vendredi 28 février 2025

THE MAGIC ORDER 5 #5 (of 6) (Mark Millar / Matteo Buffagni)


La fille de Sister Moon est aux trousses de Cordelia Moonstone et la sépare du reste de l'Ordre Magique. Privée de ses pouvoirs, Cordelia est contrainte de fuir et trouve refuge dans un hôtel où elle rencontre une alliée inattendue tandis que Samuel Mott est à la manoeuvre pour livrer la Terre aux anciens dieux...


La fin est proche, même s'il faudra attendre Avril pour la découvrir. En tout cas, Mark Millar s'apprête à refermer sa plus longue histoire et sa plus aboutie depuis qu'il produit en indépendant. The Magic Order est, je pense, un projet qui ne souffre pas de la réputation de bateleur parfois insupportable de son auteur et même ses détracteurs les plus féroces s'accorderont à en souligner les qualités.
 

Pour ma part, en tout cas, je suis certain qu'il s'agit de son meilleur travail depuis Ultimates, et pour ce qui se rattache au "MillarWorld", aux deux premiers volumes de Jupiter's Legacy. Ce cinquième et pénultième épisode de la saga ne décevra pas ceux qui voudront du grand spectacle et du suspense, grâce à une longue séquence épique et un cliffhanger intense.


Millar a toujours été doué pour la mise en scène de l'action, même s'il s'est souvent complu dans sa représentation la plus graphique, certains diraient la plus racoleuse. On se souvient par exemple de Old Man Logan ou de Kick Ass. Mais, curieusement, il a toujours su doser ses effets avec The Magic Order, comme si l'univers de la magie, dans ce qu'elle projette de plus fantaisiste, l'empêchait de sombrer.


Cet avant-dernier chapitre est un parfait exemple de qu'il faut faire quand non seulement on doit boucler un arc mais surtout une série de 30 épisodes. L'héroïne est acculée, les méchants frappent fort, l'issue est incertaine, et nul ne peut assurer si Cordelia Moonstone trouvera la mort comme le titre de cet ultime arc narratif le promet.

Si je devais me prononcer, je ne crois pas que Millar sacrifiera son héroïne. Mais je ne garantis rien : c'est un scénariste qui n'hésite pas à pratiquer la politique de la terre brûlée, et il me semble qu'il aborde une période de sa carrière qui annonce de grands changements. Donc tuer Cordelia Moonstone pourrait en être le symbole.

En effet, alors qu'au début de l'hiver dernier, Millar programmait des annonces tonitruantes pour son MillarWorld en 2025, avec au moins cinq nouvelles mini-séries, pour l'instant une seule a été annoncé et sans qu'elle provoque beaucoup d'émois (une histoire de vampires). Il y a aussi un projet avec John Romita Jr. vendu comme "très choquant"...

Ce qui frappe les observateurs, c'est que Millar n'a pas mentionné de collaborateurs prestigieux (Per Berg pour Vatican City est quand même un inconnu et le retour de JR Jr. n'a plus le même impact). Il a un peu fait attiré dans ses filets toutes les stars et je ne vois pas qui manque à son tableau de chasse. Seuls des revenants pourraient encore épater (quid de Immonen ? Coipel ?).

Ce qui ne veut pas dire que les prochains artistes seront des talents négligeables. Matteo Buffagni en est la preuve : Millar a su lui faire confiance et l'italien, qui ne trouvait rien à sa mesure chez Marvel, a su saisir sa chance et prouver qu'il valait largement ceux qui l'avaient devancé sur The Magic Order. Cet épisode le prouve encore.

Les planches de Buffagni ont ce mélange d'élégance et d'énergie qui apportent une vraie plus-value aux scripts de Millar. Dans ce numéro, il assure comme un chef encore une fois, montrant la traque féroce contre Cordelia dans des scènes à la fois baroques et spectaculaires, mais toujours avec un sens du cadre, de la composition merveilleux, et mis en valeur par les couleurs, superbes, de Giovanna Niro.

Le niveau de la menace finale en même temps que les surprises du récit aboutissent à une lecture vraiment jubilatoire, sans les défauts qu'on accole à Millar (un manque de substance, une outrance fatigante). A l'heure où le scénariste envisage déjà la suite sans Netflix, mais avec toujours autant de projets (comics et hors comics), The Magic Order résumera le meilleur du MillarWorld.

jeudi 27 février 2025

ULTIMATE SPIDER-MAN #14 (Jonathan Hickman / Marco Checchetto)


Putain d'épisode !


Oui, je sais, comme résumé, c'est très concis, mais honnêtement, je ne sais pas comment faire autrement. Parce que cet épisode est un chef d'oeuvre, rien de moins. Et au moment de vous en parler, je me rends compte de la difficulté de la tâche. Car, sans spoiler, ça va être dur. Mais il ne faut absolument pas que je spoile !


Et, si d'aventure, vous trainez sur Twitter, surtout, surtout ne cliquez pas sur un hashtag #UltimateSpiderMan ! Parce qu'il va y avoir des imbéciles qui, eux, spoileront et ce, malgré les suppliques de Marco Checchetto de ne rien révéler. C'est ainsi, il y a en ce bas monde des petits malins pour qui gâcher l'énorme surprise de cet épisode est amusant.


C'est surtout pour dire que, non, le spoiler ne concerne pas la première scène de l'épisode où Richard Parker se démasque devant Black Cat, puis ils s'échangent leur prénom, et devisent sur leur place dans le drame qui les a poussés à se rencontrer. On apprend aussi qu'ils ont le même âge. C'est une scène incroyable, extraordinaire, qui suffit à faire phosphorer n'importe quel fan.


Parce que, évidemment, Jonathan Hickman le fait exprès pour ça : cette rencontre est un générateur de fantasmes. Richard Parker et Felicia Hardy vont-ils devenir amis, voir plus. Ce serait encore une de ces variations qui inspire le scénariste depuis qu'il écrit la série, un de ces subtils décalages avec l'univers 616 et le Spider-Man classique.

Dire encore que Marco Checchetto dessine divinement Felicia Hardy est un doux euphémisme. Elle est renversante de beauté et de grâce, dans son justaucorps noirs, avec sa crinière bouclée, tandis que Richard Parker nous apparaît soudain moins comme le gamin de Peter Parker que comme un quasi post-ado spirituel et fûté, plein de charme aussi.

Avec ces quelques pages, Hickman et Checchetto nous emportent déjà loin. Mais ce n'est rien comparé à ce qui va suivre. On va retrouver Peter et Harry dans la Terre Sauvage, traqués par Kraven. On va revoir l'Homme-Taupe, Mysterio, des dinosaures, de moloïdes, une végétation luxuriante sous New York et une ambiance tendue à l'extrême. Une vraie chasse à l'homme.

