Sur une jetée de Mammoth City, Plastic Man a réuni son équipe - le Dr. Menlo, Woozie, le Dr. No-Face et Uranium - pour tenter l'opération de la dernière chance afin de les sauver, lui et son fils Luke. Robin tente de les empêcher de déclencher une explosion nucléaire, puis Uranium de retourner Luke contre son père...
C'est le dernier épisode d'une des mini-séries les plus singulières du DC Black Label. Christopher Cantwell, souvenons-nous, avait présenté son projet comme une tentative de faire de Plastic Man un homme mourant et d'inscrire son agonie dans un récit empruntant au body horror. Un défi étonnant quand on sait que l'homme élastique est connu pour son tempérament comique.
Mais justement l'intérêt du Black Label, c'est de pouvoir imaginer les histoires les plus improbables pour les héros, particulièrement les super-héros de second rang. La plupart des mini-séries ne sont pas inscrites dans la continuité, aussi les auteurs se livrent à des expériences en sachant qu'il n'y a aucune limite, surtout pas celle de faire des mélanges improbables.
Le projet de Cantwell n'est pourtant pas si incongru que ça : les origines de Plastic Man ressemblent à une histoire horrifique, avec une cuve de produit chimique qui se déverse sur lui lors d'un braquage et le dote de pouvoirs déformant son corps. Dans un premier temps il va se venger des complices qui l'ont laissé pour mort puis se racheter une conduite en devenant Plastic Man.
La création de Jack Cole aura ainsi une carrière étonnamment longue (83 ans au compteur) et il intégrera même la Justice League, sorte de promotion inattendue. Cantwell a retenu tout ça, l'a versé dans un mixeur et le résultat s'est avéré aussi souple que le personnage, capable non seulement de s'étirer comme son collègue Elongated Man chez DC ou Mr. Fantastic chez Marvel, mais surtout de prendre la forme qu'il souhaite (surtout les plus farfelues).
La notion de mortalité chez les super-héros est rarement explorée puisque, par nature, les super-héros ne meurent jamais - ils ressuscitent même souvent, aussi bien narrativement qu'éditorialement. Ce qui me semble encore plus rare, c'est que leurs pouvoirs soient la cause de leur mort. Evidemment, souvent, les super-héros vivent leurs capacités extraordinaires à la fois comme un cadeau et une malédiction, mais tout compte fait c'est plutôt la première option qui l'emporte.
Dans All-Star Superman, Grant Morrison imaginait ainsi qu'une absorption massive de radiations solaires lors d'une mission de sauvetage dans l'espace condamnait le man of steel. Au lieu des douze épisodes de ce classique, Cantwell a préféré quatre chapitres avec une pagination augmentée pour compresser le calvaire de Plastic Man qui découvre que le produit toxique qui l'a transformé finit par le tuer.
Même dans ses histoires les plus drôles, Plastic Man a conservé une part de bizarrerie trouble et beaucoup d'artistes ont signé des dessins avec ce personnage dans des situations à la fois amusantes et dérangeantes : je me souviens d'une illustration de Mitch Breitweiser où Plastic Man devenait une plaque d'égout matant sous les jupes des femmes qui marchaient dessus sans le savoir, en faisant de facto un voyeur peu ragoûtant - voir ci-dessous :
C'est ce même sentiment qui anime l'histoire de Cantwell où on voit, au fil des épisodes et des péripéties, un Plastic Man en train de littéralement se désagréger, de se liquéfier. Le dessin au trait gras et aux formes tremblantes d'Alex Lins souligne le malaise que génèrent ces scènes et dans ce dernier épisode, on a droit à quelques ultimes dégradations physiques vraiment malaisantes, ce qui me fait dire que ce n'est quand même pas lisible par tous.
Et pourtant, de ce malaise naît la réussite du projet, parce que Cantwell et Lins vont vraiment jusqu'au bout, il n'épargne ni le personnage, ni le lecteur. Le plan imaginé par Plastic Man et ses complices et délirant et les chances qu'il aboutisse sont ridicules et inquiétantes (on parle quand même de provoquer une explosion nucléaire). Mais tout cette dimension body horror est assumée et culmine dans un final à la fois cauchemardesque et poignant.
Car, in fine, l'histoire est moins celle de l'agonie d'un super-héros que de la faillite et de la tentative de se racheter d'un père. Plastic Man cherche moins à se sauver qu'à sauver son fils, dont il craint qu'il périsse de la même façon que lui : c'est très émouvant.
Et puis, le récit secondaire, c'est celui d'un héros méprisé parce que c'était le clown de service et que la Justice League n'a retenu que ça de lui. Le portrait que fait Cantwell de la Ligue est terrible, d'autant plus que, pour les pages qu'il y consacre, les dessins sont cette fois réalisés par Jacob Edgar et son style proche du cartoon, de Bruce Timm, Ty Templeton, Rich Burchett, naïf, ligne claire.
Plus que jamais on voit Superman, Batman et compagnie complètement sourds et aveugles aux seconds couteaux de leur équipe, à la détresse de Plastic Man suit l'écoeurement de son fils Luke dans une scène dévastatrice.
Mine de rien, donc, Plastic Man No More ! aura été d'une ambition folle mais accomplie. Christopher Cantwell n'est décidément jamais meilleur qu'avec des personnages d'outsiders (comme dans The Blue Flame), et quand en plus il a deux artistes qui le complètent aussi bien, c'est parfait.
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