mercredi 16 juillet 2025

SUPERMAN UNLIMITED #3 (Dan Slott / Rafael Albuquerque)


De tous les kryptoniens sensibles à la kryptonite, désormais en circulation massive sur Terre, il en est un dont le cas est bien particulier : Krypto, le super chien de Superman. Comment le toutou va-t-il devoir composer avec cette situation ?


C'était inévitable : Krypto va devenir la coqueluche du public avec le film de James Gunn (que je n'ai toujours pas vu car pas à l'affiche chez moi...), et DC a prévu de surfer sur le phénomène. Une mini-série (par Ryan North et Mike Norton) est actuellement publiée sur les origines du super chien, qui est apparu aussi dans la nouvelle série (débilissime ) Supergirl.


Si Joshua Williamson ne l'a pas encore utilisé dans sa série Superman, Dan Slott lui a grillé la politesse avec ce troisième épisode de Superman Unlimited. Et il faut bien avouer que... Ce n'est pas bon du tout. Et encore, en disant cela, je suis gentil parce que c'est même carrément mauvais. Et au-delà de Krypto, c'est le projet même de la série qui interroge.


Parce que, bon, pour le moment, et à mon avis c'est parti pour rester ainsi, ce qu'a établi Slott indiffère complètement les autres auteurs du DCU. Aucune série n'a fait mention de ce nouveau statu quo pourtant spectaculaire qui voit de la kryptonite circulant désormais massivement sur Terre depuis un petit pays sud-américain : tout est dit. Ou plutôt non dit.


Tout se passe comme si Dan Slott avait lancé une vraie grenade narrative dans le DCU, impliquant un de ses personnages les plus emblématiques, mais que personne, aucun autre auteur que lui, ne l'avait remarqué - ou en tout cas ne voulait la prendre en compte. C'est à un tel point qu'on peut même se demander si Superman Unlimited n'est pas une série Elseworlds...

Et peut-être que ça aurait mieux ainsi. Dan Slott n'aurait pas été ainsi marginalisé, ostracisé par le reste des auteurs et même de son éditeur. En l'état, je vois mal comment Superman Unlimited peut exister quand tout le monde ignore ostensiblement ce qui s'y passe depuis la fin du premier épisode. Dan Slott va certainement continuer (longtemps ?) à jouer tout seul dans son propre bac à sable.

Pourtant cette idée n'était pas mauvaise en soi, elle était même sacrément ambitieuse. Slott a été maladroit : il a voulu imposer un truc tellement énorme que personne ne pourrait passer à côté... Alors que Joshua Williamson et Mark Waid, les deux scénaristes en charge de Superman dans ses séries iconiques (Superman et Action Comics) ont d'autres plans, qui ne peuvent intégrer celui de Slott !

Pour en revenir à Krypto auquel l'épisode est amplement consacré, ce n'est pas très malin non plus. Bien que réfléchir à l'impact que la diffusion de la kryptonite peut avoir pour un animal soit ingénieuse, l'exécution laisse à désirer. Slott se montre même assez putassier sur la fin en mettant en danger mortel l'animal.

Par ailleurs les dessins de Rafael Albuquerque m'ont posé problème. J'ai toujours eu cette impression qu'il dessinait trop vite (un peu comme Sean Phillips), mais c'est flagrant ici. Les planches sont moches, et la colorisation de Marcelo Maiolo (que je n'ai jamais appréciée) n'arrange rien. On nage dans des camaïeux de jaune-vert assez dégueulasses.

Superman sous le crayon de Albuquerque est moche. Il a l'air constamment en train de grimacer. Son Clark Kent est encore pire, avec une tête de neuneu passablement agaçante. Mais le pire, c'est bien la manière qu'il a de représenter Krypto : le clébard est affreux, il n'inspire aucune sympathie, il ne ressemble à rien sinon à une espèce de roquet, c'est une catastrophe.

Sans vouloir faire de mauvais jeu de mots, ce Superman Unlimited est finalement très limité. Parce que tout le monde chez DC a l'air de s'en tamponner. Que sa réalisation est au mieux bâclée. Et qu'après trois épisodes, toute la motivation qu'on pouvait avoir s'est dissipée. C'était le risque, avec trois séries pour le man of steel. Une seule, pour ma part, me suffit et ce sera celle de Joshua Williamson.

mardi 15 juillet 2025

RECKLESS, TOME 5 : DESCENTE AUX ENFERS (Ed Brubaker / Sean Phillips)


Los Angeles, Novembre 1989. Ethan Reckless fait la connaissance de Francis MacLean lorsque celui-ci empêche deux gosses de voler son van. Ils deviennent amis. Aussi quand Francis demande quelque temps après un service à Ethan, ce dernier ne peut le lui refuser. Cela concerne Rachel,la compagne de son fils Joey, qui a subitement disparu un mois plus tôt, après le tremblement de terre survenu à San Francisco le 17 Octobre.


La police, débordé, n'a pas mené d'enquête sérieuse car Joey et Rachel sont d'anciens junkies. Ethan se rend à San Francisco et rencontre Joey qu'il interroge sur le comportement de Rachel. Puis il fouille leur appartement à la recherche d'indices et finit par trouver une lettre bien cachée, provenant du pénitencier où croupit un certain Richard Brickman, qui avoue un crime horrible contre la jeune femme dans son enfance.


Il ne reste plus que quelques mois à vivre à Richard Brickman, atteint du Sida, mais il refuse de dévoiler à Ethan de ce dont il a parlé avec Rachel quand elle est venue le voir le 21 Octobre. Mais un gardien informe Reckless que le détenu a reçu dernièrement la visite de policiers au sujet de l'assassinat de son frère Oren, tué par une jeune femme en pleine rue et dont la description correspond à Rachel...


C'est à ce jour, et sans doute pour un bon moment, le dernier tome de la série Reckless : comme l'explique Ed Brubaker dans sa postface, lui et Sean Phillips (et Jacob Phillips aux couleurs) ont produit cinq albums en deux ans et tous ont ressenti le besoin de quitter ce personnage, son univers avant, peut-être, un jour, d'y revenir.


Brubaker revient aussi sur la conception de ce tome en particulier : au départ, il aurait en faire le complément de lecture du tome précédent, un peu comme un flip book, puisque l'action se déroule en même temps que l'enquête menée par Anna dans Ce Fantôme en toi où on apprenait que Reckless était, lui, en mission à San Francisco.


