jeudi 31 octobre 2024

THE NICE HOUSE BY THE SEA #4 (of 12) (James Tynion IV / Alvaro Martinez Bueno)


Dans la maison du lac, on réfléchit tout haut à ce que Norah, Reginald et Ryan ont découvert dans la maison de la plage : comment expliquer à Max, quand elle viendra les visiter, l'absence de Walter ? Dans la maison de la plage, Oliver est sommé de manière brutale de s'expliquer sur la visite de Ryan, Reginald et Norah...


Je dois bien avouer que The Nice House by the Sea ne ressemble pas du tout à ce que je pensais. Et c'est tant mieux ! Car, reconnaissons-le, l'option la plus probable, c'était qu'on allait lire une histoire avec un nouveau décor (une maison près de la mer), des nouveaux personnages, bref quelque chose qui allait remettre une pièce dans la machine (une machine où les auteurs et l'éditeur ont gagné le jackpot)...


... Et puis James Tynion IV a déjoué les attentes : évidemment, on a droit à une nouvelle maison, de nouveaux personnages, mais c'est une vraie suite à The Nice House on the Lake, à laquelle elle est organiquement liée, et qu'il est donc indispensable d'avoir lu. Mais, et c'est le plus fort, la mécanique feuilletonnesque du projet est devenue essentielle : les deux séries sont connectées, mais surtout interdépendantes.


En vérité, The Nice House by the Sea est la saison 2 de The Nice House on the Lake. J'ai déjà abondamment comparé tout ça à Lost, mais plus ça avance, plus cette comparaison me paraît évidente. Non pas tant pour l'intrigue (pas d'île, pas de monstre, pas de voyage dans le temps...), mais pour la construction qui repose sur un développement narratif par l'addition de personnages densifiant le récit.
 


Vous remarquerez au passage que ce 4ème épisode est estampillé non plus du DC Black Label mais du label Vertigo, que DC a donc ressuscité (les trois épisodes précédents seront rétroactivement labelisés Vertigo pour leur édition en recueil). C'est une décision logique dans la mesure où ainsi The Nice House... ne figure plus dans une collection de mini-séries consacrées majoritairement à des histoires super-héroïques (le plus souvent hors continuité).

C'est aussi la volonté de DC de ramener un label qui a fait une partie importante de son histoire à partir des années 80, avant l'apparition des éditeurs indépendants comme Image, Dark Horse et d'autres : Vertigo était alors le refuge des auteurs qui pouvaient y écrire des séries adultes mais ne s'inscrivant pas dans le registre super-héroïques (même si, ensuite, certaines de ces séries sont devenues canoniques pour l'univers DC des super-héros, avec des personnages/séries intégrés comme Swamp Thing, Hellblazer/John Constantine...).

Alors j'en vois déjà qui se disent : "oui mais The Nice House..., ça n'aura jamais autant d'impact que Sandman !". Déjà, j'ai envie de répondre : on verra. Et même si James Tynion IV ne livre pas une oeuvre telle que celle de Neil Gaiman, est-ce que c'est grave ? (Déjà, si Tynion IV ne finit pas sa carrière avec des casseroles comme celles que Gaiman a au cul actuellement, ce sera déjà bien...)

Mais revenons à nos maisons. Le mois dernier, trois des éminents résidents de la maison du lac ont découvert l'existence de la maison de la plage et révélé à un de ses occupants la mort de Walter. De retour chez eux, Ryan, Norah et Reginald racontent leur périple à leurs amis et tout le monde va se mettre à phosphorer sur ce qu'implique ce nouveau statu quo - et le point le plus important est : que vont-ils raconter à Max au sujet de l'absence de Walter ?

S'ils lui apprennent qu'ils l'ont tué (puisque c'est ce qu'ils croient), ils seront, ils en sont sûrs, tués par Max. Mais Reginald se charge de nuancer la situation en résumant les relations entre Walter, Max et Oliver Landon Clay (le résident de la maison de la plage rencontré par Norah, Reg, et Ryan) : Walter était amoureux de Oliver qui, lui, ne l'était pas et qui a fini par changer d'université pour s'éloigner de Walter - qui a évidemment très mal pris la chose.

Maintenant, dans la maison de la plage, ledit Oliver est confronté par Richard, Hector et Quinn qui ont remarqué la présence des trois visiteurs a posteriori et ils veulent savoir qui c'étaient, et pourquoi Oliver le leur a cachés. Celui-ci refuse de répondre, estimant n'avoir pas de compte à rendre (du moins dans l'immédiat). Mais ses trois interrogateurs ne l'entendent pas ainsi et vont répliquer de façon terrible, à la fois pour le sanctionner et obtenir des réponses...

Cette réaction, représentée de manière très graphique par Alvaro Martinez Bueno et Jordie Bellaire, atteint ceux de la maison du lac, qui ignorent pourtant tout de ce qui se passe à ce moment-là mais qui le déduisent intelligemment : Oliver a tout fait pour que la visite de Ryan, Reg et Norah passe inaperçu, soit rapide et discrète. Mais quand ses compagnons l'apprendront, il sera inévitablement en danger (de facto c'est ce qui se passe déjà)...

... Et cela, Walter a pu le prévoir. N'étant plus en capacité de protéger celui qu'il aimait, la mission revient donc aux résidents de la maison du lac ! James Tynion IV noue donc un problème terrifiant où les deux espaces (les deux maisons) et la temporalité (ce qui se passe dans les deux maisons au même moment mais aussi ce que Walter avait pu craindre et voulu prévenir) unissent tous ces personnages. 

Le tour de force actuel, c'est que, bien qu'on soit en présence d'une vingtaine de protagonistes (et même si la plupart de ceux de la maison de la plage soient pour l'heure complètement insignifiants), le scénario parvient à impliquer le lecteur, sans l'égarer. Certes, à moins que vous ayez une mémoire colossalement plus développée que la mienne et que vous reconnaissez tout ce monde d'un mois sur l'autre sans effort, malgré les dessins et les couleurs très stylisés de Martinez Bueno et Bellaire, vous serez probablement incapables de savoir instantanément qui est qui en dehors de cinq ou six personnages sur la vingtaine, mais...

... En se concentrant (pour l'instant) sur ceux qui pèsent le plus sur l'intrigue, ses ramifications, ses liens, ses conséquences (soient Ryan, Norah, Reg d'un côté ; Oliver, Hector, Quinn et Victor de l'autre), la série reste étonnamment abordable, compréhensible - même plus facile qu'elle ne l'était à l'époque de The Nice House on the Lake !