Cette intensité est permanente jusqu'à la fin et la toute dernière page indique une direction absolument imprévisible pour la suite, loin de tout ce à quoi on pouvait s'attendre. Et, juste avant, il se sera passé quelque chose d'ahurissant, de choquant, de tragique. Et non, ce n'est pas la mort de Gwen Stacy dans l'univers Ultimate...

Quelque part, on ne va pas se le cacher, on lit des comics pour ce genre de moment, quand une série bascule vraiment dans une autre dimension, qu'il était impossible d'anticiper. Mais c'est le genre de moment qui n'arrive presque jamais parce que ça balaie tout sur son passage. Les treize mois de publication qui ont précédé, avec leurs hauts et leurs bas, sont balayés. Croyez-moi, je n'exagère pas !

Est-ce que ça excuse les moments un peu creux, un peu mous de la série ? Peut-être pas, parce que bon, il aura fallu de la patience. Comme je vous le confiais à la fin 2024, j'étais quasiment sur le point de lâcher l'affaire, découragé par ce que faisait Hickman, lui qui est capable de tellement mieux. Et je m'étais fixé deux-trois numéros de plus pour trancher. Pas plus.

Il fallait que ça bouge, il fallait que ça me remue. Et, bon dieu, je suis servi ! Non seulement depuis deux mois, Hickman a passé la seconde, mais là, il rue carrément dans les brancards et envoie tout valser. En termes d'impact, c'est équivalent à House of X/Powers of X, pas moins. On ne pourra plus lire Ultimate Spider-Man de la même façon désormais. La série est condamnée à aller ailleurs.

Checchetto aussi est passé à la vitesse supérieure : non pas en termes de volume (David Messina va continuer à le suppléer), mais c'est pour un épisode comme ça qu'on se rappelle qu'il faut le soutenir, ne pas lâcher même si on aimerait qu'il enchaîne, qu'il produise cinq, voire six numéros d'affilée. Mais, honnêtement, avec les planches qu'il sort là, impossible de lui en vouloir.

Pepe Larraz va bientôt dessiner Amazing Spider-Man, mais quand on voit ce que fait Checchetto, malgré tout le respect dû à Larraz, qui est un fabuleux dessinateur, Checchetto a une longueur d'avance. Dans cet épisode, on ne voit pas Peter en costume, et pourtant on a droit à des moments Spider-Man +++. Peter est en train de devenir le Tisseur, avec sa spécificité Ultimate.

Checchetto a ce génie pour les scènes d'action, ce mélange de nervosité et d'élégance dans le trait, cette vivacité tendue, elle n'a jamais été si bien exprimée depuis le début de la série. C'est époustouflant, c'est de la narration graphique de haut niveau, comme du Samnee. On lit des comics de super-héros pour ça, pour ressentir ça. C'est une émotion viscérale, indescriptible, jouissive.

J'ai souvent été surpris que Hickman, qui a relancé l'univers Ultimate, n'en soit pas aussi l'architecte, rôle qu'il a laissé à Deniz Camp. Mais cet épisode m'a instruit : Ultimate Spider-Man n'est peut-être pas destiné à s'intégrer au reste des héros de cet univers, à devenir un des Ultimates, à jouer les premiers rôles quand le Créateur sera libre à nouveau...

Je crois que Hickman a conçu son projet volontairement à la marge parce qu'il voulait que son Spider-Man, marié, père de famille, adulte, héros malgré lui, soit embarqué dans sa propre aventure qui le dépasse et pas absorbé par l'univers Ultimate comme n'importe quel autre personnage. Avec ce qui se passe dans ce #14, il est clair que Hickman a mis son plan à exécution en engageant son héros sur une autre route.

Et, au fond, ce sentiment électrisant qui envahit le lecteur est le même que celui qui saisit le personnage. Plus rien n'est sûr. Plus rien n'est prévisible. Ce qui vient de se passer rebat tellement les cartes... Cela, seul un personnage réinventé dans un univers vierge le permet. Et Hickman a saisi cette opportunité, que ne peut lui offrir l'univers 616, sa continuité, ses ingérences éditoriales...

Je tourne autour du pot, j'en ai bien conscience, et j'ignore comme je m'en tirerai le mois prochain, pour ne pas spoiler tout en continuant à analyser la série, ses ressorts, ses rebondissements, ses péripéties. Hickman est très/trop fort : il renvoie le critique dans les cordes en le défiant de parler sans trahir les surprises qu'il produit. Mais, encore une fois, quel putain d'épisode !

lundi 24 février 2025

G.I. JOE #4 (Joshua Williamson / Tom Reilly)


Duke, la Baronne, et Risk sont capturés par les jumeaux Crimson en tentant d'exfiltrer le professeur Menov dont le scanner est convoité par Destro et le Cobra Commander. Cet appareil non testé permettrait de manipuler psychiquement n'importe qui. Mais Clutch est, lui, infiltré parmi les troupes de Cobra...


Le mois dernier, je disais que le souci avec G.I. Joe résidait dans le fait que c'était une série dominée par l'action et que ses protagonistes étaient caractérisés de manière sommaire, les bons d'un côté, les méchants de l'autre. Ce qui, à l'arrivée, frustrait le critique alors que le lecteur, lui, se régalait devant ce divertissement lancé à pleine allure.


Comme cela peut arriver à n'importe qui, je m'étais sans doute emballé car, en vérité, ce qui me manquait, c'était de découvrir, avec un peu plus de profondeur, l'autre côté, celui des vilains. Jusqu'alors, l'organisation Cobra ressemblait à n'importe quelle bande de terroristes de comics, avec ses objectifs, ses cadres, très manichéens.


Mais Joshua Williamson est décidément un scénariste qui sait anticiper car il consacre la quasi-intégralité de l'épisode à Cobra, son commandeur, Destro son fournisseur d'armes et de soldats. Et vous savez quoi ? C'est jouissif. Parce que ces affreux jojos sont savoureux, toujours aussi archétypaux, mais plus cantonnés à être au second plan tandis que les gentils occupaient le devant de la scène.
 

Vous connaissez la célèbre formule de Alfred Hitchcock selon laquelle "meilleur est le méchant, meilleur est le film". Et c'est aussi valable en bande dessinée, surtout quand, comme dans G.I. Joe, les héros sont des soldats dévoués à la paix dans le monde. N'ayant pas lu les mini-séries consacrées à Destro et Cobra Commander (sur la foi de mauvais retours), j'ai apprécié de les voir davantage ici.

J'ignore si c'était le cas dans les comics originaux, mais ici le Cobra Commandeur est un alien et Destro vient de le découvrir, mais décide de garder l'information secrète auprès ses troupes. Néanmoins, cette révélation déclenche une sorte de bascule discrète dans le rapport entre les deux partenaires (même si le commandeur ne sait pas que Destro connait son secret).

Ce simple élément, pourtant placé de manière allusive dans l'épisode, modifie la perspective de la série et, on s'en doute, quand sera venu le moment où Destro dira au Cobra Commander qu'il sait qui il est, cela influera sur leurs relations. Cette bascule est palpitante mais nul doute que Williamson saura en tirer le meilleur.

