mardi 24 décembre 2024

HO ! HO ! HO ! JOYEUX NOËL !

 Je vous souhaite à tous, qui me suivent régulièrement
ou occasionnellement, un très Joyeux Noël !


"Chérie, dépêche-toi de finir de décorer le sapin, les invités vont arriver !"



RDB.


lundi 23 décembre 2024

G.I. JOE #2 (Joshua Williamson / Tom Reilly)


L'opération menée par l'organisation Cobra pour dérober l'élément d'un Transformer, qui lui servira à maîtriser l'Energon, a laissé l'équipe G.I. Joe sur le flanc. Plusieurs morts sont à déplorer et les cadres sont tous à l'infirmerie. Le colonel Hawk leur présente l'agent Guerrero "Risk" La Caza qui enquête de son côté...


Bon, pour finir cette semaine très chargée (et encore il me restait deux titres à passer en revue, mais j'ai décidé que j'en parlerai dans le courant de la semaine parce que je frise la surchauffe et que Noël est tout près - ça fera du bien à tout le monde), je vais donc vous parler du deuxième n° de G.I. Joe.


Franchement, c'est tout con, mais je ne pensais que j'accrocherai autant et si vite. La lecture de la mini Duke m'avait emballé et motivé à poursuivre l'aventure avec G.I. Joe, et le plaisir est intact. C'est du comics popcorn complétement assumé, qui ne demande aucun effort, et c'est un régal, comme pouvaient l'être les films d'action des années 80 avec Stallone, Schwarzie et Bruce Willis.


Pourtant, ce n'est plus un cinéma que je fréquente. Non pas par élitisme, mais simplement parce que d'autres choses m'attirent plus. En revanche, ce style de récit entièrement tourné vers l'action, la baston, l'aventure, c'est encore pire si j'ose dire parce que je ne m'y suis jamais vraiment intéressé. Moi, j'étais plus western, espionnage à la rigueur, polar.


Et ben, ça me plaît beaucoup parce que, sans doute, c'est une manière de raconter des histoires tellement dépouillées, décomplexées, et même disons-le bourrines, que c'est rafraîchissant. On a les bons d'un côté, les méchants de l'autre, c'est manichéen au possible, mais si on se prête au jeu, qu'on en accepte les règles, les conventions, c'est vite jouissif.

La base, dans cette recette, c'est le rythme. Il ne faut pas que les auteurs laissent au lecteur le temps de cogiter, sinon tout se casse la figure. Il ne faut pas oublier que cet univers, au départ, ce sont de jouets, et justement on doit renouer avec ce côté enfantin de manipuler des jouets, d'en respecter la naïveté, l'aspect toc, en imaginant les bruitages, la musique, l'intensité.

Voyez ce deuxième épisode : les méchants (Cobra) ont gagné une manche et les gentils sont tous à l'infirmerie (il y a même eu des morts, c'est terrible). Les méchants passent déjà à la prochaine partie tandis que les gentils découvrent qu'un agent travaille sur l'adversaire en secret et qu'ils vont devoir collaborer avec lui. Ni une ni deux, tout de suite, Risk et Duke se mettent sur la tronche parce que Duke, lui, il veut se venger tout de suite tandis que Risk (et le colonel Hawk) veulent mieux préparer la suite. En plus Risk, hé, il nargue Duke : le culot du mec !

J'ai l'air de me moquer, mais en fait, ce n'est pas pour ridiculiser cette série. Il y a une part de rigolade dans tout ça. Comme je le disais, c'est hyper manichéen, simpliste, tout est prétexte à de la castagne. Il n'y a que les méchants qui ne sont pas des primates portés sur l'échange de patates, parce que les méchants sont plus malins, vicieux, organisés, plus nombreux aussi (Cobra, c'est une armée, alors que G.I. Joe, c'est à peine un commando).

Et donc, oui, c'est rigolo parce que les héros sont d'une seule pièce : Duke, c'est un enragé, il est à fond les ballons, tendu à mort, lui ce qu'il veut, c'est massacrer les méchants et tant pis s'il est blessé, fatigué, il veut en finir. Si on pousse un peu, le mec serait un peu suicidaire, sauf que G.I. Joe, c'est pas la Suicide Squad, le colonel Hawk c'est pas Amanda Waller : c'est un officier haut gradé, qui a du respect pour ses hommes et qui sait que la guerre ne se gagne pas en un jour.

N'attendez pas des audaces narratives de G.I. Joe : Joshua Williamson est dans un bac à sable et il s'amuse comme un fou, mais il fait bien son job, il est passionné. Et il sait où il va, comment tenir le lecteur en haleine (la dernière page n'est même pas un cliffhanger, juste un petit twist sympa et accrocheur). C'est super efficace, rien de plus. Mais rien de moins.

Et puis cette série restera pour moi celle de la vraie révélation de Tom Reilly. Il y a des dessinateurs doués pour tout, il y en a qui sont polyvalents mais quand même plus à l'aise sur certains trucs, et puis il y a ceux qui trouvent la BD qui leur va parfaitement, celle pour laquelle ils étaient fait, destiné même peut-être.

Et Tom Reilly était fait pour G.I. Joe. C'est pas qu'il était pas bon sur du super-héros, où il aurait fini par faire son trou, mais là, sans déc', il est formidable. Il maîtrise son sujet, il est à fond lui aussi. Il s'amuse comme un gosse et il nous sort des scènes impeccablement découpées, avec des personnages superbement campés. C'est extra à lire parce qu'on voit qu'il est impliqué, investi, ce n'est pas un boulot de commande ordinaire pour lui : c'est son kif.

Et il le communique merveilleusement. Jordie Bellaire aussi, c'est comme si on la redécouvrait. On ne l'attendait pas sur une série comme ça, elle qui a un agenda de ministre, qui bosse sur les titres les plus vendeurs, avec les meilleurs artistes. Mais là, elle est sobre dans sa palette, elle semble se payer des vacances, et elle respecte le trait, simple, économe, dépouillé mais puissant, de Reilly.

C'est un peu un plaisir coupable, je l'admets, mais si je ne devais garder qu'une série non-super-héroïque, régulière, alors G.I. Joe aurait tout pour me combler. C'est fun, c'est direct, ça détend, et en même temps, c'est incroyablement prenant. Va falloir surveiller ça quand Urban le traduira en 2025 : croyez-moi, vous allez être mordus vous aussi !

THE TIN CAN SOCIETY #4 (of 9) (Peter Warren / Francesco Mobili)


Que s'est-il passé il y a cinq ans quand Johnny Moore dans son armure de Caliburn est rentré auprès de Kasia, maculé de sang ? La réponse est détenue par Adam, un de ses amis, qui, après un début de carrière prometteur comme footballeur à l'université, a vu sa carrière stoppée net par une blessure...


Peter Warren, le scénariste de The Tin Can Society, avait prévenu : cet épisode serait "wild". Il n'a pas menti. Le lecteur, à la dernière page, est une nouvelle fois complètement bouleversé par ce qu'il vient d'apprendre. L'intrigue multiplie les surprises et creuse plus profond ses protagonistes, leurs relations, leurs secrets.