C'est donc très fortiche. Et incroyablement addictif. Qui aurait parié là-dessus ? Pas moi. Mais c'est parfois bon de se tromper.

MOON KNIGHT : FIST OF KHONSHU #1 (Jed MacKay / Alessandro Cappuccio)


Récemment revenu d'entre les morts, Moon Knight constate que ses alliés ont pris soin de sa mission, mais le quartier est sous la menace d'un trafiquant de drogue, Achilles Fairchild, qui opère depuis un night club dont il est le propriétaire. Par ailleurs, l'inspecteur Frazier interroge l'ex-agent Flint sur les activités réelles de Moon Knight et ses partenaires...


L'envie de lire Moon Knight : Fist of Khonshu est venue sur le conseil d'un ami fan du run de Jed MacKay qui m'a expliqué qu'après Blood Hunt c'était le moment parfait pour essayer cette série. Jed MacKay écrit le personnage depuis 2021 et il a d'abord aligné un run de 30 numéros au terme duquel il a tué Moon Knight.


En 2023, il relance la série sous le titre Vengeance of Moon Knight dans laquelle l'entourage du justicier est aux prises avec un imposteur qui prétend remplacer le défunt. Le titre dure neuf épisodes et en parallèle, dans Blood Hunt, MacKay orchestre le retour de Marc Spector, ressuscité par Khonshu. Moon Knight : Fist of Khonshu naît sur bases de tout cela.


J'ai pu lire ces deux premiers runs grâce à cet ami et j'en suis sorti épaté. MacKay a su relever le défi de donner à Marc Spector une vraie saga, même si pour ça il ignore complètement le fait que Jeff Lemire avait débarrassé Moon Knight de Khonshu. Il a sur en revanche composer avec l'arc des Avengers alors écrit par Jason Aaron où Khonshu s'en prenant à l'équipe via son disciple, mais aussi avec Devil's Reign, l'event centré sur Daredevil dans lequel Moon Knight était vite appréhendé par les Thunderbolts de Wilson Fisk.


Enfin, la fin de la série Moon Knight offrait au héros un dénouement spectaculaire qui ne manquait pas de panache, bien qu'avant cela MacKay synthétisait le côté à la fois bienfaiteur et expéditif de son personnage. Il l'a en outre doté d'un supporting cast solide, avec une psychanalyste (la Dr. Andre Sherman qui a Marc Spector comme patient), Tigra (une ex-collègue de MK au sein des West Coast Avengers), Reese et Soldier (deux vampires) et surtout Hunter's Moon (alias Yehya Badr, un autre disciple de Khonshu) ou l'ex-vilain 8-Ball. Le repaire de MK est le siège d'une mission où il reçoit des individus cherchant de l'aide, une protection, et le bâtiment a la particularité d'être vivant.

Khonshu libéré par Hunter's Moon, Tigra et le Démolisseur dans Blood Hunt pour contrer Varnae qui possédait Blade, Marc Spector ressuscité, Moon Knight : Fist of Khonshu est effectivement un jumping-on-point parfait. Si on sait ce qui a précédé, c'est très bien pour contextualiser les enjeux et situer les personnages. Si on a zappé tout ça, on n'est pas perdu car ce premier épisode résume l'essentiel.

La narration est divisée en deux parties qui se répondent : d'un côté, Mr. Knight (Moon Knight en complet-cravate) fait la connaissance d'Achilles Fairchild, un trafiquant de drogue, qui a investi le quartier qu'il protège et qui le défie ouvertement ; de l'autre l'inspecteur Frazier tente de cerner la personnalité et les objectifs de Moon Knight en considérant qu'il est dangereux mais son indic, un ex-flic, la met en garde contre le projet d'une attaque frontale.

MacKay alterne donc la description de Moon Knight comme un justicier urbain, presque comparable à Daredevil (avec une dimension mystique plus prononcée), gardien d'un quartier, mais aussi comme "une force de la nature", revenu d'entre les morts, entouré de partenaires fantastiques et d'une détermination absolue. Achilles Fairchid paraît un adversaire un peu mineur, mais le fait qu'il n'ait pas peur de Moon Knight intrigue - et le twist final de l'épisode établit une perspective intéressante pour la suite.

Alessandro Cappuccio accompagne MacKay depuis les débuts de son run sur Moon Knight, ne soufflant qu'un ou deux épisodes après chaque fin d'arc, ce qui assure au titre une belle cohérence graphique. Son style conserve l'esthétique posée par Declan Shalvey il y a dix ans déjà, à savoir un costume blanc immaculé, sans aucune couleur ajoutée, défini par le personnage pour être vu de loin.

Mais Cappuccio se démarque par ailleurs nettement, avec un trait à la fois lisse et nerveux, qui s'est affirmé au cours des années pour devenir de plus en plus vivant, notamment en ce qui concerne la représentation des personnages non masqués. Son traitement des décors s'est aussi beaucoup amélioré, ils sont plus détaillés mais surtout définis par l'ambiance très spéciale de la série (à l'image de la Midnight Mission, cette maison vivante).

Le découpage est très dynamique, les scènes d'action reflètent la brutalité avec laquelle Moon Knight corrige ses vis-à-vis mais quand le calme revient, une tension diffuse continue d'être palpable. Reste que, pour ceux qui vont investir dans la série, il ne faudra pas trop s'attacher à Cappuccio qui va quitter le titre à la fin de l'année (pour illustrer Ultimate Wolverine). Il sera remplacé par Dev Pramanik, qui avait justement été fill-in artist sur Vengeance of Moon Knight et me semble être un très bon remplaçant.

Je vais voir si MacKay continue sur sa bonne lancée avec Moon Knight, avec lequel il se montre beaucoup plus inspiré (et persévérant - même si, avec Doctor Strange ou Black Cat, on ne peut que saluer sa constance) que sur ses autres productions Marvel.

mercredi 30 octobre 2024

JE VERRAI TOUJOURS VOS VISAGES (Jeanne Herry, 2023)


Le programme de justice restaurative permet à des victimes d'agressions de rencontrer dans une prison des détenus ayant commis des crimes ou délits proches de ceux qu'elles ont subis. Le dispositif est encadré par deux agents bénévoles qui ont pour mission d'établir le dialogue entre les deux parties en présence.


C'est ainsi que Nawelle, qui a été caissière dans un supermarché et victime d'un braquage ; Grégoire, qui a subi un homejacking en présence de sa fille ; et Sabine, à qui on arraché le sac à main en pleine rue, rencontrent Issa, un cambrioleur ; Thomas, un toxicomane qui a escroqué plusieurs personnes ; et Nassim, un braqueur.


