samedi 5 avril 2025

RESURRECTION MAN : QUANTUM KARMA #1 (of 6) (Ram V / Anand RK, Butch Guice)

 

Matthieu Salliere s'éteint au soir d'une longue vie. Mais Mitch Shelley, son vrai nom, ressuscite comme à chaque fois, fort de ses existences passées. Un homme, qui dit être son double provenant d'une autre réalité, l'emmène à Samsara, au coeur de l'univers, hors de l'espace-temps, pour le convaincre d'accepter une mission...



Resurrection Man est une création des scénaristes Dan Abnett et Andy Lanning et du dessinateur Butch Guice, apparu dans sa propre série en 1997. Celle-ci durera 27 numéros et s'achèvera en 1999, avant de connaître une nouvelle version en 2011 avec les mêmes auteurs mais Fernando Dagnino au dessin. Ram V, fan du personnage depuis toujours, entreprend aujourd'hui de le revisiter dans cette mini en six n°.
 

Pourtant, avant d'être publié par DC, Resurrection Man faillit être un héros Marvel, à la tête des Great Lake Avengers, sous le nom de Mr. Immortal. Abnett et Lanning voulaient renouveler la figure de l'immortel de telle manière qu'à chaque fois qu'il mourait et renaissait, il avait acquis comme pouvoir ce qui avait causé sa perte (électrocuté, il avait des capacités électriques par exemple).
  

Ce n'est pas une surprise que Ram V soit passionné par ce personnage atypique qui refuse d'être assimilé à un super héros et qui subit plus qu'il ne l'accepte sa condition. De la part de celui qui a signé Toutes les morts de Laïla Starr, on comprend ce qui l'intéresse ici : questionner la différence entre éternité et immortalité à travers un destin singulier.
 

L'éternité est définie par le temps, la durée, infinis. L'immortalité est l'état de ne jamais mourir. La première a une signification philosophique, spirituelle. La seconde est plus littérale. Cela est superbement illustré dans la première scène qui voit la mort de Matthieu Salliere, vieillard, mari, père, grand-père.

Ram V traite ce moment poignant avec une délicatesse admirable. Le lecteur est saisi par l'émotion qui s'exprime ici, dans les gestes, les regards, les paroles échangés. Que reste-t-il des gens qu'on aime et qui partent ? Des livres, des souvenirs. Des vestiges de sa présence sur Terre. Mais Matthieu Salliere s'échappe de sa chambre d'hôpital après avoir dit adieu à son épouse et s'éteint dans un champ.

On assiste alors à sa résurrection, magnifiquement mise en images. Le voici redevenu un homme, adulte, dont seul subsiste la chevelure blanche. Cette renaissance semble à la fois tranquille et douloureuse, un retour et un accouchement. Mais elle suffit à donner le ton de la série en captant ce passage de la mort à la vie, rapide, et ahurissant.

Ram V ne perd pas de temps, il doit faire vite lui aussi, il a six épisodes pour raconter son histoire de Mitch Shelley (ce nom renvoie évidemment à Mary Shelley, l'auteur de Frankenstein ou le Prométhée moderne, dans lequel un savant donnait vie à un homme composé de parties de chair mortes qu'il finit par abandonner à son sort, horrifié par son aspect hideux).

Shelley, donc, est surpris par un homme encapuchonné qui se présente comme son double issu d'une réalité parallèle et qui l'entraîne à Samsara, aux confins de l'univers, hors du temps et de l'espace, pour qu'il accepte une mission de la plus haute importance. Mais pour cela, il doit le convaincre de son héroïsme, ce qui n'est pas acquis car, durant ses vies antérieures, Shelley dit n'avoir jamais rien accompli de remarquable...

Homme sans qualités, Shelley replonge dans ses souvenirs, précisément durant sa détention dans le camp de Rabaul en Nouvelle-Guinée à la fin de la seconde guerre mondiale, sous le joug des japonais. L'endroit est commandé par Shohei Kagawa, un officier qui apprend le suicide de Hitler et décide, en attendant l'arrivée des alliés, de festoyer avec ses hommes. Mais le banquet est très spécial et va avoir des conséquences inattendues...

Je ne vais pas en dire plus pour l'instant, on verra si je suis obligé de spoiler le mois prochain pour rédiger un résumé compréhensible. Mais Ram V aboutit à un épisode palpitant, avec une ambiance intense. Bien que très différent de The New Gods, qu'on peut lire actuellement, son scénario explore des thèmes voisins, comme la divinité, la guerre, le destin, l'appréciation d'un talent exceptionnel.

Tout comme ses meilleurs comics, Ram V peut s'appuyer sur un artiste extraordinaire en la personne de Anand RK avec qui il a déjà collaboré sur Graffity's wall et Blue in Green. Le style de son compatriote, indien comme lui, est saisissant, avec un trait tout en délié, qui s'abstient d'à-plats noirs et bénéficie des couleurs superbes de Mike Spicer (le partenaire de Daniel Warren Johnson).

Plusieurs planches sont de vraies oeuvres d'art qu'on peut presque dissocier du récit pour les admirer à part - voir la page 4 ci-dessus, avec le retour à la vie de Mitch Shelley dans la fosse commune du camp de Rabaul. Mais en vérité, on trouve là une oeuvre graphique impressionnante qui vous entraîne dans un univers à part, vous communique des sensations tenant du beau-bizarre.