Cela a en tout cas suffi à me rassurer sur l'ambition de la série et à la poursuivre en singles. C'est sans doute plus efficace encore en recueil mais il y a quelque chose d'assez irrésistible à lire ça mois après mois, comme un vrai feuilleton. Il est certain que c'est plus ou moins consistant et que commenter l'écriture (et le dessin) est donc plus ou moins aisé, mais la série est prenante, on a trop envie de connaître la suite.

D'autant qu'u dessin, Tom Reilly, après un léger coup de moins bien le mois dernier, s'est ressaisi. Sa capacité à assumer un tel projet, avec tous ces personnages, ces décors nombreux, ces véhicules, ces armes, est tout de même assez bluffante. Franchement, je ne l'attendais pas à un tel niveau et il est inexplicable que ni DC ni Marvel n'aient voulu le signer en exclusivité.

Le fait qu'il soit, comme je l'ai déjà signalé, influencé par Samnee est certes un peu sa limite, tant on a l'impression parfois de lire des planches réalisées en jetant un oeil sur des comics de son confrère. Mais j'aime ce style de dessin, très dynamique et épuré à la fois, donc ce n'est pas une gêne en réalité. La lisibilité et la qualité des compositions au coeur d'un découpage direct fait le reste. Et très bien.

Bref, je suis quand même bien accro à ce G.I. Joe qui s'impose comme la série que je n'attendais pas et qui m'a conquis par sa simplicité et son savoir-faire.

dimanche 23 février 2025

THE QUESTION : ALL ALONG THE WATCHTOWER #4 (of 6) (Alex Segura / Cian Tormey)


Le cyborg Superman a pris le contrôle de la Tour de Guet grâce à ses pouvoirs sur les machines. Avec ses complices (Conduit, Nightshade et Eradicator), il neutralise les super-héros les plus puissants. Mais Hank Henshaw, durant sa captivité dans la zone fantôme, a développé de nouveaux talents qui vont sérieusement compliquer la tâche de la Question et de Batwoman...


J'ai déjà eu l'occasion de le dire les mois précédents, mais j'apprécie beaucoup cette mini-série. C'est un projet qui témoigne de la lucidité de DC vis-à-vis de personnages qui ne peuvent porter sur leurs épaules un titre régulier, illimité, comme c'est le cas de la Question, mais qui, dans le même temps, est conçu pour compléter Justice League Unlimited de Mark Waid et Dan Mora.


Le seul petit souci, c'est que Mark Waid ne semble pas se préoccuper de ce qui se joue dans les pages de The Question : All Along the Watchtower puisqu'il n'y fait absolument pas mention dans Justice League Unlimited alors même que Alex Segura, lui, exploite une situation suggérée par son confrère (les failles du système de sécurité de la Tour de Guet de la Justice League).


Alors, bon, ça se comprend aussi un peu : avec le casting pléthorique de JLU, son récit entièrement tourné vers l'action à grand spectacle et un subplot sur un traître dans les rangs de l'équipe, Waid a déjà un programme bien chargé. Mais c'est tout de même un peu dommage et ça montre les limites de ce qu'on appelle communément l'univers partagé.


Moi, c'est quelque chose qui me dérange toujours un peu, comme la sacro-sainte continuité. Cette dernière, chez DC, est devenue un truc tellement complexe qu'il est impossible de savoir ce qui est vraiment conservé d'un statu quo à un autre (par exemple, qu'est-ce qui est encore valide provenant des New 52 ?). Mais au moins, le système mis en place par l'éditeur de rebooter régulièrement son univers (voire d'en inventer des parallèles) permet de trouver des points d'entrée pour de nouveaux lecteurs.

En revanche, l'univers partagé est une notion qui devient absurde dans son principe même puisque avec toutes les séries où apparaît Batman ou Superman (pour ne prendre que les deux têtes d'affiche les plus emblématiques), il est clairement impossible que tout se passe dans la même période. 

Superman, dans les prochains mois, ce sera la série-titre, Superman Unlimited (de Dan Slott et Rafael Albuqerque), Action Comics, JLU et World's Finest (même si, là, c'est dans le passé) ! A quand Clark Kent trouve-t-il encore le temps d'écrire des articles pour le Daily Planet ? Et surtout le pitch de Superman Unlimited est tellement cataclysmique qu'on peut se demander comment cette série existe dans le même monde que la série Superman adjectiveless...

Donc, tout ça pour dire que The Question : All along the Watchtower, c'est l'illustration des limites du système de l'univers partagé où ce qu'écrit la main droite (de Segura) est ignoré de ce qu'écrit la main gauche (de Waid). Ce qui n'empêche heureusement pas d'aimer les deux.

L'épisode est palpitant vu le pétrin dans lequel Segura a plongé Renee Montoya (et Batwoman). Et le cliffhanger souligne que c'est loin d'être réglé (heureusement car il reste encore deux numéros). Le scénariste se montre à la fois efficace et un peu roublard, quand il s'agit notamment de révéler les nouvelles aptitudes de Hank Henshaw/cyborg Superman, bien pratiques pour expliquer certains points.

Cian Tormey au dessin est lui aussi dans un registre direct : le résultat est dénué de fioritures, ça va à l'essentiel, mais c'est soigné. On sent que le script est solide parce que les planches ne partent pas dans tous les sens, ce qui est crucial pour traiter d'événements aussi vigoureux et grandiloquents. Après, oui, c'est classique, sans folie, mais ça fait le job, proprement. Et c'est déjà très bien.

Si Urban comics français était encore présent en kiosque avec des mensuels et des hors-série, un titre comme celui-ci aurait été parfait pour compléter un sommaire ou remplir un n° spécial. Mais voilà, ce n'est plus le cas. Et je doute que The Question... trouve sa place dans un album indépendant, vu la popularité de ses protagonistes. Donc, si vous êtes tenté, surveillez la vo et le tpb.

BATMAN AND ROBIN : YEAR ONE #5 (of 12) (Mark Waid / Chris Samnee)


Dick privé de patrouille après avoir failli se faire renvoyer de l'école, Bruce participe à une soirée chez un ami et se rend compte qu'un usurpateur a pris la place de ce dernier. Certainement le même homme qui, au service du général Grimaldi, sème la confusion parmi les gangs rivaux de Gotham City... Cependant Robin fait des siennes et va le regretter...


Commençons par la (petite) mauvaise nouvelle : Batman and Robin : Year One fera un bref break en Avril pour revenir en Mai, le temps pour Chris Samnee de souffler. Le bonhomme ne se contente pas en effet de dessiner cette série, il signe plusieurs variant covers pour arrondir ses fins de mois. Mais bon, l'excuse car il est exceptionnel.