D'un autre côté, Chloé apprend que son frère, Benjamin, qui l'a violée de 7 à 13 ans, vient de sortir de prison après avoir purgé sa peine. Soucieuse à l'idée de le croiser en ville, elle se rapproche de Judith pour une médiation afin d'établir quelques règles pour éviter tout incident futur... Toutes ces démarches vont s'étaler sur plusieurs mois où chacun pourra s'expliquer, et peut-être se comprendre.


Jeanne Herry est la fille de Miou-Miou et Julien Clerc et Je verrai toujours vos visages est son troisième long métrage après Elle l'adore (2014) et Pupille (2018). Avec ce opus, elle aborde un sujet méconnu, la justice restaurative qui permet à des victimes d'agressions de rencontrer en prison des détenus ayant commis des méfaits semblables à ceux qu'elles ont subis.


Cette parole recueillie des deux côtés permet, dans le meilleur des cas, pour les prisonniers de réfléchir à leurs actes et pour les victimes de digérer l'expérience dramatique à laquelle elles ont été confrontées. Cela permet aussi pour les victimes qui ne vont pas en prison de se préparer à la libération de leur agresseur et de négocier des mesures d'éloignement.


Les encadrants sont des bénévoles mais ils sont formés pour arbitrer ces dialogues avec l'objectif non pas de compatir mais de faciliter les échanges, de les arbitrer, de jouer les intermédiaires. Les prisons mettent à leur disposition une salle et une sessions dure en moyenne trois heures à raison d'une fois par semaine, pendant plusieurs mois. Les détenus et les victimes s'engagent à être assidus en suivant le programme dans le respect de la partie d'en face.
 

Dit comme ça, j'ai bien conscience que tout ça ressemble à un film conçu pour une soirée type Dossiers de l'écran. Mais en vérité, le contexte mérite d'être décrit et le sujet est passionnant. Jeanne Herry a écrit le scénario après s'être longuement documenté et rencontré des encadrants. Le résultat est sidérant, à contre-courant des idées reçues, sans angélisme, sans diabolisation non plus, développé avec une rare intelligence et une sensibilité bluffante.

Le film suit deux récits en parallèle : d'un côté, dans une maison d'arrêt, il y a un groupe de parole avec trois détenus et trois victimes - mais les détenus ne sont pas les agresseurs des trois victimes - ; et de l'autre, il y aune jeune femme qui a été abusée sexuellement par son frère quand ils étaient enfants et adolescents et qui vient d'apprendre qu'il sort de prison.

L'ambiance est d'abord extrêmement tendue de part et d'autre. Nawelle est une jeune mère de famille qui travaillait comme caissière dans un supermarché qui a été braqué par un homme qui n'a toujours pas été appréhendé, et depuis elle a quitté son job, sombré dans la dépression, en proie à des crises de panique car elle est convaincue que le voleur pourrait la retrouver pour la tuer (alors qu'elle n'a pas pu l'identifier car il portait une cagoule et des lunettes). Aujourd'hui elle est en colère car elle ne comprend pas : tout ce qu'elle sait, c'est que sa vie a été foutue en l'air et elle ne le supporte pas.

Grégoire veut, lui, avoir des réponses : il a été victime d'un homejacking avec sa fille et durant ce drame, il a cru qu'elle avait été violée et tuée. Il a tout perdu : femme, travail, sommeil. Mais il a pu assister au procès de ses agresseurs sans saisir la raison de leur méfait. Quant à Sabine, c'est une sexagénaire qu'un pilote de scooter a arraché son sac en pleine rue et qui l'a trainée sur plusieurs mètres quand elle a voulu résister avant de la rouer de coups. Depuis, elle ne sort plus de chez elle, et sa vie sociale a été détruite, au point qu'elle n'a pu aller voir sa dernière petite-fille à sa naissance.

En face, Issa a commis plusieurs larcins mais n'assume pas sa responsabilité ; Nassim explique froidement son "métier" de braqueur qui n'a jamais fait de mal à personne (au prétexte qu'il ne s'en est pris qu'à des riches) ; et enfin Thomas, un toxicomane multirécidiviste qui a passé 25 ans derrière les barreaux pour diverses escroqueries lui permettant de s'acheter sa drogue.

Jamais Jeanne Herry ne juge ses personnages : elle expose les faits, les place devant leurs émotions, leurs sentiments, et établit des échanges constructifs au point qu'au fil des réunions, un véritable dialogue s'instaure, où le jugement fait place à la tolérance, et même à l'entraide. Il y a de vrais moments de grâce dans cette pièce, comme quand Sabine se demande si elle va continuer à assister aux sessions, estimant que c'est trop tard pour réparer, que sa vie est finie, et que Issa, Nassim, Thomas, Grégoire et Nawelle la réconfortent. Ou encore quand Issa est dos au mur, lorsqu'il comprend qu'il est coupable mais aussi responsable de ses actes.

De l'autre côté, l'histoire de Chloé est terrible : la scène où elle raconte pour la première fois ce qu'elle a subi enfant de la part de son frère est d'une crudité qui éloigne tout risque de pathos. Le processus qui la conduira à revoir son frère pour une confrontation absolument glaçante et bouleversante est détaillé ave une minutie exceptionnelle et captivante, et le rôle de Judith est essentiel. C'est dans tous les cas un travail de longue haleine, dans lequel chacun doit prendre sa part, s'interroger pour savoir jusqu'où il est prêt à aller, quelles questions poser, quelles réponses il peut encaisser, tout ce que ce dispositif implique, engage.

C'est d'autant plus frappant et intense que la mise en scène est très sobre : Jeanne Herry capte les émotions, même les plus infimes, avec une précision redoutable. Quand elle s'autorise un mouvement d'appareil, c'est toujours pour capter une intention, jamais pour faire une effet. Les visages, mais aussi les mains, en disent autant, si ce n'est plus parfois, que les mots. Il faut voir la tension qui agite les personnages avant chaque réunion, surtout au début : Nawelle a la rage, Grégoire est dans l'expectative, Sabine est perdue, Nassim pense que cette démarche pourrait jouer dans sa libération conditionnelle, Thomas pense qu'il récidivera, Issa veut se repentir mais sans assumer. Chloé a peur et en même temps veut se débarrasser d'un trauma.