J'avoue que je n'avais pas anticipé le choc de cette lecture, d'autant que je me suis décidé à lé dernière minute pour acheter cet épisode. Mais je ne le regrette pas. C'est puissant et beau, perturbant et hypnotique. La combinaison entre le texte de Ram V et les images de Anand RK forme d'ores et déjà quelque chose d'unique, à laquelle Butch Guice se joint, discrètement, comme pour l'adoubler.

vendredi 4 avril 2025

MOON KNIGHT : FIST OF KHONSHU #7 (Jed MacKay / Domenico Carbone)


Moon Knight a retenu la leçon de sa défait contre Achilles Fairchild : ce dernier ne peut être vaincu comme un de ses ennemis traditionnels. Il faut le frapper indirectement, donc en attaquant son commerce de stupéfiants. Et en commençant par trouver un antidote à sa drogue. Mais comment faire sortir Hank Pym de sa cachette ? Eightball a une idée. Risquée...


Je risque de me répéter, mais si, comme moi, vous ne comprenez plus grand-chose à ce que fait Marvel, à la médiocrité globale de sa production de comics (mais aussi de films, de séries en streaming), bref si vous cherchez malgré tout ça quelque chose à quoi vous raccrocher pour ne pas déserter, alors : lisez Moon Knight !


C'est, et d'assez loin, ce qu'on trouve de mieux actuellement chez cet éditeur. Ce qu'il y a de plus régulier en termes de qualité. Dans les prochains mois, on pourra miser sur des titres comme le relaunch de Captain America (par Zdarsky-Schiti), l'event Imperial (Hickman/Coello-Vicentini), et peut-être dès la semaine prochaine sur la énième relance d'Amazing Spider-Man (Kelly/Larraz-Romita Jr.).


Mais, en attendant, lisez Moon Knight, en actuellement le volume sous-titré Fist of Khonshu, nouvelle itération des aventures de Marc Spector dans le long run écrit par Jed MacKay. C'est tout bonnement excellent, original, efficace, très bien mis en images, impeccablement édité. Un sans faute qui réjouit. Et qui se confirme encore ce mois-ci avec ce septième épisode.


L'arc en cours est palpitant surtout depuis qu'on sait que le nouvel ennemi, inédit, de Moon Knight est rien moins qu'un renégat asgardien, trafiquant de drogue, et qui a infligé une raclée mémorable au héros. Raclée dont MacKay tire les conséquences et les enseignements dans ce numéro en y introduisant de nouveaux éléments.

L'avantage pour un scénariste que Marvel, par ailleurs, semble vouloir presser comme un citron, faute d'avoir quelqu'un d'autre d'aussi productif sous la main, d'écrire une série comme Moon Knight, c'est qu'on lui fiche la paix. Le personnage n'est pas une star, il évolue dans la marge de l'univers partagé Marvel, possède une fanbase réduite. Marvel ne va pas s'embarrasser à trop surveiller la série, sauf si les ventes sont désastreuses.

Mais justement MacKay a réussi à fidéliser les fans et a donc gagné le droit de faire ce qu'il voulait, dans son coin, avec ce héros dont son éditeur se fiche. Toutes proportions gardées, c'est un peu la situation qu'a connu Bendis quand il écrivait Daredevil (qu'il avait récupéré après la période Marvel Knights, Kevin Smith, Joe Quesada) et qui persuada Marvel de lui confier New Avengers.

MacKay, c'est pareil : la récompense de son travail sur Moon Knight lui a valu d'écrire Avengers et plus récemment X-Men. Mais, comme Bendis en son temps, il n'a pas lâché son bébé, et il a bien fait car il a encore des choses à raconter avec lui. Et contrairement à Black Cat, Moon Knight ne dépend pas d'un autre personnage plus exposé (en l'occurrence Spider-Man).

Donc, Moon Knight s'est fait ratatiner par Fairchild et cela lui a fait comprendre que ce n'était pas un adversaire à prendre à la légère ni à attaquer frontalement. Il faut le taper au porte-monnaie, donc la drogue, le glitter. Pour cela, il faut un scientifique capable de créer un antidote à cette drogue magique. Et Moon Knight en connaît un : Hank Pym.

Soucis (au pluriel) : 1/ Tigra, qui a eu une relation et un enfant avec Pym ignorait qu'il était encore vivant et 2/ Pym ne tient pas/plus à interagir avec d'autres super héros. Solution : Eightball, un comparse de Moon Knight, suggère de s'en prendre à un proche de Pym pour lui forcer la main. Ce sera sa fille, Nadia Van Dyne, la nouvelle Guêpe. Sauf qu'elle a du répondant...

Le script de MacKay fait des va-et-vient entre les préparatifs de l'attaque et sa réalisation, qui, évidemment, ne va pas se dérouler comme prévu, même si l'objectif sera finalement rempli. On peut dire qu'il s'agit d'un épisode de transition, mais en même temps MacKay récupère Pym (que Al Ewing avait un peu fait revenir, dans une mini-série d'abord, puis dans Avengers Inc. avant son annulation).

Pym est un personnage qui reste marqué par les violences conjugales commises contre Janet Van Dyne dans Avengers (#213, en 1981 quand même). Cette infamie aurait pu être purgée depuis, mais Mark Millar l'a reproduite dans Ultimates (#6, en 2002). Depuis, à l'exception donc de Al Ewing, tous les auteurs ayant touché à Pym ont continué à l'accabler.

Loin de moi l'idée qu'il faille pardonner ses actes, mais il serait intéressant d'examiner comment Janet Van Dyne estime tout ça après tout ce temps, par exemple. MacKay, ici, aborde le dossier Pym sous un autre angle, avec Tigra, et le dialogue qu'il leur fait tenir est suffisamment nuancé et intelligent pour montrer que Pym n'est pas un salaud irrécupérable. Je suis curieux de voir si et si oui comment MacKay va développer ça (Pym, sa rédemption, son rôle aux côtés de MK et sa bande, etc.).

En outre, avant le retour de Dev Pramanik le mois prochain, Domenico Carbone assure encore une fois un fill-in de grande qualité. Son style est toujours influencé par celui d'Olivier Coipel mais montre des efforts et des audaces dans le découpage, la composition de certains plans, la construction de certaines scènes vraiment épatants.

