans celui de la soeur - des seconds rôles vraiment soignés.

Emmanuel Laskar tient son personnage si bien qu'on oublie qu'il le joue. Et face à lui, ah, il y a l'ébouriffante, la magnifique, la délicate, l'unique Louise Bourgoin, que j'aime d'amour, qui est ce qui est arrivé de mieux au cinéma français (chez les actrices en tout cas). Quelle classe, quelle beauté, quelle justesse ! Comment fait-elle pour être toujours aussi bien dans tous les films ? Et comment le cinéma français n'en fait-il pas la star qu'elle devrait être ?

Le Médium est une divine surprise, passée trop inaperçue en salles, alors si vous le pouvez, rattrapez cette occasion de vous amuser (et de tomber amoureux de Louise Bourgoin).

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