JENNY SPARKS
(Jenny Sparks #1-7)
Captain Atom tue un vieil homme tranquillement assis dans un parc en train de nourrir des pigeons. Il s'en prend ensuite à un camionneur. La situation alerte Batman qui fait appel à Jenny Sparks. Cependant, cinq personnes se retrouvent par hasard dans le même bar : Davey (le barman), Dani (une magistrate), le Dr. Bowles (un psychiatre), Sam (un agent artistique) et Erica (une enseignante).
Captain Atom entre dans ce bar à son tour et y retient en otage ces cinq individus. Il vient d'affronter Jenny Sparks en ville et l'a tué. Celle-ci se réveille à la morgue où Batman est venu l'identifier. Mise au courant des dernières évolutions de l'affaire, elle se charge de négocier avec Captain Atom la libération des cinq otages en fonction de ses exigences.
Mais Jenny va devoir composer avec des revendications peu banales : Captain Atom réclame d'être désormais considéré comme Dieu. Ses pouvoirs, immenses, ont raison de la Justice League qui, impatiente, tente de régler ce problème par la force puis la ruse. Jenny est désormais seule face à Nathaniel Adam qui, pour prouver qu'il est un être divin, accomplit un miracle en guérissant le cancer qui ronge le Dr. Bowles...
Jenny Sparks est une mini-série en sept épisodes (bien qu'elle fut d'abord annoncée en six), publiée un peu avant Black Canary : Best of The Best (dont j'ai déjà parlée). Comme tous les titres écrits par Tom King sous le DC Black Label, il retient l'attention, à plus forte raison quand il s'approprie un des personnages emblématiques du défunt label Wildstorm.
La démarche cependant n'étonnera pas grand-monde dans la mesure où King s'est fait une spécialité de revisiter, dans cette collection hors continuité, des figures de second plan de l'univers DC (Adam Strange, Mister Miracle, Human Target...). Mais ici, il s'attaque quand même à un plus gros morceau, un peu comme quand il prolongeait Watchmen avec Rorschach.
Jenny Sparks est une création de Warren Ellis : apparue d'abord dans les pages de la série Stormwatch, elle est surtout devenue célèbre en devenant le leader de The Authority, qui fut le titre qui révolutionna entre la fin des années 90 et le début des années 2000 les super héros par son ton plus insolent et son sens du grand spectacle (merci Bryan Hitch).
The Authority était comme l'extension organique de Jenny Sparks : une équipe de surhommes radicaux qui affrontait des menaces cataclysmiques et prenait carrément le contrôle du monde quand elle jugeait que ses dirigeants politiques n'assuraient plus (surtout dans le run de Mark Millar, qui suivit celui de Ellis).
Jenny Sparks s'inscrivait dans un plan plus ambitieux d'Ellis puisqu'elle faisait partie des Century Babies, des êtres nés le 1er Janvier 1900 et condamnés à s'éteindre le 31 Décembre 1999. Comme Elijah Snow dans Planetary, l'autre titre phare d'Ellis (avec John Cassaday). Jenny Sparks était l'esprit du XXème siècle et son pouvoir résidait dans le contrôle de l'électricité.
Par la suite, quand d'autres auteurs prirent The Auhtority en main, ils inventèrent sa successeur, Jenny Quantum, et même plus récemment Jenny Crisis (dans Outsiders par Jackson Lanzing et Collin Kelly). Quelle interprétation allait en donner Tom King, un scénariste particulièrement inspiré par les femmes fortes (même s'il s'est complètement planté avec Black Canary) ?
Cette mini-série en contient en vérité deux. Il y en a une que j'ai beaucoup aimé et qui, à mon avis, aurait amplement suffi, même si elle n'aurait certainement pas suffi à remplir sept épisodes (mais plutôt trois, voire quatre, avec une pagination peut-être plus conséquente). Et il y en a une autre qui est laborieuse, pénible, où King donne l'impression de se perdre en route.
Commençons donc par la plus désagréable. Il s'agit de la confrontation entre Jenny Sparks et Captain Atom. L'idée de départ n'est pas mauvaise en soi : il s'agit d'examiner deux reliquats du XXème siècle, son esprit et sa fin. Jenny Sparks et Nathaniel Adam. Ce dernier a inspiré le Dr. Manhattan de Watchmen avec ses pouvoirs quasi-divins et King file la métaphore très laborieusement.
A tel point qu'il fait de Captain Atom exactement la même chose que ce que Alan Moore a écrit pour Dr. Manhattan : un homme investi d'une telle puissance qu'il en oublie son humanité, considère les hommes comme des tas d'atomes agrégés. Mais à la différence de Manhattan, il réclame d'être considéré comme Dieu.
Toute cette partie du récit est quasiment un huis clos : Captain Atom est entré dans un bar où se trouvent cinq individus qu'il va séquestrer en attendant qu'on accède à ses revendications. Sauf que Jenny Sparks n'est pas une négociatrice : elle le provoque sans arrêt, se joue de lui. Il se joue d'elle aussi. Et c'est ainsi jusqu'à ce qu'un des deux révèle sa faille et que celle-ci permette le dénouement de l'affaire.