Et je pèse mes mots parce que ce cinquième épisode est une nouvelle démonstration de son talent de narrateur. Hier, en vous parlant de The New Gods #3 et des pages de Riccardo Federici, je pointais du doigt le fait que ces planches relevaient plus de l'illustration que de l'art séquentiel, dans un récit il est vrai qui était plus dans l'exposition que l'action.
 

Stuart Immonen ne sortant pas de sa retraite, Valerio Schiti ne revenant aux affaires sérieuses qu'en Juillet prochain (avec Captain America, écrit par Chip Zdarsky - enfin une bonne nouvelle en provenance de Marvel !), il faut plus que jamais compter sur Samnee pour nous rappeler ce qu'est la vraie bonne bande dessinée et un vrai storyteller.


Car, bon, sans être désobligeant avec ses pairs, Samnee se distingue par sa science du récit dessiné : il sait faire vivre une histoire par l'image et on le voit dans les scènes d'action, qui sont le passage obligé pour savoir à qui on a affaire. Cet épisode lui donne l'occasion de nous enseigner de quoi il retourne et c'est juste un régal.

La complicité d'un artiste avec un scénariste repose essentiellement sur ce que ce dernier juge inutile de mettre en mots parce que l'image va suffisamment parler par elle-même. Bien entendu, il faut une bonne histoire et Mark Waid sait faire, mais surtout Waid a compris que comme ses meilleurs partenaires par le passé, Samnee savait tirer un script vers le haut.

Comment s'en assure-t-on ? C'est simple : si vous lisez de la vo en particulier et que quelques passages peuvent échapper, faute de maîtriser suffisamment l'anglais, mais que vous saisissez l'essence des scènes, le propos du récit, sans s'appuyer sur le texte, alors c'est que le dessin fait son travail en vous prenant par la main et vous rendre lisible votre BD.

Les exemples sont pléthore : en quelques traits, avec un découpage qui est toujours imparablement fluide, par le jeu des "acteurs" de l'histoire, la composition des plans, la justesse de la valeur de ces plans, Samnee vous raconte ce que vous devez savoir. Le texte qui s'y ajoute n'est "que" là pour orner ce dessin magnifiquement narratif.

Dans le cas présent, l'épisode sépare Batman de Robin puisque Dick Grayson a failli se faire renvoyer de l'école où Bruce Wayne l'a inscrit. Puni en conséquence, il est privé de patrouille. Mais évidemment il ne s'y résout pas et fait le mur. A ses dépens... 

Ces scènes avec Robin sont à la fois drôles et captivantes et une fois encore Waid saisit à la perfection la personnalité du garçon, intrépide, incorrigible. Pendant ce temps, Bruce Wayne fait une découverte lors d'une soirée chic à laquelle il participe chez un ami puis Bruce Wayne mène l'enquête, qui confirme ses soupçons et doit affronter Gueule d'argile (ce n'est pas un spoiler : la couverture le révèle).

Qu'il s'agisse des moues d'abord vexées puis de la mine espiègle de Robin ou de la façade impassible puis déterminée de Batman, Samnee appuie juste ce qu'il faut sur les expressions pour qu'on capte ce qui se joue chez les deux personnages et ce qui les anime. Mais en prime, Waid lâche la bride à son artiste, conscient qu'en rajouter par le texte ne ferait que gâcher leur puissance narrative.

A ce stade de la série, on peut faire une croix sur l'originalité de l'intrigue, au moins provisoirement : pour le moment, avant peut-être le second acte, tout repose sur la caractérisation, et le lecteur s'attache au plaisir de voir le dynamic duo à ses débuts. On peut déplorer que Waid prenne son temps pour camper son propos mais ça fonctionne parce qu'il réussit à nous montrer Batman et Robin avec une épatante fraîcheur.

A fond, Waid renoue avec Samnee sur ce qu'il a accompli avec Mike Wieringo : faire aimer des personnages dont on croit tout savoir en les plaçant dans une perspective inattendue. Batman, Robin, les Fantastic Four, ont en commun d'être des héros établis, dont on a fait le tour (et pas qu'une fois). Mais le talent, le génie même, c'est de nous les rendre à nouveau comme neuf. 

Par la grâce d'une écriture aérienne et de dessins remarquables, bref d'une narration virtuose mais jamais prétentieuse, on obtient la quintessence d'une BD : un divertissement élégant, un récit palpitant, et une masterclass de réalisation.

samedi 22 février 2025

THE NEW GODS #3 (of 12) (Ram V / Evan Cagle, Riccardo Federici)


La guerre fait rage sur Apokolips et Karok Ator décime les armées de la planète sans roi. Metron observe cette débâcle aux côtés du Chroniqueur qui lui rappelle l'histoire de trois dieux du 2ème Monde : Abor Struta, Nyctar et Parzurem. Mister Miracle et Big Barda reçoivent l'aide d'Oberon pour retrouver le néo-dieu...


Bon, c'était prévisible mais Evan Cagle ne signe que quelques planches dans cet épisode (six pour être exact). Alors évidemment, c'est un peu décevant, mais en même temps, on imaginait mal qu'il ferait les douze numéros avec un style aussi détaillé que le sien et si vous n'êtes pas convaincu, il suffit d'admirer la double page d'ouverture sur la bataille pour le trône d'Apokolips.


C'est aussi une bonne occasion de rappeler ce qu'est un dessinateur de comics : sans être un ouvrier à la chaîne comme dans les mangas (où tout est produit par un studio avec un artiste et une armée d'assistants) ou un bonhomme capable d'assumer des pages au km comme dans les fumetti, c'est un job qui exige d'abattre sa vingtaine de pages par mois.


Et, non seulement ça, mais en plus, aujourd'hui, ce n'est pas comme il y a soixante ans : les exigences du lectorat ont complétement changé. Avec l'émergence et l'omniprésence d'artistes au style réaliste (voire photoréaliste), le fan s'est habitué à une certaine norme et donc les éditeurs cherchent de plus en plus à coller à un certain standard graphique, qui explique que peu tiennent les délais.


La solution la plus pratique et la plus courante est désormais d'avoir deux dessinateurs sur une série, qui alternent les numéros ou les arcs, afin de respecter le timing imposé par les éditeurs et contenter le fan accoutumé à une certaine qualité. Bien entendu, ça ne signifie pas qu'il n'y a plus de place pour d'autres formes de dessin, mais c'est tout de même devenu la règle.

C'est particulièrement intéressant d'analyser cela avec un titre comme The New Gods attaché (puisque créé) par Jack Kirby, qui était un stakhanoviste  du dessin, capable de produire jusqu'à quatre mensuels (donc 80 pages) simultanément. Mais Kirby ne faisait "que" dessiner : il ne s'encrait pas et était réputé d'ailleurs pour se ficher de ce que devenait ensuite ses planches dans les mains des encreurs (malgré sa fidélité à des spécialistes comme Joe Sinnott).

