mardi 8 avril 2025

VOID RIVALS, VOLUME 2 : HUNTED ACCROSS THE WASTELAND (Robert Kirkman / Lorenzo de Felici)


VOID RIVALS, VOLUME 2 : HUNTED ACCROSS THE WASTELAND
(Void Rivals #7-12)


Livré par Solila aux Zertoniens, torturé, et enfin sauvé par les Unificateurs, des résistants opposés au pouvoir en place sur Zertonia, Darak retrouve Solila. Zalilak, le dirigeant de la planète, l'avait également faite emprisonner en comprenant qu'elle avait compris que la guerre contre Agorra dissimulait un sombre secret.


Darak et Solila acceptent de livrer aux résistants d'Agorra des informations précieuses sur la situation et s'enfuient dans l'Interzone, une sorte de friche balayée par des tempêtes et qui relie les deux planètes. Zalilak envoie à leurs trousses son meilleur chasseur, Proximus, qui ne tarde pas à rejoindre les fugitifs. Un combat violent s'ensuit au terme duquel Proximus est écarté par les vents et Solila est blessée.


Dix ans auparavant, Darak a travaillé dans l'Interzone et il transporte Solila jusqu'à une base désaffectée. Là, il trouve Springer, un Autobot, qui, après avoir à son tour affronté Proximus, va révéler à Solila et Darak quelque secret crucial sur Zerta...


Ce deuxième tome de Void Rivals est le dernier paru à ce jour. Le prochain collectera les épisodes 13 à 18 et sortira fin Mai en vo. Nous atteignons donc ici la fin de la première année d'existence de la série, qui a été un succès critique et commercial, comme le reste de la gamme Energon Universe. Opération réussie pour Robert Kirkman et ses amis auteurs.


Avec son label Skybound, Kirkman est un scénariste star certes, mais surtout puissant, à la tête de séries à succès et qui a su négocier des franchises lucratives. Mais sa fidélité à Image vient aussi du fait qu'il en est devenu un des cadres (il est juste derrière le PDG dans l'organigramme) et un de ses cinq fondateurs encore présents.


En d'autres termes, personne ne lui dicte ce qu'il peut faire : il a son pré carré et de hautes responsabilités, et ses succès le mettent à l'abri. Si on rapporte ça à son Energon Universe, il occupe à la fois une place centrale mais également en marge : centrale parce qu'il est à l'origine de tout ce projet et en marge parce que Void Rivals en fait partie de manière décalée.

En effet, si on lit G.I. Joe, les allusions à l'Energon (qui est une source d'énergie extraterrestre) sont multiples. Si on lit Transformers, c'est encore plus appuyé, m'a-t-on dit (l'Energon est le carburant des Autobots et des Decepticons). Dans Void Rivals, l'Energon est encore, à ce stade de l'histoire, un élément périphérique, un terme mystérieux, peu mentionné.

Mais dans ces six nouveaux épisodes, Kirkman va se charger de rendre ça plus prégnant. Passé une première partie qui voit Darak séparé de Solila puis acter leur réunion dans des circonstances qui rebattent complétement les cartes de leur relation et de leur aventure, à partir du 9ème épisode, les choses vont changer.

On avait aperçu un Autobot, Jetfire, dans le premier épisode de la série, mais là, les deux héros en cavale vont interagir plus conséquemment avec un autre Autobot, Springer. La liaison avec Transformers est alors totale, les robots font désormais partie de la série, même si le couple Darak-Solila en reste le coeur.

Avec Springer, le lecteur et les héros en apprennent davantage sur Zerta, cette espèce de divinité qui a transmis une vision à Darak et en laquelle croit Solila, dont elle fait son agent. On apprend aussi que Solila fait partie d'une espèce de culte, sous l'autorité de la Maîtresse Vill, agissant comme un deuxième pouvoir sur Zertonia, et qui entretient cette croyance en Zerta.

Mais surtout, Springer va révéler que Zerta a été une Autobot partie, lors de la guerre civile entre Cybertrons (Autobots et Decepticons), à la recherche de l'Energon et qu'il se trouve donc dans l'Anneau Sacré que se dispute Zertoniens et Agorriens. Tout est lié, et depuis des années. L'Energon est littéralement le nerf de la (des) guerre(s) (tout comme dans G.I. Joe et Transformers donc).

Kirkman garde encore quelques cartouches (par exemple sur la complicité de Zalilak et Dilun, des ennemis sur le papier, des complices en réalité ; et pourquoi Zalilak accepte d'affamer son peuple). Mais la série a fait un bond de géant dans cet arc. Sans oublier la suite des (més)aventures de Skuxxoid, toujours en train d'accepter des contrats dans des conditions de plus en plus risquées...

Tout ça, c'est désormais certain va finir par aboutir à un grand tout, une histoire globale et on sait déjà que Void Rivals ira au-delà de 24 numéros (puisque le Volume 4, qui sortira en Décembre, englobera les épisodes 19 à 24). La série est partie pour durer davantage que Oblivion Song (36 #), mais sans dépasser The Walking Dead (193#) ou Invincible (144#) - Kirkman ne voulant plus faire d'aussi longs runs.

Lorenzo de Felici est très en forme, il est même plus convaincant ici que sur le premier tome. Il a pris ses marques et le lecteur aussi, qui s'est habitué à son style. Les épisodes lui permettent de briller par son sens du découpage sur de nombreuses scènes d'action, très intenses - je pense au combat Proximus vs Darak et Solila, mais aussi quand Springer entre en scène.

De Felici tire avantage des décors très épurés de ces nouveaux chapitres qu'il compense en rendant magnifiquement compte des conditions climatiques extrêmes qui règnent dans l'Interzone. Ses cases sont de dimensions très généreuses, avec des compositions dramatiques très efficaces. C'est l'école italienne à son meilleur, avec une narration qui va vite, à l'essentiel.

Le langage corporel des acteurs est brillamment représenté et donne une expressivité rare aux scènes. Là encore, le fait que les deux héros aient souvent le visage masqué ne pose pas de problème : on ressent ce qu'ils endurent par la maîtrise de l'artiste à exprimer cela autrement que par les visages. C'est très fort.

Par ailleurs, quand Springer apparaît, la différence de taille entre ce robot géant et les protagonistes permet là encore à de Felici de varier les angles de vue, de travailler sur la profondeur de champ. Autant d'éléments que les couleurs de Patricio Delpeche (qui a succédé à Matheus Lopes) mettent parfaitement en valeur, sobrement mais avec beaucoup de nuances.

