vendredi 27 septembre 2024

THE MAGIC ORDER 5 #1 (Mark Millar / Matteo Buffagni)


Arizona. Carly Summers est violemment agressée par un homme qui, ensuite, enlève son enfant. Huit années passent au cours desquelles elle se remet difficilement puis refonde une famille. Son agresseur resurgit, la brutalise à nouveau, et kidnappe son enfant. Une de ses amies, infirmière, la met alors en contact avec Cordelia Moonstone, chef de l'Ordre Magique...


Tout d'abord, comme c'est la première fois que je vais écrire sur cette série dans ce blog, si vous désirez lire les critiques que j'ai rédigées sur les quatre premiers volumes et les 24 premiers épisodes, je vous laisse un lien à cet effet : The Magic Order .


C'est aussi la première fois que je vais parler de Mark Millar ici. Le personnage est controversé et je ne vais pas être son avocat inconditionnel. Simplement, j'ai de la considération pour son travail et sa réussite, c'est certainement l'auteur qui a le mieux réussi à passer du work for hire pour DC et Marvel au creator-owned en vendant son label à Netflix puis en passant d'Image à Dark Horse pour publier ses comics.


Après, Mark Millar, en tant que personne, ne m'inspire pas (plus) une sympathie débordante (il suffit pour ça de lire ses posts sur les réseaux sociaux pour constater qu'il a des avis parfois insensés sur la politique notamment). Mais je n'ai rien contre son côté bateleur qui survend chacune de ses productions : je trouve ça plutôt amusant et le succès de ses livres donnent raison à sa méthode de marketing.


Mais et The Magic Order dans tout ça ? Même si pour beaucoup de fans (et de lecteurs en général), Jupiter's Legacy serait son grand oeuvre, le nombre de volumes et donc d'épisodes consacrés à cette série en font incontestablement son titre fétiche (avec Kick-Ass et ses spin-off). A chaque fois Millar a su très bien s'entourer (Olivier Coipel, Stuart Immonen, Gigi Cavenago, Dike Ruan) et sa saga n'a guère connu de creux (même si le précédent volume était sans doute le plus faible).

Ce cinquième acte sera, l'a affirmé le scénariste, le dernier et d'ailleurs, le sous-titre est clair : The Death of Cordelia Moonstone. Cette fille et soeur de magiciens a été au centre de la série depuis le départ et il semble bien d'ailleurs que ce qu'elle a fait dans le tout premier tome sera la cause de sa fin (elle avait alors utilisé un sortilège puissant mais maudit, que tous les membres de sa famille et une bonne partie de ses alliés ont payé de leur mort).

Même si ce n'est pas clairement précisé, il me semble bien que ce volume 5 débute quelques bonnes années après la fin des événements du précédent. En tout cas, Millar joue sur cette idée en entamant le récit par un flashback centré sur Carly Summers, une femme victime par deux fois du même individu qui l'a brutalisé et enlevé ses deux enfants à huit ans d'intervalle. Hospitalisée, traumatisée (on le serait à moins), elle peut néanmoins compter sur le soutien de son amie infirmière Ashley qui va la présenter à Cordelia Moonstone.

Cette dernière, comme il y est fait allusion plus loin, a perdu de sa superbe, elle est décrite comme "vulnérable" et sa tête est mise à prix par des sorciers qui lui en veulent d'avoir supprimé Madame Albany, une puissante et maléfique magicienne. L'Ordre Magique en tant que tel, autrefois puissante congrégation de mages, semble ne plus exister que de manière symbolique puisque Cordelia n'est accompagnée en mission que par Gator Lloyd. Mais justement son enquête va prendre un tour très inattendu et déstabilisant...

En dire plus, au moins pour l'instant, serait criminel. Mais il faut reconnaître à Millar un certain génie pour imaginer des twists narratifs perturbant le lecteur suffisamment pour que lui aussi soit dans le même état de confusion que l'héroïne. Et aussi pour inventer des méchants vraiment retors et violents. L'agresseur de Carly Summers fiche vraiment la frousse et le pire, c'est qu'il ne semble même pas le pire à attendre de régler son compte à Cordelia Moonstone !

Après donc 24 épisodes, The Magic Order a su conserver sa fraîcheur et son intensité, ce qui n'est pas rien, surtout pour une série du Millarworld, où le scénariste multiplie les minis et a même organisé son propre event récemment avec Big Game (dans lequel les magiciens tenaient un rôle certes secondaires mais capital dans la résolution de l'intrigue).

Ce que peut remarquer le fan de Millar aussi, c'est que le temps des débauchages de dessinateurs stars chez Marvel et DC semble marquer le pas. Bien sûr il a réussi à emprunter Pepe Larraz pour Big Game, mais le volume actuel de Prodigy est mis en images par Michele Bandini (pas de quoi tomber à la renverse), la suite de Night Club est encore assurée graphiquement par Juanan Ramirez (là aussi, rien d'extraordinaire) et la réunion de Frank Quitely, Travis Charest, Olivier Coipel, Matteo Scalera, Karl Kerschl pour The Ambassadors a rétrospectivement des allures de baroud d'honneur.

Mais ça ne signifie absolument pas que Matteo Buffagni, appelé à succéder à Coipel, Immonen, Cavenago et Ruan, est un petit talent. Ce serait même plutôt le contraire. L'artiste italien n'a jamais été utilisé à sa juste mesure par Marvel et Millar a su, lui, deviner son potentiel et n'a pas hésité à rattraper le temps perdu en lui confiant le deuxième tome de Prodigy puis un épisode de The Ambassadors, puis donc la fin de The Magic Order.

Comme je suis un très grand fan de Buffagni, le voir à l'oeuvre régulièrement le ravit - d'autant plus que la prestation de Dike Ruan sur le volume 4 m'avait déçu. Là, les planches sont tout bonnement superbes, avec des décors ouvragés, des personnages bien campés, un découpage fluide et percutant à la fois. Alors, oui, ce n'est pas un vedette comme Romita Jr (qui va retravailler avec Millar en 2025), Capullo, Immonen (à quand la suite de The Empress, bon sang ?!) et j'en passe, mais Buffagni est vraiment un très grand qui mérite plus de reconnaissance et je remercie Millar de braquer les projecteurs sur lui.

Tout ça, donc, pour confirmer que, oui, ce final de The Magic Order démarre sur les chapeaux de roues. C'est vraiment ma série Millarworld préférée et je la regrette déjà. Tout en savourant quand même son retour.

ULTIMATE SPIDER-MAN #9 (Jonathan Hickman / Marco Checchetto)


Tandis que Ben Parker et J. J. Jameson se plaignent auprès de Mary Jane que leur journal doit continuer de mettre en "une" les exploits de Spider-Man pour accrocher leurs lecteurs, Peter et Harry Osborn patrouillent en ville lorsqu'ils sont attaqués par Black Cat...


Alors qu'on sait qu'un n°2 de Ultimate Universe (sous-titré One Year In) se répare pour Décembre prochain (avec Deniz Camps et Jonas Scharf aux commandes) et qui mettra en avant les vilains acolytes du Créateur (deux mois avant son retour), Jonathan Hickman continue de développer à son allure les aventures de Spider-Man.