Ne pas se reposer sur ses acquis, voilà bien le mérite de The Tin Can Society qui aurait pu développer sagement son postulat (l'assassinat d'un magnat de la tech qui était aussi un super-héros en armure) mais ne s'en est pas contenté, conscient que justement ce n'était qu'un début et que les personnages gravitant autour de son héros mort réservaient bien des rebondissements.


Jusqu'à présent, Warren entraîne à chaque épisode le lecteur dans l'exploration d'un des membres de cette société de la boîte de conserve pour les cerner, lui et Johnny Moore. Le procédé est habile même s'il est mécanique, mais c'est l'écriture, subtile, sensible, puissante, qui touche par son acuité, sa précision, son intensité.


Dans ce quatrième épisode, on revient en détail sur ce que la fin du précédent numéro révélait à sa toute dernière page, quand, une nuit, Johnny Moore/Caliburn rejoignit Kasia, son armure maculée de sang, avouant qu'il avait merdé. Je ne veux pas spoiler ce qui s'est passé, aussi m'excuserez-vous de rester vague, mais c'est pour votre bien, quand vous aurez l'occasion de lire à votre tour cette histoire, quand elle sera disponible en trade paperpack en vo ou dans un album en vf.

Ce qui m'a saisi ici, c'est que Warren avait présenté Johnny Moore comme un authentique type bien : inventeur de génie qui avait su compenser son handicap, devenir un super-héros, l'idole de beaucoup de gens... Mais le scénariste a visiblement ressenti la nécessité de nuancer un peu ce portrait flatteur en exposant la face sombre de Caliburn.

Cela ne signifie pas qu'il en fait un sale type, trop bon pour être honnête, mais surtout qu'il révèle une erreur tragique, une lâcheté passée, qui aura impacté, sans qu'il le sache, un de ses plus proches amis. Cet ami, c'est Adam : aujourd'hui, c'est un homme brisé, qui a dû renoncer à tout ce dont il rêvait plus jeune, quand il était promis à un grande carrière de footballeur, interrompue par une blessure.

Se remet-on jamais de voir son grand espoir partir en fumée ? Surtout quand on découvre ensuite que son meilleur ami refuse de faire de vous son partenaire, un héros ? Le drame de Adam, c'est qu'il a toujours, même quand il a tout perdu, nettoyé la merde de Johnny Moore, sans rien demander en retour, et que, surtout, Johnny a ignoré ce qu'il avait fait pour lui.

Une nouvelle fois, la fin de l'épisode remet tout en jeu quand la veuve de Johnny décide d'un mouvement qui aura des conséquences importantes et qu'on découvre qui a volé l'armure de Caliburn, et donc qui a tué Johnny... Quel grand huit !

Une nouvelle fois aussi, on est ébloui par les planches de Francesco Mobili qui est vraiment un immense dessinateur et qui a eu bien raison d'arrêter de jouer les utilités chez Marvel (même s'il continue de signer des couvertures pour l'éditeur - il a raison, c'est très bien payé, parfois mieux que les pages intérieures). Là, il est inspiré par un scénario en or et pour lequel il donne tout.

Complet dans tous les registres, il s'illustre particulièrement ici dans le domaine de l'expressivité. Adam est un personnage qui s'y prête, son visage exprimant une foule d'émotions refoulées qu'il ne peut plus contenir en avouant ce qu'il a fait à Val, Greg et Kasia. Mobili réussit aussi, de façon très fine, à montrer la déchéance de Adam, jeune homme plein de santé et désormais adulte en surpoids, le crâne dégarni, la mine déconfite.

Les couleurs de Chris Chuckry sont encore phénoménales et se marient impeccablement au trait de Mobili. Il y a une vraie harmonie entre le dessin et la colorisation, que je trouve exemplaire par rapport à beaucoup de comics où les coloristes en font parfois trop (notamment quand il s'agit carrément d'effacer les traces d'encrage).

The Tin Can Society est d'ores et déjà une des très grandes séries de l'année et de 2025, une oeuvre rare et mémorable, écrite et mise en images avec génie - et je pèse mes mots.

dimanche 22 décembre 2024

THE POWER FANTASY #5 (Kieron Gillen / Caspar Wijngaard)

 

Qui est Jacky Magus ? Il fait partie des anges et démons alignés avec la famille nucléaire. Mais avant cela, il était un anarchiste britannique qui avait fondé la pyramide, un culte bâtie sur l'information, détruit lors du Summer of Love de 1989. Aujourd'hui, Jacky Magus s'est réinventé en homme d'influence au sommet du pouvoir des Etats-Unis, qui vient justement de perdre son président par la faute d'Etienne Lux...


Ce cinquième épisode clôt le premier arc narratif de The Power Fantasy. Kieron Gillen nous présente les origines de Jacky Magus, un des personnages les plus mystérieux de son groupe de surhumains jusque-là, e visage toujours caché par une masque métallique, maître de la pyramide où ses semblables se réunissent en cas de crise.


Kieron Gillen a divisé ses surhumains en deux catégories : la famille nucléaire, avec le télépathe Etienne lux, le gourou télékinésiste Ray Harris, et l'artiste Masumi Morishita ; puis ceux qu'il appelle les anges et démons, avec Santa Valentina, Eliza Hellbound et donc Jacky Magus. Pour résumer, le premier groupe tient ses pouvoirs de la science, le deuxième de l'occulte.


Jacky Magus est donc un être paranormal. Sauf que... Non. Il apparaît qu'il a certainement appris les arts occultes, mais que c'est surtout quelqu'un dont le vrai pouvoir repose sur l'information, leur obtention et leur manipulation. Santa Valentina est une force paranormale, certainement la plus puissante des six ; Eliza Hellbound a des pouvoirs mystiques encore nébuleux, mais Jacky Magus a tout d'un imposteur.
 

Gillen est scénariste fasciné par la pop culture et la manière dont elle infuse les idées, comment elle créé des produits et comment ces produits se recyclent indéfiniment. Dans sa série The Wicked + The Divine, il s'inspirait des pop stars pour en faire l'équivalent moderne des dieux. Dans The Power Fantasy, il nuance le concept : comment six humains sont devenus des dieux.

Il semble bien que Jacky Magus n'ait pas de pouvoir particulier sinon, donc, celui d'être quelqu'un de malin, plus malin qu'intelligent, manipulateur, opportuniste, meneur de troupes et en même temps leader isolé. Il a été un anarchiste anglais qui a compris que le chaos ne menait nulle part mais qui a aussi intégré qu'être un "trou du cul" (arshole en vo) était une manière d'avoir du pouvoir, d'être un conquérant désinhibé.

Gillen montre donc comment cet individu cynique et excentrique a fondé une sorte de culte bizarre sur le schéma d'une pyramide au sommet de laquelle il se trouvait en tant que trou du cul suprême et a convaincu quelques personnes de le suivre non pour semer le désordre mais pour l'anticiper et l'utiliser à son avantage. Une sorte donc de super influenceur.