Brubaker raconte que cela a été un défi d'écrire cette histoire car il ne pouvait faire intervenir Anna. Le sujet de l'enquête l'a aussi pas remué puisqu'il y est question d'abus sexuels commis sur des enfants. C'est, de fait, l'intrigue la plus noire de toute la collection, et, si je m'abuse, ce tome est aussi le plus long avec ces 140 et quelques pages (soit presque vingt de plus que d'habitude).


Mais laissez-moi vous le dire tout de suite et sans détour : c'est assurément le plus fort, un vrai chef d'oeuvre, qui dépasse le cadre de la série, du simple polar, de la série noire. Encore une fois, l'auteur n'est jamais aussi inspiré que lorsqu'il déborde de sa zone de confort et surtout quand il entraîne son héros dans une histoire qui le touche personnellement.

En définitive Reckless roule au diesel : il démarre lentement, en toussant un peu, mais quand il est parti, le trajet peut être long et captivant. Je ne veux pas en trop en dire sur les ressorts du récit, ses rebondissements, mais ce qui le distingue, c'est son ampleur, sa générosité. On embarque pour un voyage tumultueux qui s'achève en 2004 et un épilogue magnifique.

Bien entendu, si Brubaker avait été plus prompt à embrasser ce genre de trip, la série aurait sûrement gagné en qualité. Mais ça valait le coup d'attendre un peu. Et puis c'est une sorte de performance que d'avoir aligné cinq tomes en deux ans en gardant un tel cap, mieux même en produisant des livres de plus en plus qualitatifs.

Pour revenir sur le rythme, Reckless, c'est d'abord un canevas toujours scrupuleusement respecté : une ouverture qui donne le ton, très dramatique, puis un ordre de mission, puis le déroulement de cette mission. Brubaker insiste sur le réalisme des investigations, leur caractère laborieux, la sale besogne qu'elles impliquent.

On passe beaucoup de temps avec le héros dans son van, à avaler des miles, à chercher, à être en planque. Ce n'est pas gratuit, pas fait pour tirer à la ligne. C'est fait pour poser un contraste entre ces moments de calme, voire d'inertie, et des explosions de violence. Le lecteur est pris d'une sorte de torpeur, de frustration aussi, et il en est brutalement extrait.

Parfois cette violence passe davantage par des mots, comme ici avec la lettre écrite par Richard Brickman du fond de sa cellule alors que le Sida le ronge. Et bien sûr parfois elle passe par des coups échangés, des coups de poing, de pied, de feu. La série ne donne jamais dans le sensationnalisme, ici la violence est toujours sèche, sale, méchante.

Reckless ne ressent plus guère d'émotions mais la colère est celle qui remonte le plus facilement. Elle lui tord les tripes et elle doit sortir. Il ne réfléchit plus alors. Cela lui vaut presque d'échouer vers la fin, avant ce bond dans le temps où tout se dénoue d'une manière cathartique, apaisée, mélancolique. C'est à la fois très beau et très triste. On comprend mieux pourquoi l'équipe a eu besoin d'en rester là...

Sean Phillips est étonnant : voilà un dessinateur qui semble se transcender dans l'effort. Il a dessiné plus de 600 pages de BD en deux ans et il paraît plus en forme qu'au début de l'aventure. C'est une impression très surprenante, mais je trouve que cet album (comme le précédent) est comme la preuve que plus on dessine, mieux on dessine.

Régulièrement, Brubaker donne à Phillips des espèces de respirations avec des splash pages et il les réalise comme des instantanés, synthétisant des ambiances, des faits relatifs à l'histoire, absolument saisissants. Son découpage a ce classicisme élégant et brut à la fois qui convient à merveille à ce genre de récit et que les couleurs de son fils Jacob magnifient.

A propos de Jacob Phillips, je dois bien reconnaître qu'au début j'avais du mal avec sa palette. Par le passé, Phillips a collaboré avec de grands professionnels comme Val Staples et surtout Elizabeth Breitweiser (qui faisait un boulot somptueux). Le fiston ose autre chose, qui ne me plaît pas autant, mais qui, à la longue, fait son effet, donne vraiment une personnalité unique à Reckless.

Lire Reckless est une expérience. Je l'ai déjà dit mais la série a pris du temps pour me conquérir et ce sont surtout ses deux derniers tomes qui m'ont comblé. Cependant l'oeuvre formée par ces cinq livres compose quelque chose de peu commun qu'il faut embrasser totalement.

lundi 14 juillet 2025

RECKLESS, TOME 4 : CE FANTÔME EN TOI (Ed Brubaker / Sean Phillips)


Los Angeles, 1989. Ethan Reckless est parti à San Francisco pour une affaire, laissant son assistante Anna s'occuper de El Ricardo et s'occuper des clients en attente. Elle reçoit la visite de Lorna Valentine, une ancienne star de films d'horreur de série B (ou Z), qui eut son heure gloire sous le pseudonyme d'Evilina comme animatrice à la télé d'un ciné-club dédié au genre qui la fit connaître.


Lorna a reçu en héritage de la part d'un fan une célèbre maison sur les hauteurs de la ville, la Lamour Mansion, mais elle la croit hantée, et pour ne rien arranger son chien a disparu peu après son installation. Cette superbe villa fut construite pour Lazlo Lamour, une star du muet, et sa femme Maria qui mourut tragiquement, bientôt suivie dans la tombe par le suicide de son époux. Puis elle fut rachetée par le Dr. Theodore Koening, sa femme et leurs trois enfants, également morts dans des circonstances troubles.
 

Enfin elle devint un couvent pour jeunes filles. Anna, qui ne croit guère à ces histoires de fantômes fait appel à Madame Marlena, une amie de sa mère, versée dans l'occultisme pour vérifier si l'endroit est peuplé de mauvais esprits. L'expérience n'est pas convaincante alors Anna se met à la recherche du toutou. Mais ses investigations vont être parasitées par le retour dans sa vie de sa mère, Sharon, qui s'apprête à se remarier...


Ce quatrième tome de Reckless est, comme on peut le remarquer sur la couverture, remarquable par l'absence (ou presque) de son héros. Ed Brubaker explique dans la postface de l'album qu'il souhaitait consacrer une histoire entière à Anna pour que les lecteurs apprennent à mieux la connaître. Et cette démarche aboutit à quelque chose de familier pour les fans du scénariste...


Si, comme moi, vous avez lui et aimé Friday, la mini-série qu'il a écrite pour Marcos Martin (disponible en vf chez Glénat en trois tomes, et dont une intégrale en vo sera au sommaire de la rentrée), alors cet épisode de Reckless ressemble comme une sorte de répétition générale. On y trouve : une jeune femme détective, une affaire flirtant avec le fantastique, des flashbacks à foison...


