Tandis que Etienne Lux prend l'avion pour Tokyo où il va assister au vernissage de l'exposition de Morishita Masumi et qu'il contacte télépathiquement Santa Valentina pour qu'elle l'escorte, celle-ci se remémore son passé, depuis sa naissance le 16 Juillet 1945 à Sao Paulo jusqu'au Summer of Love de 1969...
Sans vouloir passer pour un ravi de la crèche, on est quand même gâté en ce moment si on aime les comics. Je sais bien qu'il y a d'indécrottables geignards pour prétendre le contraire et je ne dis pas non plus que tout est parfait. Mais rien que cette semaine, on a droit à de superbes BD, des séries passionnantes, audacieuses, réalisées par des auteurs inspirés.
Je le dis avec d'autant plus de conviction que, en prenant le cas de The Power Fantasy, je n'étais pas du tout sûr de mon investissement en entamant cette série. Kieron Gillen est loin d'être un scénariste sur lequel je me jette avec confiance et si Image Comics est devenu la maison d'éditions des indépendants la plus importante du circuit, elle publie son lot de trucs improbables.
Mais j'ai aussi remarqué que, parfois, souvent même, des auteurs dont le travail chez les Big Two ne me comblaient pas trouvaient davantage grâce à mes yeux une fois qu'ils étaient édités en creator-owned, comme si dégagé des contraintes imposées par Marvel ou DC, ils exprimaient réellement leur potentiel et produisaient des projets intéressants.
Et ce qu'accomplit Gillen depuis trois mois avec The Power Fantasy me plait énormément, au point où j'en suis à me demander si ce scénariste n'est pas bipolaire pour être aussi agaçant quand il est chez Marvel alors qu'il donne à voir une toute autre image de son talent quand il oeuvre pour Image ici.
Ce troisième chapitre est quasiment une origin story dans la mesure où Gillen nous montre le passé de Santa Valentina, qui est certainement la plus puissante des personnages de sa série. On avait pu s'en douter lors du premier épisode, mais après celui-ci, le doute n'est plus guère permis. Et donc ses origines sont contées de façon à la fois elliptique et captivante.
Etienne Lux, le télépathe français qui a tué le président des Etats-Unis d'Amérique, s'envole pour Tokyo où il va assister au vernissage de l'exposition de Morishita Masumi, une autre membre de la "famille nucléaire" à laquelle il appartient. C'est un fugitif certes mais qui, grâce à ses pouvoirs, peut déjouer toute traque lancée contre lui. Néanmoins, il ne doute pas qu'on finira pas le repérer et l'éliminer, même s'il est entouré d'innocents.
Il va donc demander à Santa Valentina d'escorter l'avion de ligne dans lequel il se trouve. Elle sort juste d'une réunion secrète avec Jacky Magus, Ray Harris et Eliza Hellbound, qui ont justement discuté d'Etienne, de sa situation, des répercussions pour les individus comme eux, de la possibilité qu'il puisse les manipuler un jour. Etienne le sait et Santa a fermement fait savoir qu'elle souhaitait rester neutre (tout en signalant qu'elle protégerait son ami).
En cinq dates, Kieron Gillen va résumer la vie de Santa : née à Sao Paulo le 16 Juillet 1945, au moment précis où, à Los Alamos, les Etats-Unis testaient la bombe atomique, elle parlait déjà quand elle est sortie du ventre de sa mère. L'armée brésilienne a cherché à en faire une arme, elle a fui et s'est choisie une autre famille, mais surtout une autre situation, au-dessus de la mêlée. En 1957, elle rencontre Etienne. En 1962, elle intervient dans la crise des missiles cubains. En 1969, Nixon tente de la supprimer...
D'une manière similaire, mais différente, à celle de Alan Moore quand il imagina Dr. Manhattan, un homme investi d'un pouvoir si immense qu'il bouleversa l'Histoire du monde, Gillen imagine ce que signifierait concrètement l'existence d'une femme comme Santa Valentina à travers des événements à la fois mineurs et majeurs pour la Terre.
Le scénariste est un fan de pop culture et comme il l'explique dans la postface de cet épisode, un chapitre comme celui-ci était le moyen à la fois de commenter la manière dont cette pop culture raconterait l'existence de super puissances incarnées et de montrer quelles seraient les conséquences. Je ne vais rien spoiler, mais attendez-vous à une claque en découvrant la dernière planche dessinée par Caspar Wijngaard qui montre ce à quoi ressemble l'Europe dans The Power Fantasy.
Si vous prenez la mesure de ce que vous découvrez avec cette planche, alors vous mesurez aussi encore plus intensément ce à quoi peut ressembler un monde avec six individus semblables à Santa Valentina. Le vertige que cela suscite chez le lecteur est saisissant et quand une série fait cet effet-là au bout de seulement trois épisodes, alors on se dit que la suite promet, mais aussi que les auteurs font preuve d'un sacré culot.
Caspar Wijngaard, comme l'explique Gillen, a travaillé de son côté, sans montrer ses esquisses au scénariste. Il l'a laissé libre d'interpréter son script. Gillen insiste sur le fait qu'une BD est un objet collaboratif entre son scénariste et son dessinateur,, ce dernier n'est pas simplement là pour mettre en images l'histoire, il en est le véritable co-auteur.
Mais ce que fait Wijngaard, c'est relever un vrai défi. Chaque décennie a un artiste qui la résume (Kirby pour les 60's, Miller pour les 80's - dixit Gillen). Confronté au défi de représenter une époque en peu de pages pour une histoire qui couvre plusieurs décennies (de 1945 à 1999 ici), Wijngaard trouve des solutions simples mais fortes, avec notamment l'emploi de couleurs vives, un découpage différent à chaque fois.
Ce que font Wijngaard et Gillen ici, dans cet épisode précis, c'est mettre en scène la toute puissance incarnée, comme Moore le fit avec Dr. Manhattan (à l'ombre duquel tout le monde vivait dans Watchmen). Le monde de The Power Fantasy vit ainsi, en grande partie, dans l'ombre de Santa Valentina, qui, à la différence de Manhattan, n'est pas une déesse détachée de l'humanité par son pouvoir immense, mais quelqu'un de beaucoup plus impliqué, de plus sensible, de plus volatile aussi (comme on le dirait d'un produit explosif).
Tout cela forme un récit passionnant, profond et divertissant à la fois. The Power Fantasy est sûrement, avec la SF high concept que peut écrire Hickman, ce que les comics ont digéré de plus captivant de Watchmen. Souhaitons que ça continue sur cette lancée pour mériter d'être flatteusement comparée au chef d'oeuvre de Moore et Gibbons.
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