Avec Carbone et Pramanik, Moon Knight : Fist of Khonshu ajoute une corde à son arc en ayant deux très bons artistes (même si Pramanik est au-dessus de son suppléant), ce qui, là encore, n'est pas courant pour un comic Marvel.

Pour la dernière fois (cette fois-ci...), lisez Moon Knight. La série qui sauve l'honneur de Marvel.

JSA #6 (Jeff Lemire / Diego Olortegui)


Tandis que la situation vire au cauchemar dans la Tour du Destin et qu'un des membres de la vieille garde de la JSA trouve la mort, l'autre partie de l'équipe voit Wildcat II perdre ses nerfs lors d'une nouvelle descente dans un repaire de Kobra avec des conséquences très lourdes là-aussi...


Avec ce sixième épisode, on arrive donc à mi-parcours du premier arc de JSA tel qu'annoncé par Jeff Lemire lui-même. Le scénariste a affiché de grandes ambitions d'entrée de jeu pour la série avec cette histoire courant sur une année entière de publication. A moins qu'il ne s'agisse d'une manière de conjurer le mauvais sort après le dernier run de Geoff Johns, d'une longueur égale mais mal accueilli.


Jusqu'à présent, on pouvait dire que Lemire réalisait un sans-faute. Son intrigue réussissait à exploiter un casting très fourni en multipliant les péripéties et les coups de théâtre. Le rythme était souvent haletant, mais savait aussi temporiser quand c'était nécessaire. Mais il semble qu'avec ce numéro l'auteur ait voulu bousculer ses héros et le lecteur.


En effet, d'un côté, on a un membre éminent de la JSA qui trouve la mort, quand, de l'autre, un autre donne la mort, balayant le code d'honneur de l'équipe. Et je dois bien avouer que si je n'ai pas apprécié l'un, l'autre m'a également fait grimacer. Pour la première fois, la série se grippe et c'est uniquement la faute à Jeff Lemire.


C'est délicat d'en parler sans spoiler mais je vais m'efforcer d'être clair sans rien révéler d'important. Evoquons d'abord la mort d'un des membres de la JSA : j'espère que celle-ci n'est qu'un rebondissement et pas une exécution définitive car j'adore ce personnage, mais surtout, hors de tout sentimentalisme, cela m'apparaît gratuit et trop facile (c'est un héros sans pouvoir, bêtement sacrifié).

Ensuite, quand Wildcat II tue un membre de l'organisation Kobra, son geste est traité de manière plus que légère. Au lieu de la livrer à la police, son groupe la ramène tranquillement au QG, comme si l'affaire allait se régler entre ses quatre murs - ça m'a rappelé la désinvolture avec laquelle les auteurs des séries mutantes avaient pardonné les crimes de plusieurs X-Men à la fin de l'ère Krakoa.

Quand on écrit, a fortiori, une série JSA, on ne peut pas composer légèrement avec la notion de justice - et même de morale. Quand un héros commet l'irréparable, il est intolérable qu'un scénariste écrive ça comme une simple péripétie, en ramenant le dit personnage à son QG pour être jugé par ses collègues.

Par ailleurs, entre ces deux événements, Lemire cède à un autre facilité : autant la situation dans la Tour du Destin aboutit à une sorte de dénouement provisoire dramatique, autant sa façon d'animer l'autre section de l'équipe (Infinity Inc.) devient répétitive. 

Quand ils ne sont pas occupés à se disputer avec Jade, les soutiens d'Obsidian font des descentes dans les planques de Kobra. Non seulement ils débusquent ces terroristes très facilement, mais cela n'aboutit jamais à rien de concret. Personne n'a l'air de se douter qu'Obsidian fait n'importe quoi et donc qu'il n'est pas lui-même. Ils le suivent aveuglément, bêtement. Seuls donc Jade, Sand et Hourman sont lucides.

Mais Jade et Sand (Hourman étant plus préoccupé par l'attitude de Jessie Quick) ne sont pas des lumières non plus : à part avoir deviné, laborieusement, qu'il y avait un traître dans l'équipe, ils n'ont toujours pas commencé à suspecter quelqu'un et, en particulier Obsidian qui pourtant mène la fronde depuis le début.

Tous ces éléments constituent des faiblesses devenues très voyantes dans le plan de Lemire. Comme c'est un scénariste talentueux, on a envie de croire qu'il va renverser la vapeur et que, avec cet épisode en particulier, la suite sera plus rigoureuse. Mais la lecture est un peu gâchée à cause de ces errements...

Heureusement, Diego Olortegui produit d'excellents planches. L'artiste donne tout ce qu'il a et semble vraiment mettre à profit ses temps de repos pour revenir à chaque fois remonté à bloc. Plusieurs doubles pages très détaillées, avec des compositions dynamiques, témoignent de son engagement. Et sa narration est toujours impeccablement fluide, avec un souci des valeurs de plan subtil.

L'exercice est cruel, mais en ayant annoncé dès le départ ses ambitions, Lemire s'est exposé à la critique. Si la lecture de JSA s'est avérée très plaisante jusque-là, elle ne dissimule pas dans ce numéro des égarements et exige de la part de son scénariste une reprise en main vigoureuse. A vérifier dans un mois.

jeudi 3 avril 2025

DAREDEVIL : COLD DAY IN HELL #1 (of 3) (Charles Soule / Steve McNiven)


Matt Murdock se recueille sur une tombe dans un cimetière puis prend un ferry pour rentrer à Manhattan. Il y tient un refuge pour les démunis. Après leur repas, il sort les poubelles lorsqu'une bande de jeunes sort en courant du métro. Une explosion suivie d'un nuage de fumée toxique s'ensuit..