Cela ne signifie pas que Friday est une copie carbone de The Ghost in You, chacun des deux récits a sa propre identité, sa propre singularité, mais il est indéniable que Brubaker s'est fait la main avec ce tome de Reckless avant d'imaginer Friday. Et dans les deux cas, c'est très réussi (même si Friday est tout de même supérieur).
  

C'est aussi l'album le moins franchement inspiré des propres expériences du scénariste : ici, pas de références personnelles, familiales. On renoue avec des motifs qui font le charme (et les limites) de la série : un prologue dramatique (où le personnage principal est très mal barré), une voix off très présente, une enquête à tiroirs, et des éléments empruntés au folklore hollywoodien.

Prenez le personnage de Lorna Valentine alias Evilina : elle renvoie directement à celui de Cassandra Peterson qui immortalisa au cinéma le rôle d'Elvira, l'ancêtre de bien des scream queens avec ce côté vintage sexy (c'est-à-dire qui rappelle les vixens de Russ Meyer, forte poitrine, coiffure improbable, surjeu...).

Ensuite, l'autre personnage important du récit, c'est cette Lamour Mansion, une villa type Hollywood Regency, comme celles qu'habitaient les stars de l'âge d'or (pour vous faire une idée, voyez Babylon de Damien Chazelle, grand film malade sur cette folle époque). Elle appartint à un certain Lazlo Lamour, un latin lover à Rudolf Valentino, au temps du cinéma muet.

Brubaker s'amuse comme un fou, avec une sorte d'insouciance qu'on n'aurait pas soupçonné, sur ce point en inventant toute une séries de drames affreux et croquignolesques dans cette demeure avec suicides, meurtres collectifs, couvent maudit, et même un trésor caché. Mais aussi un chien qui disparaît et que Anna doit aussi retrouver.

Ce qui m'a réjoui dans ce tome, plus que dans tous les autres jusqu'à présent, c'est que par le prisme d'Anna, les situations s'enchaînent avec une fluidité nouvelle. Tout y est à la fois plus frais et en même temps plus flippant parce que, contrairement à Ethan Reckless, le lecteur n'est pas du tout sûr qu'elle s'en sortira. Mais Anna a de la ressource.

Et puis, soudain, quasiment à mi-chemin, l'histoire dévie de son itinéraire balisé et devient encore plus savoureuse avec l'entrée en scène de la mère d'Anna. On savait que ces deux-là étaient brouillées depuis longtemps puisque c'est après avoir fugué que Anna a rencontré Reckless en pénétrant dans l'El Ricardo où son père fut projectionniste.

Sharon, la maman donc, annonce à sa fille qu'elle va se remarier (pour la troisième fois), avec un homme rencontré aux Alcooliques Anonymes. Evidemment, il n'en faut pas plus à Anna, invitée pour être demoiselle d'honneur, pour investiguer sur son futur beau-père. Ou plutôt pour l'accabler car elle est convaincue qu'il s'agit d'un énième loser dont s'est entichée sa génitrice.

Et bien sûr, tout ça va vite déraper. D'abord parce que Anna ne se montre guère discrète au moment de trouver des preuves compromettant cet homme. Et ensuite parce qu'elle en néglige sa première affaire et s'attire les foudres de Lorna. Avec l'esprit trop occupé pour remplir sa mission convenablement, il est alors prévisible que tout ça va mal tourner.

Mais finalement, ce côté convenu ne joue pas en défaveur de l'histoire. Brubaker sait ménager des rebondissements vraiment jusqu'à la fin, avec un coupable inattendu et aussi une intrigue aux fondations poignantes. Juste avant que Reckless ne revienne pour donner un coup de main (et de batte...) bienvenu...

Au dessin, Sean Phillips m'a semblé faire lui aussi des efforts imprévus, tout en conservant la cadence affolante de production que la série exige. Il donne à Anna ses expressions d'une justesse admirable, une vraie présence, mais sans oublier qu'il s'agit d'une jeune femme qui n'est pas Reckless, mais une personne différente et à part entière.

Il soigne aussi les seconds rôles : Lorna est parfaitement campée, Madame Marlena est mémorable, on retrouve l'ex-agent du FBI Frank Hancock (récurrent dans la série et qui est aussi cynique qu'Anna). Le personnage de Gary Dufford (le nouveau mari de Sharon) est aussi parfaitement croqué en quelques pages. Sharon, elle-même, est l'archétype de la femme éternellement en conflit avec sa fille.

Et puis il y a la Lamour Mansion. Phillips lui consacre plusieurs pages, sans faire apparaître le moindre personnage. Il réussit à rendre cette demeure crédible, avec son aspect à la fois somptueux et fatigué. C'est, je le répète, un rôle à part entière dans ce récit et il n'est jamais facile de planter un décor de manière aussi réaliste et fantasmatique à la fois.

Est-ce que ça ne serait pas mon tome préféré de la série ? Il faut encore que je lise le tome 5 (le dernier à ce jour) pour m'en assurer. Mais en tout cas, je l'ai vraiment adoré.

samedi 12 juillet 2025

RECKLESS, TOME 2 : L'ENVOYE DU DIABLE (Ed Brubaker / Sean Phillips)


Los Angeles, 1985. Ethan Reckless rencontre Linh Tran, bibliothécaire à Santa Monica, dans le cadre d'une enquête sur un homme présumé mort. Elle accepte de l'aider à trouver quels sont les derniers ouvrages qu'il a consultés car il a remonté sa trace grâce à sa femme chez qui il avait laissé un livre emprunté et jamais rendu.


Reckless retrouve rapidement Richard Fuller, qui a refait sa vie en maquillant sa mort, sous le nom de Sam Charles. Il s'est installé à Phoenix, Arizona, remarié et deux enfants. La police se charge du reste. Mais cette affaire trouble Reckless qui s'est en quelque sorte identifié à cet homme en quête d'une nouvelle vie, d'un nouveau départ. Même si cela a fini par échouer...


Reckless tient Linh au courant de ce dénouement et la remercie pour son aide. Ils boivent un verre, se revoient, deviennent amants. Elle passe le voir au El Ricardo et regarde de vieux films avec lui. Jusqu'à ce que, lors d'une projection d'une série Z, elle reconnaisse sa demi-soeur, Maggie, parmi les figurantes. Elle n'a plus de nouvelles d'elle depuis huit ans. Reckless va essayer de la retrouver...