Encore une fois, l'histoire marque un temps d'arrêt sur le Summer of Love de 1989 qui, dans cette série, est la date d'un drame épouvantable, une charge armée contre des jeunes qui festoyaient et qui a tourné au massacre. L'impact a dévasté le culte de Magus qui, d'abord affligé, a ensuite rapidement compris qu'il était en partie responsable pour ne pas avoir pris la mesure de la situation et qui a ensuite changé de stratégie : ne plus être hors du système, comme un anar, mais à l'intérieur, pour peser dessus.

La fin de l'épisode le voit pénétrer le plus haut sommet de l'Etat américain et il est impossible de ne pas penser à Elon Musk avec Donald Trump aujourd'hui. Sans aller jusqu'à considérer l'oeuvre comme prophétique, parce que l'alliance Musk-Trump date déjà d'un certain temps, il est évident que cela a dû inspirer Gillen pour Jacky Magus (même si ce dernier n'est pas un entrepreneur richissime comme Musk mais doit disposer d'entrées dans le grand monde d'une autre manière).

Si j'ai une réserve, elle ne concerne pas l'épisode en tant que tel, mais la structure de ce premier arc. Je ne comprends pas pourquoi Gillen le termine avant d'avoir présenté tous les six surhumains. Il ne reste que Eliza Hellbound, qu'on voit très proche de Magus dans cet épisode puis ensuite transformée en une créature visiblement puissante mais aussi à l'aspect très particulier (l'aspect le moins humain des six). 

Il m'aurait paru plus logique et opportun de boucler le premier cycle de la série ainsi. Mais visiblement, comme il l'explique dans la postface de ce numéro, Gillen a beaucoup révisé son plan puisqu'initialement il prévoyait un premier arc en douze puis huit numéros (et il explique pourquoi, de façon très intéressante, pourquoi il a raccourci tout en préparant la suite). En attendant de voir où cela va nous mener, The Power Fantasy va faire un break d'un mois et reviendra en Février (en Janvier sortira le trade paperback des cinq premiers épisodes).

Caspar Wijngaard utilise pour cet épisode uniquement en flashbacks de nombreuses pages en noir et blanc réhaussé de niveaux de gris. C'est un procédé étonnamment classique de sa part puisque cette astuce visuelle sert fréquemment pour raconter des événements passés. Cela concerne cependant uniquement des scènes avec Magus en son centre. Car, à l'intérieur de ces flashbacks, on a droit aussi à des planches en couleurs mais qui se déroulent aussi dans le passé, un passé plus récent et focalisé sur des moments clés (comme le Summer of Love'89).

Wijngaard a ce style particulier qui lui permet de camper des personnages avec une économie de traits épatante, de zapper les décors pour les remplacer par des camaïeux de gris ou de couleurs afin de souligner davantage les ambiances que les environnements. Cette singularité graphique permet de ne pas le soupçonner de se débarrasser de ce qu'il pourrait ne pas aimer dessiner parce que le rendu est intense et intelligent à la fois.

Le lettrage de Rian Hughes est aussi particulièrement important parce qu'il permet d'indiquer au lecteur des évolutions dans le langage, le volume sonore de quelques dialogues, et d'accompagner des images comme celle (voir ci-dessus) d'un graphique représentant la pyramide de Magus et sa hiérarchie. Ici, le lettreur devient un graphiste à part entière, participant à l'identité visuelle de la série, comme un designer (ce qui rappelle énormément ce que fit Tom Mueller avec Hickman sur toute la franchise X).

Comme je le dis plus haut, la série s'interrompt pour un mois et en Janvier paraîtra le premier recueil de The Power Fantasy en vo chez Image Comics. Je dois dire que je ne partais conquis sur ce titre étant donné mon rapport compliqué avec les histoires de Kieron Gillen et j'ai été agréablement surpris. Toutefois, je ne pense pas poursuivre, en tout cas sous la forme actuelle, mensuelle.

En effet, The Power Fantasy sort l'avant-dernière semaine de chaque mois, qui se trouve être une semaine embouteillée pour moi. Non seulement, ça commence à faire une addition salée en single issues, mais surtout j'ai l'impression de passer mes journées à critiquer des comics sans souffler. Vous allez me dire, et vous aurez raison, que je n'ai qu'à en acheter moins.

Mais je n'ai pas trouvé quoi sacrifier, même si je pense qu'il est inévitable que j'arrête quelques titres, quitte à les poursuivre en tpb, mais ça ne résout qu'une partie du problème, surtout quand ce sont des séries sans fin prévue. Je vais donc prioriser les séries limitées mensuellement et quelques ongoing, mais pour d'autres titres je verrai si je les reprends en recueil. 

C'est aussi bien pour vous qui me faîtes le plaisir de lire mes critiques car en en postant autant, je ne suis pas certain que ce soit très digeste et que tout vous intéresse. Entre cette considération et parfois une certaine fatigue qui s'installe de mon côté, la prudence et la modération prévalent. Pour The Power Fantasy, je suis au moins satisfait d'arrêter la série sous cette forme avec un arc complet.

THE NEW GODS #1 (of 12) (Ram V / Evan Cagle & Jorge Fornés)


Metron révèle à Izaya, le Haut-Père de Néo-Génésis, être porteur d'une prophétie selon laquelle la mort de Darkseid va être contrebalancée par l'émergence d'un nouveau dieu sur Terre. Soucieux, Izaya missionne Orion, son fils adoptif, de tuer l'enfant. Mais Orion prévient Scott Free de cela et lui demande de trouver l'enfant avant lui et de le cacher...


Il y a environ une semaine ou deux, alors que la preview de ce premier épisode de The New Gods circulait déjà, en consultant les commentaires sur un réseau social, je suis tombé sur les propos d'un fan de comics disant qu'il n'était plus hypé par les nouveautés en provenance de Marvel alors que celles proposées par DC l'excitaient désormais bien davantage depuis un certain temps. Et il citait pour appuyer sa déclaration The New Gods.


Ce qui m'a troublé alors, c'est que je me retrouvai dans ce commentaire, et je crois que nous sommes nombreux dans cette disposition d'esprit actuellement. Je ne dirai pas que Marvel a abandonné toute ambition, mais il suffit de jeter un regard aux news de l'éditeur pour se rendre compte que, rien que ce mois-ci, rien ne sort du lot. A la rigueur, il y a le relaunch (encore un...) d'Amazing Spider-Man en Avril 2025, mais c'est parce que Pepe Larraz en sera un de dessinateurs (avec l'inamovible John Romita Jr.).


Mais à part ça ? Rien. J'ai souvent eu l'occasion de dire tout le bien que je pensais de l'offre éditorial de DC, qui, par exemple, a su offrir aux auteurs un espace pour des oeuvres plus audacieuses comme le Black Label, et on va assister au retour de Vertigo après celui des Elseworlds. Du côté de la production régulière, plusieurs séries, avant et après le nouveau statu quo (DC All-In), possédaient des atouts créatifs accrocheurs.