En somme, aujourd'hui, on assiste avec The New Gods à un résumé parfait de ce qu'est le dessin d'un comic-book avec un artiste qui ne travaille pas du tout comme Kirby, n'a pas du tout le même style, mais est confronté aux contraintes d'un mensuel. Contraintes qu'il ne peut que contourner en se faisant aider par un confrère.

Récemment, dans sa newsletter, Greg Smallwood expliquait pourquoi son nouveau projet (Batman the Barbarian) tardait à venir : il a expérimenté lors de ses recherches graphiques, au point où il a perdu de vue ce qu'il cherchait vraiment. Pour se recentrer, il a collaboré au dessin animé Batman Caped Crusader, a signé des covers, des commissions, puis a renoué avec l'art séquentiel, animé par la volonté de terminer son Batman the Barbarian.

Smallwood pointe que pour un Chris Samnee qui peut livrer ses épisodes avec une ponctualité infaillible, la majorité de ses pairs bataille avec les délais, les envies d'expérimenter, les ambitions de scénariste... Heureusement, il peut compter sur un éditeur patient et qui le soutient. Mais ça en dit long sur ce qu'est le métier de dessinateur de comics.

Pour en revenir à cet épisode de The New Gods, les seize autres pages sont réalisées par Riccardo Federici. Sur le principe, c'est dans la droite ligne de la série qui accueille un invité chaque mois. Mais c'est aussi assez ironique puisque Federici est aussi lent, sinon plus que la moyenne et pour le coup, son style est hyper réaliste.

Il dessine à l'ancienne, au crayon, sans encrage, avec les couleurs appliquées ensuite par celui qui s'en occupe, Francesco Segala. Federici est l'archétype du dessinateur classique, qui a étudié dans une école des Beaux-Arts, avec une technique académique très solide. Après, ça peut ne pas plaire parce que narrativement, c'est ce qu'on demande quand même pour une BD, c'est totalement plat.

Pas de découpage à proprement parler, de travail sur les enchaînements : ça tient plus de l'illustration en vérité. C'est costaud, mais est-ce de l'art séquentiel ? Je n'en suis pas sûr. Les six pages de Cagle en comparaison ont une énergie, une puissance absentes de celles de Federici, malgré quelques beaux passages.

Et l'histoire alors ? Ram V semble avoir pensé au fait que Cagle serait en service minimum et son script est donc davantage tourné vers l'explication, l'exposition, que vers l'action. A la manière d'un conte, il nous sert un flashback sur trois anciens dieux, dont l'un (Nyctar) a corrompu l'autre (Arbor Struta) tandis que le troisième (Parzurem) a été emprisonné pour avoir refusé de fournir des armes.

Mais Parzurem, dans son cachot, a réussi à partager son esprit et à en expédier une moitié dans l'espace pour arriver sur notre Terre où il s'est incarné à travers les siècles en différents personnages, guidant l'humanité. Craignant que Nyctar ne le découvre et ne conquiert notre monde, il est revenu sur sa promesse en créant une arme bien spéciale : un nouveau dieu !

Si vous reliez ça à la quête de Mister Miracle et Big Barda, vous devinez facilement que ce néo-dieu est celui qui est également la cible d'Orion. Je spoile, mais, honnêtement, ce n'est pas préjudiciable : l'intérêt est moins de savoir ça que de découvrir la suite de l'aventure.

Le résultat n'est pas déplaisant et on sait gré à Ram V d'éclaircir notre lanterne si vite sur les origines du néo-dieu, dont on ignore toujours toutefois s'il incarne la chute prochaine du Quatrième Monde ou s'il représente son salut, surtout avec ce que Karok Ator accomplit sur Apokolips et ce qu'il ambitionne pour New Genesis...

On espère quand même que le mois prochain, Cagle sera à nouveau à la manoeuvre et que l'action va progresser significativement (comme le suggère la dernière page). Mais je suis confiant car The New Gods a tout pour continuer à nous impressionner.

TITANS #20 (John Layman / Pete Woods)


Les Titans sont dans tous leurs états : Arsenal embrasse langoureusement Donna Troy après s'être disputés au sujet de Raven, Beast Boy tente de réconforter cette dernière alors qu'ils se baladent dans Central Park... Mais que se passe-t-il donc ?


Il y a un peu deux manières d'apprécier cet épisode. Si vous êtes peu indulgent, tous les événements qui s'y déroulent vont vous mener à une conclusion qui est tout sauf subtile et qui remet le couvert sur l'équilibre mental de Raven - autant dire une antienne de la série. Soit vous êtes gentil et vous vous dîtes que ce n'est pas très inspiré mais pas non plus très grave.


Depuis quelques numéros, il est clair que John Layman veut remettre sur le tapis le fait que certains membres des Titans ne font pas/plus confiance à Raven. Ont-ils tort ? Pas complètement puisque les pouvoirs empathiques de cette dernière les affectent, elle et ceux qui l'entourent. Après avoir constaté les troubles comportementaux de leurs adversaires, les héros se demandent s'ils ne sont pas aussi atteints.


Celui qui exprime le plus vivement ses doutes est Roy Harper/Arsenal, mais sa parole est peu audible dans la mesure où il ne cesse de se plaindre : il a râlé quand Nightwing a donné à Donna Troy le commandement de l'équipe, quand l'équipe s'est installée dans une tour souterraine au lieu de rester dans la Tour de Guet, et à chaque fois que lors d'un combat Raven a eu une attitude bizarre.


Mais, et s'il n'avait pas tort ? Ce qui est certain, c'est que tous les autres vont se rendre compte que Raven ne va pas bien et que cela se répercute sur tout le monde dans des proportions inquiétantes. Lorsqu'elle est de mauvaise humeur, tout le monde l'est. Lorsqu'elle est euphorique, idem. Mais le pire, c'est qu'elle use de ces sautes d'humeur pour, à l'occasion, se sortir d'un mauvais pas...

La solution se trouve peut-être du côté de Mercy Hall, le laboratoire où travaille Karen Beecher/Bumblebee, qui a élaboré une machine pouvant permettre aux personnalités de Raven de ne faire qu'une et donc d'arrêter ces dérives. A moins que quelqu'un ne tire les ficelles et ne trompe tous les Titans... Car John Layman a bien montré auparavant que les héros sont la cible d'un vieil ennemi.

Franchement, quand j'ai lu cet épisode, je n'ai pas trop su quoi en penser. Je ne suis toujours pas sûr d'ailleurs d'en penser quoi que ce soit. J'aime bien ce que fait Layman avec ces personnages, la manière qu'il a de construire son intrigue, c'est efficace, plaisant à lire. Sauf qu'il tire une très vieille ficelle, maintes fois utilisée avant lui et que c'est peut-être la fois de trop.

La puissance mentale de Raven a alimenté nombre d'intrigues depuis New Teen Titans de Marv Wolfman et George Pérez, à commencer par la saga de Trigon. La jeune femme est à la fois le maillon fort et faible de l'équipe, et d'ailleurs Wolfman l'écrivait volontiers comme l'équivalent de Jean Grey/Phénix dans Uncanny X-Men de Chris Claremont et John Byrne.