Le souci, c'est qu'on se fait royalement chier en lisant cela : c'est affreusement long, verbeux, pompeux même. Et le pire, c'est que c'est pour ne pas dire grand-chose d'intéressant. On cite Virginia Woolf à la fin, son suicide, les raisons supposées de celui-ci, pour nous expliquer que "la seule chose qu'on peut changer, c'est soi-même". On croirait un aphorisme pioché dans un ouvrage new age sur le développement personnel.
Ce que King assène avec une naïveté aussi confondante, pour ne pas dire une mièvrerie aussi horripilante, c'est tout l'inverse de ce qu'il arrivait à suggérer si adroitement dans Mister Miracle (sur la dépression et la paternité) ou Strange Adventures (sur le mensonge et la compromission). C'est comme si, à force de vouloir prouver sa connaissance de la psyché des super-héros, il avait oublié cette fois la subtilité.
Puis il y a l'autre partie du récit, autrement plus convaincante, passionnante, même si non dépourvue de défauts. Jenny Sparks est donc morte le 31 Décembre 1999 et pourtant elle revient à elle le 11 Septembre 2001, lors des attentats tristement célèbres commis à New York. King n'explicite pas ce réveil, tout juste suggère-t-il qu'il a lieu parce qu'une crise va ébranler le XXIème siècle.
Plutôt que traiter Jenny Sparks comme l'esprit du XXème (comme il le répète ad nauseam dans l'autre partie) et de mettre en parallèle le destin de cette femme avec Nathaniel Adam/Captain Atom, création inspirée par la bombe atomique et la S.-F., il va travailler le décalage entre elle et notre époque à travers différents événements marquants.
Après donc s'être réveillé le 11 Septembre 2001, on retrouve Jenny en Irak en 2004 en pleine guerre pour une conversation piquante avec Superman sur l'interventionnisme, le droit d'ingérence. Puis en 2011, lors de l'annonce de la mort de Ben Laden. Puis en 2016 quand Bruce Wayne (sous le déguisement de Matches Malone) et Clark Kent l'aborde pour lui confier une mission bien particulière.
Là, il faut faire une pause parce que, à mon avis, King passe à côté d'une formidable série. Wayne et Kent demandent à Jenny de devenir en quelque sorte la watchwoman des super héros DC, l'Autorité régulatrice, la surveillante en chef. Et je pense que si King avait développé ça, il aurait tenu quelque chose de bien plus passionnant.
Il aurait pu garder la confrontation avec Captain Atom mais en en faisant un épisode (ou deux) au lieu de le faire courir sur sept. Et la suite vient confirmer, selon moi, cette hypothèse car, en 2020, Jenny, comme tout le monde, traverse la pandémie de Covid. Peut-elle l'attraper ? Elle l'ignore. Tout comme Superman qui tente de la raisonner quand elle peste contre le fait qu'aucun super héros n'ait trouvé de remède.
Un moment exceptionnel qui place les méta humains dans une situation que tout le monde a enduré mais qui révèle une faiblesse réaliste : finalement, tout surhomme qu'ils soient, ils ne peuvent guérir le cancer, le sida, ou le covid. Même un alien quasi invulnérable comme Superman ignore s'il peut tomber malade ou transmettre le virus.
Ces scènes qui reviennent sur le premier quart du XXIème siècle sont d'une pertinence et d'une malice exemplaires. C'est terriblement dommage que King ne s'en soit pas contenté car il les écrit formidablement bien et cela aurait suffi à faire une mini, certes plus courte, mais aussi meilleure, plus troublante, plus intense. C'est ce qui s'appelle littéralement passer à côté de son sujet.
Les dessins de Jeff Spokes m'ont laissé aussi dubitatif : il abuse franchement des effets copier-coller pour bien souligner les transformations de Captain Atom, dont le désordre mental s'illustre par d'incessants changements d'accoutrements (soit il est nu comme un ver, soit en treillis militaire, soit en smoking, soit en ayant l'apparence métallisée de Captain Atom).
Parfois, cet effet répétitif fonctionne très bien, mais le plus souvent on a l'impression d'un artiste qui s'est contenté de jouer avec sa palette graphique et oublie tout art séquentiel. C'est d'autant plus pénible que King est, on le sait, friand de ce genre de découpage, avec des "gaufriers", des répétitions de plans, etc. Et Spokes en rajoute jusqu'à l'écoeurement.
Pourtant, quand il consent à laisser respirer sa narration, à raconter vraiment en images l'histoire, à animer ses personnages, Spokes montre qu'il en a sous le capot et qu'il permet aux protagonistes d'exister, d'avoir de l'épaisseur, des interactions bien senties. Le passage en 2020, durant la pandémie, est à ce titre impeccable.
Jenny Sparks est sorti aujourd'hui chez Urban Comics (sachez quand même que l'album coûte 22,50 Euros contre 19,99 $ en tpb vo, sorti fin Mai). C'est un drôle de bouquin, à moitié réussi, que j'hésite quand même à conseiller, surtout si Tom King ne vous tente pas plus que ça, et même si vous êtes nostalgique de cette héroïne. Mais, quoi qu'il en soit, son défaut est aussi sa qualité : c'est un livre clivant.