jeudi 8 août 2024

RED BEFORE BLACK #1 (Stephanie Phillips / Goran Sudzuka)


Val sort de prison et retrouve Derek, un ami qu'elle n'a pas vu depuis huit ans et qui tient un bar tout en faisant commerce de drogues. Elle lui demande un travail et elle est prête à tout. Il a quelqu'un dans le collimateur, Leo, une dealeuse qu'il veut éliminer...


"Red against yellow, you're a dead fellow. Red against black, uou're OK, Jack." : ce poème qui a inspiré Stephanie Phillips pour le titre de sa nouvelle série en creator-owned chez Boom ! Studios, où elle publie aussi son best seller, Grim, servait à distinguer les serpents corail à la peau noir, rouge et jaune. Et justement, cette série parle des dangers qu'il faut reconnaître au premier coup d'oeil.


Lesbienne et pratiquant la boxe, Stephanie Phillips semble avoir imaginé Red Before Black comme la série de ses rêves : une histoire avec des femmes fortes, qui assument de l'être et ne s'en laisse pas conter. Vous ne le savez pas encore, mais vous allez adorer, et j'espère vraiment que, comme pour Grim, un éditeur français se mettra vite sur les rangs pour la traduire quand il y aura assez d'épisodes pour composer un album.


Autant ce qu'écrit Phillips pour les comics mainstream présente un intérêt très inégal (sa dernière production chez Marvel, Phoenix, se paie même actuellement une petite polémique car sa dessinatrice, Alessandra Miracolo, a pompé intégralement des planches d'Oliver Coipel), autant quand elle a les coudées franches, elle est capable de produire des bandes dessinées vraiment excitantes.


Ici, on a donc deux héroïnes : d'un côté la brune bourrue Val, qui sort de prison et semble souffrir de syndrome post-traumatique (en lien avec un passé militaire apparemment) et qui accepte de dégommer une dealeuse pour le compte d'un ami ; et de l'autre la blonde malicieuse Leo, qui est justement cette femme à abattre. Sauf que Val est sortie de prison avec une mission à remplir pour le compte du F.B.I. qui se fiche pas mal des dommages collatéraux...

J'ai l'air de vous en dire trop, mais ce n'est pas grave car l'intérêt de Red Before Black est ailleurs - dans l'atmosphère, la caractérisation, le country noir, le blues du bayou. Prétendre spoiler, ce serait comme dire que Grim parle d'une faucheuse amnésique alors que l'au-delà est en pleine crise politique. Donc, n'ayez crainte, si je vous en dévoile beaucoup, c'est que ça ne va pas gâcher votre lecture.

Comme je le disais plus haut, le poème qui a inspiré son titre à la série parle de serpents dont on reconnaît la dangerosité aux couleurs de la peau. Mais peut-on se fier à quelques vers ? Pas vraiment car en vérité, il existe une multitude de sosies du serpent corail, souvent inoffensifs. Mais vous savez ce qu'on dit : ne jouez pas avec un serpent et il ne vous attaquera pas. C'est le cas avec le serpent corail qui fiche la paix si vous lui fichez aussi la paix.

Et c'est aussi le cas avec Val et Leo. Val n'est pas une tueuse professionnelle et elle ne tuera pas (pas tout de suite ?) Leo, même si l'agent Lamb du FBI auquel elle rend des comptes se fiche qu'elle la tue ou pas tant qu'elle fait ce qu'il lui dit de faire. Leo, en revanche, n'est pas du genre à laisser pisser : quand son deal de coke se passe mal pour elle, elle prend la porte... Pour mieux revenir par la fenêtre et se venger. Peut-être mérite--elle de mourir après tout ? C'est une dealeuse de coke, pas une fille fréquentable, mais elle est marrante, dans son genre, et Phillips fait en sorte qu'elle nous soit sympathique.

La série fonctionne donc sur le ressort du couple mal assorti entre la brune, grande, athlétique, taciturne, et la blonde extravertie, insolente, bavarde. Iront-elles jusqu'à coucher ensemble ? On verra, mais ce serait presque logique et attendue, comme une variation à Love Lies Bleeding. En tout cas, le titre procède plus légèrement que le film de Rose Glass et dissimule encore son jeu (normal, me direz-vous, ce n'est que le début). Mais Stephanie Phillips entame son run sur les chapeaux de roues, on est emballé, embarqué.

Comme pour Grim avec Flaviano, elle peut s'appuyer sur un artiste qui est parfait pour ce qu'elle a à raconter, et qui est très expérimenté. Goran Sudzuka est surtout connu pour avoir été la doublure de Pia Guerra sur Y le dernier homme, mais il a aussi largement contribué à la Wonder Woman période New 52 de Brian Azzarello (quand Cliff Chiang avait besoin de souffler) et collaboré Garth Ennis (A Walk through hell) et Joshua Williamson (Ghosted). Pourtant, inexplicablement, il n'est pas devenu la vedette qu'il mérite d'être.

Régulier dans l'effort, s'encrant lui-même, Sudzuka est un storyteller épatant : sa narration est limpide, son trait précis et dépouillé, ses décors toujours soignés, il anime aussi bien les personnages féminins que masculins en les dotant de looks mémorables. Si on devait noter les dessinateurs sur leur capacité à rendre la lecture facile, il serait facilement dans le top 10 car avec lui, tout est net.

Et cette netteté se voit ici avec les deux protagonistes qui ont des apparences très distinctes mais jamais caricaturales. On peut constater la synergie entre Phillips et Sudzuka à l'aune de ces deux filles qui empruntent aux codes des gays et des sportives (la coupe mulet, le legging déchiré, le maillot de corps résille et la taille menue de Leo ; la carrure plus "butch" de Val avec ses vêtements certainement issus de surplus militaire, sa physionomie robuste), parfaitement traduits visuellement. On pourrait presque, pour s'amuser, imaginer les actrices qui les incarneraient dans une adaptation en live action tellement elles paraissent réelles.

Ajoutez à cela les couleurs superbes de Ive Svorcina et si vous n'avez toujours pas envie de lire Red Before Black, je ne sais plus quoi dire. J'en attendais beaucoup, je suis comblé.

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