lundi 9 décembre 2024

FLOW, LE CHAT QUI N'AVAIT PLUS PEUR DE L'EAU (Gints Zilbalodis, 2024)


Un petit chat noir erre dans une forêt lorsqu'une meute de chiens l'effraie au bord d'un cour d'eau où ils viennent attraper des poissons. Lorsqu'un des poissons leur échappe et que le chat s'en empare, les chiens lui courent après mais il réussit à les semer. Il croise un troupeau de cerfs qui court dans le sens inverse avant de s'apercevoir d'une brusque montée des eaux. Le chat rejoint une maison abandonnée décorée de sculptures imposantes où un labrador retriever le suit. Mais la crue continue et engloutit la maison puis la plus haute des statues sur laquelle a grimpé le chat.
 

Il saut alors à bord d'un voilier qui dérive par-là et à bord duquel se trouve un capybara. Le lendemain matin, alors que navire vogue au milieu d'une forêt submergée dominée par des piliers de pierre, le chat passe par-dessus bord en essayant d'éviter un héron secrétaire. Il commence à se noyer lorsqu'une baleine, en remontant à la surface, ne le sauve providentiellement. Le héron rattrape le chat et le ramène à bord du voilier. 


Alors que l'eau continue de monter, le capybara invite à bord un lémurien avec son panier rempli d'objets divers grapillés dans une maison déserte. Plus tard ils sont rejoints par le labrador. Ensemble ils accostent sur un morceau de terre préservée par la crue où une bande de hérons les accueillent avec hostilité jusqu'à ce que l'un d'eux s'interpose pour les protéger. Le chef de la bande d'oiseaux lui casse une aile et l'abandonne. Le chat, le chien, le lémurien, le capybara et l'oiseau reprennent le large ensemble...


Jusqu'à présent, le film qui m'avait le plus enthousiasmé, surpris, ému, etc., cette année restait Love Lies Bleeding. Mais je crois qu'il vient de céder sa première place sur le podium par Flow, le chat qui n'avait plus peur de l'eau, un véritable ovni et aussi un authentique chef d'oeuvre du cinéma d'animation, à mille lieues de tout ce que vous connaissez.


Ne vous attendez pas à quelque chose qui ressemble à un film d'animation Disney, Pixar, Dreamworks : Flow est l'oeuvre d'un cinéaste letton dont c'est le deuxième opus, après Ailleurs (2019 - qu'il avait fait entièrement seul !). Ici, pas d'animaux qui parlent, pas d'anthropomorphisme, pas de chansons, même pas de morale, mais une expérience incroyablement immersive et visuellement somptueuse.


Ce qui frappe d'emblée, c'est le récit qui nous plonge, c'est le cas de le dire, dans une relecture du déluge à travers les yeux d'un petit chat noir. L'humanité semble avoir disparu, les maisons, bâtiments, villes qu'on va parcourir sont déserts, et on n'est pas plus informé sur l'époque. Cela pourrait se dérouler à l'aube des temps ou après l'apocalypse.


Ce minou au grands yeux si expressifs voit l'eau monter et submerger les terres. Il saute dans un voilier déjà occupé par un capybara, et bientôt ils seront rejoints dans leur navire de fortune par un lémurien, un chien, un oiseau. Ces cinq animaux que rien ne lie, qui ne se comprennent pas, mais qui vont devoir cohabiter et s'entraider forment une bande formidablement attachante, sans qu'un mot ne soit échangé.


Les sons, en dehors de la musique, sont ceux produits par ces animaux, il n'y a pas de sous-titres, mais il n'y en a pas besoin. On devine tout, on comprend tout, c'est proprement fascinant. De son propre aveu, Gints Zilbadolis pense toujours ses histoires sans dialogues pour tester la solidité du récit, s'il fonctionne sans mots. 

Ce geste, qui confine à l'épure, permet surtout de toucher à quelque chose d'universel. D'ailleurs l'idée de départ de Flow vient d'un court métrage qu'il avait réalisé sur un chat qui avait peur de l'eau. Ce qui relève de l'instinct primal, inutile à expliquer - et ce qui fait gagner du temps pour le reste. L'eau est un élément qui alimente des scènes à la fois paisibles mais aussi effrayantes, empêchant le spectateur de s'ennuyer.

C'est aussi une texture extrêmement compliquée à reproduire en animation car il faut en restituer la fluidité, la force, le calme. Les efforts de l'équipe technique s'avèrent payant, le résultat est tout simplement ahurissant de réalisme. Par un effet de contraste surtout avec le design très simple des animaux, à commencer par ce chat noir et ses grands yeux, puis le labrador beige, le capybara marron, le lémurien gris et le héron blanc.

Le scénario ne cherche pas la surenchère : une fois la situation de départ posée, on assiste à une traversée émaillée de péripéties somme toute convenues. Le chat passe par-dessus bord plus d'une fois (et apprend ainsi à nager, puis pêcher), des oiseaux se battent, des chiens sèment la zizanie, une baleine passe en libérant le voilier d'un arbre dans les branches duquel le mat s'était pris...

Mais c'est précisément cette volonté assumée de ne pas écrire et mettre en scène des rebondissements extravagants qui rend le film si palpitant. Plus d'une fois on craint pour la vie de ces cinq animaux et du petit chat en particulier sans que le surnaturel ou d'autres artifices dramatiques ne soient convoqués. Le capybara est pataud, le chien pas bien malin, le lémurien égoïste, le héron énigmatique et on se demande s'ils vont simplement survivre.

Les décors qui ponctuent cette odyssée sont également merveilleux sans ostentation. Simplement parce qu'ils sont vus à hauteur d'animaux, et apparaissent démesurés ainsi, inquiétants souvent, sans que la musique n'ait besoin d'appuyer les ambiances. Mais en suivant ce petit groupe au milieu de ces vestiges, on s'interroge sur ce qui est arrivé aux hommes -et s'ils ne sont pas entretués, laissant le monde aux bêtes sauvages.

Cette interrogation, qui restera sans réponse, hante alors le récit et transforme Flow en une sorte de fable à la fois lugubre et mélancolique, invitant le spectateur à réfléchir sur la fragilité de sa condition. L'écho que rencontre alors l'histoire avec les nouvelles les plus sinistres de l'actualité devient alors plus troublante que jamais. Toutefois, Zilbadolis n'assène rien, il laisse à chacun la liberté d'interpréter ce qui est arrivé et comment et quand et pourquoi.

Le cinéaste trouve des points communs étonnants à son film avec le récent Mad Max : Furiosa. Je ne pourrai pas abonder dans son sens car je n'ai pas vu le long métrage de George Miller, mais c'est tellement inattendu que ça me donnerait presque envie de le visionner pour vérifier. Toutefois, il ne faut pas être sorti de Saint-Cyr pour comprendre que ce que Gints Zilbadolis suggère : dans les deux cas, on évolue dans une sorte de survivalisme pour les héros et la narration visuelle est primordiale.

Quoi qu'il en soit, sir Flow, le chat qui n'avait plus peur de l'eau passe dans une salle de cinéma près de chez vous, courez le voir. Vous serez éblouis par sa beauté et sa subtilité. Un chef d'oeuvre, je vous dis !

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