jeudi 5 septembre 2024

EXCEPTIONAL X-MEN #1 (Eve L. Ewing / Carmen Carnero)


Depuis la fin de Krakoa, Kitty Pryde s'est éloignée de ses semblables mutants. Elle travaille à présent comme barmaid à Chicago et vit avec co-location avec Priti, seule à savoir qui elle est vraiment. POur se changer les idées, elle décide d'aller à un concert mais assiste à l'altercation entre une jeune fille et le physionomiste de la salle qui lui en interdit l'accès car elle est une mutante...


Deux choses pour moi définissent un fan de comics : c'est souvent une espèce d'intégriste qui ne supporte pas qu'on change quoi que ce soit à ce qu'il aime (tout en se plaignant fréquemment que rien ne change justement), et c'est un sentimental qui n'arrive pas à décrocher car sa passion remonte à l'adolescence, l'âge des possibles.


C'est sans doute pour cela que Kitty Pryde est si aimée de tant de fans des X-Men : lorsqu'elle est apparue dans les pages de Uncanny X-Men #129 en 1980, beaucoup de lecteurs se sont amourachés de cette gamine qui débarquait à l'institut Xavier après la mort de Jean Grey et le départ de Cyclope (même si elle était apparue un peu avant) et qui allait devenir la petite amie de Colossus, la protégée de Wolverine, l'amie de Tornade, puis une des membres d'Excalibur, etc.


C'était l'archétype du personnage attachant. Mais ça n'aurait pas suffi à assurer sa popularité intacte pendant 44 ans. Parce que Chris Claremont et les scénaristes qui lui ont succédé ne l'ont jamais vraiment lâchée et surtout l'ont fait discrètement grandir. Elle a 13 ans quand elle débarque et aujourd'hui, elle doit en avoir vingt-vingt-cinq. Oui, elle a un peu vieilli, phénomène rarissime dans les comics, et cela lui a valu d'être la leader des X-Men un temps, mais leur coeur, leur âme, leur esprit, toujours.


En fait beaucoup de jeunes lecteurs ont grandi, vieilli avec elle, en même temps qu'elle - plus vite qu'elle aussi parce que, malheureusement, nous ne possédons pas de gène X secret qui empêche les héros de papier de vieillir si lentement. Et sans doute, allez, beaucoup de garçons mais aussi de filles sont tombés amoureux d'elle comme Piotr Rasputin, parce qu'elle est jolie, Kitty, très intelligente aussi.

Et c'est pour ça que j'ai craqué pour Exceptional X-Men, une série que je n'avais pas prévue de faire parce que ce que j'entendais du travail de la scénariste Eve L. Ewing n'était pas encourageant, que j'avais déjà dans mes commandes Uncanny X-Men, X-Factor, X-Force (j'ai résisté à X-Men parce que Jed MacKay...). Mais peut-on résister à une série avec Kitty. Et Emma Frost.

Voilà un autre paramètre intéressant : la première fois que Kitty et Emma se sont rencontrés, ça s'est très mal passé, et leur inimitié a duré longtemps. En fait, sauf erreur de ma part, les deux femmes se sont vraiment rapprochées lors de la période Krakoa via la série Marauders et grâce justement à la fondation de la nation mutante. Emma Frost peut être une garce terrible, a minima un personnage trouble, mais elle aime les enfants, comme elle le prouva dans Generation X. Et elle suivit Charles Xavier et Magneto sur Krakoa pour les enfants mutants (et un peu aussi pour Scott Summers - même si l'idée des "trouples" de Hickman n'a jamais été développée, juste suggérée...).

Le postulat de Exceptional X-Men n'a rien de révolutionnaire et peut même faire râler ceux qui, comme moi, pensent que créer de nouveaux jeunes mutants n'était pas une nécessité quand on sait qu'il y en a déjà tant qui sont oubliés - d'ailleurs Tom Brevoort n'a pas relancé de série New Mutants, ce qui est quand même une faute. Mais par contre la logique est imparable quand il s'agit de faire reposer cette idée sur deux personnages comme Kitty et Emma, la première ayant été l'incarnation absolue de la jeune mutante formée au sein de l'institut Xavier, et la seconde une figure archétypale d'éducatrice.

On peut spoiler de bon coeur tout ce qui se passe dans ce premier numéro puisque la couverture devance largement ce qui va se passer dans cet épisode et les suivants en montrant Kitty et Emma encadrant de nouveaux jeunes mutants inconnus, inédits. On sait donc d'emblée que les deux ex-meilleures ennemies vont se réunir pour les trouver et les former dans un monde post-Krakoa où, comme on a déjà pu le constater (dans Uncanny X-Men mais aussi X-Factor) les mutants sont redevenus des parias.

