vendredi 9 août 2024

CRUEL UNIVERSE #1 (Matt Kindt & Kano / Corinna Bechko & Caitlin Yarsky / Chris Condon & Jonathan Case / Ben H. Winters & Artyom Topilin)


- The Champion (Matt Kindt / Kano) - Venus de partout dans la galaxie, des humanoïdes et d'autres créatures deviennent gladiateurs et s'affrontent dans une arène. L'un d'eux devient l'amant de l'habilleuse. Mais attention, le narrateur n'est pas celui que vous croyez...


- Solo Shift (Corinna Bechko / Caitlin Yarsky) - Jared est en mission aux environs d'un trou noir lorsqu'il remarque la présence d'un autre vaisseau dans le secteur. Il s'y introduit et trouve une femme morte. Admirant sa beauté et l'intelligence de ses calculs, il décide de traverser le trou noir pour remonter le temps et la sauver...


- Drink Up (Chris Condon / Jonathan Case) - Martin Endenspoil est un homme riche qui souhaite à tout prix être immortel. Lorsque ses équipes croient localiser la fontaine de jouvence dans une fosse, il décide, contre toutes les préventions, de s'y aventurer...


- Priceless (Ben H. Winters / Artyom Topilin) - Jocko expérimente diverses expériences intenses avant de s'en remettre à une équipe scientifique qui extrait ses sensations pour les transférer dans le cerveau d'un riche vieillard qui peut les éprouver par procuration. Mais quand on lui demande de kidnapper et de tuer une femme, Jocko hésite...


Dans les années 50, alors que les comics de super-héros n'ont plus la côte, la maison d'édition EC Comics publie des anthologies mensuelles qui explorent les registres du fantastique, de l'épouvante et de l'horreur. C'est un succès, mais de courte durée car la censure tombe sur le dos de cette petite société, accusée de promouvoir des histoires traumatisantes, avilissantes et perturbantes pour un jeune public. EC résistera un temps avant de rendre les armes...

Près de 70 ans plus tard, Oni-Lion Forge entreprend de ressusciter ce qui a fait EC Comics avec deux mensuels. Le premier est Cruel Universe, et le second sera Epitaths from the Abyss. Le principe reste le même : des histoires courtes, dans des genres identiques à ceux des années 50, et où sont invités des talents en devenir ou confirmés. Le tout, pour Cruel Universe, avec des couvertures du génial Greg Smallwood (et des variants de J.H. Williams III entre autres !).

La première nouvelle donne le ton : Matt Kindt s'essaie au récit mettant en scène des gladiateurs sur une planète lointaine, et parmi eux se trouve un champion humain dont la force, la détermination et le charme sont sans commune mesure; Mais bien sûr, il y a un twist puisque c'est tout l'intérêt de cet exercice de style où le lecteur ne doit rien voir venir de la conclusion.

Evidemment, je ne vais pas vous dévoiler la surprise finale mais elle est savoureuse. Et le plaisir se double quand on remarque qu'au dessin, c'est Kano, un artiste hélas ! trop rare, mais au talent formidable. Son trait élégant et son découpage classique mais impeccable sont un bonheur qui valorise le scénario. Premier essai transformé donc.

Au suivant avec l'histoire concoctée par Corinna Bechko (madame Gabriel Hardman) qui imagine pour Caitlin Yarsky un malicieux tour de passe-passe évoquant Interstellar de Christopher Nolan avec un trou noir qui motive un astronaute à le traverser pour sauver la vie d'une femme en remonter le temps. Là encore, le twist final est jubilatoire, mais cruel (comme le titre de la revue l'indique).

Les dessins poursuivent dans une veine semblable à celle de Kano : une ligne claire, mais un peu plus prononcée dans l'exagération, des décors plus froids (mais logique vu que ça se passe dans deux navettes spatiales). Yarsky est un peu plus rigide que son confrère espagnol mais c'est tout de même très concluant. Deuxième round remporté.

Chris Condon est le scénariste de la série à succès That Texas Blood mais il troque ici le polar pour une sournoise réflexion sur le désir d'éternité avec un riche mogul qui défie la mort en s'imposant des épreuves dangereuses et une hygiène de vie implacable. On abandonne donc la science-fiction spatiale pour une aventure qui file l'allégorie. Le dénouement est particulièrement terrible.

Jonathan Case continue de donner à la revue une esthétique plus européenne avec un dessin expressif et épuré, après Kano et Yarsky. Cela souligne les émotions du héros et les effets de valeur de plans signifiant sa quête folle. C'est en tout cas encore une fois excellent. Va--t-on assister à un sans-faute ?

Hé bien, oui, car le dernier segment écrit par Ben H. Winters est une sorte de conte cruel et dérangé dans lequel un homme expérimente pour le compte d'un autre riche individu des sensations fortes (comme le saut à l'élastique). Son employeur en demande toujours plus, jusqu'au plus dérangeant : enlever, séquestrer, torturer et tuer une femme. Une limite que ne peut franchir le pauvre Jocko.

Un chouia moins étonnant dans le final, il faut compter sur le dessin de Artyom Topilin pour rattraper le coup et ça le fait brillamment, transformant l'intrigue miniature en objet bizarroïde et barjo. Comme du Jean-Claude Forest méchant ou du Blutch désespéré. Epatant.

Pour un retour, c'est un retour en force et gagnant. Oni-Lion Forge s'est donné les moyens de son ambition. Cruel Universe n'est pas seulement un régal pour son casting brillant, mais bien pour la qualité de son contenu et de son contenant. Maintenant, j'ai hâte de lire ce que réserve Epitaths from the Abyss...

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