Alors que, actuellement, Saladin Ahmed écrit la série régulière Daredevil avec des résultats qui ne convainquent personne, Marvel a décidé de surprendre tout le monde avec cette mini en trois épisodes imaginée par Charles Soule et Steve McNiven. Un projet qui ne peut que rappeler ce que DC accomplit avec son Black Label.


En 2008, Mark Millar avec, déjà, Steve McNiven créait Old Man Logan, une histoire en neuf parties, qui imaginait dans un futur post-apocalyptique Wolverine, retiré après avoir commis l'impensable. L'immense succès de ce projet inspira ensuite Ethan Sacks en 2018 pour Old Man Hawkeye, puis en 2019 pour Old Man Quill.


Old Man Hawkeye suggérait un spin-off consacré à Daredevil, mais il ne vit jamais le jour. Jusqu'à aujourd'hui. Ou plutôt jusqu'à il y a cinq ans, quand Charles Soule, qui de 2015 à 2018, écrivit un run de Daredevil vit des dessins de Steve McNiven avec le diable de Hell's Kitchen. Les deux hommes s'entendirent avec l'editor Nick Lowe pour développer un récit complet.


Mais leur collaboration dut composer avec la pandémie du Covid, évoluant en une mini en trois chapitres intitulée Daredevil : Cold Day in Hell. A la fin de ce premier épisode, on a droit à plusieurs pages bonus qui reviennent sur la genèse du projet et sa conception, l'implication de McNiven, l'ambition de l'histoire (qui ne s'inscrit plus dans l'univers des Old Man).

Soule a travaillé en suivant la méthode Marvel de Stan Lee, c'est-à-dire en rédigeant un plot transmis à McNiven qui ajouta, enleva ou modifia des éléments. Le script ensuite respectait la même voie : un traitement sommaire que McNiven avait toute liberté pour le mettre en images. Enfin, Soule signait les dialogues définitifs.

Le résultat est simplement époustouflant. Sans être daté, le récit se situe dans le futur. Matt Murdock est un vieil homme, dans la soixantaine (selon Soule), mais qui a perdu ses pouvoirs (en particulier son fameux sens radar). Il n'est plus avocat mais tient un refuge pour démunis qui sert la soupe populaire et offre quelques lits. On ignore ce que sont devenus ses proches, comme Foggy Nelson.

Par contre, le décor de New York suggère fortement qu'il s'est passé une catastrophe terrible. Plus loin dans l'épisode, alors que Matt tombe sur Steve Rogers, il est question de héros "désactivés". Frank Castle est également présent à la fin, mais dans un (très) sale état. Quant à Wilson Fisk... Non, je ne vais rien dire à son sujet, mais dès le début, on est informé de ce qu'il est devenu.

Tout est fait pour que Matt Murdock soit au centre. Murdock d'abord. Mais Daredevil est de retour dans cet épisode. L'explosion d'une bombe sale va réactiver les pouvoirs du diable de Hell's Kitchen et le précipiter dans une intrigue immédiatement accrocheuse, brutale, où l'âge du héros n'est pas esquivé. On voit néanmoins que Matt a gardé la forme, même si, comme il le dit, il regrettera les efforts physiques qu'il s'inflige.

Même si je sais très bien que la prestation de Soule sur Daredevil il y a dix ans n'a pas plu à grand-monde, j'en reste un fervent supporter. Sans lui, Chip Zdarsky aurait dû trouver un tout autre départ à son propre run. Il y avait d'excellents idées, des faiblesses certes, mais aussi de vrais points forts. Je ne désespère pas que ces épisodes soient un jour réhabilités.

En attendant, il ne faudrait pas que leur réputation décourage les fans de Daredevil de lire Cold Day in Hell. Trois épisodes, ce n'est pas long (même si la pagination est plus conséquente qu'à l'accoutumée, notamment à cause des bonus), mais surtout ce début est intense, brillant, inattendu. On est happé par cette histoire et cette version du personnage.

L'attrait de cette mini doit aussi énormément à Steve McNiven. La trajectoire de cet artiste est atypique : au lendemain de Civil War, il est devenu un dessinateur dont le nom suffisait à convaincre les foules de lire ce qui y était attaché. Pourtant, il s'est fait relativement rare : un arc sur Captain America (avec Ed Brubaker), un autre sur Uncanny Avengers (avec Rick Remender), des variant covers...

En définitive, McNiven n'a pas été très productif, préférant se préserver pour des projets auxquels il pouvait se consacrer sans être une rouage remplaçable. Son rythme de travail n'a jamais été rapide de toute manière. Et surtout il a expérimenté, beaucoup, s'inspirant de ses maîtres, jusqu'à copier leur style - comme celui de Barry Windsor-Smith ou Moebius.

Aujourd'hui, donc, son retour est un événement en soi. Il s'encre lui-même et a digéré ses influences tout en proposant quelque chose de très différent de ce qui l'a fait connaître. Certains y ont vu du Frank Quitely. Ce qui est certain, c'est qu'il s'est beaucoup investi dans ce Cold Day in Hell et n'a pas ménagé ses efforts (allant jusqu'à coloriser ce premier épisode, avant de passer le relais à Dean White).

Ses planches sont à la fois épurées et grouillent de détails. Son découpage est un hommage sidérant à Frank Miller, avec souvent plus d'une quinzaine de cases par pages, des "gaufriers" d'une minutie maniaque. McNiven s'éclate visiblement dans cet exercice et dans la représentation d'un héros âgé, au visage parcheminé, à la silhouette de danseur (effet accentué par ses vêtements noirs qui le font ressembler à un chorégraphe façon Bob Fosse ou Maurice Béjart).

Dans les dessins que Soule avait remarqué, McNiven s'amusait à croquer des héros aux costumes déchirés, au visage tuméfié ou vieilli, comme des paysages érodés. Cette décrépitude, loin d'être sordide ou complaisante, donne au récit une épaisseur, une émotion étonnantes. Rarement, la vieillesse, le poids des ans, l'usure aura été si bien traduire visuellement dans un comic-book super-héroïque.