Le miracle est rendu possible grâce à des acteurs au sommet de leur art : que Miou-Miou soit déchirante, c'était prévisible, elle a toujours été une actrice d'exception et ça fait plaisir de la revoir dans un aussi bon rôle. Gilles Lellouche est vibrant d'humanité. Leila Bekhti est formidable. Adèle Exarchopoulos est toujours sensationnelle. Elodie Bouchez, Denis Podalydès, Jean-Pierre Darroussin, Suliane Brahim sont merveilleux en encadrants. Fred Testot est absolument stupéfiant dans un contre-emploi, aux côtés de Birane Ba et Dali Benssalah. Et la scène de Raphaël Quenard est à couper le souffle.

C'est un chef d'oeuvre, tout simplement. Renversant, beau, puissant.

mardi 29 octobre 2024

SUPERMAN #19 (Joshua Williamson / Dan Mora)


Qui est Superwoman ? C'est la question que se pose tout Metropolis et à laquelle voudrait bien répondre Jimmy Olsen en photographiant le premier cette nouvelle super-héroïne qui intervient aux côtés de Superman. Mais cela risque d'attendre encore quand le Time Trapper resurgit peu après Doomsday...
 

La fin de l'event Absolute Power aura eu deux conséquences directes : d'abord, le lancement de la ligne Absolute avec des séries dédiées à Superman, Batman, Wonder Woman (et plus tard Flash, Green Lanern, Martian Manhunter) situées sur une Terre parallèle façonnée par Darkseid (comme on a pu le découvrir dans le n° spécial DC All-In).


Et ensuite, le nom du nouveau statu quo (toujours intégré à la période Rebirth) qui s'appelle donc DC All-In. Contrairement à Marvel, qui renumérote toutes ses séries dès que l'éditeur en a l'occasion (pour booster les ventes, même si cet effet n'est pas avéré), DC préfère continuer mais inscrire les intrigues dans différents vagues, en changeant au besoin les équipes artistiques.


Joshua Williamson est aux commandes de Superman depuis plus d'un an et demi pour un run démarré en compagnie du trop rare Jamal Campbell (#1-5, 16-18)), puis Gleb Melnikov (#6-8), Bruno Redondo (#9-10), David Baldeon (#11-12), Rafa Sandoval (#13-15). Cette fois, DC lui a offert Dan Mora, dont on ignore s'il ne restera que pour un arc (comme ses prédécesseurs) ou plus longtemps, et qui a donc choisi d'abandonner Batman / Superman : World's Finest.
 

Mora ne dessinera pas que Superman dans les prochains mois puisque dès Novembre il retrouvera Mark Waid pour Justice League Unlimited. Mais il évident que DC compte sur la popularité de l'artiste pour donner un regain d'intérêt à la série. Ce 19ème épisode est aussi un jumping-on-point pour le lecteur non initié, un point d'entrée qui ne nécessite pas vraiment d'avoir lu ce qui est déjà paru.

Enfin... Pas tout à fait car, moi par exemple, il y a des détails qui m'ont échappé (comme l'amnésie qui frappe Lex Luthor), mais ce n'est pas non plus pénalisant pour entrer dans l'histoire. Ce qu'il faut savoir en revanche, c'est que Williamson a articulé son run depuis le début sur un postulat étonnant : Luthor est en effet devenu l'allié de Superman et il a mis à sa disposition ses ressources, rebaptisant même sa compagnie LexCorp en SuperCorp que Mercy Graves dirige à cet effet.

L'idée derrière tout ça, c'est que Luthor pense qu'avec son intelligence et ses moyens, il peut rendre Superman plus efficace. Mais avec ce n°19, Williamson profite des bouleversements de la fin d'Absolute Power pour rebattre un peu les cartes et ça commence avec l'apparition de Superwoman.

Bien des auteurs ont joué avec cette addition à la mythologie du Man of Steel mais celui qui l'a sans doute le mieux formulée reste Grant Morrison dans All-Star Superman. Williamson ici reprend ce qui est arrivé à quelques personnages importants à la fin d'Absolute Power : à savoir que des héros ont perdu leurs pouvoirs, d'autres ont récupéré ceux des autres, d'autres encore les partagent avec des individus qui n'en avaient pas.

Dois-je vous révéler qui est Superwoman ? Il sera de toute façon difficile de le dissimuler longtemps à mesure que cet arc se déploiera, et si vous êtes curieux de l'actualité des comics en général, il sera encore plus délicat pour vous d'éviter ce spoiler. Alors je choisis de vous mettre dans la confidence en révélant qu'il s'agit de Lois Lane. Ce n'était de toute façon pas bien dur de le deviner.

Lois Lane va-t-elle garder longtemps ses pouvoirs (identiques à ceux de Superman) ? Je pense que non, mais ce n'est que mon avis. Williamson veut certainement exploiter ce point pour insuffler une nouvelle dynamique au couple et à la série, mais je crois que ça n'a pas vocation à durer. Si DC n'est pas comme Marvel opposé à ce que ses héros soient en couple, l'éditeur les éprouve assez durement dès que leur situation évolue trop (il suffit de voir comment tout ce que Tom King avait bâti avec Batman et Catwoman a été détricoté ensuite).

Le récit qui débute ce mois-ci alterne des séquences calmes et des moments riches en action spectaculaires qui permettent à Dan Mora de briller. A mon humble avis, il est plus à son avantage quand il doit animer un personnage qu'un groupe où son découpage et ses compositions perdent alors en lisibilité (on l'a justement vérifié dans Absolute Power dès que les batailles impliquaient des foules de héros). Et Superman est parfait pour lui, mieux même que Batman (sur lequel il a pu s'exercer quand il dessinait Detective Comics), car la puissance du personnage met en valeur les qualités graphiques de Mora.

Williamson va vite et fait resurgir Doomsday, le plus terrible des adversaires de Superman (le seul qui a réussi à tuer le kryptonien), avant un retournement de situation très accrocheur à la dernière page, juste après l'apparition du Time Trapper. C'est le genre de twist qui donne envie de lire la suite.

Et donc j'en serai le mois prochain !

lundi 28 octobre 2024

X-FACTOR #3 (Mark Russell / Bob Quinn)


Havok a demandé à Rodger Broderick de retrouver Polaris après leur dernière séparation houleuse. Mais en contrepartie, il doit diriger une nouvelle mission avec X-Factor. Direction : la lune où un milliardaire sans scrupules a fait construire une base dont le système de sécurité est hors de contrôle...
 

Si vous suivez l'actualité US et donc la campagne électorale pour l'élection présidentielle, vous avez pu voir qu'Elon Musk soutient activement Donald Trump pour qu'il redevienne le locataire de la Maison-Blanche. Et si certains voient en Musk un visionnaire de la conquête spatiale, d'autres ont sans doute davantage remarqué que le type était en vérité complètement timbré.