On appréciera enfin que Kirkman ne cède pas au cliché de la romance entre Darak et Solila, ce qui entraîne la série sur un terrain moins convenu. Void Rivals est décidément une bonne surprise. sans être jamais géniale ou révolutionnaire, c'est un récit prenant, divertissant, avec pas mal d'épaisseur. De quoi attendre la suite avec confiance et appétit.

VOID RIVALS, VOLUME 1 : MORE THAN MEETS THE EYES (Robert Kirkman / Lorenzo de Felici)


VOID RIVALS, VOLUME 1 : MORE THAN MEETS THE EYES
(Void Rivals #1-6)


Darak, le meilleur pilote de chasse de l'armée argonienne, se crashe sur une planète déserte. Il y trouve Solila, une guerrière zertonienne. Les deux peuples dont ils font partie se livrent une guerre de longue date autour de l'Anneau Sacrée au coeur duquel se trouve un trou noir. Mais, échoués à des lieues de la bataille, ils conviennent d'une trêve pour réparer le vaisseau de Darak.


Malheureusement, malgré leurs efforts, l'engin explose. Solila explore les alentours et y découvre un robot immense qui se réveille. Il se demande depuis combien de temps il s'est endormi et repart sans emmener les deux naufragés. Darak et Solila ôtent leurs casques après s'être assurés grâce à la main cybernétique de Darak que l'atmosphère était respirables...


... Et ils se rendent compte  que, malgré tout ce qu'on leur a racontés, ils sont semblables. Seule la pierre sur leur front n'a pas la même forme. Darak confie à Solila qu'il a eu la vision de cette scène et elle pense que la déesse Zerta la lui a communiqué. Cela suggère que leurs dirigeants leur ont mentis et que la guerre dissimule une machination sinistre.


Darak et Solila réparent alors le vaisseau de cette dernière mais ils sont abordés par le chasseur de primes Skuxxoid. Il les relâche en leur prêtant un aéronef à condition qu'ils lui laissent le leur. Alors qu'ils atteignent l'Anneau Sacré et qu'ils s'apprêtent à rejoindre leur planète respective à bord de capsule de secours, Solila trahit Darak en l'assommant et en le livrant aux siens...


Flashback : quand le n°1 de Void Rivals paraît en Juin 2023, je l'achète et je suis étonnamment séduit par le début de cette histoire de naufragés sur une planète déserte. Cela me rappelle le film Duel dans le Pacifique de John Boorman (1968). Je décide alors de poursuivre l'aventure, au moins pour un arc. Et ce, alors que je ne suis pas fan de Robert Kirkman.


Les mois passent et mon intérêt s'émousse. J'arrête les frais avant la fin de l'arc, trouvant que l'histoire ne décolle pas, et trop pris par d'autres séries. Presque deux ans plus tard, je me replonge dans ces floppies et, curieusement, cette fois, j'accroche jusqu'à la fin du sixième épisode. Je suis captivé par ce récit. Tant et si bien que je décide d'acheter le trade paperpack et les suivants parus depuis.

J'ai une petite théorie sur le bon moment pour lire une série. Cette théorie, je l'ai éprouvée à maintes reprises en n'aimant pas spécialement certains titres que j'ai relus plus tard en les appréciant vraiment. Il existe des rendez-vous manqués, non pas en raison de la qualité des oeuvres mais parce qu'on n'était pas dans les bonnes dispositions pour les apprécier. Void Rivals en fait partie.

Je ne suis pas client de ce qu'écrit Kirkman : je n'ai jamais lu The Walking Dead (les zombies ? bof.), j'ai pas accroché à Invincible, et je conseille Fire Power uniquement en albums (et surtout pour Chris Samnee). Par contre, j'ai beaucoup aimé Oblivion Song, notamment grâce au dessin de Lorenzo de Felici, qui est aussi l'artiste de Void Rivals.

En vérité, je crois que Kirkman est l'archétype de l'auteur qu'il faut lire en recueil. Ce qui m'avait fait abandonner cette série il y a deux ans, c'est principalement le fait que sa narration était très décompressée et supportait mal le rythme mensuel. Mais quand on lit les arcs d'une traite, ça passe crème.

On savoure alors la caractérisation, les péripéties, les subplots, les questions auxquelles Kirkman met du temps à répondre. Lire Void Rivals en floppies, c'est tout bonnement trop frustrant, trop lent. Ce qui se joue entre Darak, fils d'un ministre de la riche Argorra, et Solila, guerrière de la pauvre Zertonia, devient passionnant quand c'est inscrit dans une perspective.

Kirkman joue beaucoup, parfois trop, sur un certain flou : il met du temps à éclairer les situations, semble plus enclin à précipiter ses héros dans des embrouilles, à créer des coups de théâtre, qu'à construire une intrigue limpide. C'est flagrant avec le personnage de Skuxxoid, ce chasseur de primes, qui cherche à refourguer un prisonnier puis le vaisseau de Solila reparé avec des pièces de celui de Darak.

On retrouve à intervalles réguliers ce mercenaire sans bien savoir où l'auteur veut en venir avec lui, sinon pour en brosser le portrait d'un gredin, un peu stupide. Puis, progressivement, au-delà de ce premier tome, on commence à saisir la raison d'être de ce subplot, en lien avec les Transformers, le secret de l'Anneau Secret, la guerre entre Agorra et Zertonia...

Void Rivals s'inscrit en effet dans l'Energon Universe, une gamme de séries connectées depuis que Kirkman a acquis les droits d'adaptation en comics des jouets Hasbro, avec donc Transformers (qu'écrit Daniel Warren Johnson) et G.I. Joe (qu'écrit Joshua Williamson). Les Transformers sont au centre de ce système d'univers partagé.

Si, pour l'instant, j'ai pu me passer de lire Transformers, c'est parce que leur présence reste secondaire, un peu comme dans G.I. Joe. J'espère que ça va rester ainsi. D'autant que le cadre de Void Rivals est suffisamment riche : j'ai arrêté mon résumé avant d'en dire trop (même si j'en dirai forcément plus par la suite), mais on en apprend de plus en plus, en même temps que les deux héros.

Lorenzo de Felici a adopté un style plus nerveux que pour Oblivion Song et sa mini Kroma (cette dernière, contrairement aux séries Energon disponibles chez Urban Comics, ayant été traduite par Delcourt). D'aucuns ont trouvé le résultat décevant, voire bâclé. Ce n'est pas totalement faux quand on sait ce dont est capable cet artiste.