Ce qui était déjà donc une idée peu originale est devenue une sorte de running gag chez les scénaristes  de la série. Alors que Layman s'y mette aussi, même avec le prétexte d'une machination extérieure, disons que c'est un pénible. Après Garfield Logan qui perdait les pédales dans l'event Beast World, revoilà Raven qui est à deux doigts de péter un câble - encore !

Par ailleurs, le scénario entretient mollement un suspense sur les recherches secrètes de Cyborg, mais curieusement le fait que Vic Stone s'isole ainsi du groupe ne fait tiquer aucun de ses partenaires. On aimerait quand même bien savoir ce qu'il bricole (même si je pense que la révélation aura lieu bientôt et qu'elle sera en lien avec le méchant qui oeuvre en coulisses...).

Toutefois, je ne veux pas noircir exagérément le tableau. Je le répète, la série est agréable à lire, et quand Pete Woods est présent au dessin (hélas ! pas aussi régulièrement qu'à son habitude...), on a le droit à des planches d'un très bon niveau, dont il assume aussi la colorisation (et j'aime bien quand un artiste maîtrise toute la partie graphique comme lui, Jamal Campbell ou Mikel Janin).

Je ne crie pas "au feu !" parce qu'après tout il n'y a pas lieu de le faire. Ce n'est pas parce que les ingrédients ont déjà servis que le plat ne sera pas bon, donc Layman peut surprendre avec cette trame classique. J'espère juste ne pas me tromper. A suivre donc.

vendredi 21 février 2025

ZATANNA #1 (of 6) (Jamal Campbell)


Zatanna répète ses numéros de magie au théâtre Therpsicore avec sa troupe. Alors qu'elle réconforte je jeune Adam, elle voit plusieurs membres de son équipe attirés dans le plan astral par Lady White, une magicienne qui fit les beaux jours de l'endroit. Elle les secourt en cherchant à comprendre la raison de cette attaque...


Hier, je vous parlai du tome 3 de Superman par Joshua Williamson en mentionnant les remarquables dessins de Jamal Campbell qui allait démarrer, seul, une mini-série Zatanna, guest-star de l'arc The Dark Path. Le premier épisode est sorti avant-hier et il coche toutes les cases d'une nouvelle production de qualité consacrée à la mistress of magic après Bring Down the House (de Mariko Tamaki et Javier Rodriguez).


Chez Marvel, depuis 2023, Steve Orlando enchaîne les mini séries Scarlet Witch, un moyen pour l'éditeur de mettre le personnage en valeur sans s'engager dans un run ininterrompu et de profiter de sa présence simultanée dans The Avengers. Peut-être que DC s'inspire de cette façon de faire avec Zatanna, en la confiant néanmoins à des auteurs différents.


Quoiqu'il en soit, après le gros succès surprise rencontré par Bring Down the House, la mini de Jamal Campbell a tout ce qu'il faut pour cartonner à son tour. L'artiste adore le personnage et son plaisir à la dessiner dans les pages de Superman était manifeste. Surtout DC, contrairement à Marvel, accepte volontiers de donner leurs chances à des dessinateurs d'écrire leurs histoires.


C'est donc parti pour six mois et on va se régaler. D'abord, encore une fois, parce que Campbell nous en met plein les mirettes. Ses planches sont superbes et il tire impeccablement parti des avantages de l'infographie en assumant dessin, encrage et colorisation. Son découpage déborde d'énergie, les effets spéciaux sont fabuleux, mais tout ça ne se fait jamais au détriment des personnages et du récit.

Ci-dessus : le casting de la mini-série.

Campbell inscrit l'héroïne dans le double cadre d'un spectacle en préparation et au sein d'une vraie troupe. Là où on a trop tendance à mettre en scène les magiciens de comics sans aucune assistance, Zatanna est au contraire bien entourée et encore, on n'a pas encore vu la totalité du casting, mais surtout les techniciens et notamment le jeune Adam, entrevu justement dans Superman (dans le rôle d'un serveur du Bar Oblivion).

Vous n'avez pas besoin de prérequis pour vous plonger dans cette histoire : Campbell assure comme un chef en introduisant la situation de manière rapide et claire avec cette Lady White qui fit les beaux jours du théâtre Therpsicore où va se produire Zatanna. Elle a disparu subitement au sommet de sa gloire mais refait des siennes en s'en prenant au staff de la magicienne.

Pourquoi ? Sans trop en dire, on comprend à la fin qu'elle a accepté un contrat et le commanditaire est une vieille connaissance de Zatanna. L'histoire de Campbell pourrait donc être une suite à Bring down the House si un certain personnage a réussi à s'évader de là où elle l'a enfermé... On verra. Mais c'est un vrai page-turner, qui file à toute allure, jusqu'à un cliffhanger saisissant.

Je ne veux pas jouer bêtement aux comparaisons mais si on met en parallèle ce projet avec la récente mini sur Dazzler, de Jason Loo et Rafael Loureiro, chez Marvel, on assiste à un regain d'intérêt pour les héros issus du milieu du spectacle vivant. Sauf qu'évidemment la magie suggère un divertissement plus spectaculaire que la pop music (enfin... A mes yeux en tout cas).

Cela change agréablement du train-train super-héroïque dans la mesure où comme elle le disait dans l'arc de Superman, Zatanna n'est pas un nom de code, mais sa véritable identité, que la magie n'est pas son super-pouvoir mais son métier. En fait Zatanna n'a de super-héroïque que son lien avec la communauté des super-héros : elle ne court pas après les aventures, à rendre la justice, mais sa profession l'entraîne dans des zones plus troubles.

Personnellement, je préfère quand Zatanna n'est pas au sein d'une équipe : c'est un excellent personnage, qui peut être très bien utilisé dans ce cadre, mais c'est encore mieux quand elle est impliquée dans des intrigues associées à son métier, à son art. Il n'y a pas besoin de lui flanquer des super-héros en collants pour la mettre en valeur.

C'est ce que semble aussi penser Jamal Campbell, qui, avec des seconds rôles à venir comme Blue Devil ou Madame Xanadu, se cantonne volontairement à la sphère magique mais pas forcément super-héroïque. Encore une fois, je préfère Zatanna ainsi que, disons, avec la Justice League Dark (même si le run de James Tynion IV et Alvaro Martinez était exceptionnel).

En tout cas, ce premier épisode est un enchantement, visuel et narratif. Vite, la suite !

jeudi 20 février 2025

SUPERMAN, VOLUME 3 : THE DARK PATH (Joshua Williamson / Jamal Campbell, Tom Reilly)


SUPERMAN : THE DARK PATH
(Superman #16-18 ; Knight Terrors : Superman #1-2)


Blessé par balles, Superman est opéré en urgences par Mister Terrific et Doctor Mid-Nite. Cependant, Zatanna échappe à une arrestation par les agents de la Task Force d'Amanda Waller lorsque Mercy Graves lui vient en aide et la conduit jusqu'à la forteresse de solitude. Superman l'écoute expliquer qu'il y a un moyen pour que lui et elle récupèrent leurs pouvoirs et puissent retourner se battre sur le terrain.