Hier encore, alors que l'agent orange faisait un meeting au Madison Square Garden qui ressemblait beaucoup à celui des pro-nazis de 1939, le "dark MAGA" comme il s'est lui-même qualifié s'est encore une fois surpassé dans le grotesque et le sinistre. Hé bien, Marvel, ou plus exactement Mark Russell a créé son propre Elon Musk.


Ce triste sire s'appelle Ethan Farthing et comme son modèle dans la vraie vie il ne jure que par la conquête spatiale. Il a même déjà une base sur la lune et un programme scientifique avec des savants sur place. L'endroit est sécurisé mais menacé par des factieux mutants. A moins que ce ne soit du flan pour envoyer X-Factor dans une nouvelle mission-suicide...


On a peu l'occasion de se marrer en lisant des comics super-héroïques, ou alors c'est involontaire de la part des éditeurs et des auteurs (tenez, au hasard, avec Amazing Spider-Man de Zeb Wells, qui vous rappelle que la nullité est sans fond). Alors quand on a droit à une série qui fait rire en le faisant exprès et qui le fait bien, on apprécie.

Plus ça va, plus la nature farcesque de X-Factor se révèle, se confirme. Je ne sais pas comment Mark Russell a fait croire à Tom Brevoort qu'il allait lui livrer un énième X-title, mais c'est un coup pendable qui a dû faire réfléchir l'editor depuis. Parce qu'il va quand même très loin.

Bien sûr, la caricature de Musk est presque facile mais tout de même, quand on connaît la frilosité de Marvel à attaquer les puissants de ce monde, c'est assez osé. Quand bien même vous ne goûtez pas spécialement à la satire politique, X-Factor est irrésistible par la franche déconnade que la série incarne, une sorte de comic-book de contrebande qui se serait glissé dans la gamme des titres mutants.

Le parti-pris de Russell semble de s'être dit : puisqu'on a des mutants qui ont été tellement mal écrits ou sous exploités depuis des lustres (au premier rang desquels Havok), alors autant les briser en mille morceaux, carrément, en faire de parfaits crétins, qu'on envoie au casse-pipe. Et de ce strict point de vue, la série n'épargne personne : après avoir carrément mis en pièces une première formation dès le premier épisode, les remplaçants sont aussi maltraités (si ce n'est plus).

Pyro ? Il ne sait même pas que ses pouvoirs sont inefficaces dans l'espace. Cecilia Reyes ? Elle est juste là pour soigner les blessés et en attendant elle textote avec un mec. Frenzy ? Elle semble être la seule à constater le désastre. Xyber ? Il a tout le temps la trouille. Havok ? Il sait qu'on lui raconte n'importe quoi mais accepte le job pour retrouver Polaris. Et puis il y a Granny Smite, qui va devenir votre mutante préférée même si vous ignoriez son existence - et pour cause elle a été créée pour cette série - mais dont le pouvoir, le tempérament sont tordants.

Russell aurait pu être puni de son irrévérence en héritant d'un artiste de seconde main. Mais la chance sourit aux audacieux car on lui a donné Bob Quinn et ce dernier affiche une forme tellement insolente sur ce titre qu'on se dit que les planètes étaient alignées : ces deux-là étaient faits pour travailler ensemble, sur cette série précisément.

Le trait très expressif, le découpage énergique, le bon plan au bon moment, tout chez Bob Quinn est parfait pour cette version de X-Factor. Même si c'est différent, esthétiquement et narrativement, on pense à Justice League International de Giffen, DeMatteis et Maguire parce que Russell et Quinn prennent leur projet de la même manière que leurs trois vénérables confrères revisitèrent la Justice League : en s'autorisant tout puisqu'ils n'ont rien à perdre.

Le résultat est indéniablement ce qui se fait de mieux dans la relance de la gamme mutante : X-Factor est le titre le plus original, le plus décapant, le plus acide. Et c'est bien pour ça qu'il faut en profiter tant que ça dure.

THE MOON IS FOLLOWING US #2 (of 10) (Daniel Warren Johnson / Riley Rossmo & Daniel Warren Johnson))


Pourquoi la petite Penny, fille de Duncan et Samantha Lamarr, ne se réveille-t-elle plus ? Les parents de la fillette n'ont pas de réponse satisfaisante du Dr. Senn. Ils acceptent alors une expérience que leur propose Trash Severin et qui va les mener au coeur d'une guerre à nulle autre pareille...


Le mois dernier, quand j'ai commencé la lecture du premier épisode de The Moon is following us, je ne savais vraiment pas dans quoi je m'embarquais. J'en sais désormais un peu plus puisque, entre temps, j'ai appris qu'il s'agirait d'une mini-série en 10 épisodes. Mais ce n'est pas tout.


En effet, pour ce deuxième numéro, on a droit à quelque chose de surprenant aussi bien dans le fond que dans la forme. Daniel Warren Johnson ne fait pas qu'écrire le scénario et les dialogues, il signe aussi les trois quarts des dessins cette fois pour ce qui est une forme d'origin story, où on nous explique la situation poignante de Duncan et Samantha Lamarr.


Ce qu'on apprenait à la toute fin du premier épisode (attention, spoiler !), c'est que ce couple à l'action dans un monde de fantasy y était projeté grâce à un appareillage, mais qu'en vérité il s'agissait d'un mari et de sa femme vivant en Amérique et dont la fille, Penny, était plongée dans un sommeil profond depuis un certain temps, dont personne ne réussissait à la tirer.


Les Lamarr formaient une famille heureuse jusqu'à cette nuit où Samantha découvrit que Penny ne se réveillait pas. Duncan prodigua sur sa fille un massage cardiaque pendant que sa femme appelait les secours. Le coeur de Penny repartit mais elle ne reprit pas connaissance - elle n'est pas revenue à elle depuis.

Le docteur Senn qui l'a prise en charge a tenté d'expliquer scientifiquement, rationnellement, aux parents ce qui se passait tout en admettant qu'un tel cas était inédit pour lui. Maladroitement, il envisageait de garder en observation pour l'étudier. Au chevet de son enfant, Samantha entendit une chouette frapper à la vitre de la chambre et déposer sur le rebord de la fenêtre un message l'invitant à monter sur le toit. Ce qu'elle fit en convaincant Duncan de l'accompagner et ils y rencontrèrent Tash Severin...