Mais ça reste injuste et sévère. En fait, de Felici semble surtout avoir voulu un graphisme adapté au genre de cette série : on évolue dans le registre de la science-fiction, du space opera, et l'action est spectaculaire. Ses designs sont à la fois simples, facilement mémorables, et denses, avec des identités visuelles fortes.

Surtout, la majeure partie du temps, Darak et Solila apparaissent casqués. Le dessinateur ne peut donc pas s'appuyer sur leur expressivité faciale et reporte ses efforts sur leur attitude, leur gestuelle, la composition des plans, leur déplacement dans les décors, la variété des compositions, des angles de vue, la valeur des plans.

Cette simplification n'est donc pas de la paresse, mais plutôt un moyen pour Lorenzo de Felici d'aller à l'essentiel. L'imagerie du space opera a été tellement exploitée qu'il est difficile d'être original. De ce point de vue, l'artiste ne cherche pas à innover, préférant se concentrer sur sa narration et servir le récit. Et c'est ce qui fait l'autre réussite de Void Rivals.

Les couleurs de ces six premiers épisodes sont assurés par l'excellent Matheus Lopes, mais il quittera le titre après ce premier volume, cédant sa place à Patricio Delpeche (sans que cela ne nuise à la cohérence du titre).

Je vous parle vite de la suite. So... Stay tuned !

lundi 7 avril 2025

FIRE AND ICE : WELCOME TO SMALLVILLE (Joanne Starer / Natacha Bustos)


Fire (Beatriz da Costa) et Ice (Tora Olafsdotter) sont envoyées à Smallville par Superman à la suite d'une de leurs interventions qui a tourné au désastre (par la faute de Guy Gardner, l'ex de Ice). Pour Ice, ce séjour à la campagne est une joie car elle aspire à une vie plus calme et songe même à arrêter sa carrière de super-héroïne.


Pour Fire, en revanche, rester dans ce patelin est un cauchemar car elle souhaite être reconnue pour ses mérites de justicière. Afin de s'insérer dans ce cadre, elles gèrent un salon de coiffure avec Tamarind, une styliste, et le soutien de Martha Kent. Ice se fait une amie de Rocky, une serveuse, tandis que Fire est draguée par Charlie, le frère paraplégique de Rocky.


Fire décide d'attirer des super-vilains de troisième zone à Smallville dans le cadre d'un stage de réhabilitation payé par la monétisation de ses vidéos sur les réseaux sociaux. Lorsque Ice l'apprend, elle est furieuse mais aussi embarrassée quand Jimmy Olsen vient pour en tirer un reportage à sensations. L'expérience ne tarde pas à virer à la débâcle quand Lobo, attiré par l'argent que pourrait lui rapporter la capture de ces malfrats, surgit.


Et c'est sans compter sur un masque maléfique provenant d'une île maudite autrefois visitée par les deux héroïnes (et la Justice League International) et la présence dans les parages d'un vieil ennemi de Ice...


Reconnaissons-le, les comics vraiment drôles (et pas involontairement) ne courent pas les rues. On peut rire aux éclats en relisant Justice League International ou Nextwave. Maintenant, on pourra aussi se fendre la poire en lisant Fire and Ice : Welcome to Smallville, publiée en 2024 par DC Comics, et fruit des efforts de la scénariste Joanne Starer et de l'artiste Natacha Bustos.
 

Pourtant, cette mini-série en six épisodes n'aurait certainement jamais vu le jour sans le coup de main de Tom King et Greg Smallwood, qui ont remis sous le feu des projecteurs Beatriz da Costa et Tora Olafsdotter dans leur reprise de The Human Target. Même si les deux histoires n'ont rien à voir, Smallwood s'est quand même fendu d'une superbe variant cover pour l'épisode 2 quand Kevin Maguire en produite une pour le premier chapitre (je les ai ajoutées à cette critique en fin d'article).


Joanne Starer a démarré son récit dans un n° spécial Power Girl mais vous n'avez pas besoin de l'avoir lu pour comprendre ce qui se passe ici. Tout est présenté, rapidement et clairement : Superman s'est interposé lors d'une énième dispute entre Fire et Guy Gardner après que Ice ait tenté de les calmer. Pour qu'elles réfléchissent à leurs actes, ils les envoient à Smallville.

Après avoir été hébergées par Martha Kent, elles louent un ancien salon de coiffure où elles embauchent Tamarind, une employée renvoyée suite à la fermeture de l'endroit. Ice est ravie car ce retour à la normale lui permet de souffler et d'envisager paisiblement à sa reconversion, lasse de la vie de super-héroïne et de ses drames incessants.

En revanche, Fire accepte mal ce qu'elle estime être une punition imméritée. Pour prouver qu'elle est une justicière digne de ce nom, elle entreprend d'attirer des super-vilains pour les affronter, sans se soucier du danger qu'elle fait courir aux civils. Rappelée à l'ordre, elle ruse : elle va encadrer la réhabilitation de malfrats grâce à l'argent de vidéos qu'elle poste sur les réseaux sociaux.

Evidemment, rien ne va se dérouler comme prévu : Lobo le mercenaire czarnien, se pointe pour arrêter les vilains et toucher la prime sur leur tête ; Ice se désole de tout ça et trouve du réconfort auprès de Rocky, une serveuse ; et Crave, un ancien ennemi de Tora, rôde dans les parages...

Le scénario de Joanne Starer fonctionne très bien durant les 3/4 de la mini série, mais l'auteur semble un peu débordée par le nombre d'obstacles qu'elle a dressés sur la route de ses deux héroïnes vers la fin, d'où un dénouement un peu expéditif. Mais avant cela, Fire and Ice : Welcome to Smallville est un pur bonheur et une franche rigolade.

La force du script tient en effet moins dans son intrigue que dans sa galerie de personnages que Starer adore faire interagir avec un humour vache. La présence aux côtés de Fire et Ice du robot L-Ron et de la styliste Tamarind fournit autant d'occasions de moquer l'égocentrisme de Beatriz da Costa ou les lamentations de Tara Olfsdotter.

Les dialogues sont particulièrement savoureux et fusent de toutes parts. On peut trouver ça un brin bavard, mais il me paraît difficile d'y résister. Starer a le sens de la répartie et se moque joyeusement des réseaux sociaux, du culte de l'apparence, mais aussi des sentiments trop idéalistes de Ice ou de la soif immodérée de reconnaissance de Fire.