Ce nouvel épisode joue comme d'habitude sur un faux rythme tranquille mais s'avère riche en infos. En fait, la narration mise sur une accumulation de scènes brèves comme autant de moments forts à retenir pour le futur. Au lecteur d'en faire la synthèse et d'essayer d'imaginer ce qui va arriver le mois prochain. Cela peut être frustrant, mais si on accepte les conditions posées par l'auteur, c'est un régal.


Ce qui surprend le plus en vérité, c'est à quel point, dans cette série, Hickman prend à rebours ses fans, ou du moins ceux qui pensent tout connaître de sa manière d'écrire, de ses marottes. En effet, pour beaucoup, la majorité, Hickman, c'est quoi ? L'homme des comics high concepts, des sagas ambitieuses, à qui on reproche volontiers de ne pas s'intéresser beaucoup à la caractérisation des personnages au profit de l'intrigue en général.


Cette réputation n'est pas infondée quand on cite, de mémoire, ses oeuvres les plus mémorables, qu'il s'agisse de ses travaux indépendants (East of West) ou chez Marvel (ses runs sur Fantastic Four, Avengers, son event Secret Wars). Mais déjà, récemment, avec G.O.D.S. (dont le titre pourtant annonçait un récit d'envergure, ce qu'il était mais pas que...) ou Decorum, ces clichés ne tenaient plus vraiment, notamment par l'introduction de touches humoristiques jusque-là absentes de ses histoires.

Dans Ultimate Spider-Man, la mue est encore plus prononcée. Ce qui ne signifie pas que Hickman a renoncer à des récits amples, mais dans ce cas précis, il s'abstient de toute grandiloquence en rendant à Spider-Man sa dimension plus modeste, celle d'un super-héros malgré lui, pris dans les rouages de quelque chose qui le dépasse (tandis que Harry Osborn est son contrepoint, plus conscient des enjeux).

Souvent, les épisodes, comme c'est le cas ici, débutent par une scène intimiste : cette fois, Jameson et Ben Parker se lamentent que le succès de leur journal repose surtout sur les "unes" consacrées à Spider-Man. Mary Jane leur explique que ce ne sont que des accroches pour ferrer les lecteurs qui, une fois fidélisés, pourront s'investir dans des reportages et des enquêtes comme les deux vétérans le souhaitent avec les documents qu'ils ont réunis sur Wilson Fisk.

Puis, passé ce prologue, Hickman peut se concentrer sur Spider-Man. Il s'amuse d'abord avec ce jeu des différences entre le tisseur de l'univers 616 et celui de sa série. Cette fois, lors d'un échange avec Otto Octavius qui a travaillé à un moyen de sécuriser leurs costumes pour que Tony Stark ne puisse plus les pirater, on voit apparaître la Spider-Armor comme celle que porta Peter Parker dans l'event Civil War quand il se rangea aux côtés d'Iron Man. Sauf que, ici, il refuse de la porter.

On peut trouver ce genre de clins d'oeil un peu superficiels et superflus. Mais c'est un des principes moteurs de l'univers Ultimate depuis toujours que de pointer ce qui diverge entre ce monde et celui de l'univers classique. Personnellement, ça ne me gène pas, ça n'occupe pas une place exagérée, et ça souligne les variations sur le thème sans freiner l'intrigue. 

Dans sa dernière partie, Spider-Man et le Bouffon Vert font face au premier des agents de Fisk lancé à leurs trousses. Le combat en lui-même est très bref, presque expédié. C'est dommage quand on dispose d'un dessinateur aussi doué pour l'exercice que Marco Checchetto de ne pas lui donner des scènes d'action plus fournies. Mais peut-être est-ce aussi une manière de monter doucement en puissance avant d'autres duels plus pimentés.

Non, ce qui est plus intéressant, ce sont les conséquences de ce combat. Et, là, sans en dire trop, Hickman appuie de manière plus évidente sur de futures tensions entre Peter et Harry sur les méthodes à appliquer pour se battre. Le scénariste met dans la bouche de Harry des arguments recevables, ce qui est troublant. On sent aussi chez Peter monter un certain idéalisme mais freiné aussi par l'appréhension de se brouiller avec Harry, peut-être même par la peur de l'affronter. Est-ce que Hickman prépare le terrain pour un antagonisme entre les deux partenaires ? A suivre.

Est-ce que cet épisode suffit à contenter le fan ? Sans doute pas. Mais il y a suffisamment de matière pour cogiter. Et comme tout l'univers Ultimate est réglé sur le compte à rebours du retour du Créateur (après quoi, il faudra certainement s'attendre à de vrais et grands bouleversements, et peut-être des évolutions drastiques dans les séries, voire la parution de nouveaux titres), il est certain que ce qu'on n'a pas dans un numéro, on l'aura dans un prochain.

jeudi 26 septembre 2024

HELEN OF WYNDHORN #5 (Tom King / Bilquis Evely)


Son grand-père refusant qu'elle le suive encore dans l'Autre Monde, Helen se remet à boire. Puis elle décide de se passer de la permission de Barnabas. Suivie par Lilith, elle paie la passeuse pour retourner sur les lieux de ses aventures mais essuie un refus. Qu'elle n'accepte pas et qui la pousse à commettre un geste lourd de conséquences...


Par quoi je commence ? La mauvaise nouvelle d'abord : il va falloir attendre Novembre pour lire le sixième et dernier épisode de Helen of Wyndhorn. C'est sans doute le prix à payer en contrepartie de la parution de deux épisodes en deux semaines d'affilée.


Mais c'est le seul, et maigre, reproche qu'on adressera à la série de Tom King et Bilquis Evely. On a attendu trois mois entre les n° 3 et 4 et là, de manière totalement inattendue (au point que je peinais à croire aux dates de sortie des n° 4 et 5), on a droit à deux épisodes de suite. Voilà sans doute la raison pour laquelle de Juin à Septembre on n'avait rien eu à lire.


Pour tout vous dire, je suis presque désarmé par la proximité temporelle entre ces deux derniers épisodes. Les comics jouent sur la frustration, les fans ont rendez-vous une fois par mois pour avoir leur dose, et quand la lecture est bonne, il faut bien ça pour digérer ce qui a été raconté, le savourer, et recevoir, sereinement, la suite.
 

Alors, évidemment, quand une merveilleuse bande dessinée comme Helen of Wyndhorn enchaîne les chapitres aussi vite, on est désarçonné. On a à peine eu le temps d'assimiler le n°4 que déjà le n°5 est là. Mais je ne me plains pas, hein. C'est super.

Non, c'est bien plus que ça. Parce que ce pénultième épisode annonce un dénouement prometteur. Au fond, que raconte Helen of Wyndhorn ? C'est d'abord une mini-série sur la réalité qui rattrape la fiction, avec cette histoire d'une jeune fille qui découvre que les romans fantastiques de son père s'inspiraient des aventures bien réelles de son père à lui dans des contrés extraordinaires, peuplées de créatures ahurissantes, de décors surnaturels.

C'est ensuite et surtout une histoire de passage et de passation. En vérité, c'est assez évident arrivé à ce point du récit, tout se passe dans un entre-deux. Helen Cole est une jeune fille qui va devenir une jeune femme, parce que les circonstances l'y obligent - avec le suicide de son père, son arrivée chez son grand-père. Puis elle apprend la vérité sur les histoires de son père, ses romans, et par-là même sur son grand-père, un aventurier, un guerrier.