Bon, jusque-là, vous avez dû le comprendre, la série Reckless m'a laissé sur la faim. Le troisième tome m'a même carrément déçu. Mais j'ai pu me procurer les trois tomes restants (celui-ci - le 2 donc - , le 4 et le 5, dernier à ce jour). Je n'en attendais pas grand-chose, donc quelque part je ne risquai guère d'être plus désappointé qu'à ma dernière lecture.


Mais je dois avouer que ce tome 2, Friend of the Devil, m'a conquis. Il est meilleur que le premier, et bien supérieur au troisième. Peut-être parce que, tout simplement, cette fois, Ed Brubaker s'y est pris un peu différemment et à écrit une histoire où Ethan Reckless est un peu plus qu'un simple fixer, un détective. L'affaire qui va l'occuper devient personnelle.
 

Dans un premier temps, le scénario nous entraîne sur une (séduisante) fausse piste : Reckless investigue sur un homme qui a disparu en mer et qui a été déclaré mort sans qu'on retrouve son corps. Mais sa veuve veut savoir. Comment est-il mort ? Est-il seulement mort ? Et s'il est encore vivant, pourquoi a-t-il disparu de sa vie ?


Brubaker solutionne cette enquête rapidement tout en soulignant le côté besogneux que cela impliquait dans le milieu des années 80, quand Internet n'existait pas et qu'il fallait aller dans une bibliothèque publique pour consulter les archives sur des microfilms, qu'il était bien nécessaire de graisser la pate à un agent des plaques minéralogiques, etc.

Néanmoins, malgré la rapidité avec laquelle Reckless boucle ce dossier, Brubaker va s'en servir pour sonder un peu la psyché de son héros. On le sait, il a été agent au Bureau, infiltré parmi des activistes, victime d'une explosion qui l'a (légèrement) défiguré, et souffrant de séquelles au niveau émotionnel et mémoriel. Reckless est un homme sans affect ni beaucoup de mémoire, ce qui l'aide dans son job à ne pas s'attacher.

Sauf que le cas Richard Fuller, du nom de cet homme qui a disparu, le trouble bien plus que prévu. Comme lui, il a espéré prendre un nouveau départ, refaire sa vie, avant de devenir ce type qui résout des problèmes pour les autres, vivant dans un cinéma désaffecté avec une jeune femme comme assistante. Parmi les rares choses dont il se rappelle, il y a son père.

On apprend que Reckless, comme Brubaker, était le fils d'un officier militaire et qu'il a grandi en suivant ce dernier de base en base, au gré des affectations. Il a toujours été un outsider, sans ami sur la durée, sans véritable attache. Mais en même temps, cela lui a permis d'appréhender le monde qui l'entourait d'une façon différente.

Toutefois, quand il est entré au FBI, ce fut une déception pour son père. Ils sont restés brouillés pendant trois ans. Quand cette histoire commence, Reckless vient d'enterrer son paternel, avec lequel il a eu le temps de se rabibocher (ou du moins, l'espère-t-il, même s'il est incapable de ressentir cette émotion). Il a changé de vie, après le Bureau, mais pour échouer comme Richard Fuller dans une impasse.

Puis le récit bascule. La romance avec Linh Tran, joliment mise en scène, percute de plein fouet le destin le plus inattendu : elle aperçoit sa demi-soeur à l'arrière-plan d'un film. Reckless se met en tête de savoir où elle est passée, même si ça fait huit ans que Linh n'a plus de nouvelles. Bien entendu, tout cela ne se terminera pas bien.

Dans sa série Fatale, déjà, Brubaker s'inspirait des cultes satanistes qui ont marqué de leur empreinte les années 60-70, particulièrement après les meurtres commis par la "famille" Manson. Tout cela a sonné le glas de la vague hippie baba cool alors que la guerre au Vietnam devenait un bourbier pour les Etats-Unis jusqu'au scandale du Watergate qui eût le peau de Nixon. La fin de l'âge de l'innocence en somme.

On retrouve cette inspiration dans cette intrigue, bien tortueuse et glauque. Brubaker noue tout cela avec habileté, bien plus que dans le tome suivant. Les investigations de Reckless sont à la fois méandreuses et faciles à suivre. On plonge dans quelque chose de profondément sordide, triste, et en même temps le scénariste fait toujours en sorte qu'on en sache autant que son héros. On progresse à son rythme.

Mais ce qui fait la différence ici, comme je le disais plus haut, c'est que cette affaire prend une tournure plus personnelle pour Reckless. D'abord parce qu'il enquête sur la soeur de Linh, avec qui il sort, couche et pour qui il ressent ce qui ressemble à de l'amour. Ensuite parce que, après le dossier Richard Fuller, il va être à nouveau question de quelqu'un qui a fui en espérant refaire sa vie, sans succès.

Cette répétition dans le motif des enquêtes atteint Reckless, qui éprouve, cette fois nettement, une forme d'angoisse croissante, car il sait (nous savons) que cela va mal se finir. Et même que toute l'enquête est déjà bouclée depuis longtemps. Mais qu'elle continue d'être dangereuse. D'ailleurs, Reckless va manquer y laisser sa vie.

Sean Phillips a toujours travaillé vite, mais la cadence imposée pour les aventures de Reckless constitue encore un autre challenge. Il ne s'agit pas de produire vingt pages par mois, mais 120 par trimestre. Forcément le résultat s'en ressent : des proportions maladroites, un encrage moyen, un découpage qui pare au plus pressé...

Ce n'est pas très beau. Sauf quand Phillips se fend régulièrement de pleines pages, superbes (raison pour laquelle je les ai privilégiées pour illustrer cette critique). Et dans les scènes nocturnes qu'il maîtrise à la perfection, avec sa science des à-plats noirs. Qu'il s'agisse de Reckless poursuivi par trois skinheads sur une plage ou de Reckless dans la salle du El Ricardo, seul ou avec Linh, on a droit alors à de magnifiques vignettes, à l'ambiance crépusculaire ou romantique.

Vous l'aurez compris, c'est un tome très abouti. Parce que le héros ne fait pas que résoudre une affaire comme les autres. Mais aussi parce que Brubaker puise dans sa propre histoire pour alimenter cette intrigue et la nourrit aussi de faits historiques précis (comme l'arrivée de migrants vietnamiens en Amérique). Cela forme un opus remarquable, captivant et poignant. Une réussite.

vendredi 11 juillet 2025

JENNY SPARKS (Tom King / Jeff Spokes)


JENNY SPARKS
(Jenny Sparks #1-7)


Captain Atom tue un vieil homme tranquillement assis dans un parc en train de nourrir des pigeons. Il s'en prend ensuite à un camionneur. La situation alerte Batman qui fait appel à Jenny Sparks. Cependant, cinq personnes se retrouvent par hasard dans le même bar : Davey (le barman), Dani (une magistrate), le Dr. Bowles (un psychiatre), Sam (un agent artistique) et Erica (une enseignante).