On devine que Soule et McNiven visent à faire de Daredevil : Cold Day in Hell leur The Dark Knight returns. Ils n'y parviendront certainement pas (c'est un sommet équivalent à Watchmen), mais leur démarche ne manque pas de panache et ce premier épisode promet beaucoup. Trop pour y résister. Et surtout ce n'est pas si fréquent que Marvel ose un tel projet...

samedi 29 mars 2025

WONDER WOMAN, VOLUME 3 : FURY (Tom King / Daniel Sampere, Bruno Redondo)


WONDER WOMAN, VOLUME 3 : FURY
(Wonder Woman #14-19)


Furieux que Wonder Woman lui ait échappé, le Souverain décide de lui faire mal en s'en prenant à quelqu'un qu'elle aime : il convoque Steve Trevor dans une de ses résidences et l'abat de sang froid. Son corps est jeté dans le Tidal Basin du National Mall à Washington. La Justice League l'apprend et en informe Diana qui disparaît. Elle se cache à Themyscera où elle donne vie à un nourrisson modelé dans l'argile auquel elle accroche une mèche de cheveu de Steve.


Tandis que Diana veille sur son bébé, les Wonder Girls - Cassie Sandsmarck, Donna Troy, Yara Flor - dépouillent de ses richesses le Souverain, coulant un porte-avion, dévalisant une banque, dérobant un diamant, et livrant à Cheetah un de ses conseillers.


Affaibli, le Souverain se terre dans une de ses propriétés où il reçoit la visite du Détective Chimp à plusieurs reprises parce qu'il enquête sur les circonstances suspectes de la mort de Steve Trevor. Cette manoeuvre a surtout pour but d'horripiler Henry Charles (le vrai nom du Souverain) avant que Clark Kent ne prenne le relais et publie un article dévastateur dans le Daily Planet sur ses combines.
 

Les Wonder Girls attaquent ensuite le Souverain dans sa maison du Potomac, l'obligeant à battre en retraite, escorté par Grail, la fille de Darkseid. Giganta, Triangle Man, Swan sont arrêtés après Circé, confondue par Chimp. Wonder Woman a maintenant la voie libre pour sortir de sa réserve et appréhender le Souverain, retranché à la Maison-Blanche...


Ces six nouveaux épisodes ne paraîtront en recueil en vo et en vf qu'au mois de Mai. Ils constituent surtout la fin de la première saga écrite par Tom King après un an et demi sur le titre. Mais que les fans se rassurent, le scénariste ne compte pas en rester là  et débute en Avril un nouvel arc.


Ce qui frappe d'emblée, avec cette conclusion, c'est que Tom King semble avoir tiré les leçons de son run sur Batman où il avait tout construit autour du couple Batman-Catwoman dans une prestation qui courait sur 80 épisodes (et qui était même prévue pour durer jusqu'à une centaine si on ne lui en avait pas retiré la charge).

Il faut donc bien considérer ces 19 premiers épisodes comme un acte entier, même si, dans le n°19, l'auteur prend soin de teaser des événements pour le futur, assez sinistre au demeurant. De toute manière, il a inscrit dès le début son run dans une perspective au long cours puisqu'on faisait la connaissance de Trinity, la fille de Wonder Woman, et de son prisonnier, le Souverain.

Je ne vais évidemment rien vous dévoiler de ce que King prévoit mais simplement suggérer qu'il ne faut peut-être pas le prendre littéralement. En effet, dans les comics, le futur est relatif puisque les héros ne vieillissent pas. Or, ce que prévoit King, c'est un avenir tellement improbable qu'il suppose que Jon Kent, Damian Wayne et Trinity ont remplacé leurs pères et sa mère. Avant que ça ne se réalise, il faudrait un sacré coup de tonnerre (ou la réalisation du projet 5G que désirait Dan Didio...).

Cela étant, King va lancer au mois de Juin prochain une nouvelle ongoing, Trinity daughter of Wonder Woman, dessinée par Belen Ortega (avec laquelle il collaborait sur les back-up stories de Wonder Woman, montrant la jeunesse de Trinity). Sans être débarqué de Wonder Woman, il pourra raconter la suite des aventures de la fille de l'amazone.

Ce tome 3 s'ouvre par une scène choc, comparable à celle qui vit Bane tuer Alfred Pennyworth : le Souverain abat de sang froid Steve Trevor. Son geste est motivé par la vengeance puisque Wonder Woman lui a échappé et qu'il veut lui faire du mal en s'en prenant à un être qui lui est cher. King n'a jamais caché qu'il n'appréciait guère Trevor, le considérant comme le love interest de l'amazone, mais dénué d'une vraie valeur autre.

Certains puristes auront beau jeu de trouver cet assassinat injuste, inutilement cruel, prétexte. Pourtant qui peut franchement regretter Steve Trevor à qui DC et d'autres scénaristes ont toujours essayé de trouver un rôle sans y parvenir ? Parfois, pour qu'un personnage grandisse, il faut le sacrifier. pensez à l'oncle Ben pour Spider-Man, à Karen Page pour Daredevil, à Captain Mar-Vell...

Non seulement en tuant Trevor, King lui donne une stature qu'il n'a jamais eue, mais cela rejaillit sur Wonder Woman, investie par le désir de venger son amour perdu. Evidemment, ce choix, fort, radical, est polémique parce que, soudain, c'est une bascule : Diana est moins concentrée sur la mission initiale de résoudre la crise entre les Etats-Unis et les amazones. 

Mais on verra, là aussi, à la toute fin de cet album que King n'a pas oublié Emelie, celle par qui tout a commencé et qui va occuper au moins le début du prochain arc. Avec son retour sur le devant de la scène, ce sera le moment de dénouer cette crise diplomatique entre Themyscera et Washington, une intrigue au long cours, qui ne peut être réglée en claquant des doigts.