Ce motif qui se dévoile au fil des épisodes, celui qui voit le passage de l'adolescence à l'âge adulte, d'un monde à un autre, de la réalité à la fantaisie, c'est le thème même de la série. Quel que soit l'angle sous lequel vous abordez et appréciez cette série, il est partout question de passage. Et quand on passe d'un stade à un autre, d'un état à l'autre, d'un monde à un autre, il y a forcément ce qu'on laisse derrière soi.

On ne grandit pas en gardant toute son enfance et son adolescence en soi : on mûrit, on oublie aussi parfois, on abandonne certaines choses - en premier lieu une forme d'innocence, de candeur. Dans le cas de Helen, cet apprentissage est rude : son père, C.K. Cole,, se suicide et la laisse seule, elle arrive chez un grand-père qu'elle ne connaît pas et qui ne la ménage jamais, puis elle s'entraîne pour devenir sa compagne d'aventures, puis il refuse subitement qu'elle le suive encore.

La frustration, la colère submerge Helen. Alors elle décide de forcer la décision et commet un acte terrible, puis affronte le courroux de Barnabas. C'est un moment de vérité entre le grand-père et sa petite-fille qui lui lance au visage des mots terribles. Infondés ? Peut-être pas. Mais elle ne retient pas ses coups, et ce n'est pas seulement parce qu'elle est contrariée.

Tom King décide alors de mettre en avant la narratrice de sa série, Lilith Appleton, la gouvernante. Elle aussi va avoir un échange intense avec Barnabas Cole, dans une scène épique où le spectaculaire se mêle à l'intime. Là encore, c'est un passage : Lilith, si passive, si réservée, agit, tandis que Barnabas, par deux fois dans cet épisode, est mis dos au mur. 

Tous ces passages sont encore mis en images somptueusement par Bilquis Evely. Voilà une artiste admirable. Sa constance dans l'excellence ne cesse d'émerveiller. On sent le travail sur cet ouvrage comme c'était déjà le cas sur Supergirl : Woman of Tomorrow. Ce n'est seulement le soin apporté aux détails qui frappe même si c'est indéniablement impressionnant et qu'on peut relire chaque épisode deux fois d'affilée pour contempler chaque case.

Non, ce qui frappe davantage, c'est que, même si son dessin est incroyablement ouvragé, il respire quand même. Bilquis Evely a cette qualité qu'ont peut de dessinateurs avec un style aussi riche, aussi foisonnant : elle ne sombre jamais dans la surcharge, la surenchère. Son imagination visuelle est très dense, mais le lecteur n'est jamais étouffé : il ressent la fluidité dans l'effort, le lecteur n'est jamais stoppé par le besoin de décrypter ce que son regard lit. C'est un équilibre qui permet aussi à la colorisation d'exister non pas simplement comme un accompagnement mais avec assez d'espace pour valoriser le dessin. Et Matheus Lopes réussit lui aussi le prodige de ne pas en rajouter inutilement : le trait d'Evely et sa palette à lui combinent avec une harmonie enchanteresse.

Selon toute vraisemblance, Helen of Wyndhorn devrait être traduit chez Delcourt en 2025 (même se cet éditeur n'a pas encore communiqué là-dessus, mais étant donné que c'est là qu'on trouve beaucoup de séries Dark Horse, ça me paraît le plus évident). Si vous ne voulez pas attendre, je vous rappelle que le trade paperback sera lui disponible dès Décembre, juste à temps pour Noël (de quoi vous faire une beau cadeau ou en faire à quelqu'un que vous appréciez).

mardi 24 septembre 2024

SES TROIS FILLES (Azazel Jacobs, 2024)


Trois soeurs, Rachel, Katie et Christina, se réunissent dans l'appartement de leur père, Vincent, à New York où il finit ses jours en soins palliatifs. Un médecin, Angel, leur explique qu'il n'en a plus longtemps et qu'une infirmière, Mirabella, viendra chaque nuit pour les soulager. Mais des tensions surgissent très vite entre Katie, l'aînée, et Rachel, la cadette, qui passe son temps à fumer de la marijuana pour se détendre, ce que sa soeur juge irrespectueux même si elle vit ici depuis toujours avec leur père.


Par ailleurs Katie reproche à Rachel ne ne pas avoir fait signer à leur père, quand il était encore suffisamment lucide un papier exigeant de ne pas le réanimer. Christina cherche à apaiser ses deux soeurs en restant le plus souvent au chevet de Vincent dans la journée. Rachel va fumer dehors pendant que Katie est pendue à son portable pour veiller à ce que sa fille adolescente, Tracy, obéisse à ses injonctions.
 

La situation s'envenime encore quand Rachel invite son petit ami, Benjy, et que celui-ci, frustré de voir comment ses soeurs la déconsidèrent alors qu'elle s'est sacrifiée pour leur père, les confronte. C'en est trop pour Katie qui décide de plier bagage et de ne revenir qu'une fois son père mort. Mais Christina impose une réunion de famille pour déballer tout ce qu'elles ont sur le coeur...
  

Il y a une certaine grâce dans ce film mis en ligne Vendredi dernier, 20 Septembre, sur Netflix. Parce qu'il n'est pas aisé de traiter d'un pareil sujet (la mort d'un parent) sans sombrer dans le pathos. Azazel Jacobs a écrit un script et l'a réalisé avec un talent remarquable, évitant tous les écueils, même si le résultat n'est pas, cinématographiquement parlant, pas parfait.


Expédions tout de suite ce qui m'a le moins accroché. His Three Daughters (en vo) dure 100', et c'est tout de même un peu long. L'action se déroule principalement dans l'appartement, avec quelques sorties en bas de l'immeuble où il se trouve, mais c'est tout de même assez étouffant et prétexte à ce que la situation devienne rapidement intenable, entre les disputes de Katie et Rachel, les appels au calme de Christina et le bip-bip des appareils provenant de la chambre du père.


Par ailleurs, la distribution, si elle est composée essentiellement de trois actrices géniales, manque d'audace, en particulier concernant le rôle donnée à Natasha Lyonne. Sa voix éraillée, son look négligée, son personnage en rupture avec les deux autres femmes, a quelque chose de trop évident, et j'aurai aimé que Jacobs pense à elle pour une partition moins attendue, surtout après Poupée Russe et Poker Face où elle était déjà cette outsider.


Maintenant passons aux bons points. Les deux autres actrices, en l'occurrence Carrie Coon et Elizabeth Olsen, sont magistrales. On n'en attendait pas moins d'elles, surtout de la part de Coon, qui est une interprète tellement sous-estimée me semble-t-il, malgré ses performances dans The Leftovers ou Fargo et à qui le grand écran ne propose que le revival de Ghostbusters.

Olsen est remarquable dans le rôle le plus ingrat car son personnage est plus effacé, moins extériorisé que les deux autres. Voilà une comédienne sensationnelle de sensibilité et de justesse mais qui est également, à mes yeux, sous-estimée parce que, voyez-vous, elle a joué dans des films Marvel et que (comme l'a encore fait justement remarquer Sebastian Stan récemment) c'est tellement pratique de penser que les gens qui jouent des super-héros sont des comédiens de seconde zone, qu'ils acceptent ce genre de films uniquement pour le cachet qui va avec. Evidemment, quand en plus de vieux grincheux comme Scorsese affirment que cela tient plus du parc d'attractions que du "vrai" cinéma, les acteurs n'ont pas la carte.

N'empêche, quand on voit ce que produisent Lyonne, Coon et Olsen ici, on ne voit que du talent, une finesse de jeu incroyable, l'incarnation de trois femmes admirablement écrites et interprétées. Point barre.