Pendant ce temps, ces derniers mois, Marvel a relancé la franchise X-Men pour un résultat qui ne m'a personnellement pas comblé (en tout cas sur les titres les plus attendus), Avengers a perdu énormément de son cachet, Fantastic Four est dans la moyenne, et les events se multiplient comme des champignons. Est-ce là vraiment toute l'ambition du leader du marché et de son editor-in-chief, C.B. Cebuski, dont on a cru qu'il allait remettre l'artistique au centre du village (quelle bonne blague...).

The New Gods illustre parfaitement l'ambition de DC en revanche. Ram V sort d'un run sur Detective Comics, après avoir écrit Catwoman. L'éditeur lui a demandé ce qu'il souhaiterait faire à présent, car depuis quelques années, le scénariste accumule les récompenses avec ses récits en creator-owned et il faut donc le cajoler pour le garder.

Contre toute attente, alors qu'il aurait pu demander à peu prés n'importe quoi en étant sûr de l'avoir, Ram V a jeté son dévolu sur The New Gods parce que, comme il l'a dit, il voulait jouer avec ce à quoi plus personne ne s'intéressait. Bien entendu, des New Gods de Jack Kirby, le personnage de Darkseid continue d'alimenter la chronique (encore récemment avec le n° spécial DC All-In et la création de l'univers Absolute), mais ce n'est que le partie émergée d'un iceberg géant.

Il faut le rappeler, Kirby a travaillé à deux époques différentes chez DC, d'abord dans les années 50 lorsque les super-héros étaient au plus bas, puis à la fin des années 60 jusqu'au milieu des années 70, après avoir claqué la porte de chez Marvel suite à sa brouille avec Stan Lee. Avant de revenir dans "la maison des idées", il aura lancé plusieurs idées qui lui survivront chez DC, bien qu'elles n'aient pas connu le succès commercial.

Parmi celles-ci, la plus importante aura été le corpus des New Gods, quatre séries entremêlées (New Gods, Mister Miracle, Forever People, Superman's Pal Jimmy Olsen) qu'il a écrites et dessinées simultanément (!), même si le projet initial de proposer à d'autres de développer ces concepts (lui n'en aurait conservé qu'un). Une relecture de ce qu'il avait fait sur Thor et qui synthétisait sa passion pour les mythologies.

Par la suite, Kirby parti, DC a longtemps semblé ne pas savoir quoi faire des New Gods, hormis Darkseid donc, devenu un méchant récurrent et charismatique. L'éditeur les aura tués, ressuscités, oubliés, recyclés... Tom King et la réalisatrice Ava DuVernay voulaient même en tirer un long métrage. Et donc Ram V ambitionne de leur redonner vie - mieux même : de leur donner une place centrale dans le DCU.

Mais il convient de préciser une chose, essentielle : Ram V ne veut pas prolonger ce que Kirby a établi, il arrive avec ses propres idées, sa propre formule, sa propre compréhension du titre. Il veut à la fois s'inscrire dans ce patrimoine et l'actualiser, pour que les fans de DC saisissent l'importance que devraient avoir ces personnages, leur univers.

Pour cela, il s'appuie sur un pitch étonnamment simple : Darkseid est mort (ou du moins c'est ce que tout le monde croit - mais déjà la série Challengers of the Unknown, relancée elle aussi cette semaine, d'après un concept de Kirby, se charge d'enquêter sur cette hypothèse) et une prophétie reçue par Metron dit qu'un nouveau dieu va émerger, sur Terre. Pour le bien commun ? Ou pour remplacer un mal par un autre ?

Izaya, le Haut-Père de Néo-Génésis, la ville-monde rivale de l'Apokolips de Darkseid, choisit de ne pas prendre de risque : il ordonne la mort de l'enfant et lâche à ses trousses son champion, Orion, son fils adoptif (et fils biologique de Darkseid). Lequel demande à Scott Free/Mister Miracle de trouver l'enfant avant lui et de le cacher pour le protéger...

La situation est donc basique et c'est la grande force du projet de Ram V qui a compris que toute mythologie se fonde sur un postulat simple avec des ramifications complexes (les scrupules d'Orion, l'ambiguïté de la prophétie, le fait que Scott Free soit père et déjà bien occupé à élever avec sa femme, Barda, son propre enfant...). Difficile de ne pas être embarqué dans cette saga dont les acteurs sont tous bien cernés, les enjeux dramatiques, l'envergure cosmique...

Quand on lit cette histoire à travers les dessins d'Evan Cagle, on est encore plus époustouflé. L'artiste qui vient de réaliser la mini série Dawrunner (déjà dispo en vf chez Hi Comics, en vo chez Dark Horse), et qui avait jusque-là été discret dans les comics DC, éblouit par le souffle et la sensibilité mêlés de ses pages.

Les planches qui illustrent cet article vous en donneront un bon aperçu, ce mix de puissance, d'énergie et de justesse est d'une beauté terrassante, qui colle si bien à The New Gods. Il a redesigné quelques personnages, embrassé la démesure de Kirby, tout en lui apportant ce je-ne-sais-quoi qui fait la différence, cette modernité (ce mot-valise bien pratique) qui distingue une série des autres.

Déjà beaucoup de lecteurs ne tarissent pas d'éloges à son sujet, évoquant des graphismes d'un autre monde. Il est certain que Cagle va entrer dans une autre dimension avec cette série. Série qui accueillera à chaque épisode un invité pour quatre pages, un peu en marge du récit principal : ce mois-ci, c'est Jorge Fornés qui signe le prologue du chapitre et si c'est peu, c'est superbe (bon sang, pourquoi DC ne lui confie pas une série régulière ?!).

Bien sûr, il y en aura pour dire que ce n'est pas aussi bien, aussi fort que Kirby, que c'est même un sacrilège d'oser passer après le king, ou que ce début paraît timide au regard des attentes qu'on peut nourrir pour des personnages pareils. Mais, pour ma part, ces doutes sont balayés. On tient là, j'en suis sûr, une nouvelle pépite de la part de DC. Marvel ? Qu'ils fassent aussi bien !

samedi 21 décembre 2024

BATMAN AND ROBIN : YEAR ONE #3 (of 12) (Mark Waid / Chris Samnee)


Les familles du crime organisé de Gotham se livrent la guerre. La situation intrigue Batman qui devine que quelqu'un tire les ficelles pour semer le chaos. Tandis que Alfred, son majordome, tente de lui faire comprendre qu'il doit élever Dick Grayson comme un adolescent et pas seulement comme son partenaire, Batman et Robin filent espionner un cargo des Falcone qui ont fait un prisonnier...


L'ai-je déjà dit ? Si c'est le cas, je me répète, pardon. Sinon, vous apprendrez ici que Mark Waid et Chris Samnee sont crédités comme co-plotters de cette mini-série, c'est-à-dire qu'ils ont conçu l'intrigue ensemble, que Waid a convertie en script et que Samnee a mis en images. C'est donc une collaboration identique à celles qu'ils avaient sur Daredevil à la fin, puis Black Widow puis Captain America.