Captain Atom entre dans ce bar à son tour et y retient en otage ces cinq individus. Il vient d'affronter Jenny Sparks en ville et l'a tué. Celle-ci se réveille à la morgue où Batman est venu l'identifier. Mise au courant des dernières évolutions de l'affaire, elle se charge de négocier avec Captain Atom la libération des cinq otages en fonction de ses exigences.


Mais Jenny va devoir composer avec des revendications peu banales : Captain Atom réclame d'être désormais considéré comme Dieu. Ses pouvoirs, immenses, ont raison de la Justice League qui, impatiente, tente de régler ce problème par la force puis la ruse. Jenny est désormais seule face à Nathaniel Adam qui, pour prouver qu'il est un être divin, accomplit un miracle en guérissant le cancer qui ronge le Dr. Bowles...


Jenny Sparks est une mini-série en sept épisodes (bien qu'elle fut d'abord annoncée en six), publiée un peu avant Black Canary : Best of The Best (dont j'ai déjà parlée). Comme tous les titres écrits par Tom King sous le DC Black Label, il retient l'attention, à plus forte raison quand il s'approprie un des personnages emblématiques du défunt label Wildstorm.


La démarche cependant n'étonnera pas grand-monde dans la mesure où King s'est fait une spécialité de revisiter, dans cette collection hors continuité, des figures de second plan de l'univers DC (Adam Strange, Mister Miracle, Human Target...). Mais ici, il s'attaque quand même à un plus gros morceau, un peu comme quand il prolongeait Watchmen avec Rorschach.


Jenny Sparks est une création de Warren Ellis : apparue d'abord dans les pages de la série Stormwatch, elle est surtout devenue célèbre en devenant le leader de The Authority, qui fut le titre qui révolutionna entre la fin des années 90 et le début des années 2000 les super héros par son ton plus insolent et son sens du grand spectacle (merci Bryan Hitch).


The Authority était comme l'extension organique de Jenny Sparks : une équipe de surhommes radicaux qui affrontait des menaces cataclysmiques et prenait carrément le contrôle du monde quand elle jugeait que ses dirigeants politiques n'assuraient plus (surtout dans le run de Mark Millar, qui suivit celui de Ellis).

Jenny Sparks s'inscrivait dans un plan plus ambitieux d'Ellis puisqu'elle faisait partie des Century Babies, des êtres nés le 1er Janvier 1900 et condamnés à s'éteindre le 31 Décembre 1999. Comme Elijah Snow dans Planetary, l'autre titre phare d'Ellis (avec John Cassaday). Jenny Sparks était l'esprit du XXème siècle et son pouvoir résidait dans le contrôle de l'électricité.

Par la suite, quand d'autres auteurs prirent The Auhtority en main, ils inventèrent sa successeur, Jenny Quantum, et même plus récemment Jenny Crisis (dans Outsiders par Jackson Lanzing et Collin Kelly). Quelle interprétation allait en donner Tom King, un scénariste particulièrement inspiré par les femmes fortes (même s'il s'est complètement planté avec Black Canary) ?

Cette mini-série en contient en vérité deux. Il y en a une que j'ai beaucoup aimé et qui, à mon avis, aurait amplement suffi, même si elle n'aurait certainement pas suffi à remplir sept épisodes (mais plutôt trois, voire quatre, avec une pagination peut-être plus conséquente). Et il y en a une autre qui est laborieuse, pénible, où King donne l'impression de se perdre en route.

Commençons donc par la plus désagréable. Il s'agit de la confrontation entre Jenny Sparks et Captain Atom. L'idée de départ n'est pas mauvaise en soi : il s'agit d'examiner deux reliquats du XXème siècle, son esprit et sa fin. Jenny Sparks et Nathaniel Adam. Ce dernier a inspiré le Dr. Manhattan de Watchmen avec ses pouvoirs quasi-divins et King file la métaphore très laborieusement.

A tel point qu'il fait de Captain Atom exactement la même chose que ce que Alan Moore a écrit pour Dr. Manhattan : un homme investi d'une telle puissance qu'il en oublie son humanité, considère les hommes comme des tas d'atomes agrégés. Mais à la différence de Manhattan, il réclame d'être considéré comme Dieu.

Toute cette partie du récit est quasiment un huis clos : Captain Atom est entré dans un bar où se trouvent cinq individus qu'il va séquestrer en attendant qu'on accède à ses revendications. Sauf que Jenny Sparks n'est pas une négociatrice : elle le provoque sans arrêt, se joue de lui. Il se joue d'elle aussi. Et c'est ainsi jusqu'à ce qu'un des deux révèle sa faille et que celle-ci permette le dénouement de l'affaire.

Le souci, c'est qu'on se fait royalement chier en lisant cela : c'est affreusement long, verbeux, pompeux même. Et le pire, c'est que c'est pour ne pas dire grand-chose d'intéressant. On cite Virginia Woolf à la fin, son suicide, les raisons supposées de celui-ci, pour nous expliquer que "la seule chose qu'on peut changer, c'est soi-même". On croirait un aphorisme pioché dans un ouvrage new age sur le développement personnel.

Ce que King assène avec une naïveté aussi confondante, pour ne pas dire une mièvrerie aussi horripilante, c'est tout l'inverse de ce qu'il arrivait à suggérer si adroitement dans Mister Miracle (sur la dépression et la paternité) ou Strange Adventures (sur le mensonge et la compromission). C'est comme si, à force de vouloir prouver sa connaissance de la psyché des super-héros, il avait oublié cette fois la subtilité.

Puis il y a l'autre partie du récit, autrement plus convaincante, passionnante, même si non dépourvue de défauts. Jenny Sparks est donc morte le 31 Décembre 1999 et pourtant elle revient à elle le 11 Septembre 2001, lors des attentats tristement célèbres commis à New York. King n'explicite pas ce réveil, tout juste suggère-t-il qu'il a lieu parce qu'une crise va ébranler le XXIème siècle.