La tonalité du film est curieuse. On pourrait s'attendre à quelque chose de complaisamment plombé, mais il n'en est rien. En vérité, il ne s'agit pas d'un film sur l'attente de la fin d'un homme, d'un père, mais sur ce que révèle une telle situation pour ceux (ou plutôt celles) qui la traversent. Katie est une femme en colère : elle en veut à Rachel pour des sottises, en fait elle s'en veut à elle-même et à son mari qui lui laisse jouer le rôle de la méchante mère d'une ado rebelle (comme tous les ados) et elle décharge ça sur sa soeur cadette, de façon souvent mesquine (le fait de lui rappeler sans cesse que l'appartement de leur père lui reviendra et que c'est une bonne affaire dans le quartier vu ses moyens financiers).

Rachel paraît au début se résumer à une espèce de paumée assez pathétique, immature au point qu'elle refuse d'aller veiller son père dans sa chambre. Puis, progressivement, subtilement, le film montre qu'en fait elle a été là pour lui depuis le début de sa maladie, elle l'a aidé dans les moments les plus ingrats. Surtout on découvre qu'elle est la demi-soeur de Katie et Christina puisque sa mère était la deuxième femme de leur père et que ce dernier l'a adoptée comme sa propre fille biologique. Et bien entendu, cela jette un éclairage détonnant sur con attitude : si elle fume de la marijuana et refuse de retourner dans cette chambre, ce n'est pas par lâcheté, mais parce qu'elle en a bavé et en bave encore, notamment en raison du comportement de Katie.

Christina est donc la soeur discrète et cool du lot. Elle fait du yoga et il est fait allusion au fait qu'elle était une fan de Grateful Dead avant de fonder une famille puis de s'exiler avec mari et enfant sur la Côte Ouest. A moins qu'elle n'ait fui cette sororité conflictuelle, ce père avec lequel elle a si peu partagé car elle était la benjamine, que sa mère est morte quand elle avait seulement quatre ans, que Katie et Rachel étaient plus âgées qu'elle. Elle cherche constamment à arrondir les angles, à s'interposer entre ses deux soeurs, à fuir le conflit. Jusqu'à ce que ce ne soit plus possible et qu'elle lâche qu'elles les détestent toutes les deux pour leur égocentrisme, leurs engueulades déplacées au moment où leur père se meurt (une scène fulgurante). C'est aussi elle qui impose une réunion pour que chacune déballe ce qu'elle a sur le coeur, une épreuve, mais salutaire, qui fera tout basculer.

En définitive, Ses Trois Filles parlent non pas de la mort ou du deuil, mais de cette période rarement abordée, avant cela. Ces jours où on sait que la fin approche, inéluctable, définitive, et qu'on ignore absolument, complètement à quel point elle va nous impacter, comment on va la recevoir. Tout le monde peut s'identifier à ces trois soeurs car tout le monde vivra ça.  

Une note brève et personnelle : le jour où mon père est mort, j'étais seul à la maison avec ma soeur à regarder la télé. Il avait un cancer des reins et avait été reconduit à l'hôpital sept jours avant pour des difficultés respiratoires. Au fond, je crois bien que tous, ma mère, ma soeur, moi, savions qu'il ne reviendrait pas cette fois. Et puis ma mère est arrivée, avec mon oncle et sa femme, et sans vraiment le dire, nous avons compris, ma soeur et moi, que c'était fini. Ma soeur a fondu en larmes. Moi, j'ai été sonné, je me souviens précisément avoir eu le souffle coupé comme si j'avais reçu un coup de poing à l'estomac. Mais les mois, les semaines, les jours précédant ce jour, j'en conserve un souvenir vague, comme la traversée d'un paysage dans la brume, quelque chose de cotonneux, triste et doux à la fois.

Dans ce film, on voit bien, c'est très bien écrit, très bien filmé, très bien joué, comment cette période affecte diversement ces trois soeurs. Le temps se dilate, les perceptions sont à la fois plus aiguisées et confuses, on a ce sentiment de flotter et en même temps d'appréhender. D'ailleurs, malgré leurs prises de bec, leurs silences lourds de ressentiments, de non-dits, elles finissent par se retrouver dans le salon mais en laissant la porte de la chambre du père entrouverte pour entendre le son des appareils qui indiquent qu'il est encore parmi elles.

C'est cela, le fait d'avoir su saisir ces instants en suspens, entre peur, colère, tristesse, qui fait de Ses Trois Filles une oeuvre précieuse.

lundi 23 septembre 2024

HELEN OF WYNDHORN #4 (Tom King / Bilquis Evely)


Encore toute excitée par son voyage dans l'Autre Monde avec son grand-père, Helen demande à ce dernier de faire d'elle une guerrière de sa trempe. Il confie son entraînement à Joseph, le majordome, au grand désespoir de Lilith Appleton, la gouvernante. Après un an de préparation, Helen est fin prête à repartir...


Le dernier numéro de Helen of Wyndhorn datait de Juin dernier et il a donc fallu s'armer de patience pour lire la suite. Mais, bonne nouvelle, la publication de la mini-série de Tom King et Bilquis Evely semble repartir de plus belle belle et devrait s'achever en Novembre prochain. Le recueil en vo est même sollicitée par Dark Horse pour Décembre (de quoi faire un beau cadeau).
 

Pourtant, malgré ce retard, on replonge dans cette histoire sans aucune difficulté. L'écriture de King permet ce tour de force, le lecteur n'est pas perdu, n'a rien oublié : c'est tout dire de la puissance de cette fiction qui a réussi l'exploit de se faire une place à part dans nos têtes. Et surtout, de manière inattendue, on se rend compte que l'attente de ce numéro correspond à celle de son héroïne...


En effet, après avoir découvert ce qu'elle appelle l'Autre Monde avec son grand-père, Helen n'a plus qu'une envie : y retourner. Qu'importe les dangers, qu'importe les lamentations de sa gouvernante, la jeune femme a goûté au grand frisson, a découvert que ce qu'écrivait son père, C.K. Cole, dans ses romans, existe et elle en redemande.


Surprise : Barnabas ne s'y oppose pas - au contraire, il accepte que Joseph, son majordome (dont les compétences vont bien au-delà de cette fonction) entraîne sa petite-fille à devenir une guerrière aguerrie.

Le premier tiers de l'épisode se consacre donc à cette préparation. La voix-off, si chère à Tom King, s'avère très utile dans la mesure où elle synthétise rien moins qu'une année en quelques planches tandis que les dessins, toujours magnifiques (et encore, le qualificatif est en-deçà de ce qu'on éprouve en tournant les pages), de Bilquis Evely embrassent cette relation elliptique des faits pour n'en montrer que les aspects les plus spectaculaires. Les couleurs de Mat Lopes sont également somptueuses, encore une fois.

Le deuxième acte est encore plus marqué à cet égard : on est pratiquement dans le domaine du récit illustré, plus de l'art séquentiel. Des nouveaux périples dans l'Autre Monde, on ne voit que des fragments, ponctués par les retours et les retrouvailles entre Helen et Lilith Appleton. Celle-ci retranscrit l'exaltation de sa protégée mais aussi ses craintes à son sujet, car les descriptions de l'Autre Monde et de ses créatures, de ses soirées à boire, de ses combats, sont aussi affligeantes pour la gouvernantes que terrifiantes.

