Julien Keller est un jeune professeur qui effectue sa première rentrée au collège Paul Eluard. Soucieux de faire de ses élèves des citoyens cultivés, il enseigne avec passion mais cherche aussi à les motiver pour qu'ils échappent à leur milieu social, majoritairement défavorisé. Ainsi n'hésite-t-il pas, lorsque les premiers résultats tombent après une interrogation, à récompenser les meilleurs en les invitant à manger dans un fast-food et en réglant la note.
Peu après, il est convoqué chez la C.P.E. (Conseillère Principale d'Education) qui lui tend une lettre écrite par une de ses élèves, Leslie, dans laquelle elle pointe un comportement inapproprié de la part de son professeur. Il demande à l'entendre de vive voix et la jeune fille descend dans le bureau mais reste évasive sur ses reproches. On contacte alors sa famille et son frère aîné répond, déclarant s'occuper de tout depuis le décès de leur père.
A la suite de cette confrontation, alors que tout semble réglé, Julien apprend par le directeur du collège que le frère de Leslie a porté plainte contre lui. Pire : il se met à venir attendre sa soeur à la sortie de l'établissement, adressant des gestes menaçants à l'égard de Julien. Ses collègues font bloc derrière lui, mais la révélation de son homosexualité, l'attitude d'autres élèves, la fébrilité du rectorat vont ensuite commencer à fissurer cette solidarité et ébranler le quotidien du jeune prof, pourtant innocent...
Sorti en Mars dernier, Pas de Vagues a provoqué un buzz lors de la diffusion de sa bande-annonce. Certains y ont vu une charge contre les victime de harcèlement quand d'autres saluaient le cri de Teddy Lussi-Modeste pour alerter sur la solitude des enseignants dans une situation comme celle que vit son héros. Le cinéaste sait de quoi il parle : son film est inspiré de faits réels, et pas n'importe lesquels puisque cette histoire est la sienne.
Il se trouve que j'ai découvert Pas de Vagues peu de temps après la parution du passionnant essai de Caroline Fourest, Le Vertige #MeToo, dans lequel elle discute du mouvement lié à la libération de la parole des femmes (et des hommes) ayant subi des violences à caractère sexiste ou sexuel. Le propos de Fourest, comme on l'a entendu ici et là, n'est pas de discréditer cette parole mais bien de juger ce qu'on appelle le tribunal médiatique qui l'accompagne.
En fait, Caroline Fourest résume très bien sa thèse lorsqu'elle dit qu'il ne faut plus automatiquement dire à une présumée victime "je te crois", mais plutôt "je t'écoute". Car la nuance est importante. Il est arrivé que les accusations portées ne soient pas aussi graves qu'énoncées et surtout l'opinion, les médias ont condamné les supposés agresseurs et ont brisé leur vie, leur carrière, leur famille. Ce n'est pas la majorité des cas, plutôt des exceptions certes, mais quand même, quand le mal est fait, aussi bien pour la victime que pour le pseudo bourreau, c'est irréversible.
Surtout, pour en revenir au film, il est bien plus subtil. Quels sont les torts véritables de Julien ? D'abord, il est d'ordre pédagogique : il a voulu féliciter des élèves méritants en écartant les autres, ce qui a été perçu comme une injustice par ces derniers. Et puis il a pensé que sa vie privée lui appartenait, donc que révéler son homosexualité aux élèves, à ses supérieurs, à ses collègues était superflu.
Pourtant, comme le lui fait remarquer son directeur, cela l'aurait bien aidé dans la crise qu'il affronte. Julien répond, avec un sourire entendu, que ça aurait bien été la première fois - car, dans un collège de banlieue, dans un quartier "sensible", être un homo, ce n'est pas forcément un gage de tranquillité. ET d'ailleurs son compagnon, Walid, le sait encore mieux que lui : d'origine maghrébine et de confession musulmane, sa sexualité l'a mis au ban de sa propre famille, qui lui a même interdit d'assister aux obsèques de son père.
Ecrit avec Audrey Diwan (L'Evénement), le scénario traite excellemment de tous les facettes deu sujet abordé, sans manichéisme. Contrairement à Un Métier Sérieux dont je parlais récemment ici, Pas de Vagues sait faire des choix narratifs tranchés, et ne se disperse pas en voulant brosser un portrait choral du corps enseignant. Il évite aussi les clichés, ne montrant pas ce collège comme un sanctuaire où apprendre protège de tout ce qui extérieur, il ne sombre pas non plus dans le pathos en prétendant que tout est fichu.
En revanche, il détaille, de façon très dense et oppressante, en 90', la descente aux enfers de Julien. On pense au film Les Risques du métier (André Cayatte, 1967, avec Jacques Brel dans un rôle de prof confronté à l'injustice), mais Teddy Lussi-Modeste prouve sa qualité essentielle : savoir parler de ce qui lui est arrivé (il a été blanchi) sans aigreur. Ainsi, la bloc des enseignants autour de leur jeune collègue se fissure progressivement quand la tension affecte tout l'établissement, compromet les cours, et que le directeur est pris en flagrant délit de mensonge (ayant affirmé ne pas pouvoir porter plainte au nom du collège alors que l'avocat de Julien le contredit).
Les coups pleuvent de partout : d'autres collégiennes propagent des rumeurs, l'une d'elles (sur l'idée de sa mère) consigne les moindres faits, gestes et paroles de Julien en cours, une collègue tombe amoureuse de lui avant de connaître sa situation sentimentale, une autre ne tolère pas qu'il prétende aussi bien connaître le métier qu'elle qui est expérimentée... Quand Walid annonce qu'il va travailler pour son oncle (qui lui avait donc interdit d'assister aux obsèques de son père), Julien ne comprend pas comment il peut pardonner à un homme pareil et son couple subit indirectement les conséquences de ce qu'il traverse au collège.
La vérité éclate à la toute fin, mais le mal est fait, profond, terrible, Julien est au bord du suicide (il offre même à ses pairs d'en finir pour les soulager quand ceux-ci lui suggèrent de s'adresser aux parents d'élèves pour ramener le calme dans le collège). Saisissant. Et il est alors impossible de ne pas avoir en mémoire les affaires Samuel Paty et Dominique Bernard, lâchés par leur hiérarchie, tués par des barbares, isolés avant d'être érigés en héros de la République, en martyrs de l'école.
François Civil porte le film à bout de bras et il est impressionnant de bout en bout : son désespoir fend le coeur d'autant plus que son interprétation est d'une sobriété exemplaire. Dans le rôle de l'élève accusatrice, la jeune Toscane Duquesne est aussi remarquable, son silence étant plus meurtrier que tous les mots qu'elle prononce. Mallory Wanecque est elle aussi extraordinaire dans le rôle d'une autre élève qui met le feu au poudre. Shaïm Boumedine complète les premiers rôles en jouant l'amant effaré, craignant plus pour son compagnon que ce dernier qui estime qu'abandonner reviendrait à avouer un crime non commis et surtout à renier sa vocation - être ce prof qui change des vies comme un de ses enseignants a changé la sienne.
Intense, poignant, Pas de Vagues est plus complexe et intelligent que tous ceux qui l'ont jugé sur sa seule bande annonce.
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