vendredi 20 septembre 2024

JENNY SPARKS #2 (Tom King / Jeff Spokes)


2001. Des touristes visitent l'abbaye de Westminster et le guide leur révèle qu'y sont enterrés Charles Darwin et sa petite-fille Jenny Sparks. Celle-ci revient à elle dans son cercueil et sort de là avant que le bâtiment ne soit la cible d'un attentat terroriste comme à New York... New York, où aujourd'hui, en 2024, Captain Atom retient cinq personnes en otages dans un bar avec une revendication étonnante...


Le mois dernier, en rédigeant la critique du premier épisode de Jenny Sparks, je revenais sur la situation de cette dernière et de son vis-à-vis dans cette mini-série, Captain Atom. En substance, ce que je soulignais, c'est que Jenny Sparks comme Captain Atom étaient les reliques de deux univers éditoriaux aujourd'hui disparus : Wildstorm et Charlton Comics.


Ce deuxième épisode enfonce un peu plus le clou car le propos de Tom King revient sur la nature de disparus/revenants de ses deux protagonistes. Esprits du XXème siècle, Jenny Sparks comme Captain Atom ne peuvent mourir : ils reviennent de l'au-delà des comics pour une confrontation inévitable en somme.
 

Si les comics (et a fortiori les auteurs et les fans) ne peuvent faire le deuil de certains personnages, lesdits personnages peuvent-ils mourir ? Autrement dit, ce qui les garde en vie, n'est-ce pas la persistance des auteurs et des lecteurs à croire en leur existence. Tom King déplace la notion de mort pour l'aborder sous un angle conflictuel : si les scénaristes et les fans ne veulent pas laisser partir les personnages de fiction, alors il faut que ces derniers s'affrontent pour savoir lequel survivra.


Dans la première partie de l'épisode, King confronte Jenny Sparks au XXIème siècle dans ce qu'il a connu de plus tragique en débutant : les attentats du 11-Septembre 2001. Un événement tel qu'il a cristallisé la terreur la plus brutale. Or à la fin de The Authority, Jenny Sparks mettait en garde ses partenaires : "Sauvez le monde, il le mérite. Soyez meilleurs ou je reviens vous tirer les oreilles.".

Comment croyez-vous qu'elle ait appréhendé ces attentats après l'avertissement lancé à The Authority le 31 Décembre 1999 à minuit ? Comme un échec évidemment. Ce qui justifie le ton direct avec lequel elle parle aux super-héros qui viennent à elle : après Batman dont elle moquait les stratégies, c'est Superman qu'elle raille. Je ne serai pas étonné qu'elle fasse la leçon à Wonder Woman le mois prochain.

A présent, comment croyez-vous qu'elle apprécie Captain Atom quand elle entend sa revendication d'être considéré comme Dieu alors qu'il retient cinq innocents dans un bar ? Il y met les formes, cela dit : il tue gratuitement un de ses otages et guérit du cancer qui le ronge un autre. Il accomplit des miracles, cruels ou généreux. Peut-être est-il Dieu comme il le prétend ? Mais qu'est-ce que cela vaut face à celle qui a tué Dieu dans le dernier épisode de The Authority ?

Avec de telles réflexions, Jenny Sparks, la série, pourrait n'être qu'un discours cynique sur les super-héros et le mythe du surhomme en général. Il est d'ailleurs troublant de lire la même semaine Jenny Sparks #2 et The Power Fantasy #2, où on trouve, formulé différemment, le même propos. Peut-être en est-on arrivé au point où, presque quarante ans après la déconstruction opérée par Alan Moore dans Watchmen, les auteurs comme Tom King et Kieron Gillen reconstruisent la figure du super-héros divin et la confronte à la réalité (celles du 9/11 pour commencer) pour observer si elle y résiste ou si elle la transcende.

Dieu/Captain Atom est perçu comme une menace par la Justice League qui prépare une action pour sauver les otages. Pour Jenny Sparks, c'est tout à fait différent : Dieu n'existe plus puisqu'elle l'a tué et donc Captain Atom n'est sûrement pas Dieu mais juste un super-héros dérangé, mégalomane, en pleine crise. Toutefois, elle a en commun avec lui d'être morte puis revenue à la vie, revenue des limbes des comics comme revenue d'entre les morts littéralement. Sauf qu'elle ne prétend pas être considérée comme Dieu mais plutôt comme celle qui s'assure que les surhommes ne dérapent pas - ou s'ils le font quand même, qu'ils ne le fassent plus.

Jenny Sparks appartient donc bien aux mini-séries cérébrales de King, celles où l'auteur philosophe sur la nature de ces drôles de personnages que sont les super-héros et sur ce que provoquent sur leur psyché, leur équilibre mental, le fait d'avoir des super-pouvoirs. Comme dans Mister Miracle ou Rorschach, King intellectualise ces motifs pour partager ses questionnements avec le lecteur, sans garantie qu'il a des réponses toutes faites, définitives, sur le sujet. Mister Miracle était-il fou, sombrant dans une dépression telle qu'il imaginait pouvoir échapper à la mort ? Ou était-il le jouet de Darkseid et de son équation d'anti-vie ? William Myerson était-il un vieil auteur aigri et parano ? Ou le patient zéro d'une épidémie de Rorschach contaminant tous ceux qui voulaient voir ce que cachait le masque et devenaient fous à leur tour ?  

Captain Atom est-il Dieu comme il le proclame ? Ou juste un barjo grisé par sa puissance comme le pense Jenny Sparks ? Encore quatre épisodes avant de savoir, ou du moins de se faire un avis...

Jeff Spokes sert très efficacement le script de King, même si j'ai trouvé que dans cet épisode il abusait un peu trop des effets de copier-coller sur des scènes. Le prix à payer pour faire passer des dialogues en huis clos entre deux personnages ? Le procédé rappelle la technique de Michael Gaydos quand il illustrait les scénarios de Brian Michael Bendis pour la série Alias (Jessica Jones).

Il n'empêche, c'est aussi en ramenant, comme il aime à le demander à ses artistes, les aspects les plus littéraire et le plus fantastique à hauteur d'homme que King, ici avec Spokes, fait passer son discours de la manière la plus digeste. Ce qui compte et ce qu'il faut accepter, c'est que Jenny Sparks ne sera pas le théâtre d'une baston épique, mais bien un duel dialectique.

C'est profond, ça s'écoute un peu parler, c'est vrai aussi. Mais vous savez qu'en lisant cela, vous l'avez pas entre les mains un comic-book comme les autres.

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