Surtout, la scénariste parvient à pimenter chaque épisode d'éléments judicieusement exploités : je pense en particulier bien sûr à la visite de Jimmy Olsen, dont les transformations passées alimentent les échanges surréalistes, ou encore de Lobo, qui sème une joyeuse bien que brève pagaille (oui, parce que jusque-là c'était trop calme...).

Tous ces aspects farfelus bénéficient du graphisme de Natacha Bustos. La dessinatrice espagnole, qui a été révélée par son run sur Moon Girl and Devil Dinosaur (une revisite délicieuse de créations de Jack Kirby, lancée en 2015), fait feu de tout bois avec cette histoire en or, qui n'a pas besoin d'un banal traitement réaliste.

Et ça tombe bien car le style de Bustos possède une rondeur, une fraîcheur et une sorte de naïveté qui conviennent parfaitement. Tandis qu'elle illustre de manière apparemment innocente ces aventures, le ton sarcastique du récit est mis en valeur. Entre les deux héroïnes et les seconds rôles, il y a fort à faire, mais tout paraît facile sous le crayon de Bustos.

On appréciera aussi qu'elle représente Smallville comme une authentique bourgade du Kansas, le décor idéal pour que les événements improbables qui s'y déroulent prennent tout leur relief, en particulier quand Fire confine ses super-vilains ringards dans une grotte (gardée par Krypto) ou dans l'intérieur du salon de coiffure (mis à rude épreuve).

DC a dû être satisfait des critiques et des ventes puisque l'éditeur a commandé une suite à Joanne Starer. Hélas ! Natacha Bustos n'a pas rempilé, laissant la place au fade Stephen Byrne, ce qui me décourage quelque peu de lire When Hell Freezes Over (dont le premier numéro sort Mercredi)...

*

Bonus, comme promis, avec les couvertures variantes des épisodes 1 et 2 :


Kevin Maguire


Greg Smallwood

dimanche 6 avril 2025

GRIM, VOLUME 4 : EVE OF DESTRUCTION (Stephanie Phillips / Flaviano)


GRIM, VOLUME 4 : EVE OF DESTRUCTION
(Grim #16-20)


Dans le bar où il s'est retranché avec les trois Moires, Jessica Harrow, Eddie et Marcel, le prêtre raconte son expérience de la guerre lorsqu'il était stationné en Afghanistan en 2003. Un afghan et sa femme l'avaient véhiculé, blessé, jusqu'à sa base avant qu'un tireur américain n'abatte le conducteur.


Eddie, lui, se souvient de la violence de son père qui désapprouvait ses fréquentations et sa passion pour la musique, mais qui, plus tard, quand sa carrière décolla, alla lui réclamer de l'argent parce qu'il avait fait de mauvais investissements... Au XIXème siècle, la Vie narguait la Mort en ayant offert le salut à un criminel qui voulait se racheter...


Ce même homme aujourd'hui rejoint Jessica Harrow dans le bar pour le conduire jusqu'à l'île de la Vie où se trouve, captive, Lilah, la mère de la jeune faucheuse, qui pourrait peut-être faire cesser le chaos causé par Annabel devenue l'hôtesse du Péché Originel...
 

Voilà ce qui se passe quand on achète trop de comics : il arrive un jour où vous découvrez dans votre pile à lire un album que vous avez acheté il y a plusieurs mois (en Novembre dernier !) sans l'avoir lu. C'est de cette façon que j'ai fini par rattraper mon retard conséquent sur la série Grim, dont la critique du précédent volume remonte à plus d'un an sur ce blog.


J'avoue que j'avais fini par complétement oublier ce titre. Il faut dire, pour ma défense, que la série a connu plusieurs hiatus en vo, puisque sa scénariste, Stephanie Phillips, est devenue un auteur très demandé. Elle signe actuellement les scripts de Phoenix dans le cadre de la relance X-Men et anime toujours Red Before Black (bien que ce projet soit bimestriel - j'ai abandonné sa lecture en floppies et j'écrirai dessus quand ce sera fini, au n°6).

Pourtant, j'ai bien aimé Grim, cette saga sur une faucheuse qui découvre être la fille d'une humaine et de la Mort et qui, à la suite de multiples mésaventures, comprend que quelque chose cloche chez elle mais aussi dans l'au-delà. La situation a atteint un seuil critique quand une de ses collègues, Annabel, l'a trahie en échange de la possession du Péché Originel.

Depuis, l'enfer s'est carrément déplacé sur Terre. Et Jessica Harrow, l'héroïne, ne peut plus compter sur son père, qui s'est sacrifié une première fois pour la sauver. L'incarnation de la Vie tient en otage Lilah, la mère de Jessica, qui possède une amulette magique, la clé pour sortir de cette crise. Mais n'est-ce pas déjà déjà trop tard ?

On retrouve donc les protagonistes là où on les avait laissés au terme d'un tome 3 déjà frustrant car il ne faisait pas beaucoup avancer le schmilblick. Et, disons-le tout de suite, ce tome 4 poursuit dans la même veine. Stephanie Phillips livre cinq nouveaux épisodes sans que les choses évoluent beaucoup, même si le #20 laisse espérer une suite plus décisive.

On a donc Jessica, ses deux collègues Eddie et Marcel, les trois Moires et un prêtre dans un bar assiégé par les humains infectés par le Péché Originel. Ailleurs, Annabel, qui a déclenché cette fin du monde, se repaît des âmes de criminels en compagnie d'Adira, son ancienne patronne, qui se rend compte de l'irréversibilité de cette infection. Enfin, on a la Vie qui tient en otage Lilah, la mère de Jessica.

Plutôt que de faire progresser son récit en montrant ses personnages à la recherche d'une solution face au désastre, Stephanie Phillips revient dans des flashbacks très longs sur les passés du prêtre, d'Eddie, d'Harold (un laquais de la Vie), de la Mort et Lilah. A chaque fois, la scénariste leur consacre un épisode quasiment entier.

Le souci, c'est que, même s'il n'est pas inintéressant de savoir d'où viennent et ce qu'ont vécu les uns et les autres, ce n'est pas écrit avec beaucoup de subtilité et surtout, donc, la crise stagne. On se confie dans un bar pendant qu'à l'extérieur les humains sont infectés et que le chaos règne. On ne voit pas où Phillips veut en venir ou, pire, à quand elle va passer à la vitesse supérieure.