Superman suit Zatanna jusqu'au Bar Oblivion où se sont cachés tous les magiciens que Waller et ses alliés n'ont pu capturer. Néron les interpelle et propose un marché pour leur donner la carte de Mordru et retourner près des leurs en ayant récupéré leurs pouvoirs...


Ce troisième tome du run de Joshua Williamson sur la série Superman propose un curieux programme, entièrement composé d'épisodes tie-in à deux events. Contre toute logique, l'album s'ouvre par les numéros attachés à Absolute Power alors qu'il se ferme avec ceux liés à Knight Terrors, parus pourtant plus tôt.

La première scène renvoie au tout début de l'event écrit par Mark Waid où Superman surprenait des voleurs et que l'un d'eux lui tirait dessus pour découvrir, sidéré, que le kryptonien était touché à la poitrine. Voici Superman sur le "billard" de la forteresse de solitude avec Mister Terrific et Doctor Mid-Nite (Pieter Cross) en train de procéder à une opération chirurgicale pour tenter de la sauver.

L'explication à cette blessure est que Amanda Waller avec ses alliés, Failsafe et la Reine Brainiac, ont créé des amazos en série qui ont dépouillé de leurs pouvoirs la quasi-totalité des super-héros pour mieux les arrêter ou les éliminer. Superman a pu être atteint ainsi. Mais il se rétablit vite grâce aux soins de ses amis de la JSA et d'une combinaison protectrice kryptonienne (sa fameuse tenue noire).

C'est sur ces entrefaites que Zatanna arrive à la forteresse après avoir échappé de justesse à une arrestation par des agents de la Task Force de Waller. La magicienne a elle aussi perdu ses pouvoirs mais pense savoir comment les récupérer. Elle offre à Superman de l'accompagner sur ce sentier sombre qui donne son titre au volume, alors même qu'il déteste tout ce qui est magique.

La suite est convenue et on sent bien que Joshua Williamson se plie à l'exercice sans motivation. Toutefois, on ne s'ennuie pas et le duo formé par Superman et Zatanna fonctionne très bien. Leur arrivée dans le Bar Oblivion où se sont terrés d'autres magiciens donne lieu à une séquence très réussie où Kal-El gronde l'assistance puis passe un marché avec Néron (que le scénariste exploitera peut-être dans le futur...).

Mais, disons-le tout net, le vrai plaisir provient du retour au dessin de Jamal Campbell. Ses planches sont sublimes et annoncent celles de la mini-série Zatanna, dont le premier épisode vient de sortir, et dont il signe scénario et dessin. Son plaisir à animer la magicienne est palpable et communicatif, sans parler de sa manière de représenter le voyage qu'elle entreprend avec Superman.

En trois épisodes, l'aventure est bouclée et si le lecteur peut s'en dispenser puisqu'elle n'a aucune incidence sur la suite, ce serait quand même dommage de rater la prestation de Campbell. 


Suite à l'attaque d'Insomnia, Superman est plongé dans ses pires cauchemars où il est confronté au Grand Faucheur. Tandis que Aquaman, Mera, Jackson Hyde et Tempest repêchent son corps endormi et l'emmènent jusqu'à SuperCorp, Superman est rejoint dans son rêve par sa cousine Supergirl...

Paru en 2023, l'event Knight Terrors ne m'a pas laissé un souvenir impérissable, la faute à une intrigue maladroite sur la mini-série principale. En revanche, elle a donné lieu à des tie-in supérieurs en qualité et en inspiration, comme pour Poison Ivy. L'idée de plonger les héros (et les vilains) dans leurs pires cauchemars par la volonté d'un vilain en quête d'une pierre du cauchemar était intéressante.

Joshua Williamson se montre pourtant assez paresseux vis-à-vis de son application à Superman alors même qu'il était aux commandes de cet event. Non seulement le scénariste déçoit dans la conception du cauchemar de Superman mais en prime, chose rare, le rythme est absent de ces deux épisodes où, par ailleurs, c'est davantage Supergirl qui dynamise le récit.

Surtout, c'est Aquaman et Mera qui trouvent la solution pour réveiller les deux kryptoniens et sonner l'heure de la riposte contre Insomnia. Il est frappant de constater le peu d'entrain que met Williamson à sa tâche, même si on peut aussi admettre que ce n'est pas ce qu'il y a de plus emballant pour un auteur (encore que pour Knight Terrors, c'était de sa seule responsabilité).

Encore une fois, on trouvera surtout son bonheur dans les dessins de Tom Reilly, dont ce fut le dernier travail pour DC avant qu'il ne rejoigne Robert Kirkman et... Joshua Williamson pour illustrer la mini-série Duke et la série G.I. Joe dans l'univers Energon du label Skybound publié par Image Comics.

Reilly, on le sent, a travaillé vite car on ne trouve pas dans ces pages le soin qu'il met sur G.I. Joe actuellement. C'est correct, mais sans forcer son talent. L'influence de Chris Samnee est bien entendu évidente, mais ce n'est pas un reproche. Il vaut mieux s'inspirer des meilleurs pour progresser et en la matière, Samnee est une référence.

Au final, ce troisième tome se lit vite avec ces cinq épisodes, mais le sommaire met en évidence le côté transitoire de l'album, avant l'arc narratif en cours où Joshua Williamson avec Dan Mora reprend les choses en main. A réserver, en conséquence, aux complétistes de ce run.

mercredi 19 février 2025

SUPERMAN : HOUSE OF BRAINIAC (Joshua Williamson / Rafa Sandoval, Edwin Galmon)


SUPERMAN : HOUSE OF BRAINIAC
(Action Comics #1064-1066 ; Superman #13-15 ;
Superman : House of Brainiac Special #1) 


Lois Lane s'est accordée une journée de repos dont elle compte profiter avec Jimmy Olsen, Siobhan McDougal et Clark Kent. Mais à peine leur séance de yoga dans le parc de Metropolis commencé que Superman est en alerte : une horde de czarniens et de drones de Brainiac s'abat sur la ville et la dévaste. La Super-family vient en aide à Superman mais elle est débordée - pire : Lex Luthor, Mercy Graves, Lena Luthor, Supergirl, Connor Kent, Lana Lang, Livewire, Metallo, Parasite, Kong Kenan, Otho-Ra et Osul-Ra sont téléportés dans le vaisseau de Brainiac !
 

Les czarniens et les drones de Brainiac se replient. Superman promet à Lois et Jimmy de ramener tout le monde sain et sauf, et pour cela, il va réclamer des comptes à Lobo, lui-même czarnien, à la morale plus que douteuse, donc peut-être complice de cette attaque. Ce dernier ignore pourtant tout, croyant depuis longtemps que ses semblables sont morts et il accepte donc d'aider le kryptonien. Reste à déjouer la garde des planètes unies qui a mis la Terre en quarantaine.