Plutôt que traiter Jenny Sparks comme l'esprit du XXème (comme il le répète ad nauseam dans l'autre partie) et de mettre en parallèle le destin de cette femme avec Nathaniel Adam/Captain Atom, création inspirée par la bombe atomique et la S.-F., il va travailler le décalage entre elle et notre époque à travers différents événements marquants.

Après donc s'être réveillé le 11 Septembre 2001, on retrouve Jenny en Irak en 2004 en pleine guerre pour une conversation piquante avec Superman sur l'interventionnisme, le droit d'ingérence. Puis en 2011, lors de l'annonce de la mort de Ben Laden. Puis en 2016 quand Bruce Wayne (sous le déguisement de Matches Malone) et Clark Kent l'aborde pour lui confier une mission bien particulière.

Là, il faut faire une pause parce que, à mon avis, King passe à côté d'une formidable série. Wayne et Kent demandent à Jenny de devenir en quelque sorte la watchwoman des super héros DC, l'Autorité régulatrice, la surveillante en chef. Et je pense que si King avait développé ça, il aurait tenu quelque chose de bien plus passionnant. 

Il aurait pu garder la confrontation avec Captain Atom mais en en faisant un épisode (ou deux) au lieu de le faire courir sur sept. Et la suite vient confirmer, selon moi, cette hypothèse car, en 2020, Jenny, comme tout le monde, traverse la pandémie de Covid. Peut-elle l'attraper ? Elle l'ignore. Tout comme Superman qui tente de la raisonner quand elle peste contre le fait qu'aucun super héros n'ait trouvé de remède.

Un moment exceptionnel qui place les méta humains dans une situation que tout le monde a enduré mais qui révèle une faiblesse réaliste : finalement, tout surhomme qu'ils soient, ils ne peuvent guérir le cancer, le sida, ou le covid. Même un alien quasi invulnérable comme Superman ignore s'il peut tomber malade ou transmettre le virus.

Ces scènes qui reviennent sur le premier quart du XXIème siècle sont d'une pertinence et d'une malice exemplaires. C'est terriblement dommage que King ne s'en soit pas contenté car il les écrit formidablement bien et cela aurait suffi à faire une mini, certes plus courte, mais aussi meilleure, plus troublante, plus intense. C'est ce qui s'appelle littéralement passer à côté de son sujet.

Les dessins de Jeff Spokes m'ont laissé aussi dubitatif : il abuse franchement des effets copier-coller pour bien souligner les transformations de Captain Atom, dont le désordre mental s'illustre par d'incessants changements d'accoutrements (soit il est nu comme un ver, soit en treillis militaire, soit en smoking, soit en ayant l'apparence métallisée de Captain Atom).

Parfois, cet effet répétitif fonctionne très bien, mais le plus souvent on a l'impression d'un artiste qui s'est contenté de jouer avec sa palette graphique et oublie tout art séquentiel. C'est d'autant plus pénible que King est, on le sait, friand de ce genre de découpage, avec des "gaufriers", des répétitions de plans, etc. Et Spokes en rajoute jusqu'à l'écoeurement.

Pourtant, quand il consent à laisser respirer sa narration, à raconter vraiment en images l'histoire, à animer ses personnages, Spokes montre qu'il en a sous le capot et qu'il permet aux protagonistes d'exister, d'avoir de l'épaisseur, des interactions bien senties. Le passage en 2020, durant la pandémie, est à ce titre impeccable.

Jenny Sparks est sorti aujourd'hui chez Urban Comics (sachez quand même que l'album coûte 22,50 Euros contre 19,99 $ en tpb vo, sorti fin Mai). C'est un drôle de bouquin, à moitié réussi, que j'hésite quand même à conseiller, surtout si Tom King ne vous tente pas plus que ça, et même si vous êtes nostalgique de cette héroïne. Mais, quoi qu'il en soit, son défaut est aussi sa qualité : c'est un livre clivant.

FML #5 (of 8) (Kelly Sue DeConnick / David Lopez)


Amy vient juste d'avouer qu'elle aurait pu tuer Kat quand elle a découvert qu'elle était toxicomane. Ce qui provoque la colère de Patricia qui la met à la porte. Riley retient Amy et Susan prend les choses en main pour que Patricia retourne travailler dans le calme. Mais à son réveil, elle découvre que ses amies, son mari, ses enfants et leurs camarades ont décidé de reprendre l'enquête...


Voilà une autre série dont on n'avait plus de nouvelles depuis Février dernier, sans davantage d'explication de la part de Dark Horse (comme The Magic Order). Je me doute bien que je dois être un des rares lecteurs à qui ce titre a manqué mais j'espère que son retour dans les bacs sera remarqué par ses fans - et que, si d'aventure un éditeur français s'y intéresse, ça le motivera pour le traduire.


FML, c'est, pour rappel, certainement a mini-série la plus foutraque actuellement : l'histoire de Riley, un ado qui joue dans un groupe de hard rock et qui, une nuit, participe à une sorte de messe noire avec ses potes pour se réveiller le lendemain transformé en monstre... Sans que ça ne surprenne personne ! Sa mère, Patricia, est une auteur de BD qui enquête sur la mort d'une de ses amies, Kat.


Dans les derniers épisodes, on a assisté à un twist narratif : le suspect n°1 du meurtre de Kat, le romancier Cort Sumner, a été retrouvé mort par Riley et sa bande dans la forêt où ils ont pratiqué leur cérémonie magique. Et il a été prouvé qu'il n'était pas l'assassin de Kat. En revanche, Amy, une autre des amies de Patricia et de la défunte, a presque avoué qu'elle aurait pu la tuer car elle était toxico.
 

Nous voici rendus au début de ce cinquième épisode. Qui commence donc par une engueulade entre Amy et Patricia. La suite, hé bien, si elle est toujours loufoque, révèle un vraie progression dramatique. Kelly Sue DeConnick aurait-elle suspendu à dessein sa mini-série à mi-parcours pour que le lecteur entame cet acte 2 avec un regard neuf ? Ce n'est pas impossible (sans parler de l'opportunité pour David Lopez d'avoir du temps pour s'avancer dans les dessins des prochains épisodes).

En tout cas, c'est un exemple réussi de ce qu'un hiatus éditorial peut avoir de positif sur l'appréciation d'une histoire. Cort Sumner mort mais disculpé, qui a tué Kat ? Et par ailleurs que va-t-il advenir de Riley ? Va-t-il rester un monstre ? Et son groupe de musique ? On l'a quitté alors qu'il était sur le point de participer au Heavy Fest, mais la moitié de la bande s'y refusait car l'organisateur les voulait uniquement pour la publicité liée à l'affaire de meurtre à laquelle ils sont mêlés.