Cela signifie aussi que si on savait que Samnee avait demandé à Waid d'écrire le script de Batman and Robin : Year One, il est véritablement le co-auteur de l'histoire dès le départ et il s'appuie sur l'expertise de Waid pour que cela devienne un scénario dialogué. C'est aussi, et enfin, un rappel que les vraies bonnes bandes dessinées sont bel et bien un partenariat entre un auteur et un artiste, et non pas une collaboration entre un scénariste d'un côté, un dessinateur de l'autre, chacun dans son coin.


Avec ce troisième épisode, on attaque le dur : l'exposition est finie, place à l'action. Les personnages sont impliqués, les rouages de l'histoire sont en marche, il faut avancer. Non pas qu'on faisait du surplace, mais la scène est dressée et la représentation peut commencer : le lecteur est informé de l'essentiel, il va maintenant assister au déroulement de la pièce.


Waid joue sur deux tableaux, mais l'un va logiquement l'emporter sur l'autre pour qu'il y ait une progression dramatique. Ce tableau primordial, c'est la guerre que se livrent les familles du crime organisé de Gotham que quelqu'un monte les unes contre les autres en prenant soin de pointer du doigt un coupable idéal et différent à chaque fois.

Toute l'astuce du scénario consiste dans le décalage qu'il installe : le lecteur en sait plus que Batman. En effet, nous savons que le chef d'orchestre de cette guerre est ce mystérieux général Grimaldi, venu à Gotham dans le but affiché d'en prendre le contrôle. Cela passe donc par un nettoyage en règle de la pègre, de ses branches, pour atteindre Batman, qui ne peut manquer d'y réagir, sans toutefois savoir qui il va vraiment affronter.

C'est ce qui va mener Batman et Robin sur un cargo de la famille Falcone dont les hommes de main ont fait un prisonnier - et pas n'importe lequel puisqu'il s'agit de Double-Face, Harvey Dent, qu'on a vu proposer ses services (sans réponse) à Grimaldi auparavant. A cause de ça, il est l'indicateur parfait, mais les Falcone pensent qu'il va dénoncer une autre famille et ils vont avoir une surprise.

Et pas qu'une seule puisque Dent, ayant remarqué la présence de Batman et Robin, va se servir d'eux pour échapper à une séance de torture dans les règles pour le faire parler encore plus. L'issue de tout ça aboutit à un cliffhanger qui réussit à être captivant alors qu'on sait comment il va être résolu le mois prochain...

C'est tout la force d'un grand scénariste que d'arriver à faire vibrer le lecteur quand bien même le suspense qu'il installe est contrarié par le fait que, le récit se situant dans le passé, tel ou tel personnage ne peut pas mourir puisque Batman and Robin : Year One s'inscrit dans la continuité classique.

Cette partie de l'épisode permet à Chris Samnee de prouver, mais est-ce encore nécessaire, sa virtuosité pour traduire visuellement les enjeux de tels moments. Je me permets, pour vous inviter à le comprendre encore mieux que si je vous l'expliquai, de vous conseiller la chaine YouTube de Thomas Pitilli qui vient, ce Samedi, de poster une vidéo sur l'Artist's Edition de Daredevil de Waid & Samnee.

C'est un bouquin que tout fan voudrait avoir si IDW ne le vendait pas si cher (mais si vous êtes riche, et comme Noël approche, c'est un beau cadeau à se faire). Dans ce très grand ouvrage, au format des planches originales, on a tout ce qu'on peut souhaiter pour découvrir les coulisses de la réalisation d'une BD, avec le script d'un épisode, les doodles de Samnee, les layouts de chaque planche et leur version définitive, encrée.

Ce qui est passionnant, c'est qu'on voit, par exemple, que Samnee gribouille directement sur le script de Waid des idées graphiques, parfois seulement déchiffrables par lui, mais qui l'aident déjà à réfléchir à la planche. Puis les layouts sont une première étape pour fixer le découpage, le visuel de chaque case, la disposition du dessin et la place à réserver aux bulles, etc. Enfin, l'encrage nettoie tout ça, fixe l'image, sa composition.

Mais surtout, ce qui est superbe, c'est à quel point Samnee travaille le rythme de chaque page, planche par planche, et comment il compose son découpage en tenant compte de la planche suivante. C'est du rythme, du swing, essentiellement. Et c'est ce qui empêche le lecteur de trouver l'intégralité de l'épisode répétitif dans sa mise en image, sa mise en scène.

C'est de l'art invisible parce que, quand on lit un épisode, on ne se rend pas compte de ça - et pour cause, un bon dessinateur rendra ça insensible pour le lecteur, indétectable. Le lecteur, lui, n'aura conscience que de la fluidité du récit, de la narration, il ne retiendra que le plaisir de tourner les pages, de l'équilibre général. Mais le boulot d'un bon dessinateur, c'est justement que le lecteur ne s'en aperçoive pas.

D'une certaine manière, ce travail pour les scènes d'action, c'est ce qu'il y a de plus facile parce que le médium comics, a fortiori comics super-héroïque, s'appuie sur l'action, le mouvement, les enchaînements rapides, percutants. Si ça fonctionne, ça fonctionne complètement. Si ça ne fonctionne pas, c'est évident, imparable, même pour le lecteur qui ne connaît rien à ces coulisses techniques.

Plus subtil est ce même travail quand il s'agit de dessiner des scènes qu'on qualifie facilement de scènes de transition, dialoguées, de situation. Dans cet épisode, par exemple, il y a une longue scène de dialogue entre Bruce et Alfred au sujet de Dick, où Alfred tente de faire comprendre à Bruce que le gamin doit être éduqué et pas seulement entraîné.

Waid saisit à la perfection ce qui cloche dans l'éducation de Bruce : celui-ci avait compté sur le fait que Dick avait subi un trauma identique au sien (la perte de ses parents dans des conditions dramatiques). Sauf que Bruce s'est endurci à la suite de ça, alors que Dick semble se réfugier dans une insouciance qui confine au déni. Il n'a pas perdu son innocence, il reste un gosse, espiègle, léger - peut-être pour ne pas être écrasé par le chagrin, le deuil.

Conséquences concrètes, révélées par Alfred : il n'étudie pas, il regarde la télé en se goinfrant, il s'enferme dans le salon dès qu'on essaie d'y pénétrer pour le rappeler à l'ordre, il laisse ses affaires traîner partout - bref, c'est un ado ! Mais cet ado, Bruce doit l'élever, s'en occuper, pas seulement en faire son sidekick et l'embarquer dans ses missions. Il doit être son père.

Pour Samnee, l'exercice consiste alors à rendre tout cela expressif : concrètement, les visages soivent exprimer des émotions, les gestes, les attitudes doivent prolonger cela, mais plus encore il faut veiller à ce que ça ne se réduise pas à des visages et des corps, il faut que tout soit placé dans l'espace, que l'espace où tout ça se passe prolonge le propos.