King fait un autre choix audacieux : la majorité des épisodes de ce tome 3 se déroule avec Diana en retrait. Les Wonder Girls (Cassie Sandsmarck, Yara Flor, Donna Troy) occupent le terrain, comme si elles le préparaient pour leur grande soeur. Il semble bien qu'elles ignorent vraiment où se trouve Wonder Woman, et dans combien de temps elle reviendra, comme elles le jurent à Batman et Superman.

Cela fournit au récit des moments spectaculaires où les trois filles brillent par leur complémentarité et où King souligne avec acuité leurs caractères. Cassie est la disciple appliquée, Yara l'effrontée, Donna la plus mûre du lot. Elles sont à la fois les suivantes de Wonder Woman tout en ayant leurs propres méthodes, leur propre façon d'agir, ensemble et séparément. Mais, lorsque la patronne revient...

... Elles lui laissent la scène. Avant cela toutefois, King sait, comme c'est son habitude, user d'ellipses pour montrer le temps qui passe et en quoi il marque son héroïne. La voilà au chevet de sa fille, la faisant baptiser, sculptant une statue représentant Trevor. Autant de moments intimes, parfois pas très subtils (la statue), parfois touchants (la comptine que chante Diana à sa fille).

Grand amateur de citations, King donne à Trinity l'identité d'Elizabeth Marston Prince. Liz Marston était l'épouse de William Moulton Marston, le créateur de Wonder Woman, mais également une avocate et psychologue. Avec Olive Byrne, elle formait un étonnant ménage à trois, qui donnera naissance à quatre enfants en union libre durant 40 ans. Après la mort de William, les deux femmes continueront à vivre ensemble (cela inspirera un film, My Wonder Women, de Angela Robinson, en 2018).

J'ai lu ici et là que la fin de cet arc était anti climatic, manquait de tension. Mais le Souverain n'est pas un ennemi physique et on ne pouvait attendre une bagarre entre lui et Wonder Woman. Pour ma part, j'ai trouvé que King a dénoué son histoire de manière intelligente, fidèle à l'éthique de l'amazone, quoiqu'en disent des fans de George Pérez qui estiment que la vision du scénariste contredit celle de son illustre aîné.

Ce qui est certain, en outre, c'est que King va devoir raconter quelque chose de très fort pour la suite, car après un an et demi, il a réussi à développer une vraie saga, intense, poignante, cruelle. Et c'est donc comme s'il repartait quasiment de zéro, ou en tout cas avec des obstacles importants à surmonter (la crise amazone, le cas Emelie, le deuil de Diana, sa maternité, etc.).

Mais il pourra compter sur Daniel Sampere qui a toujours dit vouloir rester longtemps sur la série. L'artiste livre une prestation remarquable sur cinq des six épisodes, enchaînant des planches d'une qualité sensationnelle, avec un haut niveau de détail, assumant l'encrage, et s'appuyant sur la colorisation magique de Tomeu Morey.

Il est remplacé par son ami Bruno Redondo sur l'épisode 16, dans lequel intervient le Détective Chimp, en forme d'hommage affiché à Columbo. Le résultat est très drôle sans jamais s'égarer dans le pastiche ou le pas de côté purement humoristique. Redondo est comme d'habitude impeccable, sa rigueur dans le découpage se mariant parfaitement à celle de King.

Tom King, Daniel Sampere et les fill-in (Guillem March, Tony Daniel) sont parvenus à me faire lire Wonder Woman sur la durée. Le personnage y a retrouvé une sorte de frâicheur et de densité, tout en étant éprouvé comme rarement. Le scénariste s'est surtout montré plus convaincant que sur ses récentes mini-séries (Jenny Sparks, Black Canary : Best of the Best). Chapeau !

ABSOLUTE MARTIAN MANHUNTER #1 (of 12) (Deniz Camp / Javier Rodriguez)


John Jones est un agent du F.B.I. affecté au département de la stochastique. Alors qu'il était dans un coffee shop, un homme avec une ceinture d'explosif a surgi et s'est fait sauter. John s'en est tiré avec des blessures superficielles et, contre l'avis du médecin, de sa hiérarchie et de sa femme, il a tenu à continuer à travailler. Sauf que John n'est plus le même depuis cet événement...


J'ai eu l'occasion, après avoir lu ce premier épisode de Absolute Martian Manhunter, de féliciter sur BlueSky, les auteurs, Deniz Camp et Javier Rodriguez, pour leur réalisation véritablement exceptionnelle. Je leur ai dit que Johan Cruyff avait inventé le football total et qu'ils venaient de concevoir une sorte de bande dessinée totale.


Jusqu'à présent je me suis tenu éloigné des publications estampillées Absolute (Batman, Superman, Wonder Woman). La semaine dernière, un ami m'a fait lire le premier n° de Absolute Flash (par Jeff Lemire et Nick Robles) qui m'a laissé complètement froid. Mais j'attendais avec curiosité Absolute Martian Manhunter et fondais de grands espoirs à son endroit.


Le fait d'avoir choisi le Limier Martien comme cinquième héros de cette collection a de quoi surprendre car, même dans l'univers DC classique, c'est loin d'être une vedette comparable à Batman, Superman, Wonder Woman et Flash. Il aurait été plus prévisible d'avoir un Absolute Green Arrow ou Aquaman. Mais DC a fait preuve d'audace, qui plus en laissant carte blanche à Deniz Camp et Javier Rodriguez.


Le scénariste (qui écrit également la série Ultimates pour Marvel) et le dessinateur (qui sort du succès de Zatanna : Bring down the house) ont en effet conçu leur projet volontairement en marge du reste de la gamme Absolute. Il s'agissait, de leur propre aveu, de produire quelque chose de différent, pas seulement dans cet univers de poche, mais en général.