Kelly Sue DeConnick oriente en tout cas le lecteur dans une direction évidente et pointe nettement un suspect. Je ne vais évidemment pas spoiler (même si, donc, ça n'intéresserait pas grand-monde), mais ce qui est intéressant, c'est que si le lecteur est au courant, les protagonistes, eux, l'ignorent, d'autant plus qu'il s'agit d'un personnage fondu dans la masse.

Au dessin, David Lopez s'éclate sur ce titre et ose même des choses remarquables au niveau du découpage. J'en veux pour preuve cette double page (la première image d'illustration de cette critique, après la couverture) que je trouve incroyablement stylée, digne de ce qu'un JH Williams III pourrait tenter.

Mais surtout la qualité de Lopez dans ce projet, c'est qu'il ne se permet que ce genre d'audaces quand le récit lève le pied sur le loufoque ou sur le mystère. Il n'y a rien de pire (en dehors d'un dessinateur qui a des lacunes aveuglantes techniquement) qu'un dessinateur qui se croit obliger de rappeler qu'il existe avec des effets tape-à-l'oeil et qui ne font que parasiter le flux de lecture.

Lopez évite ça : il embrasse la singularité du récit, lui ajoute une petite couche de temps à autre, mais toujours opportunément, et le reste du temps, il s'évertue surtout à ce que tout reste lisible. Ses personnages expressifs, la valeur de ses plans toujours impeccables, ses cadrages parfaits, ne viennent pas encombrer le script.

FML est un véritable ovni. Il faut accepter de jouer le jeu, qui est franchement barré, mais c'est tellement rafraîchissant que ce serait dommage de s'en priver.

THE MAGIC ORDER 6 #6 (of 6) (Mark Millar / Matteo Buffagni)


Simon Mott va-t-il réussir à livrer la Terre aux Seigneurs Noirs ? Cordelia Moonstone va-t-elle mourir en tentant de l'en empêcher ? Et qu'en sera-t-il de l'Ordre Magique au terme de cette bataille ?


Il a fallu s'armer de patience pour lire l'épilogue de ce dernier volume de The Magic Order puisque le précédent numéro datait de Février dernier. On peut légitimement s'interroger sur ce hiatus, d'autant que cet ultime épisode n'est même pas plus fortement paginé. Mark Millar achève sa saga, sans doute sa plus réussie, et voilà, rideau.


Même si le MillarWorld n'est pas mort (un nouveau volume de Nemesis est à paraître), il y a comme une ambiance de fin de règne. Millar finance son nouveau projet avec un crowdfunding sur Kickstarter( Psychic Sam, dessiné par John Romita Jr.) et aucun autre nouveau projet n'est annoncé. Jupiter's Legacy s'est terminé dans l'indifférence générale, et maintenant The Magic Order.


Comme ce dernier volume était sous-titré La Mort de Cordelia Moonstone, cela vient renforcer ce sentiment qu'un chapitre se ferme dans la carrière de Millar alors que lui-même a évoqué la fin de son contrat avec Netflix (qui conservera l'intégralité des droits de son MillarWorld). Et le lecteur lui-même se sent un peu au bout du chemin aussi.


J'ai longtemps été un client de Millar mais je dois bien avouer que mon enthousiasme s'est émoussé. Le fait qu'il n'y aura certainement jamais de fin à Empress m'a déçu. Et ses derniers projets (The Ambassadors en particulier) ne m'ont pas comblé. Quand à Big Game, je pense qu'il s'agissait d'un coup d'éclat, un bouquet final.

Quant à The Magic Order, il était certainement temps que ça s'arrête. Cet arc s'est avéré moins percutant que prévu, l'auteur ayant déjà éliminé la majorité de son casting et épuisé pas mal d'intrigues. Néanmoins, je ne veux pas donner l'impression d'une déception : au contraire, c'est un bon final, peut-être moins éblouissant qu'espéré, mais tout à fait honorable.

Je ne peux hélas ! pas en dire trop sur son contenu sans spoiler. La question centrale est bien sûr de savoir si Millar tue vraiment Cordelia Moonstone comme il l'assure dans le sous-titre. Et je ne vais pas y répondre. Mais il faut reconnaître au scénariste une véritable habileté pour respecter sa promesse tout en lui donnant un relief intéressant qui ne laisse pas le lecteur sur une note déprimante.

L'essentiel du numéro consiste en un long affrontement entre ce qui subsiste de l'Ordre Magique (c'est-à-dire pas grand-chose) et Simon Mott, le gourou à la tête de la Communauté de la Cloche, ayant invoqué de sombres et anciennes créatures autrefois repoussées par l'Ordre. Et cette baston tient ses promesses en termes d'intensité et de baroque.

Bien entendu Clyde Bailey tient un rôle décisif dans cette bagarre et Millar s'arrange même pour inscrire le personnage dans une boucle temporelle, ayant fait de lui ce qu'il est en rencontrant sans le savoir Cordelia bien avant qu'ils ne se connaissent intimement. Face à lui, Samuel Mott a l'aspect d'une sorte de Bouddha maléfique et sûr de sa supériorité.

Pour traduire cela en images, Matteo Buffagni démontre une fois encore sa spectaculaire maîtrise. Il découpe ses planches d'une manière originale, utilisant majoritairement des cadres verticaux. On a alors la visualisation d'un combat qui oppose forces d'en bas et d'en haut, ombres et lumières, passé et futur. C'est très intelligemment trouvé.

Il faut vraiment espérer que le travail de Buffagni auprès de Millar aura tapé dans l'oeil des éditeurs car cet artiste mérite vraiment d'être davantage exploité. C'est un très grand talent, à la ponctualité méritoire, et pas un simple exécutant. Je n'espère plus grand-chose de Marvel (qui l'a laissé filer) mais si DC et ses recruteurs lisent The Magic Order, alors ils seraient bien inspirés de l'embaucher.

Voilà, donc, The Magic Order, c'est fini. Il y aura eu du très bon et du un peu moins bon, mais dans l'ensemble, c'est, à mon avis, ce que Millar a produit de plus abouti en creator-owned sur la durée, bien aidé par des dessinateurs de haut rang depuis le début. Une idée bienvenue serait de voir réunis en un Compendium les 36 épisodes de cette saga. Allô Dark Horse ?

jeudi 10 juillet 2025

SUPERMAN TREASURY 2025 : HERO FOR ALL (Dan Jurgens / Bruno Redondo, Dan Jurgens)


Lois Lane, Clark Kent, leur fils Jon et les grands-parents de ce dernier sont sur la toit du Daily Planet. Lois et Clark confient Jon aux Kent qui doivent quitter la ville sous la menace d'un robot géant qui la dévaste. Superman se lance à son assaut et s'en débarrasse rapidement. Lex Luthor retrouve Superman et Lois dans une ruelle et les informe qu'il a détecté un signal correspondant à l'arrivée de ce robot très loin de la Terre.