Cependant, à bord du vaisseau de Brainiac, Supergirl, Connor Kent et Livewire réussissent à quitter les cellules dans lesquelles Brainiac les a incarcérés. Ce dernier renvoie les czarniers, dirigés par le colonel Chacal, capturer Superman et Lobo qui trahit Kal-El. Supergirl enlève Luthor qui semble coopérer avec Brainiac et ils découvrent que celui-ci a réussi à sauver les habitants de sa planuète natale, Colu, en les miniaturisant.


Cependant, alimentés par l'énergie de ses prisonniers auxquels est venu s'ajouter Superman, Brainiac achève son plan en donnant naissance à sa reine. Cette version augmentée de lui-même qui le débarrasse des troupes du colonel Chacal puis s'en prend à Superman et ses amis. Brainiac peut ensuite passer à la seconde partie de son plan dont la pièce maîtresse n'est autre que Lena Luthor...


Ce crossover entre les séries Action Comics et Superman aurait pu être le troisième tome de la série Superman écrite par Joshua Williamson, mais DC a préféré ne pas faire de distinguo et c'est donc un volume à part, mais dont la lecture s'avère quand même nécessaire, ne serait-ce que pour comprendre l'amnésie qui a frappé Lex Luthor à la fin de cette histoire (et qui vient juste d'être guérie dans le Superman : Lex Luthor Special sorti récemment et dont j'ai déjà parlé).


En vérité, Joshua Williamson a longuement teasé ce crossover, dès le premier épisode de son run sur Superman avec une page annonçant de façon très suggestive ce qui attendait le lecteur pour les mois à venir. Le retour de Brainiac était donc programmé comme étant un climax après la première année de publication.

La dernière fois, si je ne m'abuse, qu'on avait vu Brainiac aux premières loges, c'était durant le run de Scott Snyder sur Justice League où il faisait partie de la Legion of Doom de Lex Luthor au service de Perpetua, la mère du Multivers. Et comme tous les vilains dans cette affaire, il n'en était pas sorti indemne quand l'event Death Metal s'était conclu.

Williamson a manifestement voulu lui offrir un retour en force. Ce qui constitue à la fois la force et la limite de ce crossover en six parties + un numéro spécial. Commençons par les mauvaises nouvelles et disons simplement que c'est digne d'un récit de Snyder : bourré d'idées, mais boursouflé, empesé, quasi indigeste.

Le scénariste aime que ça aille vite, qu'il y ait de l'action (beaucoup d'action). Ici, en plus, il a accès à tous les personnages possibles, comme la Super-family, plus Lobo, des czarniens en pagaille, des références au passé de certains personnages clés, et d'autres qu'il créé pour l'occasion mais qui serviront plus tard à l'occasion de l'event Absolute Power.

Tout ça, ça fait beaucoup, et ça fait même trop : à force de multiplier les protagonistes, finalement on voit assez peu Superman. La vedette ici, en dehors de Brainiac, c'est la Super-family et Lobo, le genre d'anti-héros qui vole la vedette à n'importe qui. Parce que Lobo est et reste cet énergumène inclassable, à la fois comique et amoral, violent et imprévisible, avec son look de biker extraterrestre improbable. C'est bien simple : quand il apparaît, les autres deviennent quasiment des figurants.

Williamson écrit les trois épisodes d'Action Comics et les trois de Superman, plus la majorité de House of Brainiac Special, en compagnie de Mark Russell. Le souci, c'est que le chapitre de Russell tombe littéralement comme un cheveu dans la soupe, n'ayant aucun rapport véritable avec le reste : il s'intéresse à la campagne électorale de Perry White pour la mairie de Metropolis face à un candidat anti alien qui profite de la crise en cours.

J'aime plutôt bien ce qu'écrit Russell, mais là, c'est d'une lourdeur sans nom, avec des allusions à Trump très maladroites. Et donc, surtout, on se demande vraiment ce que ça vient faire là, ça coupe le rythme, au pire moment. Steve Pugh dessine en plus cette partie en appuyant les effets comiques et ça aussi, c'est décalé mais pas très inspiré.

Ce numéro spécial est d'ailleurs assez fouillis : on y trouve un passage sur Amanda Waller qui découvre qui se cache derrière le mystérieux Council of Light qui veut l'aider à neutraliser tous les super-héros. L'identité de ses membres tombe complètement à plat, et en prime c'est très moche niveau illustration (par Fico Ossio). Il y a un autre passage avec Vril Dox, le "fils" de Brainiac, au dessin atroce (signé Mirko Colak). 

Plus réussis : le segment concernant l'origine du plan de Brainiac et de son association avec les czarniens, qui bénéficie en outre du dessin d'Edwin Galmon. Et surtout, le plus important et le plus abouti, celui concernant Lena Luthor, jouet à la fois de son père Lex et de Brainiac et qui devient dans la dernière ligne droite un personnage décisif, bien servi par le dessin de Laura Braga.

On peut passer aux points forts : Williamson a toujours cette façon bien à lui d'orchestrer une histoire ambitieuse en sachant doser ses effets jusqu'à un final très percutant et surprenant. L'utilisation de Lobo est ingénieuse, le scénariste sait employer le Main Man dans toute son ambiguïté et sa puissance et il est un contrepoint très divertissant à Superman, vertueux à l'extrême.

Le rôle de Lex Luthor est également passionnant, d'une ambivalence parfaite, et ce qui lui arrive in fine est inattendu (bon, de ce côté-ci, le spoiler est inévitable : il devient amnésique, mais c'est très bien amené).

Autre bon point pour la partie graphique : Rafa Sandoval est présent sur les six épisodes du crossover, même s'il reçoit le renfort de Miguel Mendoça sur Superman 14 et Action Comics 1066. Mendoça a été meilleur que ça en d'autres occasions, on sent qu'il a été appelé en dernière minute et il a fait le choix de ne pas être encré, ce qui donne à ses planches un côté bâclé.

Sandoval est égal à lui-même, depuis qu'il n'est plus assisté par Jordi Tarragona à l'encrage : son trait est moins lisse, toujours aussi puissant, mais les détails l'empêchent donc d'enchaîner les épisodes sans un second artiste. Il maîtrise bien tous les personnages grâce à son expérience et son découpage sait être inventif, même s'il reste meilleur en étant simple et sobre.

Ce crossover s'avère efficace à défaut d'être imparable. C'est une étape entre la fin de la première année du run de Williamson sur Superman et la suivante, actuellement en cours. Si Lex Luthor est le personnage le plus impacté, ça suffit pour en rendre la lecture sinon indispensable, du moins utile pour comprendre donc son état récent.

Après ça, Williamson va devoir composer avec Absolute Power dans le prochain tome de Superman dont je vous parle tout bientôt...