C'est ainsi que, là, Bruce, contrairement à Batman (qui mène toujours), est montré en train de suivre Alfred d'une pièce à l'autre (la Batcave, la salle de séjour, un escalier menant à la buanderie). En faisant de Bruce celui qui écoute et suit Alfred, Samnee communique sur l'inversion de leurs rôles (le valet précède son maître, lui fait la morale, le rappelle à l'ordre). Et alors toute l'humanité des deux hommes remonte à la surface : ce n'est plus du tout du super-héroïsme (sauf à considérer qu'élever un ado est super-héroïque, ce qui n'est pas rien, loin s'en faut).

Quand vous lisez un comic-book qui est aussi bien foutu et qui est en plus un vrai page-turner, qui réussit à ne pas vous raconter une histoire que vous avez pourtant l'impression de connaître (alors qu'en fait, pas tant que ça), vous savez que ce sont deux maîtres de leur discipline qui sont aux manettes. Et vous passez un moment de lecture franchement extra.

PSYLOCKE #2 (Alyssa Wong / Vincenzo Carratu)


Les enfants qu'elle a sauvés de la vente aux enchères à l'abri dans le Q.G. des X-Men, Psylocke remonte grâce à Devon la trace de Shinobi Shaw, qui devait participer à cette transaction. Il lui ouvre les portes d'un club très privé qui organise des combats entre enfants mutants et humains...


Ce deuxième épisode de Psylocke suit la même formule que le précédent : Alyssa Wong ménage à parts égales action et sentiments pour une héroïne plus habituée à l'une qu'aux autres. Mais la scénariste fait surtout l'effort, payant, de rendre Kwannon accessible, une héroïne présentable, qui transcende sa nature mutante pour se muer en protectrice.


Il me semble que, depuis la fin de l'ère Krakoa, les auteurs se divisent en deux camps : ceux qui continuent à traiter les mutants comme un problème et exploitent donc une vieille recette sur la persécution dont ils sont l'objet ; et ceux qui essaient de dépasser le fait que les mutants sont limités à cela et qui cherchent donc à s'engager dans des histoires plus super-héroïques.
 

A partir du moment où, sans qu'on ait daigné nous fournir une explication sur la raison qui a poussé tous les mutants à se disperser (au lieu de se chercher un nouveau refuge, une cause commune, à partager un même combat), seules deux séries creusent la question de l'après Krakoa (X-Factor, de manière sarcastique, et Exceptional X-Men, plus intimiste), partir dans une autre direction me paraît opportun.


Dans le cas de Psylocke, Alyssa Wong n'insiste pas beaucoup sur le fait qu'elle est une mutante, préférant souligner son passé d'enfant conditionné pour devenir une tueuse. Dans ce cadre, il est donc logique qu'elle s'aventure du côté de trafics d'enfants par des humains, une abomination qui la renvoie à son propre trauma.

De cette façon, la série déjoue habilement ce qu'on pouvait attendre d'elle (par exemple : des contrats exécutés par Kwannon en dehors de ses missions avec les X-Men) pour ambitionner quelque chose de plus sensible, mais sans pathos, avec de l'énergie. C'est finement joué parce que ça ne peut qu'enrichir un personnage dont il reste en définitive tout à (re)découvrir, dans la mesure où le corps de Kwannon a jusqu'à il y a peu surtout servi d'enveloppe à l'esprit de Betsy Braddock.

Il est donc question de possession, de dépossession, de liberté, d'oppression aussi mais avec un décalage malin puisque cette oppression est examinée au travers d'un personnage (Psylocke) et pas d'une communauté entière. Par ailleurs, la scénariste développe son récit comme une histoire qui emprunte à une enquête (sur l'exploitation d'enfants).

Le retour de Shinobi Shaw, fils de Sebastian (l'ex-leader du Club des Damnés), donne un supplément de piment à l'épisode, les scènes qu'il partage avec Kwannon étant traversées par une tension sexuelle évidente (mais à sens unique). Shinobi est le digne rejeton de son père, aussi arrogant, dénué de scrupules, égoïste, dominateur. Mais Kwannon a de la répartie.

Vincenzo Carratu est la grande chance de cette série, qui a bien démarré commercialement. Son trait fluide et très énergique, qui, comme je l'ai dit le mois dernier, fait penser à celui de Pepe Larraz, a certainement dû beaucoup séduire des lecteurs qui ne devaient pas être sûrs d'investir sur la durée dans ce titre.

Carratu fait la démonstration de son talent dans le découpage de scènes d'action où il décompose les acrobaties de Psylocke dont il fait effectivement une ninja redoutable, aux gestes assurés, à la souplesse imparable et à la détermination implacable. Lorsqu'il anime Shinobi Shaw, il n'a pas à accentuer ses effets : il réussit immédiatement à nous communiquer sa suffisance.

La dernière page, que je ne vais pas spoiler, indique que l'intrigue prend une dimension encore plus personnelle pour Psylocke, dont les interventions vont lui attirer des adversaires sérieux. De quoi porter les scénarios plus hauts et plus forts. Alyssa Wong a de la ressource, comme son héroïne, et tant qu'on lui laissera son dessinateur, elle peut voir loin.

TITANS #18 (John Layman / Pete Woods)


Les Titans emménagent dans une nouvelle tour, sous terre, ce qui fait râler Arsenal et met Raven sur les nerfs. Ces tensions sont interrompues par une alerte : à Manhattan, Mammoth et sa soeur Shimmer sèment le chaos et, à l'arrivée des Titans, le premier les accuse de l'état mental de sa soeur...


Plus la reprise de Titans par John Layman avance, plus le lecteur comprend à la fois les intentions et la méthode de l'auteur. Cette progression est très agréable parce qu'elle est très lisible, c'est comme s'il avait à coeur de présenter à nouveau les personnages, ce qui se trame contre eux, sans sacrifier au divertissement que doit incarner une série super-héroïque.


Ainsi, on peut remarquer que depuis trois épisodes Layman ouvre son récit par une scène où les Titans sont entre eux, confrontés au fait qu'ils sont redevenus une équipe passant après la Justice League, ayant un nouveau leader et désormais un nouveau Q.G.. Ce dernier point est justifié par des événements rapportés dans la série Nightwing (pilotée désormais par Dan Watters) et qui contraint Dick Grayson à déplacer son équipe hors de Blüdhaven.


Dans cette scène, Layman s'attache à la caractérisation et le fait de manière légère, sur un ton plus comique que ce qui suit. Roy Harper se plaint d'être obligé d'habiter dans une tour qui est souterraine alors que lui et ses amis pourraient profiter des avantages de la Tour de Guet. Donna Troy et Dick Grayson se chargent de lui rappeler la raison de cette situation. Vic Stone, lui, préfère se réfugier dans le laboratoire à sa disposition. Kory est la plus philosophe. Raven, elle, n'en peut plus des lamentations des uns et des autres, qu'elle ressent intensément à cause de ses pouvoirs empathiques.


Alors, évidemment, on peut penser que Layman consacre beaucoup de pages à ces échanges, mais je ne m'en plains pas car ces moments contribuent à faire vivre les personnages, à leur donner de la chair, des sentiments, à nous éclairer sur la dynamique du groupe.