Car le rythme fait cruellement défaut et contredit même ce qui se joue. Comment croire qu'une bande de survivants résolus à résister et à renverser la table restent ainsi planqués ? Et surtout comment croire que les portes de ce bar ne soient pas déjà forcés depuis un moment par ces espèces de zombies dehors ? On essaie de comprendre en quoi ce que Phillips raconte fait écho au présent, en vain.

Ses démonstrations pour signifier à quel point le passé des uns et des autres éclaire le présent n'aboutissent à rien. Entre ce prêtre qui fut soldat, Eddie qui fut maltraité par son père, un outlaw du far-west sauvé par la Vie, la corruption totale d'Annabel, ou les atermoiements de la Mort quand il veut avoir un enfant, rien ne fait sens. Tout ça tourne en rond, tourne à vide, sonne creux.

Il faut tout le talent de Flaviano pour qu'on ne pique pas du nez ou qu'on ne lâche pas l'affaire. Soutenus par les couleurs magnifiques de Rico Renzi, ses dessins réussissent là où le scénario échoue, c'est-à-dire en donnant vie, chair, sensibilité, émotion aux personnages, à ce qu'ils ont traversé. Flaviano nous régale de pleines pages à chaque numéro mais aussi d'un découpage toujours juste, avec des compositions élégantes, dynamiques.

Quand, enfin, Phillips se résout à avancer, dans le dernier épisode de cet album, qui se termine sur un cliffhanger très intrigant et qui pourrait signifier que la série approche de sa fin, on est partagé entre le sentiment que quelque chose de consistant, de substantiel se passe, et le fait que ça arrive, sans doute, trop tard, en tout cas pour sauver ce recueil.

En vérité, c'est comme si Grim ne savait pas/plus où aller, alors même qu'on est au coeur du réacteur. Stephanie Phillips a produit deux premiers tomes sensationnels, avec une montée en puissance grisante, mais les deux tomes suivants font du surplace au pire moment. Il faut d'urgence qu'elle se ressaisisse et, certainement, qu'elle conclut. Sans quoi Grim va sombrer à force de tirer sur la corde. Ce serait déplorable.

samedi 5 avril 2025

RESURRECTION MAN : QUANTUM KARMA #1 (of 6) (Ram V / Anand RK, Butch Guice)

 

Matthieu Salliere s'éteint au soir d'une longue vie. Mais Mitch Shelley, son vrai nom, ressuscite comme à chaque fois, fort de ses existences passées. Un homme, qui dit être son double provenant d'une autre réalité, l'emmène à Samsara, au coeur de l'univers, hors de l'espace-temps, pour le convaincre d'accepter une mission...



Resurrection Man est une création des scénaristes Dan Abnett et Andy Lanning et du dessinateur Butch Guice, apparu dans sa propre série en 1997. Celle-ci durera 27 numéros et s'achèvera en 1999, avant de connaître une nouvelle version en 2011 avec les mêmes auteurs mais Fernando Dagnino au dessin. Ram V, fan du personnage depuis toujours, entreprend aujourd'hui de le revisiter dans cette mini en six n°.
 

Pourtant, avant d'être publié par DC, Resurrection Man faillit être un héros Marvel, à la tête des Great Lake Avengers, sous le nom de Mr. Immortal. Abnett et Lanning voulaient renouveler la figure de l'immortel de telle manière qu'à chaque fois qu'il mourait et renaissait, il avait acquis comme pouvoir ce qui avait causé sa perte (électrocuté, il avait des capacités électriques par exemple).
  

Ce n'est pas une surprise que Ram V soit passionné par ce personnage atypique qui refuse d'être assimilé à un super héros et qui subit plus qu'il ne l'accepte sa condition. De la part de celui qui a signé Toutes les morts de Laïla Starr, on comprend ce qui l'intéresse ici : questionner la différence entre éternité et immortalité à travers un destin singulier.
 

L'éternité est définie par le temps, la durée, infinis. L'immortalité est l'état de ne jamais mourir. La première a une signification philosophique, spirituelle. La seconde est plus littérale. Cela est superbement illustré dans la première scène qui voit la mort de Matthieu Salliere, vieillard, mari, père, grand-père.

Ram V traite ce moment poignant avec une délicatesse admirable. Le lecteur est saisi par l'émotion qui s'exprime ici, dans les gestes, les regards, les paroles échangés. Que reste-t-il des gens qu'on aime et qui partent ? Des livres, des souvenirs. Des vestiges de sa présence sur Terre. Mais Matthieu Salliere s'échappe de sa chambre d'hôpital après avoir dit adieu à son épouse et s'éteint dans un champ.

On assiste alors à sa résurrection, magnifiquement mise en images. Le voici redevenu un homme, adulte, dont seul subsiste la chevelure blanche. Cette renaissance semble à la fois tranquille et douloureuse, un retour et un accouchement. Mais elle suffit à donner le ton de la série en captant ce passage de la mort à la vie, rapide, et ahurissant.

Ram V ne perd pas de temps, il doit faire vite lui aussi, il a six épisodes pour raconter son histoire de Mitch Shelley (ce nom renvoie évidemment à Mary Shelley, l'auteur de Frankenstein ou le Prométhée moderne, dans lequel un savant donnait vie à un homme composé de parties de chair mortes qu'il finit par abandonner à son sort, horrifié par son aspect hideux).

Shelley, donc, est surpris par un homme encapuchonné qui se présente comme son double issu d'une réalité parallèle et qui l'entraîne à Samsara, aux confins de l'univers, hors du temps et de l'espace, pour qu'il accepte une mission de la plus haute importance. Mais pour cela, il doit le convaincre de son héroïsme, ce qui n'est pas acquis car, durant ses vies antérieures, Shelley dit n'avoir jamais rien accompli de remarquable...

Homme sans qualités, Shelley replonge dans ses souvenirs, précisément durant sa détention dans le camp de Rabaul en Nouvelle-Guinée à la fin de la seconde guerre mondiale, sous le joug des japonais. L'endroit est commandé par Shohei Kagawa, un officier qui apprend le suicide de Hitler et décide, en attendant l'arrivée des alliés, de festoyer avec ses hommes. Mais le banquet est très spécial et va avoir des conséquences inattendues...

Je ne vais pas en dire plus pour l'instant, on verra si je suis obligé de spoiler le mois prochain pour rédiger un résumé compréhensible. Mais Ram V aboutit à un épisode palpitant, avec une ambiance intense. Bien que très différent de The New Gods, qu'on peut lire actuellement, son scénario explore des thèmes voisins, comme la divinité, la guerre, le destin, l'appréciation d'un talent exceptionnel.