Alors pourquoi c'est quand même un bon premier épisode ? Parce que c'est un épisode étonnamment humble. Eve L. Ewing n'arrive pas à la manière de Gail Simone avec une équipe de vedettes voués à casser la baraque (Uncanny X-Men), ni comme Geoffrey Thorne avec une marque accrocheuse (X-Force), ni comme Mark Russell avec un ton décalé (X-Factor). Non, elle vient avec d'abord un projet entièrement character's driven, entièrement focus sur les personnages, sans même (pour l'instant) un vrai méchant complotant dans l'ombre.

La scénariste explore d'abord la dépression de Kitty, sujette à des crises d'angoisse et une profonde mélancolie, en plein deuil de Krakoa, mais aussi animée par la volonté ferme de ne plus se mêler ou d'être mêlée aux affaires mutantes. Elle vit à Chicago, travaille dans un bar, personne ne sait qu'elle est une mutante (sauf sa coloc'). Mais évidemment chassez le naturel... Et la voilà qui sauve une jeune mutante. Puis, fugacement, l'épisode se conclut avec Emma qui dresse une liste de mutants avec qui monter un projet et localiser Kitty (en disant : "tu peux quitter les X-Men. Mais les X-Men ne te quitteront jamais.").

Je vais vous le dire le plus simplement du monde : c'est un épisode qui a du coeur, de la chair, du sentiment. Et ça fait du bien. C'est con comme tout mais voilà ce qu'est Exceptional X-Men, qui ne mérite pas ce titre ronflant (en vérité, c'est cette série qui aurait dû s'appeler X-men tout court, adjectiveless) : l'histoire de Kitty Pryde en pleine déprime mais qui ne peut fuir devant une de ses semblables en difficulté et celle de Emma Frost en plein brainstorming et qui veut toujours agit pour les enfants. Et la façon dont Eve L. Ewing raconte ça, c'est sincère, c'est modeste, c'est vibrant : pas d'effets de manche, pas de grande baston, pas de grand discours - juste ça : deux mutantes qui vont sauver des gamins mutants et leur apprendre à s'en sortir.

Du coup, parce que je n'en attendais absolument rien, la surprise et le plaisir que j'en ai retiré est d'autant plus grand. C'est peut-être mon titre préféré du relaunch (avec X-Factor). Bien entendu, il va falloir confirmer, voir si la suite est aussi convaincante, touchante. Mais tel quel, vu la manière adoptée, je me dis que c'est en bonne voie parce que c'est un tel contrepied par rapport aux autres séries que ça me plait beaucoup et que j'ai envie d'y croire.

En plus, et quel plus, c'est dessiné par Carmen Carnero. J'adore cette dessinatrice italienne, qui est comme Valerio Schiti, tellement supérieure non seulement à tous ses compatriotes que recrute Marvel comme une nouvelle lubie, mais aussi tellement supérieure à la moyenne des artistes Marvel. Voilà une narratrice et en prime avec une technique épatante. Elle dessine vraiment bien, son trait est beau, son découpage est limpide, ses planches sont soignées, elle aussi y met du coeur à l'ouvrage.

Carnero est l'exemple parfait d'une belle progression : c'est simple, à chaque fois elle est encore mieux que la précédente. Elle s'améliore constamment. On voit qu'elle est rigoureuse, appliquée, impliquée, elle est disciplinée, consciencieuse. Et intelligente. De ce script tellement subtil, délicat, elle tire le meilleur : elle traduit parfaitement l'état d'esprit de Kitty, mais aussi la situation bouleversée de Trisha Marshall, cette jeune mutante. 

Carnero me fait penser à Jorge Fornes : comme lui, elle ramène tout à hauteur d'homme. Les trucs les plus folkloriques, les plus super-héroïques, elle en fait des éléments humains. Et c'est pour ça que c'est si bon, si intelligent, si maîtrisé : on oublie qu'on est dans du super-héros et on glisse dans cette histoire sans effort. En soi, le scénario est très classique, mais Carnero le rend nerveux, alterne les moments de répit et ceux de panique et ceux d'action. Même quand on voit la tenue improbable de Trisha, ça finit par passer crème parce que l'artiste nous embarque à la suite de cette gamine et de sa sauveuse et on oublie la panoplie limite mauvais goût pour juste espérer qu'elles s'en sortent. Idem pour l'apparition finale de Emma : elle est telle qu'on l'imagine, fantasmatique, presque caricaturale, mais Carnero évite toute vulgarité pour juste souligner le charisme carnassier de Emma et le contraste avec la bienveillance de Kitty.

Non, vraiment, c'est excellent. Pas du tout Exceptional, car tout l'esprit de l'épisode est aux antipodes de cet adjectif, mais excellent, ça, oui. Le voilà, le titre qui manquait aux X-Men post-Krakoa, le titre qui parle de cette perte, et en même temps de ce qu'il faut inventer après. Bravo.

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