Et la dynamique du groupe est ensuite mis en valeur dans les deux tiers suivants de l'épisode, lorsque les Titans sont plongés au coeur de l'action. Cette fois, ils affrontent Mammoth et Shimmer, d'anciens membres des Fearsome Five, qui détruisent tout sur leur passage au coeur de Manhattan. Shimmer semble particulièrement perturbée et Mammoth, son frère, accusent les héros d'être responsables de son état.

Le combat, inévitable, qui s'ensuit permet d'apprécier la puissance de ces deux vilains mais aussi le fait que les Titans sont en difficulté, non pas parce qu'ils sont incapables des les maîtriser mais en raison d'un manque de coordination. Layman illustre cela par l'attitude de Nightwing qui a du mal à laisser Donna Troy donner des ordres mais s'en excuse aussitôt. Ce n'est pas de la mauvaise volonté, mais la force des habitudes.

A côté de ça, Arsenal n'hésite pas à motiver, de manière peu scrupuleuse, Raven pour qu'elle inflige une raclée à Mammoth, ce que désapprouve encore plus vigoureusement Donna, car Roy Harper, contrairement à Nightwing, ne s'excuse pas de sa stratégie - qui, en prime, s'avère payante. Et ce, d'autant plus qu'à la fin de la bataille, Donna fait une offre inattendue à Mammoth, en pure perte - mais symbolique de la façon dont elle veut apporter des solutions différentes de celles de la JLU.

Les dernières pages de l'épisode, sans rien spoiler, confirment que le scénariste a bien un plan sur le (au moins) le moyen terme et que les futurs confrontations qu'auront à résoudre les Titans ont toutes un point commun. Cela suffit, à mes yeux, à donner envie de poursuivre la série.

D'autant qu'elle bénéficie des dessins (et couleurs) de Pete Woods. L'artiste communique beaucoup sur BlueSky sur sa manière de travailler sur la série, même s'il avoue ne pas savoir si dévoiler les coulisses ainsi est susceptible d'intéresser beaucoup de lecteurs (moi, en tout cas, ça m'intéresse, continue, Pete !).

Le souci prioritaire de Woods, c'est de constamment garder à l'esprit qu'il dessine Titans comme si c'était la première fois que le lecteur lisait la série. Il a à coeur que les personnages soient identifiables, que leurs placements dans l'image soient harmonieux, que les déplacements du groupe soient parfaitement composés.

Bien entendu, dans un monde parfait, ces préoccupations devraient occuper l'esprit de n'importe quel dessinateur de comics, mais ce n'est pas le cas et donc il faut saluer l'exigence de Woods. Qu'il s'agisse de mettre en scène une prise de bec entre les Titans ou leur combat contre des vilains, on n'est jamais perdu dans le flux de lecture.

Le mois prochain, Woods cédera sa place à Serg Acuna mais reviendra en Février pour le n°20. C'est lui-même qui a prévenu les abonnés à sa page BlueSky en expliquant qu'il ne pouvait pas faire autrement, pour des raisons familiales et cette transparence l'honore quand tant de fois on découvre des fill-in au dernier moment, sans que l'éditeur ne le justifie.

En tout cas, Titans continue de figurer en bonne place parmi mes lectures DC favorites de cette nouvelle période All-In. John Layman est inspiré et efficace, Pete Woods en grande forme. Que demander de plus ?

vendredi 20 décembre 2024

ULTIMATE SPIDER-MAN #12 (Jonathan Hickman / Marco Checchetto)


C'est Noël. Peter et Mary Jane reçoivent la mère et la soeur de cette dernière. Ben Parker et J.J. Jameson se joignent à eux. L'ambiance est tendue entre les Watson. Gwen Stacy tente de joindre à plusieurs reprises MJ qui ne répond pas pour régler ses différends avec sa famille. Jusqu'à ce qu'elle et Peter s'isolent pour savoir ce que veut Gwen...


Je vais être parfaitement honnête avec vous : lorsque j'ai acheté ce douzième numéro de Ultimate Spider-Man, je pensais annoncer dans la critique que j'allais rédiger à son sujet que j'arrêtai de suivre la série. La déception de Ultimate Universe : One Year In me pesait et m'avait aussi fait réfléchir sur mes sentiments sur la série écrite par Jonathan Hickman.


La preview que Marvel avait communiquée sur cet épisode ne m'excitait guère par ailleurs : une soirée de Noël tendue entre MJ Watson, sa soeur et sa mère... Je sentais venir un nouveau numéro dialogué, sans action, ce dont je me suis lassé sur ce titre. Bref, je n'étais pas très motivé ni pour le lire, ni pour en parler, ni pour poursuivre l'aventure.


Je ne prétends pas que c'est un retour de flamme durable mais, disons, que j'en suis sorti remonté. Effectivement, cet épisode contient bien des choses que j'appréhendai : il s'agit essentiellement d'un de ces chapitres qui reposent sur des échanges entre les personnages, où on a le sentiment que rien n'avance, bref tout ce qui peut éloigner un lecteur d'une série Spider-Man.


Je sais bien que Stan Lee disait que Spider-Man passait en vérité après Peter Parker, qu'il s'agissait d'un "héros à problèmes" et que ses problèmes étaient d'abord ceux de Parker, que les comics Marvel reposaient là-dessus, sur cet équilibre fragile entre le super et le héros. Mais je crois aussi qu'on lit des comics comme Spider-Man pour l'action, pour Spidey lui-même, contre ses ennemis, et donc que Parker doit leur faire de la place.

L'introduction de la mère et de la soeur de MJ ne sont pas très passionnants : ceux qui espèrent que ces nouveaux visages apportent un peu de piment à la série en seront pour leurs frais. La frangine est désagréable mais moins parce qu'elle est vraiment antipathique que parce qu'elle est malheureuse : son mari la trompe, elle va divorcer, et le couple que MJ forme avec Peter qu'elle jugeait si ennuyeux, si indigne de sa soeur, la renvoie à son infortune actuelle.

La mère est tout aussi désagréable : Hickman en fait une daronne dont on peut deviner qu'elle a élevé ses filles en exigeant beaucoup d'elles, et qu'elle est déçue du résultat. Elle lorgne aussi sur Ben Parker, veuf comme elle, bien que ce soit Jameson qui aimerait l'inviter à dîner. Franchement, j'ignore ce que Hickman compte faire avec elle et ses filles mais je suis pour le moins perplexe.

Bon, à ce stade, vous devez vous demander pourquoi je suis revenu, même temporairement, sur ma décision d'arrêter les frais. Je vais vous le dire : tout tient dans les dernières pages de l'épisode. Rassurez-vous : je ne vais pas spoiler, mais simplement vous dire que Hickman réserve une surprise impossible à anticiper, un tour de passe-passe renversant et flippant.

Ce n'est non plus un twist narratif qui viendrait remettre en question tout ce que vous avez pu lire, mais plutôt une astuce diabolique pour introduire le prochain arc (qui sera axé sur Kraven). En gros donc, Hickman nous a bien endormis pendant cet épisode pour préparer son cliffhanger, effectivement très accrocheur.