Tout comme ses meilleurs comics, Ram V peut s'appuyer sur un artiste extraordinaire en la personne de Anand RK avec qui il a déjà collaboré sur Graffity's wall et Blue in Green. Le style de son compatriote, indien comme lui, est saisissant, avec un trait tout en délié, qui s'abstient d'à-plats noirs et bénéficie des couleurs superbes de Mike Spicer (le partenaire de Daniel Warren Johnson).

Plusieurs planches sont de vraies oeuvres d'art qu'on peut presque dissocier du récit pour les admirer à part - voir la page 4 ci-dessus, avec le retour à la vie de Mitch Shelley dans la fosse commune du camp de Rabaul. Mais en vérité, on trouve là une oeuvre graphique impressionnante qui vous entraîne dans un univers à part, vous communique des sensations tenant du beau-bizarre.

J'avoue que je n'avais pas anticipé le choc de cette lecture, d'autant que je me suis décidé à lé dernière minute pour acheter cet épisode. Mais je ne le regrette pas. C'est puissant et beau, perturbant et hypnotique. La combinaison entre le texte de Ram V et les images de Anand RK forme d'ores et déjà quelque chose d'unique, à laquelle Butch Guice se joint, discrètement, comme pour l'adoubler.

vendredi 4 avril 2025

MOON KNIGHT : FIST OF KHONSHU #7 (Jed MacKay / Domenico Carbone)


Moon Knight a retenu la leçon de sa défait contre Achilles Fairchild : ce dernier ne peut être vaincu comme un de ses ennemis traditionnels. Il faut le frapper indirectement, donc en attaquant son commerce de stupéfiants. Et en commençant par trouver un antidote à sa drogue. Mais comment faire sortir Hank Pym de sa cachette ? Eightball a une idée. Risquée...


Je risque de me répéter, mais si, comme moi, vous ne comprenez plus grand-chose à ce que fait Marvel, à la médiocrité globale de sa production de comics (mais aussi de films, de séries en streaming), bref si vous cherchez malgré tout ça quelque chose à quoi vous raccrocher pour ne pas déserter, alors : lisez Moon Knight !


C'est, et d'assez loin, ce qu'on trouve de mieux actuellement chez cet éditeur. Ce qu'il y a de plus régulier en termes de qualité. Dans les prochains mois, on pourra miser sur des titres comme le relaunch de Captain America (par Zdarsky-Schiti), l'event Imperial (Hickman/Coello-Vicentini), et peut-être dès la semaine prochaine sur la énième relance d'Amazing Spider-Man (Kelly/Larraz-Romita Jr.).


Mais, en attendant, lisez Moon Knight, en actuellement le volume sous-titré Fist of Khonshu, nouvelle itération des aventures de Marc Spector dans le long run écrit par Jed MacKay. C'est tout bonnement excellent, original, efficace, très bien mis en images, impeccablement édité. Un sans faute qui réjouit. Et qui se confirme encore ce mois-ci avec ce septième épisode.


L'arc en cours est palpitant surtout depuis qu'on sait que le nouvel ennemi, inédit, de Moon Knight est rien moins qu'un renégat asgardien, trafiquant de drogue, et qui a infligé une raclée mémorable au héros. Raclée dont MacKay tire les conséquences et les enseignements dans ce numéro en y introduisant de nouveaux éléments.

L'avantage pour un scénariste que Marvel, par ailleurs, semble vouloir presser comme un citron, faute d'avoir quelqu'un d'autre d'aussi productif sous la main, d'écrire une série comme Moon Knight, c'est qu'on lui fiche la paix. Le personnage n'est pas une star, il évolue dans la marge de l'univers partagé Marvel, possède une fanbase réduite. Marvel ne va pas s'embarrasser à trop surveiller la série, sauf si les ventes sont désastreuses.

Mais justement MacKay a réussi à fidéliser les fans et a donc gagné le droit de faire ce qu'il voulait, dans son coin, avec ce héros dont son éditeur se fiche. Toutes proportions gardées, c'est un peu la situation qu'a connu Bendis quand il écrivait Daredevil (qu'il avait récupéré après la période Marvel Knights, Kevin Smith, Joe Quesada) et qui persuada Marvel de lui confier New Avengers.

MacKay, c'est pareil : la récompense de son travail sur Moon Knight lui a valu d'écrire Avengers et plus récemment X-Men. Mais, comme Bendis en son temps, il n'a pas lâché son bébé, et il a bien fait car il a encore des choses à raconter avec lui. Et contrairement à Black Cat, Moon Knight ne dépend pas d'un autre personnage plus exposé (en l'occurrence Spider-Man).

Donc, Moon Knight s'est fait ratatiner par Fairchild et cela lui a fait comprendre que ce n'était pas un adversaire à prendre à la légère ni à attaquer frontalement. Il faut le taper au porte-monnaie, donc la drogue, le glitter. Pour cela, il faut un scientifique capable de créer un antidote à cette drogue magique. Et Moon Knight en connaît un : Hank Pym.

Soucis (au pluriel) : 1/ Tigra, qui a eu une relation et un enfant avec Pym ignorait qu'il était encore vivant et 2/ Pym ne tient pas/plus à interagir avec d'autres super héros. Solution : Eightball, un comparse de Moon Knight, suggère de s'en prendre à un proche de Pym pour lui forcer la main. Ce sera sa fille, Nadia Van Dyne, la nouvelle Guêpe. Sauf qu'elle a du répondant...

Le script de MacKay fait des va-et-vient entre les préparatifs de l'attaque et sa réalisation, qui, évidemment, ne va pas se dérouler comme prévu, même si l'objectif sera finalement rempli. On peut dire qu'il s'agit d'un épisode de transition, mais en même temps MacKay récupère Pym (que Al Ewing avait un peu fait revenir, dans une mini-série d'abord, puis dans Avengers Inc. avant son annulation).

Pym est un personnage qui reste marqué par les violences conjugales commises contre Janet Van Dyne dans Avengers (#213, en 1981 quand même). Cette infamie aurait pu être purgée depuis, mais Mark Millar l'a reproduite dans Ultimates (#6, en 2002). Depuis, à l'exception donc de Al Ewing, tous les auteurs ayant touché à Pym ont continué à l'accabler.