En définitive, dans cette partie, le lecteur épouse le point de vue de Lilith car il comprend que Helen est à peine une adulte jetée dans un monde plein de dangers, suivant un grand-père qui, lui, a l'expérience de ce terrain et fait confiance à l'entraînement qu'a prodigué son majordome à sa petite-fille. Surtout, on sait que c'est une fuite en avant pour Helen qui, depuis la mort de son père, cherche à échapper au drame qui l'a frappée, sans se soucier de savoir si le chemin qu'elle emprunte est risqué.

Puis le dernier acte scelle le drame. Helen revient d'un voyage à l'agonie. Barnabas refuse de la confier à un médecin et s'en remet une nouvelle fois à Joseph. Helen se remet, lentement, mais va subir une terrible désillusion au terme de son rétablissement...

On l'aura compris, c'est une initiation express et brutale que suit Helen dans ce numéro. On commence par la joie, on continue dans l'affirmation, et on termine par un désaveu, cruel, injuste. Mais peut-être aussi salutaire pour sa survie. Surtout la figure de Barnabas est toujours aussi fuyante : il a recueilli cet enfant sans plaisir, puis lui a fait découvrir un monde merveilleux et sauvage, il a accepté qu'elle devienne quasiment son égal... Que veut-il au fond ? Faire de sa petite-fille ce que son fils n'a pas été ? La tester ? Ou se rend-t-il compte de son erreur ?

Le récit a une sorte de deuxième couche dont je n'ai pas parlé jusqu'à présent : à chaque début et fin d'épisode, on est de nos jours, donc bien des années après ce qu'a vécu Helen, et on assiste à un autre voyage, celui de documents ayant appartenu à C.K. Cole (manuscrits, ouvrages, bandes magnétiques contenant des enregistrements rares et précieux). King suggère que tout ce matériel constitue des preuves que ce que racontait le romancier était en fait authentique. Mais il ne fait que le suggérer. King appuie davantage sur le fait que ces documents ont de la valeur, pour des collectionneurs, des curieux, des geeks...

Nul doute qu'à la fin, ces deux époques vont se rejoindre et que le véritable propos de la mini-série se révélera. Peut-être sera-ce sous la forme d'un commentaire méta-textuel (la fiction comme prolongement de la réalité ?) ? Ou bien comme un témoignage sur la crédibilité de l'histoire de Helen (et si c'était en fait la dernière histoire de C.K. Cole, imaginant sa fille en héroïne) ? Mais ce qui est d'ores et déjà certain, c'est que Helen of Wyndhorn n'est pas qu'une histoire située dans le passé, dans le registre initiatique et fantasy. Il y a plus que ça et c'est aussi ce qui intrigue.

Je disais plus haut que Bilquis Evely accomplit encore une fois un travail somptueux, tout en soulignant que c'était en-dessous de la vérité. Que la série ait pris du retard, c'est alors presque normal car on ne peut réaliser des planches comme les siennes en en produisant quasiment une trentaine chaque mois. Evely travaille à l'ancienne, au crayon et à l'encre, c'est déjà particulier à une époque où pratiquement tous les artistes utilisent des tablettes et des fichiers d'aide. Mais avec ce degré de détails, des images aussi ouvragées, on touche à quelque chose qui n'est clairement pas de l'ordre de la production traditionnelle des comics.

Certains fans de comics se plaignent, ou en tout cas déplorent que certains éditeurs, pour attirer des lecteurs de franco-belge, fassent désormais tout leur possible pour éditer des albums qui ne soient pas rangés dans les rayons dévolus aux super-héros. Mais Helen of Wyndhorn n'appartient de toute façon pas au rayon super-héros et je ne crois pas qu'il faille se plaindre de cette compartimentalisation : si les les fans ne sont pas curieux de ce que des auteurs américains, venus des super-héros, font à côté, alors tant pis pour eux. 

Franchement, ça ne veut rien dire d'opposer de beaux albums pour des récits non super-héroïques et le reste de la production traditionnelle des Big Two. Alors quoi, ça voudrait dire que Tom King est plus sexy quand il écrit Batman ou Wonder Woman ? Ou que Bilquis Evely est moins intéressante avec Helen of Wyndhorn qu'avec Supergirl : Woman of Tomorrow ? Moi, j'espère que les lecteurs de franco-belges qui découvriront King et Evely avec Helen of Wyndhorn voudront acheter Supergirl : Woman of Tomorrow et vice-versa. Si les éditeurs français rusent pour ça, alors je dis : oui. 

Bon, maintenant, croisons les doigts pour que les deux derniers épisodes sortent comme annoncés par Dark Horse. Et puis quelle semaine quand même, que de bonnes sorties : à tous les déclinistes, je dis qu'on vit quand même encore de sacrés bons moments de lecture, Big Two et indés confondus.

THE MOON IS FOLLOWING US #1 (Daniel Warren Johnson / Riley Rossmo & Daniel Warren Johnson)


Duncan, Samantha et leur acolyte Brio approchent d'une forteresse où les deux premiers s'introduiseent pendant que le troisième leur donne rendez-vous plus tard et plus loin. Une fois dans la place, ils retrouvent Tash, un sorcier, qui les présente à Pigface, un marchant d'armes. Mais les gardes les surprennent et les obligent à battre en retraite...


Daniel Warren Johnson jouit, un peu comme Sean Gordon Murphy, d'un tel crédit auprès des lecteurs de comics, notamment indés, que chacun de ses projets suscite un intérêt immédiat. Mais cette fois, il se "contente" seulement d'écrire (ne signant le dessin que de quelques planches à la fin de cet épisode - et sans doute cela se répètera-t-il par la suite).


Dans la postface de cet épisode, Johnson explique que l'idée d'une histoire lui vient souvent comment un riff de guitare vient à un musicien. Ensuite, vient la partie la plus difficile : donner un corps à cette idée, la développer pour en faire un scénario. Mais avec The Moon is following us, il le  reconnaît, rien n'aurait été possible sans l'aide de son dessinateur et ami Riley Rossmo, car le sujet résonnait intimement pour chacun d'eux.


Il n'en dit pas plus, mais Johnson a l'habitude de mêler étroitement le plaisir pur du divertissement à des thèmes profonds, des expériences vécues. Dans son chef d'oeuvre, Murder Falcon, il évoquait la maladie. Dans Do a Powerbomb, il évoquait la mort et le deuil. Ici, il s'agit de la parentalité. Et comme à chaque fois, on est embarqué par cette façon très particulière d'emballer ça dans une fiction épique et sentimentale.


Soit donc deux aventuriers, un couple formé de Duncan et Samantha. Lui porte une sorte de combinaison d'astronaute, elle une tenue de barbare avec un casque cornu. Ils font équipe avec un "fixer", qui a l'apparence d'un batracien, et d'un sorcier, qui est un vieil homme. Ils pénètrent dans une forteresse noire et s'en échapperont à bord d'un hélicoptère... C'est joyeux fourre-tout.


Si vous sentez que ça ne ressemble à rien et que ça ne mérite pas davantage votre attention, j'ai envie de vous prévenir que vous allez passer à côté de quelque chose d'unique. Mais je peux aussi comprendre votre réticence car effectivement ça ne ressemble à rien et c'est pour ça que ça peut ne pas vous parler du tout mais aussi vous plaire infiniment.