Il est difficile de savoir où s'arrêter avec ce que raconte Daniel Warren Johnson. Toutefois, c'est un auteur qui a une science du récit telle qu'on peut, je crois, dire qu'elle résiste à des révélations sans que l'intérêt pour la suite ne soit ruiné. Disons alors que Tash Severin vient d'une dimension parallèle où se tient une guerre entre deux camps et dont Penny est à la fois l'enjeu et la clé...

je serai sans doute obligé d'en dire plus la prochaine fois, à mesure que le scénario dévoilera ses péripéties, mais j'essaierai de rester le plus évasif possible pour que, quand vous lirez cette histoire à votre tour, vous restiez surpris par les tours et détours qu'elle réserve. Cependant, comme toujours chez DWJ, il y a ce qui est raconté directement et ce qui est suggéré métaphoriquement.

Avec Riley Rossmo, l'auteur a avoué que cette histoire était très personnelle pour eux deux. On ne saura jamais à quel point précisément, mais comme tout récit impliquant des enfants, et la possibilité de leur décès, il faut supposer que Johnson comme Rossmo doivent avoir imaginé cette intrigue davantage pour exorciser leur pire peur que pour guérir d'un véritable drame (du moins, on l'espère pour eux).

Ce qui est certain, c'est que, comme toujours chez Johnson, The Moon is following us exploite merveilleusement ce mélange d'action explosive, d'inventivité débridée et de sensibilité à fleur de peau. Un cocktail unique qui en fait aussi une expérience pour le lecteur.

Par ailleurs, cet épisode est spécial dans la mesure où Riley Rossmo n'en dessine que 7 pages. Des pages superbes, avec cette dinguerie qui lui est propre, avec ces personnages aux physiques un peu déviants, cette subtile exagération, et des trouvailles étonnantes dans la composition même de la page où le sens de la lecture n'est pas toujours traditionnel mais d'une fluidité remarquable.

Le reste est donc de la main de Johnson qui, avec son style plus nerveux, plus charbonneux, fait de chaque scène un intense moment d'émotion. C'est un grand huit permanent où le lecteur est aussi bouleversé que les héros, perdu comme eux, plein d'espoir aussi comme eux. Les transitions entre les passages de Johnson et ceux de Rossmo sont tout sauf alambiqués, on est stupéfait par la facilité avec laquelle on passe de l'un à l'autre, embarqué par ce récit.

Tout est donc là pour que The Moon is following us soit une oeuvre dont la qualité sera à la hauteur de la folle ambition.

dimanche 27 octobre 2024

THE POWER FANTASY #3 (Kieron Gillen / Caspar Wijngaard)


Tandis que Etienne Lux prend l'avion pour Tokyo où il va assister au vernissage de l'exposition de Morishita Masumi et qu'il contacte télépathiquement Santa Valentina pour qu'elle l'escorte, celle-ci se remémore son passé, depuis sa naissance le 16 Juillet 1945 à Sao Paulo jusqu'au Summer of Love de 1969...


Sans vouloir passer pour un ravi de la crèche, on est quand même gâté en ce moment si on aime les comics. Je sais bien qu'il y a d'indécrottables geignards pour prétendre le contraire et je ne dis pas non plus que tout est parfait. Mais rien que cette semaine, on a droit à de superbes BD, des séries passionnantes, audacieuses, réalisées par des auteurs inspirés.


Je le dis avec d'autant plus de conviction que, en prenant le cas de The Power Fantasy, je n'étais pas du tout sûr de mon investissement en entamant cette série. Kieron Gillen est loin d'être un scénariste sur lequel je me jette avec confiance et si Image Comics est devenu la maison d'éditions des indépendants la plus importante du circuit, elle publie son lot de trucs improbables.


Mais  j'ai aussi remarqué que, parfois, souvent même, des auteurs dont le travail chez les Big Two ne me comblaient pas trouvaient davantage grâce à mes yeux une fois qu'ils étaient édités en creator-owned, comme si dégagé des contraintes imposées par Marvel ou DC, ils exprimaient réellement leur potentiel et produisaient des projets intéressants.


Et ce qu'accomplit Gillen depuis trois mois avec The Power Fantasy me plait énormément, au point où j'en suis à me demander si ce scénariste n'est pas bipolaire pour être aussi agaçant quand il est chez Marvel alors qu'il donne à voir une toute autre image de son talent quand il oeuvre pour Image ici.

Ce troisième chapitre est quasiment une origin story dans la mesure où Gillen nous montre le passé de Santa Valentina, qui est certainement la plus puissante des personnages de sa série. On avait pu s'en douter lors du premier épisode, mais après celui-ci, le doute n'est plus guère permis. Et donc ses origines sont contées de façon à la fois elliptique et captivante.

Etienne Lux, le télépathe français qui a tué le président des Etats-Unis d'Amérique, s'envole pour Tokyo où il va assister au vernissage de l'exposition de Morishita Masumi, une autre membre de la "famille nucléaire" à laquelle il appartient. C'est un fugitif certes mais qui, grâce à ses pouvoirs, peut déjouer toute traque lancée contre lui. Néanmoins, il ne doute pas qu'on finira pas le repérer et l'éliminer, même s'il est entouré d'innocents.

Il va donc demander à Santa Valentina d'escorter l'avion de ligne dans lequel il se trouve. Elle sort juste d'une réunion secrète avec Jacky Magus, Ray Harris et Eliza Hellbound, qui ont justement discuté d'Etienne, de sa situation, des répercussions pour les individus comme eux, de la possibilité qu'il puisse les manipuler un jour. Etienne le sait et Santa a fermement fait savoir qu'elle souhaitait rester neutre (tout en signalant qu'elle protégerait son ami).

En cinq dates, Kieron Gillen va résumer la vie de Santa : née à Sao Paulo le 16 Juillet 1945, au moment précis où, à Los Alamos, les Etats-Unis testaient la bombe atomique, elle parlait déjà quand elle est sortie du ventre de sa mère. L'armée brésilienne a cherché à en faire une arme, elle a fui et s'est choisie une autre famille, mais surtout une autre situation, au-dessus de la mêlée. En 1957, elle rencontre Etienne. En 1962, elle intervient dans la crise des missiles cubains. En 1969, Nixon tente de la supprimer...

D'une manière similaire, mais différente, à celle de Alan Moore quand il imagina Dr. Manhattan, un homme investi d'un pouvoir si immense qu'il bouleversa l'Histoire du monde, Gillen imagine ce que signifierait concrètement l'existence d'une femme comme Santa Valentina à travers des événements à la fois mineurs et majeurs pour la Terre.