Superman va à la rencontre des agresseurs. A la Tour de Guet de la Justice League, Green Arrow et Black Canary sont obligés d'évacuer urgemment quand une armada menace de détruire le bâtiment. La Terre fait face à une attaque sans précédent contre laquelle ses plus puissants héros ne peuvent pas résister longtemps. A la tête de cette armée se trouve Maxima et le cyborg Superman : elle a été autrefois repoussée par Superman dont elle voulait un enfant et compte bien se venger en tuant d'abord Lois.


Batman évacue Lois pendant que Lex fait diversion. Cependant, Ma et Pa Kent font face aux soldats de Maxima qui veulent enlever Jon, mais Steel les empêche. A l'abri, Batman et Lois tentent de contacter Superman, introuvable depuis son combat contre le robot et dernier espoir de l'humanité...


Alors que le film Superman de James Gunn est sorti hier en France (j'ai hâte de le voir mais il n'est pas encore à l'affiche par chez moi), ce one-shot Superman Treasury 2025 : Hero for All s'inscrit dans le "Summer of Superman". Il se distingue par son format, très grand, et Urban Comics le traduira dès cet automne (pour un prix de 25 E... Contre 14,99 $ en vo !).


On doit le scénario à Dan Jurgens, un des scénaristes les plus fameux de Superman, qui signe également les dessins des pages 40 à 48. C'est d'ailleurs le point noir du projet pour moi : si le bonhomme est un auteur valable, en revanche je n'ai jamais apprécié son art et je trouve que la séquence qu'il illustre jure vraiment avec ce qui précède et suit.
 

Revenons au scénario proprement dit : ce qui étonne, et peut frustrer légitimement, c'est qu'une bonne partie de cette histoire censée célébrer Superman se passe sans lui. Certes, il y a des flashbacks avec Clark Kent enfant puis adulte, mais tout de même c'est curieux de faire sortir du cadre Superman aussi longtemps.


Jurgens le justifie dans la dernière ligne droit en expliquant pourquoi le man of steel est hors champ, mais le parti-pris me semble pour le moins maladroit, en tout cas déplacé pour un récit pareil où on attendait qu'il occupe le devant de la scène tout du long. Cela suffit-il à gâcher notre plaisir ? Non. Mais un peu quand même.

La Terre est la cible d'une attaque d'envergure perpétrée par Maxima, une vieille ennemie de Superman dont elle voulait un enfant mais qui a repoussée ses avances jadis. Ayant appris qu'entre temps il a eu fils avec une terrienne, Maxima décide donc de se passer les nerfs sur toute l'humanité, avec, à ses côtés, le cyborg Superman (création de... Jurgens) dont elle a fait son nouvel amant.

Problème donc : Superman, parti à la rencontre de ceux qui avaient envoyé en éclaireur un robot géant pour dévaster Metropolis ne répond plus aux appels qu'on lui lance. La Justice League voit sa Tour de Guer détruite et ses membres balayés par l'armée de Maxima - oui, je sais, ce n'est guère crédible, mais jouons le jeu pour cette fois.

Jurgens convoque donc une multitude de super héros tout en privilégiant le cercle rapproché de Kal-El : ses parents adoptifs, son fils, sa femme, mais aussi Batman, Wonder Woman. Les autres, dans leur grand nombre, ne font que de la figuration (même si le Limier Martien et le couple Green Arrow-Black Canary ont droit à des scènes plus consistantes mais tout de même très brèves).

Ce qui va intriguer le plus efficacement le lecteur dans le dispositif narratif de Jurgens, ce sont des flashbacks où le jeune Clark voit Pa Kent mourir, puis arrivé à Metropolis être pistonné par Lex Luthor pour intégrer le Daily Planet tandis que Lois Lane va épouser Lex et avoir deux enfants avec lui, et enfin Clark devenir le rédacteur en chef du Planet.

Evidemment il y a un loup, mais on passe un bon moment à se demander à quoi joue le scénariste et c'est assez malin. Jurgens réemploie Glyanna (aperçu dans les back-up stories de Action Comics qu'il écrivit pour Lee Weeks il y a deux ans) et Jon Kent est encore le gamin adorable qu'il était avant que Brian Michael Bendis ne le fasse prématurément vieillir durant son run.

Maintenant, on ne va pas se le cacher, derrière ce récit classique, sans surprise, sans originalité, ce qu'on vient chercher et qu'on trouve, ce sont les dessins. Et là, par contre, impossible de faire la fine bouche puisque c'est Bruno Redondo qui est aux commandes. Et que dire, sinon que sa prestation justifie à elle seule l'achat de ce one-shot ?

J'ignore ce qu'il va dessiner dans les prochains mois, mais si Joshua Williamson le récupère sur la série Superman, j'en serai ravi. Evidemment, Redondo n'est pas un artiste capable d'enchaîner les arcs de cinq-six numéros, mais il est fait pour dessiner Superman. Son trait élégant, son découpage fluide et énergique à la fois, tout ici prouve qu'il est fait pour ce personnage.

Comme d'habitude, il est accompagné par le coloriste Adriano Lucas et sa palette de couleurs très vives (qui font beaucoup penser à ce que les bandes annonces du film de James Gunn ont montré), et cela sert à merveille l'incarnation du super héros positif, idéaliste, coriace qu'est Superman. C'est vraiment ainsi que je l'aime, que j'aime le voir dessiné.

Redondo tire parti au maximum de ce très grand format en soignant les décors, en composant chaque plan comme du cinémascope en comics, avec des angles de vue, des valeurs de plan qui soulignent la générosité de chaque image. Imaginez si on avait un artiste pareil chaque mois sur la série Superman, ce serait le kif absolu.

Hormis donc les huit pages dessinées par Jurgens, on a droit à un numéro oversized de 70 pages avec un Bruno Redondo au top, pour une histoire certes loin d'être aussi inspirée mais divertissante. J'ignore si DC a prévu d'autres Treasury comme celui-ci (sur Superman ou d'autres personnages), mais ça vaut son prix (et j'espère qu'Urban reviendra à la raison pour que les vf-istes en profitent).