Traquée par Cronex et ses sbires, la famille Rocketfellers, au XXVème siècle, échappe à leur adversaire en remontant le temps jusqu'en 2024. Ils s'établissent à Olympia, dans le comté de Washington, où ils attendent l'opportunité de rentrer à leur époque, dès que Reggie, le frère de Roland, le père de famille, cadre du programme de la zone de protection temporelle, les y autorisera. Mais après une année d'attente, tout le monde commence à trouver le temps long dans cette époque qui n'est pas la leur...
J'ai beaucoup hésité avant de me lancer dans la lecture de The Rocketfellers. Etait-ce bien raisonnable de suivre une nouvelle série ? Bon, finalement, j'ai donc sauté le pas, et je ne le regrette pas. Mais avant d'aller plus loin, sans doute faut-il en dire plus sur le cadre de cette bande dessinée, ses auteurs, ses éditeurs...
Avant de conclure récemment son dernier run sur Justice Society of America pour DC Comics, Geoff Johns, qui fut l'auteur prodige des années 2000-2010 de l'éditeur, avait commencé à s'en émanciper, sans doute pour préparer la suite de sa carrière et alors que sa réputation était ternie par son management et ses derniers projets.
Il avait donc créé avec son complice Gary Frank les séries Geiger et Junkyard Joe, deux titres en creator-owned publiés par Image Comics. Ces deux histoires appartenaient au même univers, The Unnamed, et le scénariste ne cachait pas son intention de le développer. Mais personne n'aurait pu se douter dans quelles proportions. Et c'est ainsi que l'an dernier, il fonda son propre label, Ghost Machine.
Grâce à un carnet d'adresses bien rempli, il a attiré dans l'aventure d'autres auteurs et artistes de renom, comme Bryan Hitch (pour qui il écrit Redcoat, un autre titre appartenant à l'univers The Unnamed), Ivan Reis (avec qui il réalise Hyde Street), Brad Meltzer, Jason Fabok, et donc Peter J. Tomasi et Francis Manapul, à qui il a fait signer des contrats d'exclusivité. Les séries estampillées Ghost Machine empruntent à la science-fiction, à l'horreur, à la fantasy, à la fiction post-apocalyptique.
The Rocketfellers fait partie de la gamme Family Odysseys et sont le pré carré du scénariste Peter J. Tomasi, qui fut jadis un des editors de Johns chez DC et le scénariste de séries comme Batman and Robin ou Superman. L'autre titre qu'il signe s'appelle Hornsby and Halo, dessiné par Peter Snejbjerg. Ils ont vocation à être divertissants, reader's friendly, plus légers que le reste de la production de Ghost Machine.
Bien entendu, le nom Rocketfellers renvoie à la famille Rockfeller mais il ne s'agit pas ici de dresser le portrait de magnats : Roland, sa femme Rachel, leurs enfants Richie et Rae, les parents de Roland Rodney et Rachel, et le chien Rex sont des aventuriers qui vivent au XXVème siècle et travaillent pour la Time Zone Protection Program. Ci-dessus, le portrait de cette famille :
Pour résumer, The Rocketfellers, c'est comme si Wes Anderson adaptait La Machine à explorer le temps de H. G. Wells. La comparaison est presque inévitable parce que les dessins colorés de Francis Manapul, la fraîcheur du ton de la narration, qui n'exclut pas un côté dramatique (comme la mort de Rosie qui survient dès les premières pages), font penser au cinéma acidulé et mélancolique à la fois du cinéaste texan qui a plusieurs fois exploré ces motifs avec La Famille Tenenbaum ou A Bord du Darjeeling Limited.
Peter J. Tomasi est un excellent scénariste, mésestimé parce que n'ayant jamais joui du statut de vedette qu'ont acquis des gens comme Geoff Johns justement (même si seulement six ans les séparent). Si vous avez apprécié ses runs sur Batman and Robin et Superman, vous aimerez The Rocketfellers, dans lequel on renoue avec sa plume acérée, sa science du rythme, le soin apportée à la caractérisation des personnages, la malice des situations.
Le décalage qu'il installe entre des héros venus d'un lointain futur, où existe une technologie très avancée (puisqu'elle permet de voyager dans le temps), et leur existence en 2024, où ils sont bloqués, aboutit à des scènes savoureuses, comme lorsque le grand-père, Rodney, s'amuse de son âge canonique (125 ans !) alors qu'il affiche une forme physique insolente, ou quand Richie, son petit-fils de 13 ans, veut épater la galerie avec ses inventions (même si elle gâche la fête de Thanksgiving).
Pourtant, comme Reggie le conseille à son frère Roland, sa famille doit s'efforcer de faire profil bas afin de ne pas éveiller les soupçons, en particulier de Cronex, le méchant de l'histoire qui les traque pour une raison qui n'est explicitée mais qui va alimenter les futurs épisodes (on peut néanmoins facilement deviner que le programme de protection de la zone temporelle contrarie les projets de ce vilain).
Tomasi insiste juste ce qu'il faut sur les sentiments des personnages, sans sombrer dans la sensiblerie : Richie a envie de revoir ses copains du XXVème siècle par exemple. Cette simple évocation suffit à donner le ton de la série qui est menée sur un rythme soutenu mais sait s'arrêter sur ce que ressentent ces exilés dans notre époque. Le scénariste excelle à décrire les relations parents-enfants et la série est à la fois alerte, divertissante, et attachante, émouvante.
Ces sentiments sont soulignés par les dessins de Francis Manapul. Cet artiste, qui fit des merveilles sur Flash, est toujours aussi inventif dans ses mises en scène. Sa narration est d'une vivacité au diapason de celle de Tomasi. Ses personnages sont immédiatement identifiables et mémorables, on sait qui est qui et de manière durable, sans avoir besoin de prendre des notes. Surtout, malgré l'excentricité de l'argument, ils sont crédibles, avec des physionomies appropriées à leur âge.
Si le reste des productions Ghost Machine n'avait pas suscité mon intérêt jusque-là, j'attendais quand même beaucoup de The Rocketfellers parce que je comptais sur son tandem créatif pour proposer quelque chose de frais, d'imaginatif, et le contrat est parfaitement rempli. Si vous aussi, vous voulez vous changer les idées, alors n'hésitez pas à investir dans cette série ou à guetter sa traduction dans le courant de l'an prochain (sans doute chez Urban Comics ou Delcourt).
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