Le scénariste est un fan de pop culture et comme il l'explique dans la postface de cet épisode, un chapitre comme celui-ci était le moyen à la fois de commenter la manière dont cette pop culture raconterait l'existence de super puissances incarnées et de montrer quelles seraient les conséquences. Je ne vais rien spoiler, mais attendez-vous à une claque en découvrant la dernière planche dessinée par Caspar Wijngaard qui montre ce à quoi ressemble l'Europe dans The Power Fantasy.

Si vous prenez la mesure de ce que vous découvrez avec cette planche, alors vous mesurez aussi encore plus intensément ce à quoi peut ressembler un monde avec six individus semblables à Santa Valentina. Le vertige que cela suscite chez le lecteur est saisissant et quand une série fait cet effet-là au bout de seulement trois épisodes, alors on se dit que la suite promet, mais aussi que les auteurs font preuve d'un sacré culot.

Caspar Wijngaard, comme l'explique Gillen, a travaillé de son côté, sans montrer ses esquisses au scénariste. Il l'a laissé libre d'interpréter son script. Gillen insiste sur le fait qu'une BD est un objet collaboratif entre son scénariste et son dessinateur,, ce dernier n'est pas simplement là pour mettre en images l'histoire, il en est le véritable co-auteur.

Mais ce que fait Wijngaard, c'est relever un vrai défi. Chaque décennie a un artiste qui la résume (Kirby pour les 60's, Miller pour les 80's - dixit Gillen). Confronté au défi de représenter une époque en peu de pages pour une histoire qui couvre plusieurs décennies (de 1945 à 1999 ici), Wijngaard trouve des solutions simples mais fortes, avec notamment l'emploi de couleurs vives, un découpage différent à chaque fois.

Ce que font Wijngaard et Gillen ici, dans cet épisode précis, c'est mettre en scène la toute puissance incarnée, comme Moore le fit avec Dr. Manhattan (à l'ombre duquel tout le monde vivait dans Watchmen). Le monde de The Power Fantasy vit ainsi, en grande partie, dans l'ombre de Santa Valentina, qui, à la différence de Manhattan, n'est pas une déesse détachée de l'humanité par son pouvoir immense, mais quelqu'un de beaucoup plus impliqué, de plus sensible, de plus volatile aussi (comme on le dirait d'un produit explosif).

Tout cela forme un récit passionnant, profond et divertissant à la fois. The Power Fantasy est sûrement, avec la SF high concept que peut écrire Hickman, ce que les comics ont digéré de plus captivant de Watchmen. Souhaitons que ça continue sur cette lancée pour mériter d'être flatteusement comparée au chef d'oeuvre de Moore et Gibbons.

THE TIN CAN SOCIETY #2 (of 9) (Peter Warren / Francesco Mobili)


Un homme avec l'armure de Caliburn s'est introduit dans le building de la compagnie de Johnny Moore. Kasia se rend sur place pour y prendre des photos et remarque la présence de Greg. Elle le soupçonne, il lui conseille d'arrêter de se mêler de l'affaire entourant le meurtre de Johnny...


Il est souvent à craindre qu'après un premier épisode, le deuxième soit un cran en dessous. Mais ce n'est pas le cas de The Tin Can Society, qui confirme non seulement toutes ses qualités, mais s'affirme comme une des mini-séries de 2024 les plus impressionnantes. Rick Remender (qui a eu l'idée de ce projet avec Peter Warren) a encore frappé et surtout il a eu le nez creux en attirant Peter Warren et Francesco Mobili dans son Giant Generator (nom de son label chez Image Comics).


Le mois dernier, j'avais donc été vivement impressionné par le premier numéro de The Tin Can Society, qu'on pouvait interpréter comme une variation sur Iron Man si Tony Stark était un afro-américain handicapé ayant embrassé la carrière de super-héros avant de se faire violemment assassiné. Une de ses proches amies depuis l'enfance soupçonne alors ceux avec qui ils étaient liés.


Passée une scène d'ouverture située sept ans dans le passé et révélant que Kasia et Johnny Moore (le super-héros Caliburn) ont été amants, le scénario nous laisse croire que l'histoire va se dérouler selon un canevas classique : un épisode par suspect - en l'occurrence, ici, Greg, qui fut le sidekick de Caliburn. Le mobile est tout trouvé : il a toujours été le partenaire, le second rôle, dans l'ombre de Johnny.


Kasia ne cache pas ses soupçons à son encontre mais le lecteur sent un plus grand malaise encore. En vérité, il y a eu une bascule dans la vie de la bande d'amis de Johnny où chacun a pris une direction différente des autres et où la méfiance s'est installée. A quel moment ont-ils arrêté d'être des amis les uns pour les autres, des confidents, des gens à qui on pouvait se fier ?

Sept ans avant, la fameuse nuit où Kasia et Johnny sont devenus amants, elle avait compris que ce dernier n'était pas satisfait de lui. Riche, célèbre, admiré, Johnny Moore ne se voyait que comme une boîte de conserve et pas comme un super-héros ayant changé la vie des gens. La fortune, la renommée, l'idôlatrie ne le comblaient pas, il cherchait autre chose, un moyen de vraiment améliorer le monde, ce qu'un super-héros en armure ou un homme d'affaires ne faisaient pas visiblement.

Peut-être que la bascule s'est opérée quand Johnny a désigné Greg pour être son second, Pridwen : visiblement, les trois autres membres de la bande avaient candidaté mais Greg avait décroché le rôle. Aujourd'hui, Greg assure à Kasia qu'il n'a jamais été jaloux de Johnny, n'a jamais voulu être Caliburn, et qu'il n'a donc ni tué  son ami ou volé son armure (avec laquelle un inconnu a pénétré dans les locaux de la compagnie).

Peter Warren caractérise Kasia comme la fille en colère : c'est ce qui l'anime. La personnalité de Greg l'exaspère, pas parce qu'elle l'envie d'avoir été le sidekick de Johnny, mais par son attitude même, celui du mec sûr de lui, qui lui donne des ordres (celui surtout de ne pas se mêler de l'enquête sur la mort de Johnny et le vol de l'armure de Caliburn). Mais Kasia est une forte tête, qui n'apprécie pas qu'on lui dise quoi faire.

Le dénouement de l'épisode déjoue les attentes du lecteur en déconstruisant ce que le récit avait l'air de devenir (un suspect = un épisode), même si à l'évidence chaque personnage a son secret et que la suite de la série va le dévoiler. En tout cas, le récit est admirablement déployé, entre caractérisation forte et intrigue imprévisible.

