jeudi 10 octobre 2024

EXCEPTIONAL X-MEN #2 (Eve L. Ewing / Carmen Carnero)


Tandis que Trish Marshall, la jeune mutante qu'elle a sauvée, la harcèle par textos pour qu'elle devienne sa mentor, Kitty a rendez-vous avec Nina à un match de foot universitaire où joue sa cousine, Dani. Mais sur place, un jeune mutant, Alex, est pris à parti dans les gradins par des étudiants et Thao, une joueuse de l'équipe de Dani, s'en mêle...


Une fois n'est pas coutume, j'aimerai débuter cette critique en parlant du dessin de Carmen Carnero, l'artiste d'Exceptional X-Men. Parce que, bon sang, voilà une dessinatrice qui a du talent. Pourtant, je dois avouer que son style ne me plaisait guère au début. Ou plus exactement, je la trouvais techniquement faible.


Je crois que la première fois que j'ai vu son travail, c'était sur un épisode de Detective Comics, lors du run de James Tynion IV. Carnero avait été appelée pour un fill-in, puisque le titre était bimensuelle et alternativement dessiné par Eddy Barrow et Alvaro Martinez Bueno. Forcément, passer après ces deux cadors était ingrat, mais la copie que rendit Carnero était vraiment décevante.


Parfois, on peut légitiment se demander comment les recruteurs des maisons d'édition trouvent les artistes, font leur marché. Et dans le cas où ils sont peu expérimentés, s'ils ne risquent pas de se griller en étant placé sur une série en vue dont les dessinateurs principaux sont des pointures auxquelles on ne manquera pas de les comparer. C'est ce qui arrivait à Carmen Carnero sur ce coup.


La faire démarrer sur Detective Comics (le titre historique de Batman), après Barrows et Martinez, c'était quand même prendre un risque inconsidéré de la part de l'editor du titre. Après ça, quand les deux artistes titulaires étaient en congé, on fit appel à Miguel Mendoça ou Javier Fernandez, autrement plus expérimentés pour jouer les intérimaires.

Après, j'ai perdu de vue Carnero et j'ai dû penser qu'elle serait vite oubliée, récupéré par des éditeurs moins en vue. Il a fallu Kelly Thompson pour que j'entende à nouveau parler d'elle quand Marvel relança Captain Marvel en 2018, avec Carnero au dessin pour les deux premiers arcs. Et là, bigre, j'ai pu constater qu'elle avait drôlement travaillé, mûri : sa technique s'était considérablement améliorée, son style affirmé, et sa narration raffinée.

Par la suite, elle a accompagné Collin Kelly et Jackson Lanzing pour leur (bref) run sur Captain America (dont elle a signé la quasi totalité des numéros), et sa prestation ne souffrait plus d'aucune critique négative : c'était virtuose. Alors quand elle a été annoncée sur Exceptional X-Men, j'espérai que l'histoire qu'elle illustrerait serait à sa hauteur.

Carmen Carnero est un dessinatrice au style classique. Dit comme ça, c'est moyennement vendeur. Pourtant, la qualité de son art, c'est justement d'être impeccable. Elle sait dessiner, entendez : elle a appris à dessiner, elle a une formation solide, académique, ça se voit. Elle sait représenter les corps avec variété, soigner l'expressivité des visages, la gestuelle, les proportions, que ce soit pour les femmes ou les hommes, les jeunes, les adultes, les vieux. Ses décors sont très bien conçus, peaufinés.

Tout ça suffirait à la majorité des dessinateurs de comics, ce qui est loin d'être le cas pour Carnero. Car c'est aussi une superbe narratrice graphique. Au fil des séries et des épisodes qu'elle a enchaînés, elle a perfectionné de manière assez bluffante cet aspect et elle est capable de jouer sur le flux de lecture, les compositions d'images, les perspectives, la forme et la dimension des cadres, leur enchaînements. Quand vous avez la technique et en plus le sens de la narration, qu'importe que vous soyez classique ou moderne, vous êtes dans la catégorie supérieure des artistes parce que vous possédez les meilleures cartes.