Comme dans ses propres comics, où il fait tout avec son coloriste Mike Spicer (qui est aussi ici à l'oeuvre), Daniel Warren Johnson ne perd pas de temps pour exposer la situation ni ses personnages. Il pousse le lecteur dans un flot d'action ininterrompu, qui va à toute vitesse, en croisant des créatures bizarres, et même les personnages humains ont de drôles de tronches. C'est encore plus vrai ci avec le dessin particulier de Rossmo, qui déforme les faciès, exagère les morphologies, casse les codes.

Mais si vous avez le goût de l'aventure, alors c'est un régal. De toute façon, les lecteurs familiers de Johnson savent que c'est toujours ainsi avec lui : il appuie sur le champignon, vous laisse sans dessus-dessous, puis après ça se calme un peu, et là il fera les présentations en bonne et due forme. Donc pas d'inquiétude : les prochains épisodes vont se charger de tout poser à plat et on comprendra tout. D'ailleurs les ultimes pages qu'il dessine lui-même en disent déjà beaucoup - je n'ai pas posté d'extrait de ces planches car elles spoilent trop le twist du récit. 

Car, oui, The Moon is following us a un twist - et il est aussi génial que poignant. Qui sont les héros de cette série ? Plus qu'un couple d'aventuriers avec leurs acolytes. Ce sont les parents d'une fillette, Penny, qu'ils cherchent après l'avoir perdu. Mais d'une manière très particulière. Et quand on découvre le comment du pourquoi, on est vraiment retournés, à la fois par la puissance émotionnelle du dispositif mais aussi par sa virtuosité, car rien ne nous y prépare, c'est une surprise magistrale, une de ces idées comment tous les scénaristes rêvent d'en avoir.

Parfois Johnson réussit à exploiter ce genre de twist magnifiquement (Murder Falcon), parfois moins (Do a powerbomb), mais ce n'est jamais ni gratuit ni facile. Donc on peut fonder de grands espoirs pour cette série qui, sans garantie de tutoyer les sommets de son oeuvre, va certainement dépoter.

Et ce, d'autant plus qu'avec donc Riley Rossmo, on évolue dans quelque chose de spécial. Habitué des productions comics, et particulièrement des héros les plus bordeline (Harley Quinn, Martian Manhunter, Wesley Dodds : Sandman), Rossmo s'impose comme le complément parfait de Johnson. Il a la même folie que son ami et scénariste, il a l'imagination visuelle pour être à la hauteur de cette histoire. C'est très... Comment dire ?... Dépaysant graphiquement. Certians n'aimeront pas du tout, et je dois reconnaître que pendant longtemps son style m'a refroidi, je trouvais ça intéressant mais un peu extrême. Mais ces derniers temps, Rossmo semble vouloir aller vers plus de lisibilité et en fait, c'est un peu comme Chris Bachalo, il faut un moment pour s'y faire mais ensuite on perçoit toute la beauté bizarre de ce dessin.

Gros coup de coeur donc, au milieu d'une semaine pourtant chargée en belles BD.

THE POWER FANTASY #2 (Kieron Gillen / Caspar Wijngaard)


Conséquence immédiate de l'action menée par Etienne qui reconnaît les faits publiquement : il devient l'homme le plus recherché du monde. Pour protéger Tonya, il la confie à Ray qui lui-même abrite dans son havre une réunion avec ses pairs pour décider que faire si Etienne venait à les manipuler psychiquement...
 

Ce deuxième épisode de The Power Fantasy comporte deux documents importants pour bien apprécier le projet de cette série. Le premier ouvre l'épisode et révèle les catégories de surhommes dans le monde dans lequel se déroule l'histoire : d'un côté, il y a la "famille nucléaire", c'est-à-dire des humains extraordinaires (parmi lesquels Etienne Lux, Ray Harris, Morishita Masumi) ; et de l'autre les "anges et démons", des entités extra-dimensionnnelles (Jacky Magus, Santa Valentina, Eliza Hellbound).
 

Ainsi définies et répertoriées, on saisit mieux à qui on a affaire (même si, en réalité, la "famille nucléaire" est composé de plusieurs millions d'individus et que seuls les trois premiers sont mis en avant). J'ai apprécié cet effort de clarification car il n'est pas toujours chez Kieron Gillen, qui aime manier les high concepts sans donner toutes les clés au lecteur (c'est un peu le principe, me direz-vous, mais autant on peut faire avec dans le cadre d'un univers familier comme ceux de Marvel et DC, autant dans le cadre inédit d'une oeuvre en creator-owned, ces présentations sont agréables).


Ensuite, à la fin de l'épisode, Kieron Gillen se fend d'une postface en bonne et due forme. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un texte où il revient sur le genèse du projet mais plutôt de ce qui l'a motivé. Le scénariste a l'habitude d'alterner work for hire et oeuvres indépendantes, et les premiers alimentent les secondes. Young Avengers a inspiré The Wicked + The Divine par exemple. Et Immortal X-Men a servi de base à The Power Fantasy.


Gillen détaille comment il s'est trouvé à écrire Immortal X-Men qui mettait en scène le conseil de Krakoa dans les séries X-Men, autrement dit le gouvernement mutant composé de personnages aux pouvoirs quasi-divins, les représentants les plus puissants/influents de la nation X. Et il a développé la série en tentant au maximum de se tenir hors du folklore super-héroïques, donc en privilégiant les jeux de pouvoir politique, les luttes d'influence plus que les combats spectaculaires.

Chemin faisant a germé l'idée qui allait devenir The Power Fantasy, c'est-à-dire une série qui mettrait vraiment en scène les personnages les plus puissants de la Terre sans qu'aucune bataille physique ne les oppose. En somme du super-héros sans le folklore des batailles spectaculaires. Pour éviter de s'éparpiller, il a réduit leur nombre à six, six individus dotés d'une puissance divine, issus de deux clans et veillant, chacun à leur manière, sur le monde. En somme, Immortal X-Men sans toutes les autres séries X (et leurs personnages) autour.

Jusqu'à ce qu'un événement ne bouleverse cette organisation. Et c'est ce qui s'est passé dans le premier épisode avec la menace de Ray Harris de détruire une région de l'Amérique du Nord après que le gouvernement américain ait tenté de le tuer. Etienne Lux est alors intervenu pour le raisonner en exauçant ce qu'il estimait être une juste riposte, soit tuer le Président des Etats-Unis et quelques-uns de ses cadres les plus importants.

Etienne avoue publiquement, à la télé, ses exécutions et devient donc le surhomme le plus recherché dans le monde. Mais peut-on arrêter un télépathe (ou plutôt comme il est défini, un "omnipathe") aussi puissant ? En tout cas, la famille nucléaire et sa contrepartie, les anges et démons, se réunissent pour décider quoi faire si Etienne décidait de les manipuler mentalement eux aussi. Pas question de guerre ouverte contre un des leurs, mais plutôt prévenir que guérir.

La démarche de Gillen est à double tranchant : d'un côté, il nous éclaire donc sur la nature de son projet, mais de l'autre, il prend le risque de nous en livrer très vite les clés, le mode d'emploi, presque de nous donner sa feuille de route. Le premier arc narratif sera d'ailleurs bref puisque, comme on l'a appris en découvrant les sollicitations d'Image Comics pour Décembre 2024, il ne comptera que cinq épisodes.