Pour qu'une BD se distingue avec autant de puissance, il faut que le dessin suive le niveau du script, voire l'améliore. Et je vais répéter à quel point le travail de Francesco Mobili m'épate. Il est toujours exaltant de voir comment un artiste se révèle vraiment et, après avoir joué les doublures chez Marvel, Mobili montre vraiment quel grand dessinateur il est.

Dans ma critique du deuxième numéro de Exceptional X-Men, je louais la solidité technique de Carmen Carnero, son intelligence de narratrice, la beauté de son trait. Je pourrais reprendre ces mots pour parler de Mobili qui me semble appartenir à la même école. Celle d'un académisme qui tranche avec le côté autodidacte de beaucoup d'artistes de comics.

Moi-même, en tant que dessinateur, je suis passé des cours du soir à l'apprentissage en solitaire, et je sais quelles sont mes lacunes. C'est pour ça que j'apprécie quand un dessinateur connait vraiment son affaire : ça ne trompe pas, les artistes qui maîtrisent leur art ont quelque chose en plus que les autres. Ils savent évidemment camper des personnages, tracer des perspectives, le "solfège" des dessinateurs, mais appliqué à la BD, ça se traduit aussi par une manière mieux définie de raconter en images.

Quant on lit des planches telles que celles de Francesco Mobili (comme de Carmen Carnero), tout est là : la sûreté de la technique apprise dans une école, l'académisme donc, mais aussi cette science naturelle pour le récit graphique, l'art séquentiel. Vous n'avez pas besoin de connaître le vocabulaire du dessin ou de savoir dessiner pour voir ça : c'est évident, ça vous saute littéralement aux yeux.

J'ignore (c'est de toute façon trop tôt pour ça) qui traduira en vf The Tin Can Society (je miserai quand même volontiers sur Urban Comics ou Delcourt), mais ce sera un titre à surveiller quand il sera annoncé par chez nous. On tient là un futur classique.

samedi 26 octobre 2024

DAZZLER #2 (of 4) (Jason Loo / Rafael Loureiro)


Après un début de tournée chahuté par l'attaqued e Scorpia (qui refuse de dénoncer son commanditaire), Dazzler et son équipe partent pour l'Angleterre. Là-bas, Alison Blaire est l'invitée d'un talk-show où l'animateur l'interroge sur le danger que courent ses fans à aller la voir en concert...


J'avais trouvé très sympathique le premier épisode de cette mini-série Dazzler, principalement parce que sans prétention, sans intention de révolutionner le personnage. Jason Loo a compris qu'il ne sert à rien de vouloir redessiner Alison Blaire pour la faire exister : le concept est suffisamment attrayant pour ne pas en rajouter. C'est simplement la pop star des mutants.


On peut même s'étonner que Marvel et Tom Brevoort, désormais en charge de la gamme mutante, n'aient pas osé aller plus loin que l'annonce d'une mini en quatre épisodes tant le personnage de Dazzler est populaire et au moment où des chanteuses comme Taylor Swift, Beyoncé ou Lady Gaga fournissent dans la réalité de quoi inspirer une série régulière.


Suivre une héroïne chanteuse avec son groupe et son équipe en tournée et trouver des adversaires, des obstacles sur sa route, a de quoi alimenter bien des épisodes au moins aussi intéressants que n'importe quelle série mutante où les héros sont cantonnés à des rôles de surhommes persécutés. C'est pourquoi il faut espérer que cette mini-série Dazzler rencontre un beau succès susceptible de convaincre le staff éditorial de la prolonger (comme ce fut le cas pour Poison Ivy chez DC).


Jason Loo  reprend exactement là où il avait laissé les choses il y a un mois, après que Scorpia ait tenté de saboter le concert de Dazzler. Qui l'a engagé pour ça ? Bien entendu, la vilaine n'avoue rien. Et Alison Blaire enchaîne avec la suite de sa tournée promo, qui la conduit en Grande-Bretagne, où elle va avoir affaire à un animateur retors et un télépathe malveillant.

On devine aisément que Loo articule son intrigue sur un épisode, une menace. Pourtant, la fin de ce deuxième numéro indique que le scénariste ne se contente pas d'une formule facile, en ramenant un personnage en prise directe avec Dazzler et son métier et suggérant une avancée dramatique. Par ailleurs, le danger peut venir de partout, comme on le constate ici.

L'interview est habilement écrite : Dazzler se voit reprocher de mettre ses fans en danger si des mercenaires la menacent directement lors de chacune de ses prestations scéniques, mais elle ne se démonte pas quand on l'attaque sur l'éventualité qu'elle favoriserait son public mutant. Remplacer "mutant" par noir, homo, et vous comprendrez que Loo a retenu la leçon selon laquelle les X-Men sont d'abord une métaphore des minorités opprimées mais pas forcément des victimes qui tendent l'autre joue.

Ensuite, quand, inévitablement, la situation dégénère, le lecteur est dans le même état que le staff de Dazzler (Domino, Big Guy, Multiple Man, Wind Dancer) : qui manipule la chanteuse pour la faire passer pour une mutante incontrôlable ? L'identité du fautif a moins d'importance que la confirmation d'un complot. C'est évidemment un peu casse-gueule comme procédé car le fan peut préférer un ennemi emblématique. Mais la solution préférée ici a l'avantage de rendre l'ensemble moins convenu.

De toute façon, à l'image de l'écriture mais aussi du dessin, il ne s'agit donc pas de tout bouleverser, de prétendre faire une mini-série renversante. Dazzler est un divertissement qui doit tenir en quatre parties, il n'y a pas de temps à perdre. Ce qui ne signifie pas que ce soit bâclé.

Les planches de Rafel Loureiro ont un classicisme certain mais efficace : comme je le disais le mois dernier, on peut retrouver chez cet artiste des airs de Tom Grummett. Son trait est simple, ses personnages sont bien campés, son découpage très sobre. Est-ce que le produit serait meilleur avec un graphisme plus audacieux ? Peut-être, mais pas sûr.

Les actions sont lisibles, claires, parfois cela manque un peu de dynamisme, de souplesse dans les compositions, mais à tout prendre je préfère ça à un dessinateur qui envoie du bois puis s'essouffle d'épisode en épisode. Je suis sûr que Loureiro tiendrait le coup s'il devait enchaîner les numéros avec une série plus longue.

Il ne faut pas pester après la modestie affichée, assumée de Dazzler, sinon pour déplorer donc que Marvel soit si timorée en donnant une nouvelle série à ce personnage (alors que Psylocke, Magik, Tornade, Wolverine/Laura Kinney ont droit à des ongoing d'entrée de jeu).