Et ça se vérifie sur cet épisode. Tenez : prenez la première page qui illustre cette critique. Carnero fait évoluer Kitty Pryde dans un unique décor mais elle joue sur la valeur des plans, en la montrant d'abord de loin, puis qui se rapproche de nous, en influant sur notre sens de lecture (elle arrive par la gauche mais son action la conduit sur la droite puis la ramène sur la gauche). Le mouvement est simple, fluide, il simule un plan séquence (les cases ne sont pas séparées par un espace blanc). C'est simple mais beau.

Et puis admirez le naturel des attitudes de Kitty : elle est à la fois séduisante sans ostentation, sa démarche est calme, puis quand elle découvre la contravention sur son pare-brise, elle se cabre, énervée, puis s'assoit sur le bord du capot de sa voiture, abattue. Son visage traduit toutes les émotions qui la traversent : la bonne humeur, la surprise, la colère, le dépit. Et tout ça, sans forcer. Il faut beaucoup de talent pour qu'une scène comme ça, banale mais compliquée à dessiner parce que banale, coule de source à la lecture. Le lecteur remarquera tout de suite si c'est surjoué, mal mis en scène, etc.

Plus loin dans l'épisode, Carnero utilise la profondeur de champ, la latéralité des cases, alterne plans larges, moyens, gros plans, et elle passe de l'un à l'autre presque sans qu'on le remarque d'abord, juste pour souligner une montée de tension dramatique, la progression d'une action. Elle s'amuse même à cadrer une image vue à travers un judas de porte (voir la dernière planche qui illustre cette critique), à la fois pour inclure un élément graphique comique. Chaque effet est dosé.

Avec une dessinatrice de ce calibre, la scénariste, Eve L. Ewing sait qu'elle dispose de quelqu'un qui non seulement ressentira la sensibilité de son écriture mais surtout saura la transposer en images. C'est là où le classicisme du trait est important : cette école à laquelle appartient Carnero, c'est celle qui va de Alex Raymond jusqu'à elle. Du beau trait (comme on dirait du beau jeu au sport), une élégance, mais pas seulement pour faire joli, pour séduire le regard, mais pour la lisibilité, le réalisme, la nuance.

Et c'est ce qui convient parfaitement ici : Eve L. Ewing introduit deux nouveaux personnages dans cet épisode. Elle les intègre à des scènes qui, en soi, n'ont rien de bien original, et les pouvoirs des deux jeunes mutants n'ont rien de spécialement spectaculaire (sans les couleurs de Nolan Woodard, on passerait même à côté de la particularité de ceux d'Alex, ce colosse empathique). Mais voilà, grâce à Carmen Carnero, la magie opère parce qu'elle respecte le script et l'améliore sur les points les moins percutants.

De toute façon, Eve L. Ewing, on le sent bien, ne veut pas faire de Exceptional X-Men quelque chose de vraiment exceptionnel : son ambition, c'est plutôt, visiblement, d'être juste et modeste, d'aller vers quelque chose qui correspond aux personnages plutôt qu'à une intrigue. On verra si ça se confirme ensuite, mais c'est ce qui distingue sa série des autres X-titles, où le spectacle n'est pas absent, au contraire. Comme Gail Simone, elle veut plaire au lecteur, mais elle le fait avec nettement plus de subtilité et d'humilité, avec de jeunes mutants pour lesquels elle prend le temps de la caractérisation (Trish, Alex et Thao ont bien plus de personnalité, suscite bien plus d'intérêt et de sympathie que les Outliers d'Uncanny X-Men).

Excpetional X-Men est vraiment une série coup de coeur. Certains la trouveront sans doute trop inoffensive. Mais si vous voulez lire une série sur les mutants d'après Krakoa, vraiment sincère, c'est celle-ci que vous devez suivre.

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