dimanche 20 octobre 2024

JENNY SPARKS #3 (of 6) (Tom King / Jeff Spokes)


2004. L'armée américaine a envahi l'Irak après les attentats du 11-Septembre. Jenny Sparks a donné rendez-vous à Superman à Bagdad pour voir s'il osera intervenir en sauvant un transport blindé américain d'une mine anti-personnel. Aujourd'hui. La Justice League décide d'affronter Captain Atom pour libérer les otages qu'il détient...
 

Les deux premiers épisodes de Jenny Sparks avaient quelque chose d'intrigant et de provocateur qui correspondait bien à son héroïne. Par ailleurs, sa confrontation avec Captain Atom débouchait sur des réflexions passionnantes sur la divinité et la croyance dans un monde peuplé de surhommes et donc considérables comme des dieux.
 

Mais il faut bien reconnaître qu'avec ce troisième numéro, alors qu'on arrive à mi-chemin de cette mini-série, le projet de Tom King ne décolle pas. On ne voit plus très bien où il veut en venir et, pire, il réduit ses protagonistes à des clichés tout comme il transforme ses personnages humains en figurants transparents.


En fait, la meilleure partie de l'épisode est celle qui se déroule en 2004, durant l'occupation américaine en Irak, après les attentats de 2001, quand George W. Bush fit croire que ce pays dissimulait des armes de destruction massive pour légitimer leur intervention. Mais, paradoxalement, c'est en réussissant bien ces pages que Tom King souligne les défauts de celles situées dans le temps présent.
 

Jenny Sparks met Superman au défi d'intervenir pour sauver un convoi de soldats américains menacé par une mine anti-personnel. Mais Superman s'est fixé comme règle de ne jamais interférer dans un conflit gouvernemental. Pourtant, Jenny le met face à une situation intenable : s'il ne fait rien, des hommes mourront. Superman peut-il vraiment ne pas bouger, rester neutre ?

Mais donc la clé de cette séquence dans le passé contient le piège dans lequel s'enferme Tom King qui n'aime rien tant que ce genre de question existentielle, celle-là même qu'il a dû lui-même éprouver quand il était agent de la CIA. En effet, Superman, s'il existait dans la monde réel, pourrait effectivement interrompre nombre de conflits. Tout en interrogeant sur sa position politique : en effet, Superman a beau être un immigré, venu de Krypton, et prétendre être un citoyen du monde, ne choisissant jamais qui il défend, il vit et travaille quand même en Amérique du Nord.

Donc, s'il agissait pour désarmer un ennemi étranger ou stopper une guerre, naturellement, tout le monde penserait qu'il le fait pour le compte des Etats-Unis, quand bien même il n'est pas un agent du gouvernement, mais simplement parce qu'il y réside et y  travaille. Au fond, Jenny Sparks veut qu'il assume cette part de lui-même : s'il n'est pas un américain, il est perçu comme tel et ses actes ne peuvent être détachés.

Jenny Sparks pourrait ainsi confronter n'importe quel super-héros, de n'importe quel nation, dont les actions sont au service ou nom d'un gouvernement et les mettre tous dans l'embarras. Elle, a beau être anglaise, portait l'Union Jack sur son débardeur, elle a concrètement dépassé sa nationalité en étant la chef de The Authority, qui, après son décès, s'est érigée en une sorte de super puissance menaçant d'intervenir partout où la ligne rouge serait franchie (c'est particulièrement clair dans le run de Mark Millar).

Tom King incarne puissamment ce dilemme avant de sombrer dans une deuxième partie qui se cogne contre les clichés des comics. La Justice League (dans une composition qui était celle de Scott Snyder - avec Superman, Wonder Woman, Batman  le Green Lantern John Stewart, Hawkgirl, Flash, et le Limier Martien) passe à l'offensive après la tentative ratée de Flash d'évacuer les otages retenus par Captain Atom dans un bar.

De manière brutale, comme seul le permet un récit hors continuité publié sous le DC Black Label, les héros sont défaits par un Captain Atom dont la puissance est terriblement bien mise en valeur. On est dans le registre classique des comics super-héroïques, avec cette charge spectaculaire, que Jeff Spokes met en images de manière assez géniale, en reléguant justement l'aspect le plus visuel quasiment hors champ.

En fait on comprend ainsi que la bataille est perdue, Captain Atom est trop fort. Mais ce faisant, King montre à quel point finalement ses otages sont interchangeables, manquent cruellement d'épaisseur, de chair. Ils sont relégués au stade de figurants avec qui Captain Atom joue, les considérant avec bonté ou cruauté.

Après avoir guéri l'un d'eux et désintégré un autre, le voilà qui commence une partie de morpion avec une troisième, un jeu de hasard apparent qui masque en vérité un sens de la stratégie. C'est une illustration bien grossière de ce qu'un pseudo-dieu ferait pour décider quoi faire d'un de ses prisonniers (l'épargner ou le tuer). Batman joue aussi avec Captain Atom, en tirant sur la corde sensible, mais parvenu à un degré d'inhumanité, son adversaire réagit en offrant un geste de grâce qui est aussi atroce. 

King échoue lamentablement à faire exister les membres de la Justice League autrement que comme des héros agissant de manière désordonnée, maladroite, condamnés à mordre la poussière. Ils sont idiots, y compris Batman. Mais pire encore, les otages, qui devraient être le coeur du récit, des éléments entre la divinité de Captain Atom et celle de Jenny Sparks, voire celle de la Justice League, ne sont plus que des créatures transparentes, des pions sans esprit.

La base sur laquelle la série reposait se désintègre à son tour avec ce traitement. Et l'histoire semble faire du surplace au moment même où elle aurait dû décoller. A ce stade, ce qu'on sait, c'est que personne n'est en mesure de battre physiquement Captain Atom, que Jenny Sparks sait que les surhommes ne peuvent se prétendre neutres, mais c'est comme si les deux segments de l'intrigue ne se répondaient plus.

On peut encore faire confiance à Tom King pour rebondir et remettre son histoire sur les rails, même si, maintenant, on a du mal à cerner son propos. Jenny Sparks raconte deux choses intéressantes (l'impossibilité de la neutralité pour les surhommes, la déshumanisation d'un surhomme), qui auraient pu donner lieu à deux mini-séries entières et distinctes. Il reste à son scénariste à les synthétiser pour rendre son projet pertinent (c'est ce qu'ambitionne aussi Kieron Gillen et Caspar Wijngaard avec The Power Fantasy actuellement) sans quoi les trois prochains chapitres risquent d'être très laborieux. 

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