Toutefois comme je l'ai dit plus haut, je suis plutôt content de cette façon de faire, qui n'est pas courante pour Gillen, et parce que, au final, après ce deuxième épisode, je constate que ça ne nuit pas à l'intérêt que je porte à The Power Fantasy. J'aime bien le principe d'une série avec des personnages surpuissants qui ne pensent pas à se mettre sur la gueule, voire à s'entretuer à la première tension. Cela suppose une intelligence qu'ignore superbement les comics habituellement. Et ça pique ma curiosité sur les agissements à venir d'Etienne et celles de ses semblables. Comment Gillen va développer cette situation ?

Enfin, cela renvoie à Jenny Sparks de Tom King et Jeff Spokes, dont j'ai parlé plus tôt, qui aborde aussi la question de la divinité à travers les personnages de Jenny et Captain Atom, l'une se fichant de l'autre qui s'auto-proclame Dieu et exige d'être désormais reconnu comme tel en commettant ici des meurtres gratuits, là une guérison miracle. C'est intéressant de voir des auteurs s'emparer de ces notions (de surhommes, de divinités) à une époque où la religion prend cela comme prétexte pour justifier des atrocités (comme souvent) et où les comics (aussi souvent) ne font qu'effleurer la surface des héros (et vilains) les plus puissants en restant dans le registre du divertissement, de la fantaisie. King bâtit Jenny Sparks sur la dichotomie entre une femme qui a littéralement tué Dieu et un homme qui investi de la toute puissance exige d'être considéré comme Dieu. Gillen, lui, fonde The Power Fantasy sur une nombre limité d'individus investis de pouvoirs divins et qui choisissent de ne pas se battre en eux (conscients qu'ils détruiraient le monde et s'entretueraient) mais qui sont confrontés à l'un des leurs en mesure de les manipuler.

Caspar Wijngaard renoue avec des visuels plus radicaux dans cet épisode - pas tant au niveau du découpage, qui se résume à quelque chose de sobre, avec beaucoup de fluidité dans les enchaînements et la représentation de la divinité, mais davantage dans le choix des couleurs qu'il assure lui-même. La palette employée favorise les tons vifs et décalés (l'emploi du bleu et du rose notamment), les contrastes violents. L'effet est d'autant plus saisissant que Wijngaard représente décors et personnages de façon très simple, expressive.

La manière dont les pouvoirs sont visualisés est donc très franche et basique : quand Etienne maîtrise quelqu'un mentalement, les yeux de son sujet deviennent blancs. Ray qui a des capacités télékinétiques est montré faisant flotter des objets sans aucun effet. Lorsque Etienne communique télépathiquement avec Morishita, là encore, pas d'effets spéciaux. Non, là où les couleurs tranchent, c'est pour souligner les ambiances, comme celle à l'intérieur de la Pyramide où les surhommes tiennent conseil dans une quasi-obscurité qui renforce de manière très théâtrale la tension, tandis que l'échange entre Etienne et Morishita se déroule dans un environnement plus doux.

On comprend en tout cas à la fois pourquoi Gillen avait envie de travailler avec Wijngaard, qui a ce talent étonnant de faire ressentir au lecteur l'anormalité de ces héros tout en ne forçant pas le trait, et surtout comment son travail chez Marvel lui a permis d'accoucher de sa version indépendante d'Immortal X-Men. Le résultat est bien supérieur à ce qu'il a fait avec cette dernière série car plus intrigant et personnel, en plus d'être bien mieux illustré.

dimanche 22 septembre 2024

DAZZLER #1 (Jason Loo / Rafael Couceiro)


Alison Blaire/Dazzler repart en tournée pour la première fois depuis la chute de Krakoa. L'opinion publique est très divisée entre ceux qui considèrent la chanteuse comme une artiste comme les autres et ceux qui ne la voient que comme une mutante. Son premier concert va-t-il être un succès ? 
 

Créé par Tom de Falco et John Romita Sr., Dazzler a toujours été une mutante à part. A l'origine, comme Luke Cage ou Iron Fist, elle a surtout été imaginée pour surfer sur une mode, celle du disco (comme Power Man vient des films de blaxploitation et Iron Fist des films de kung-fu), et d'ailleurs Jim Shooter, l'editor-in-chief de Marvel à l'époque, voulait qu'un film accompagne la publication des comics (avec Grace Jones, puis Bo Derek en vedette).


Lorsque le Pr. Charles Xavier lui offre d'intégrer ses X-Men (Uncanny X-Men #130), elle refuse, préférant se consacrer à sa carrière de chanteuse, son public ignorant sa nature de mutante. Par la suite, elle sera la vedette de sa propre série (qui a mal vieilli) et fut même, in fine, incarnée à l'écran par la plantureuse Halston Sage dans le film X-Men : Dark Phoenix (Simon Kinberg, 2019). La rumeur a couru qu'elle serait campée par Taylor Swift dans Deadpool & Wolverine, mais c'était infondé.
 

Durant la période Krakoa, Dazzler s'est faite discrète bien qu'elle a rejoint la communauté mutante sur son île (on la voit dans House of X #6 pour la grande fête célébrant la naissance de la nation mutante). Elle brillera surtout dans la (réjouissante) mini X-Terminators (Leah Williams / Carlos Gomez - le titre préféré de l'editor Jordan White), puis fera partie des Dead X-Men au moment de Fall of X.


Tom Brevoort ayant décidé de noyer le marché avec tout en n'importe quoi provenant de l'univers mutant, il a donc confié au scénariste Jason Loo cette mini-série en quatre numéros censée remettre Dazzler sous les feux de la rampe. Et l'évidence saute aux yeux : l'editor a gardé en tête le fantasme de voir Taylor Swift l'interpréter.

En effet, Alison Blaire chante, lors de son premier concert, les chansons de son nouvel album et on les croirait écrites par l'idole des "Swifties" avec ses couplets sur son dernier mec avec lequel elle règle ses comptes avant d'enchaîner sur un refrain exaltant la résilience féminine (en gros : "j'ai souffert mais je suis forte et je me relève toujours"). C'est assez drôle, même si vous n'aimez pas Taylor Swift.

Avant cela, Loo s'amuse déjà à croquer une galerie de personnages gravitant autour de la chanteuse mutante et il se montre astucieux en confiant à Jamie Maddrox/ l'Homme Multiple et Guido Carossela/Big Guy les rôles de roadies qui montent la scène du concert tandis que Neena Thurman/Domino assure la sécurité et que Sofia Mantega/Wind Dancer joue les attachées de presse-manager. Tout ça est bien vu.

Ce qui l'est autant, c'est les conditions du retour sur scène de Dazzler, dans le contexte post-Krakoa : l'épisode montre simplement et clairement d'un côté les fans et de l'autre les haters via les réseaux sociaux. Finalement, cet aspect est très bien exploité, sans lourdeur, sans drama excessif, mais sans l'éluder. Et quand d'inévitables ennuis se produisent lors de la représentation, les conseils de Wind Dancer sont appliqués mais Dazzler assume aussi publiquement d'être une mutante et de vouloir fédérer tous les publics. La musique adoucira-t-elle les moeurs des anti-mutants les plus radicaux ?

Visuellement, la couverture de Terry Dodson donne envie que le dessinateur ait pris du temps pour aussi réaliser les pages intérieures. Mais Rafael Couceiro ne fait pas un mauvais travail, loin de là. Son style m'évoque celui du vétéran Tom Grummett, quelque chose de classique mais bien fait, sans fioritures. Couceiro est à l'aise avec son casting, il soigne les décors. 