On aurait pu parier que cet épisode reviendrait à David Messina pour les dessins, mais, surprise, c'est bien Marco Checchetto qui s'en charge. J'espère quand même que l'italien va produire l'arc avec Kraven sans céder sa place parce que ce serait vraiment frustrant qu'il ne le signe pas. C'est néanmoins un régal de voir Checchetto dans l'exercice habituellement dévolu à son remplaçant.

Parce que l'artiste sait divinement dessiner les femmes et que sa MJ est superbe, sans avoir à l'hypersexualiser, que Gayle (la soeur) a cette froideur puis ce côté touchant sans forcer, et que la mère Watson n'a rien d'une vieille sorcière (c'est une élégante sénior, une bourgeoise hautaine parfaitement campée). Comme d'hab', Ben Parker et Jameson forment un couple comique épatant (Jameson est savoureux en grand-père bis qui donne des conseils au petit-fils de son ami).

Bon, après tout ça, au risque de me répéter, je souhaite que la série, pour sa deuxième année de publication, appuie sur la pédale de l'accélérateur : Hickman est un excellent scénariste qui peut, qui doit faire mieux que jouer la montre en attendant la libération du Créateur. Il faut donc que Ultimate Spider-Man se réveille et entame sa mue pour devenir un acteur plus décisif en vue de cette échéance. Et ça commence par des affrontements plus engagés contre les Sinister Six, le Caïd, etc.

Bref, il faut que Ultimate Spider-Man renoue avec l'essence de son héros : fini le jeu des différences entre l'univers Ultimate et l'univers classique, place aux choses sérieuses. Hickman et Checchetto sont une trop belle équipe pour en rester là. 

jeudi 19 décembre 2024

PLASTIC MAN NO MORE ! #4 (of 4) (Christopher Cantwell / Alex Lins & Jacob Edgar)


Sur une jetée de Mammoth City, Plastic Man a réuni son équipe - le Dr. Menlo, Woozie, le Dr. No-Face et Uranium - pour tenter l'opération de la dernière chance afin de les sauver, lui et son fils Luke. Robin tente de les empêcher de déclencher une explosion nucléaire, puis Uranium de retourner Luke contre son père...


C'est le dernier épisode d'une des mini-séries les plus singulières du DC Black Label. Christopher Cantwell, souvenons-nous, avait présenté son projet comme une tentative de faire de Plastic Man un homme mourant et d'inscrire son agonie dans un récit empruntant au body horror. Un défi étonnant quand on sait que l'homme élastique est connu pour son tempérament comique.


Mais justement l'intérêt du Black Label, c'est de pouvoir imaginer les histoires les plus improbables pour les héros, particulièrement les super-héros de second rang. La plupart des mini-séries ne sont pas inscrites dans la continuité, aussi les auteurs se livrent à des expériences en sachant qu'il n'y a aucune limite, surtout pas celle de faire des mélanges improbables.


Le projet de Cantwell n'est pourtant pas si incongru que ça : les origines de Plastic Man ressemblent à une histoire horrifique, avec une cuve de produit chimique qui se déverse sur lui lors d'un braquage et le dote de pouvoirs déformant son corps. Dans un premier temps il va se venger des complices qui l'ont laissé pour mort puis se racheter une conduite en devenant Plastic Man.


La création de Jack Cole aura ainsi une carrière étonnamment longue (83 ans au compteur) et il intégrera même la Justice League, sorte de promotion inattendue. Cantwell a retenu tout ça, l'a versé dans un mixeur et le résultat s'est avéré aussi souple que le personnage, capable non seulement de s'étirer comme son collègue Elongated Man chez DC ou Mr. Fantastic chez Marvel, mais surtout de prendre la forme qu'il souhaite (surtout les plus farfelues).

La notion de mortalité chez les super-héros est rarement explorée puisque, par nature, les super-héros ne meurent jamais - ils ressuscitent même souvent, aussi bien narrativement qu'éditorialement. Ce qui me semble encore plus rare, c'est que leurs pouvoirs soient la cause de leur mort. Evidemment, souvent, les super-héros vivent leurs capacités extraordinaires à la fois comme un cadeau et une malédiction, mais tout compte fait c'est plutôt la première option qui l'emporte.

Dans All-Star Superman, Grant Morrison imaginait ainsi qu'une absorption massive de radiations solaires lors d'une mission de sauvetage dans l'espace condamnait le man of steel. Au lieu des douze épisodes de ce classique, Cantwell a préféré quatre chapitres avec une pagination augmentée pour compresser le calvaire de Plastic Man qui découvre que le produit toxique qui l'a transformé finit par le tuer.

Même dans ses histoires les plus drôles, Plastic Man a conservé une part de bizarrerie trouble et beaucoup d'artistes ont signé des dessins avec ce personnage dans des situations à la fois amusantes et dérangeantes  : je me souviens d'une illustration de Mitch Breitweiser où Plastic Man devenait une plaque d'égout matant sous les jupes des femmes qui marchaient dessus sans le savoir, en faisant de facto un voyeur peu ragoûtant - voir ci-dessous :



C'est ce même sentiment qui anime l'histoire de Cantwell où on voit, au fil des épisodes et des péripéties, un Plastic Man en train de littéralement se désagréger, de se liquéfier. Le dessin au trait gras et aux formes tremblantes d'Alex Lins souligne le malaise que génèrent ces scènes et dans ce dernier épisode, on a droit à quelques ultimes dégradations physiques vraiment malaisantes, ce qui me fait dire que ce n'est quand même pas lisible par tous.

Et pourtant, de ce malaise naît la réussite du projet, parce que Cantwell et Lins vont vraiment jusqu'au bout, il n'épargne ni le personnage, ni le lecteur. Le plan imaginé par Plastic Man et ses complices et délirant et les chances qu'il aboutisse sont ridicules et inquiétantes (on parle quand même de provoquer une explosion nucléaire). Mais tout cette dimension body horror est assumée et culmine dans un final à la fois cauchemardesque et poignant.

Car, in fine, l'histoire est moins celle de l'agonie d'un super-héros que de la faillite et de la tentative de se racheter d'un père. Plastic Man cherche moins à se sauver qu'à sauver son fils, dont il craint qu'il périsse de la même façon que lui : c'est très émouvant.

Et puis, le récit secondaire, c'est celui d'un héros méprisé parce que c'était le clown de service et que la Justice League n'a retenu que ça de lui. Le portrait que fait Cantwell de la Ligue est terrible, d'autant plus que, pour les pages qu'il y consacre, les dessins sont cette fois réalisés par Jacob Edgar et son style proche du cartoon, de Bruce Timm, Ty Templeton, Rich Burchett, naïf, ligne claire.

Plus que jamais on voit Superman, Batman et compagnie complètement sourds et aveugles aux seconds couteaux de leur équipe, à la détresse de Plastic Man suit l'écoeurement de son fils Luke dans une scène dévastatrice.

Mine de rien, donc, Plastic Man No More ! aura été d'une ambition folle mais accomplie. Christopher Cantwell n'est décidément jamais meilleur qu'avec des personnages d'outsiders (comme dans The Blue Flame), et quand en plus il a deux artistes qui le complètent aussi bien, c'est parfait.