Loin de moi l'idée qu'il faille pardonner ses actes, mais il serait intéressant d'examiner comment Janet Van Dyne estime tout ça après tout ce temps, par exemple. MacKay, ici, aborde le dossier Pym sous un autre angle, avec Tigra, et le dialogue qu'il leur fait tenir est suffisamment nuancé et intelligent pour montrer que Pym n'est pas un salaud irrécupérable. Je suis curieux de voir si et si oui comment MacKay va développer ça (Pym, sa rédemption, son rôle aux côtés de MK et sa bande, etc.).

En outre, avant le retour de Dev Pramanik le mois prochain, Domenico Carbone assure encore une fois un fill-in de grande qualité. Son style est toujours influencé par celui d'Olivier Coipel mais montre des efforts et des audaces dans le découpage, la composition de certains plans, la construction de certaines scènes vraiment épatants.

Avec Carbone et Pramanik, Moon Knight : Fist of Khonshu ajoute une corde à son arc en ayant deux très bons artistes (même si Pramanik est au-dessus de son suppléant), ce qui, là encore, n'est pas courant pour un comic Marvel.

Pour la dernière fois (cette fois-ci...), lisez Moon Knight. La série qui sauve l'honneur de Marvel.

JSA #6 (Jeff Lemire / Diego Olortegui)


Tandis que la situation vire au cauchemar dans la Tour du Destin et qu'un des membres de la vieille garde de la JSA trouve la mort, l'autre partie de l'équipe voit Wildcat II perdre ses nerfs lors d'une nouvelle descente dans un repaire de Kobra avec des conséquences très lourdes là-aussi...


Avec ce sixième épisode, on arrive donc à mi-parcours du premier arc de JSA tel qu'annoncé par Jeff Lemire lui-même. Le scénariste a affiché de grandes ambitions d'entrée de jeu pour la série avec cette histoire courant sur une année entière de publication. A moins qu'il ne s'agisse d'une manière de conjurer le mauvais sort après le dernier run de Geoff Johns, d'une longueur égale mais mal accueilli.


Jusqu'à présent, on pouvait dire que Lemire réalisait un sans-faute. Son intrigue réussissait à exploiter un casting très fourni en multipliant les péripéties et les coups de théâtre. Le rythme était souvent haletant, mais savait aussi temporiser quand c'était nécessaire. Mais il semble qu'avec ce numéro l'auteur ait voulu bousculer ses héros et le lecteur.


En effet, d'un côté, on a un membre éminent de la JSA qui trouve la mort, quand, de l'autre, un autre donne la mort, balayant le code d'honneur de l'équipe. Et je dois bien avouer que si je n'ai pas apprécié l'un, l'autre m'a également fait grimacer. Pour la première fois, la série se grippe et c'est uniquement la faute à Jeff Lemire.


C'est délicat d'en parler sans spoiler mais je vais m'efforcer d'être clair sans rien révéler d'important. Evoquons d'abord la mort d'un des membres de la JSA : j'espère que celle-ci n'est qu'un rebondissement et pas une exécution définitive car j'adore ce personnage, mais surtout, hors de tout sentimentalisme, cela m'apparaît gratuit et trop facile (c'est un héros sans pouvoir, bêtement sacrifié).

Ensuite, quand Wildcat II tue un membre de l'organisation Kobra, son geste est traité de manière plus que légère. Au lieu de la livrer à la police, son groupe la ramène tranquillement au QG, comme si l'affaire allait se régler entre ses quatre murs - ça m'a rappelé la désinvolture avec laquelle les auteurs des séries mutantes avaient pardonné les crimes de plusieurs X-Men à la fin de l'ère Krakoa.

Quand on écrit, a fortiori, une série JSA, on ne peut pas composer légèrement avec la notion de justice - et même de morale. Quand un héros commet l'irréparable, il est intolérable qu'un scénariste écrive ça comme une simple péripétie, en ramenant le dit personnage à son QG pour être jugé par ses collègues.

Par ailleurs, entre ces deux événements, Lemire cède à un autre facilité : autant la situation dans la Tour du Destin aboutit à une sorte de dénouement provisoire dramatique, autant sa façon d'animer l'autre section de l'équipe (Infinity Inc.) devient répétitive. 

Quand ils ne sont pas occupés à se disputer avec Jade, les soutiens d'Obsidian font des descentes dans les planques de Kobra. Non seulement ils débusquent ces terroristes très facilement, mais cela n'aboutit jamais à rien de concret. Personne n'a l'air de se douter qu'Obsidian fait n'importe quoi et donc qu'il n'est pas lui-même. Ils le suivent aveuglément, bêtement. Seuls donc Jade, Sand et Hourman sont lucides.

Mais Jade et Sand (Hourman étant plus préoccupé par l'attitude de Jessie Quick) ne sont pas des lumières non plus : à part avoir deviné, laborieusement, qu'il y avait un traître dans l'équipe, ils n'ont toujours pas commencé à suspecter quelqu'un et, en particulier Obsidian qui pourtant mène la fronde depuis le début.

Tous ces éléments constituent des faiblesses devenues très voyantes dans le plan de Lemire. Comme c'est un scénariste talentueux, on a envie de croire qu'il va renverser la vapeur et que, avec cet épisode en particulier, la suite sera plus rigoureuse. Mais la lecture est un peu gâchée à cause de ces errements...

Heureusement, Diego Olortegui produit d'excellents planches. L'artiste donne tout ce qu'il a et semble vraiment mettre à profit ses temps de repos pour revenir à chaque fois remonté à bloc. Plusieurs doubles pages très détaillées, avec des compositions dynamiques, témoignent de son engagement. Et sa narration est toujours impeccablement fluide, avec un souci des valeurs de plan subtil.

L'exercice est cruel, mais en ayant annoncé dès le départ ses ambitions, Lemire s'est exposé à la critique. Si la lecture de JSA s'est avérée très plaisante jusque-là, elle ne dissimule pas dans ce numéro des égarements et exige de la part de son scénariste une reprise en main vigoureuse. A vérifier dans un mois.

jeudi 3 avril 2025

DAREDEVIL : COLD DAY IN HELL #1 (of 3) (Charles Soule / Steve McNiven)


Matt Murdock se recueille sur une tombe dans un cimetière puis prend un ferry pour rentrer à Manhattan. Il y tient un refuge pour les démunis. Après leur repas, il sort les poubelles lorsqu'une bande de jeunes sort en courant du métro. Une explosion suivie d'un nuage de fumée toxique s'ensuit..