Il est un peu plus faible quand il s'agit de donner du mouvement, notamment avec le combat opposant Dazzler à Scorpia qui manque de dynamisme et bute sur des angles de vue mal maîtrisés. Mais l'ensemble est très correct et la lecture est agréable, ce n'est pas un boulot de tâcheron.

Sans prétention, mais pas sans qualités, ce Dazzler #1 est très sympa. Qui sait, en cas de succès commercial, cela pourrait inspirer Tom Brevoort pour produire une nouvelle saison des X-Terminators...

THE TIN CAN SOCIETY #1 (Peter Warren / Francesco Mobili)


Johnny Moore était né avec une malformation congénitale de la colonne vertébrale, le handicapant lourdement. Abandonné par ses parents biologiques, il est adopté par une famille catholique. Scolarisé, il devient l'ami de Kasia, Greg, Adam et Val avec qui il forme "la société de la boîte de conserve". Adulte, il devient un scientifique et une entrepreneur, mais aussi le super-héros Caliburn. Lorsqu'il est trouvé mort assassiné chez lui, Kasia renoue avec ses amis d'enfance...
 

C'est une émotion rare mais toujours intense que de découvrir un comic-book qui vous bouleverse. Une histoire qui vous rappelle pourquoi vous aimez les comics. Et ce premier épisode de The Tin Can Society est d'ores et déjà l'une des plus belles lectures de 2024.


L'idée de cette mini-série en neuf épisodes vient de Rick Remender et Peter Warren, mais c'est ce dernier, seul, qui l'a développé pour en écrire le script. Et je vous parie qu'il ne faudra pas attendre longtemps pour qu'une plateforme de streaming sorte le carnet de chèque pour en produire une adaptation car c'est une sujet en or qui se prête parfaitement à une transposition.
 

On ne saisit pas tout de suite dans quoi on s'embarque mais la première scène donne le ton : une jeune photographe a soudoyé un agent de police pour pénétrer sur une scène de crime et elle prend des clichés du cadavre d'un homme qui morte un exosquelette. Elle s'appelle Kasia et la victime est Johnny Moore, une sorte de Tony Stark noir dont on va découvrir les origines dans les pages suivantes.
 

Johnny est né avec une grave malformation qui le handicapait lourdement. Adopté par un couple catholique qui avait déjà six enfants, il grandit avec un sentiment de rage car tout le monde est persuadé que ses débuts dans la vie le condamnent à une existence malheureuse. Pourtant, il se fait une bande d'amis à l'école et forme avec eux une "société" où tous l'aident à s'intégrer.


Le temps passe : Johnny devient un savant renommé et un affairiste fortuné, il se marie avec Hillary Cross. Surtout il devient Caliburn, un super-héros en armure, et sa double identité fait la "une" des journaux. Mais qui a pu tuer Johnny Moore en s'acharnant aussi violemment sur lui ? Kasia va mener l'enquête avec une intime conviction : le coupable est un membre de la "société de la boîte de conserve".

L'épisode prend le temps d'installer la situation et ses personnages avec une quarantaine de pages. Il faut que je dise tout de suite qu'elles sont dessinées par Francesco Mobili. Cet artiste italien a travaillé chez Marvel, servant notamment de doublure à Marco Checchetto sur Old Man Hawkeye et Daredevil. Néanmoins ceux qui le suivent sur les réseaux sociaux savent que c'est un dessinateur et aussi un peintre dont la technique n'a que rarement eu l'occasion de s'épanouir dans le cadre des comics de "la maison de idées".

En effet, Mobili a souvent dû s'encrer et c'est une étape qui nuit à son dessin. Son style est académique dans le sens où il est classique, réaliste. Je doute qu'un encreur, quel qu'il soit, puisse servir son dessin au crayon qui est davantage valorisé quand il est directement mis en couleurs. Cette tâche échoit ici à Chris Chuckry et le résultat est époustouflant parce que Chuckry est un coloriste très nuancé mais surtout parce que le trait de Mobili est révélé dans toute sa qualité.

Vous lirez peu de comics aussi bien dessinés actuellement si vous appréciez le dessin réaliste classique. La justesse des attitudes, l'expressivité des personnages, le soin avec lequel ils sont représentés enfants puis adultes, le soin apporté aux décors, la fluidité du découpage, le flux de lecture admirablement maîtrisé : tout est là, parfait. Tous ceux qui pouvaient trouver en Mobili un artiste honnête jusque-là, sans penser qu'il puisse élever son niveau, vont se prendre une claque. En vérité, c'est un grand.

Mais un bon, un très bon dessinateur ne serait pas grand-chose sans une bonne histoire à sa disposition. Et l'histoire imaginée par Rick Remender et Peter Warren est également magistrale. Certes le principe, un whoddunit, n'a rien de franchement original : qui a tué Johnny Moore et pourquoi, voilà à quoi tient le pitch de The Tin Can Society. Sauf qu'évidemment, ce matériau est transcendé par un traitement sensible et captivant.

Sensible parce qu'il est impossible de ne pas aimer Johnny Moore : son handicap motive notre compassion, sa détermination force notre respect, sa double vie de savant millionnaire et de super-héros suscite notre intérêt. Mais quand on découvre la naissance de cette "société de la boîte de conserve", cette bande d'ados à la vie, à la mort, une émotion nous étreint car elle sonne juste, elle vibre en nous. Qui n'a pas voulu être membre d'une telle bande à l'école ?

Et qui, après des années, arrivé à l'âge adulte, a constaté que le temps avait passé, que chacun avait fait sa vie, avec plus ou moins de succès ? Via Kasia, on retrouve Adam devenu chef de chantier bedonnant, Val professeur dans un collège, et Greg devenu le partenaire de Johnny/Caliburn. Kasia, elle, est devenue une photographe, limite paparazzi, qui file un billet à un flic pour pénétrer sur la scène de crime de son ami qu'elle "shootait" quand il participait à des galas avec sa fiancée. Celle-ci n'était pas une membre de la "société", mais le portrait qui en est fait la renvoie à une de ces starlettes people au physique avantageux qui épouse un homme riche pour accepter de parader à ses côtés en échange d'une vie dorée.

Peter Warren donne chair à ces personnages, ce ne sont pas seulement des créatures de fiction, on y croit. L'aspect super-héroïque du récit est en arrière-plan et on verra comment il est exploité par la suite. Il alimente la nature hybride du projet en pimentant l'enquête car Kasia est en mission : elle est certaine qu'un des membres de la "société de la boîte de conserve" est l'assassin et quand elle leur rend visite pour leur demander s'ils vont assister aux funérailles, elle les soupçonne tous, fait des remarques, des allusions. Les mobiles ne manquent pas : qui n'envierait pas, au point de l'éliminer, un homme comme Johnny ? On devine aussi que son ascension et la vie ont éloigné les membres de la bande.

The Tin Can Society commence comme beaucoup de comics et comme le plus fameux d'entre eux, Watchmen, avec la mort d'un personnage emblématique qui cristallise tous les fantasmes. Cette mort interroge notre rapport au mythe du surhomme et du self-made man, à l'amitié, au temps qui passe, à la notoriété. Mais pour que cela fonctionne et dépasse le simple exercice de style, il faut du talent et de l'allure : cette série ne manque pas ni de l'un ni de l'autre.