D'ailleurs, la série n'était programmée que pour six numéros. Mais les retours très positifs de ce premier épisode ont convaincu l'éditeur de poursuivre l'aventure en laissant à Camp et Rodriguez le champ libre pour douze épisodes (et plus si affinités). Et, pour ne rien gâcher, avec la promesse que Rodriguez dessinerait tout, sans fill-in (ce qui suppose que ce ne sera pas forcément mensuel à partir d'un moment, peut-être avec un break entre le n°6 et 7).

Cela fait penser à ce qui s'était passé pour Poison Ivy de G. Willow Wilson et Marcio Takara. Mais Absolute Martian Manhunter est une offre bien plus radicale. Le principe de cette collection est de dépouiller les personnages de ce qui les définissait dans l'univers classique : par exemple Batman n'est pas un riche héritier avec un majordome et une Batcave, Superman est vraiment le dernier survivant de Krypton, Wonder Woman a été élevée en enfer, etc.

Ici, donc, pas de professeur Mark Erdel qui a téléporté par erreur un martien sur Terre avant de succomber d'une crise cardiaque devant la créature. Deniz Camp sépare John Jones du martien dont il est l'alias dans la continuité ordinaire. Ici, il s'agit d'un simple agent du FBI affecté au département stochastique qui survit à un attentat.

Sauf que, depuis, John perçoit la réalité différemment, il il entend des voix de manière de plus en plus envahissante, dont celle d'un inconnu qui paraît vouloir communiquer avec lui. Est-il en train de perdre les pédales ? Hallucine-t-il ? Est-il sujet à un stress post-traumatique ? Ou bien une entité surnaturelle est-elle réellement en train de cohabiter avec lui ?

Avant d'aller plus loin, je vous en conjure, si vous voulez suivre cette série en vo mensuellement, achetez ce numéro 1 en version physique car les deux dernières pages (recto/verso) vous réservent une merveilleuse surprise dont vous privera la version numérique. En effet, sans rien spoiler, en plaçant l'avant-dernière page devant une source lumineuse, par transparence, vous pourrez découvrir que l'image au verso complète celle au recto. Et vous réaliserez que le martien est à la fois plus drôle et inquiétant...

Javier Rodriguez est un artiste exceptionnel : celui qui a débuté en Europe (notamment avec la série Lolita HR, écrite par Delphine Rieu) avant de partir tenter sa chance Outre Atlantique comme coloriste d'abord puis dessinateur ensuite a prouvé au fil des projets qu'on lui a confiés une imagination graphique sans limites.

Après quelques fill-in sur Daredevil (période Waid-Samnee), un premier long run sur Spider-Woman (avec Dennis Hopeless), il a tout explosé sur Defenders (avec Al Ewing) et L'Histoire de l'Univers Marvel (avec Waid). Puis il a récemment migré chez DC, d'abord pour une histoire courte sur Superman (avec Christopher Cantwell dans Batman : The Brave and the Bold) puis la mini Zatanna : Bring down the House.

Mais Absolute Martian Manhunter est l'occasion de repousser encore les limites pour l'artiste espagnol qui a été la priorité de Deniz Camp. Il a conçu le design du martien en pate à modeler (avouant être incapable de produire ça par infographie) et, comme toujours, il signe dessin, encrage et colorisation. Une maîtrise complète de sa partie visuelle.

Le résultat est totalement fou mais toujours lisible. Rodriguez ne cherche pas à noyer le lecteur sous un flot d'informations graphiques juste pour épater la galerie : c'est un narrateur virtuose qui réfléchit à ses effets et veut d'abord augmenter le script par le dessin. La lecture est d'une fluidité remarquable et plonge le lecteur dans tous les états qui trouble le héros avec une efficacité redoutable.

C'est la réponse parfaite au scénario de Camp qui saisit à la perfection ce qui se joue pour l'agent Jones et sème la confusion chez le lecteur avec virtuosité. On s'interroge constamment sur la santé mentale de ce jeune homme, marié, père de famille, ayant été confronté à l'horreur absolu et dont on épouse le point de vue.

L'épisode va crescendo jusqu'aux dernières fameuses pages. C'est grisant, mais aussi très amusant. Il y a une étrangeté ludique dans l'expérience que propose Absolute Martian Manhunter qui, pour le coup, ne se contente pas de travailler son personnage en épurant mais plutôt en faisant un grand pas de côté pour questionner les notions de raison mentale, d'altérité, de communication, de langage, d'appréhension du monde environnant.

Pour toutes ces raisons, c'est bien un comic-book total, qui joue avec les possibilités du média, qui se joue de nous, qui surprend constamment, qui dépasse les motifs super-héroïques et même d'univers parallèle. Là où Batman, Superman, Wonder Woman, Flash se contentent de modifications surtout cosmétiques, Absolute Martian Manhunter est absolument martien. Embarquez, le trip est génial !

vendredi 28 mars 2025

THE BIG BURN #3 (of 3) (Joe Henderson / Lee Garbett)


Avec l'aide d'un ami infirmier de Carlie, cette dernière, Owen, Ava et Diego sont temporairement mis en arrêt cardiaque. Le moyen pour le gang d'accéder à l'Enfer où il compte braquer le Diable et récupérer leur âmes. Mais évidemment le Diable, averti par Harold, sait qu'ils arrivent et les confrontent à leurs démons intimes.


Toutefois, Owen et Carlie réussissent à créer une diversion pour accéder au bureau du Diable. Vont-ils réussir leur improbable casse ?


Il a fallu être très patient pour lire le dénouement de The Big Burn puisque le précédent épisode était sorti en Novembre 2024. Et avant d'aller plus loin, on peut se demander si DSTLRY, cet éditeur qui offre non seulement une totale liberté artistique à ses auteurs mais qui en fait aussi des actionnaires, n'est pas en train de glisser vers ce qui mine souvent les productions Image Comics.