Alors que, actuellement, Saladin Ahmed écrit la série régulière Daredevil avec des résultats qui ne convainquent personne, Marvel a décidé de surprendre tout le monde avec cette mini en trois épisodes imaginée par Charles Soule et Steve McNiven. Un projet qui ne peut que rappeler ce que DC accomplit avec son Black Label.


En 2008, Mark Millar avec, déjà, Steve McNiven créait Old Man Logan, une histoire en neuf parties, qui imaginait dans un futur post-apocalyptique Wolverine, retiré après avoir commis l'impensable. L'immense succès de ce projet inspira ensuite Ethan Sacks en 2018 pour Old Man Hawkeye, puis en 2019 pour Old Man Quill.


Old Man Hawkeye suggérait un spin-off consacré à Daredevil, mais il ne vit jamais le jour. Jusqu'à aujourd'hui. Ou plutôt jusqu'à il y a cinq ans, quand Charles Soule, qui de 2015 à 2018, écrivit un run de Daredevil vit des dessins de Steve McNiven avec le diable de Hell's Kitchen. Les deux hommes s'entendirent avec l'editor Nick Lowe pour développer un récit complet.


Mais leur collaboration dut composer avec la pandémie du Covid, évoluant en une mini en trois chapitres intitulée Daredevil : Cold Day in Hell. A la fin de ce premier épisode, on a droit à plusieurs pages bonus qui reviennent sur la genèse du projet et sa conception, l'implication de McNiven, l'ambition de l'histoire (qui ne s'inscrit plus dans l'univers des Old Man).

Soule a travaillé en suivant la méthode Marvel de Stan Lee, c'est-à-dire en rédigeant un plot transmis à McNiven qui ajouta, enleva ou modifia des éléments. Le script ensuite respectait la même voie : un traitement sommaire que McNiven avait toute liberté pour le mettre en images. Enfin, Soule signait les dialogues définitifs.

Le résultat est simplement époustouflant. Sans être daté, le récit se situe dans le futur. Matt Murdock est un vieil homme, dans la soixantaine (selon Soule), mais qui a perdu ses pouvoirs (en particulier son fameux sens radar). Il n'est plus avocat mais tient un refuge pour démunis qui sert la soupe populaire et offre quelques lits. On ignore ce que sont devenus ses proches, comme Foggy Nelson.

Par contre, le décor de New York suggère fortement qu'il s'est passé une catastrophe terrible. Plus loin dans l'épisode, alors que Matt tombe sur Steve Rogers, il est question de héros "désactivés". Frank Castle est également présent à la fin, mais dans un (très) sale état. Quant à Wilson Fisk... Non, je ne vais rien dire à son sujet, mais dès le début, on est informé de ce qu'il est devenu.

Tout est fait pour que Matt Murdock soit au centre. Murdock d'abord. Mais Daredevil est de retour dans cet épisode. L'explosion d'une bombe sale va réactiver les pouvoirs du diable de Hell's Kitchen et le précipiter dans une intrigue immédiatement accrocheuse, brutale, où l'âge du héros n'est pas esquivé. On voit néanmoins que Matt a gardé la forme, même si, comme il le dit, il regrettera les efforts physiques qu'il s'inflige.

Même si je sais très bien que la prestation de Soule sur Daredevil il y a dix ans n'a pas plu à grand-monde, j'en reste un fervent supporter. Sans lui, Chip Zdarsky aurait dû trouver un tout autre départ à son propre run. Il y avait d'excellents idées, des faiblesses certes, mais aussi de vrais points forts. Je ne désespère pas que ces épisodes soient un jour réhabilités.

En attendant, il ne faudrait pas que leur réputation décourage les fans de Daredevil de lire Cold Day in Hell. Trois épisodes, ce n'est pas long (même si la pagination est plus conséquente qu'à l'accoutumée, notamment à cause des bonus), mais surtout ce début est intense, brillant, inattendu. On est happé par cette histoire et cette version du personnage.

L'attrait de cette mini doit aussi énormément à Steve McNiven. La trajectoire de cet artiste est atypique : au lendemain de Civil War, il est devenu un dessinateur dont le nom suffisait à convaincre les foules de lire ce qui y était attaché. Pourtant, il s'est fait relativement rare : un arc sur Captain America (avec Ed Brubaker), un autre sur Uncanny Avengers (avec Rick Remender), des variant covers...

En définitive, McNiven n'a pas été très productif, préférant se préserver pour des projets auxquels il pouvait se consacrer sans être une rouage remplaçable. Son rythme de travail n'a jamais été rapide de toute manière. Et surtout il a expérimenté, beaucoup, s'inspirant de ses maîtres, jusqu'à copier leur style - comme celui de Barry Windsor-Smith ou Moebius.

Aujourd'hui, donc, son retour est un événement en soi. Il s'encre lui-même et a digéré ses influences tout en proposant quelque chose de très différent de ce qui l'a fait connaître. Certains y ont vu du Frank Quitely. Ce qui est certain, c'est qu'il s'est beaucoup investi dans ce Cold Day in Hell et n'a pas ménagé ses efforts (allant jusqu'à coloriser ce premier épisode, avant de passer le relais à Dean White).

Ses planches sont à la fois épurées et grouillent de détails. Son découpage est un hommage sidérant à Frank Miller, avec souvent plus d'une quinzaine de cases par pages, des "gaufriers" d'une minutie maniaque. McNiven s'éclate visiblement dans cet exercice et dans la représentation d'un héros âgé, au visage parcheminé, à la silhouette de danseur (effet accentué par ses vêtements noirs qui le font ressembler à un chorégraphe façon Bob Fosse ou Maurice Béjart).

Dans les dessins que Soule avait remarqué, McNiven s'amusait à croquer des héros aux costumes déchirés, au visage tuméfié ou vieilli, comme des paysages érodés. Cette décrépitude, loin d'être sordide ou complaisante, donne au récit une épaisseur, une émotion étonnantes. Rarement, la vieillesse, le poids des ans, l'usure aura été si bien traduire visuellement dans un comic-book super-héroïque.

On devine que Soule et McNiven visent à faire de Daredevil : Cold Day in Hell leur The Dark Knight returns. Ils n'y parviendront certainement pas (c'est un sommet équivalent à Watchmen), mais leur démarche ne manque pas de panache et ce premier épisode promet beaucoup. Trop pour y résister. Et surtout ce n'est pas si fréquent que Marvel ose un tel projet...