A savoir que, si certains réussissent à livrer leurs épisodes et boucler leurs séries en temps et en heure, d'autres prennent vraiment leur temps et n'hésitent pas à faire poireauter le lecteur. Si encore le résultat final est à la hauteur des attentes, bon, je n'y vois pas de problème : c'est frustrant, mais ce n'est pas non plus la fin du monde. Par contre, gare aux déceptions pour le final d'un récit.


Ne vous méprenez pas : je ne suis pas en train de vous préparer en annonçant finalement que ce dernier épisode de The Big Burn ne vaut pas les deux précédents. Mais il est certain que DSTLRY devra à un moment ou à un autre faire un vrai boulot d'editor au risque de commencer la publication de titres que certains lecteurs n'auront pas la patience d'attendre pendant des lustres.
 

Par exemple, un projet comme The City beneath her feet de James Tynion IV et Elsa Charretier a démarré en Décembre dernier et le deuxième épisode n'est prévu que pour le 25 Juin prochain, puis le troisième et dernier en Septembre ! Que se passe-t-il ? Zéro communication de la part de DSTLRY ou de l'équipe Tynion-Charretier. Moi, j'ai décidé d'arrêter d'attendre et j'achèterai le TPB direct.

Je ne m'explique pas davantage le délai entre The Big Burn #2 et #3. Joe Henderson n'écrit rien d'autre et Lee Garbett n'a signé que quelques variant covers entre temps. Par contre ni l'un ni l'autre ni leur éditeur n'a jugé bon d'informer le lecteur des raisons des retards de la série. Ce n'est pas respectueux (même si on a vu pire, par exemple avec Isola de Karl Kerschl et Brenden Fletcher, en stand-by depuis... 2020, et que Kerschl s'amuse ailleurs, tout en promettant de s'y remettre un jour...).

Mais revenons à nos moutons. Ou plutôt à nos braqueurs engagés dans le coup du siècle : commettre un casse en Enfer avec pour butin leurs âmes vendues au Diable. Un pitch vraiment génial et que Joe Henderson a su développer de main de maître. Pour quelle conclusion ? Je ne vais évidemment pas vous révéler comment cela se termine. Mais...

... C'est excellent ! Henderson a su trouver le moyen de dénouer tout ça de façon très intelligente et surtout très malicieuse. Oserai-je dire "diabolique" ? Presque. Il manque pour cela quelque chose de retors, comme si le scénariste s'était un peu bridé tout seul, n'avait pas osé quelque chose de transgressif. On reste dans les clous du polar mâtiné de fantastique.

La lecture s'avère donc très divertissante, mais manque un peu de piment. C'est un peu l'autre revers de la médaille des comics DSTLRY : avec leur format long d'une quarantaine de pages par épisode, le rythme est considérablement différent d'un floppy ordinaire où au bout de vingt pages il faut trouver un cliffhanger accrocheur pour donner envie de revenir.

Les séries DSTLRY s'apparentent à des volumes franco-belges, avec leur pagination, et s'il est appréciable de voir un scénariste profiter de cette longueur pour creuser la psychologie, définir les enjeux, on constate que souvent les auteurs ont du mal à bien finir. Ou plus exactement à finir aussi fort qu'ils ont commencé.

C'était le cas avec Somna, avec Time Waits, et c'est encore le cas ici : à chaque fois on entre dans une histoire aux prémisses très fortes, très prometteuses, puis le deuxième épisode exploite ce point de départ assez efficacement, mais à la fin on a le sentiment que ça aurait pu être mieux, plus intense, plus accrocheur. 

En vérité, on peut se demander si le fait de découper ces séries en trois numéros ne joue pas contre elles. Je suis convaincu que si Somna, Time Waits et The Big Burn étaient directement sortis en albums, en récit complet, l'impression de perdre en puissance ne serait pas aussi frustrante. De ce point de vue, il me semble que c'est ce qu'ont compris Ed Brubaker et Sean Phillips qui désormais conçoivent leurs projets en graphic novel.

L'autre avantage, c'est qu'on a pas à attendre des mois entre chaque numéro. Brubaker et Phillips livrent leurs romans graphiques directement, le fan sait qu'il faudra ensuite attendre le prochain quelques mois sans trépigner. Même au niveau du prix, c'est plus digeste, parce qu'avec ses fascicules luxueux, DSTLRY en rebute beaucoup qui refusent de débourser presque 3 x 9 $ pour une mini-série (et plus encore une fois collectés en album).

Je vais être rapide sur la prestation de Lee Garbett car, même si j'apprécie ce dessinateur, je trouve que ce qu'il a produit sur ce dernier épisode est plutôt décevant. S'il a réellement passé cinq mois là-dessus, alors ça ne se voit pas sur la planche. C'est aussi simple que ça. Les décors sont fréquemment absents, le découpage abonde en doubles pages (certes jolies pour la plupart), et les personnages sont souvent sommaires (niveau expressivité, gestuelle) tout comme les compositions.

Quand on compare ce que Garbett a fait sur The Big Burn avec sa précédente collaboration avec Henderson (Skyward - je ne compte pas Shadecraft, qui n'a tenu qu'un arc avant d'être annulée, hélas !), c'est en dessous. On était en droit d'espérer des planches de qualité supérieure, surtout pour le final. Ce n'est pas le cas.

Bref, c'est clairement la mini DSTLRY la plus mineure que j'ai lue. Avec un tel pitch, il y avait moyen de faire tellement mieux. Henderson et Garbett semblent ne pas s'interdire de faire une suite si on en croit le dernière page avec ce "The End" suivi d'un "? ". Mais il faudra pour cela élever leur niveau et ne pas se contenter d'une bonne idée.