samedi 13 décembre 2025

RUNNING MAN (Edgar Wright, 2025)


Dans un avenir proche, les Etats-Unis sont dirigés par un réseau médiatique autoritaire, Network. La plupart des téléspectateurs vivent dans la pauvreté avec peu d'accès aux soins de santé et pour calmer les masses, on leur diffuse des jeux violents et vulgaires. Le programme le plus populaire est The Running Man où pendant 30 jours trois candidats doivent échapper à des chasseurs menés par le mystérieux et redoutable Evan McCone qui les traquent au moyen de drones et de dénonciations des citoyens. Les coureurs eux partent avec 1000 $ et 12 heures d'avance mais avec l'obligation de se filmer pendant 1/4 d'h. chaque jour sinon ils perdent leur gain.


Ben Richards, un ouvrier qui vit dans les bidonvilles de Co-Op City, ne peut acheter les médicaments nécessaires pour soigner Cathy, sa petite fille atteinte de la grippe, et il ne trouve plus de travail depuis qu'il a dénoncé les conditions de travail aux syndicats. Sa femme, Sheila, le supplie de ne pas s'inscrire à The Running Man même si cela leur assurait une nouvelle vie. Mais Ben candidate et est retenu avec Jenni Laughlin et Tim Jansky après que le producteur du show, Damon Killian, ait couvert les frais médicaux de Cathy et mis sa famille à l'abri.


Lorsque le jeu commence, Ben se cache à New York mais s'enfuit après l'exécution de Tim. Il gagne Boston où il réussit à échapper à des chasseurs après une fusillade qui provoque une explosion de gaz qui en tue plusieurs. Tandis qu'il est hébergé par l'activiste anti-Network Bradley Throckmorton, il découvre qu'on le fait passer pour un meurtrier. Jenni est tuée à son tour. Les ouvriers et les plus pauvres le soutiennent pendant que Bradley l'envoie à Derry dans le Maine pour qu'il y rencontre un autre résistant au système qui pourra le cacher...


Qu'est-ce qui peut pousser un cinéaste à réaliser un remake quand il est déjà l'auteur d'une oeuvre personnelle et remarquable et qu'il pourrait employer son énergie dans des longs métrages inédits ? C'est la question, légitime, qu'on peut se poser quand Scorsese refait Les Infiltrés (d'après Infernal Affairs) ou Edgar Wright quand il refait The Running Man (en vo).


Stephen King, l'auteur du roman dont est adapté le scénario de Wright et Michael Bacall, n'était pas satisfait du premier film qui en avait tiré par Paul Michael Glaser avec Arnold Schwarzenegger en 1987, et quand Wright a annoncé qu'il allait en filmer une nouvelle version, plus fidèle au livre original, King a dû se sentir flatté.


Pourtant Running Man (en "vf") a des coulisses pour le moins douteuses : en effet, quand le film de Glaser sort, Yves Boisset découvre avec stupéfaction des ressemblances flagrantes avec son long métrage Le Prix du Danger, de 1983, adapté du roman de Robert Schekley. Le cinéaste français assigne les producteurs en justice pour plagiat et obtient gain de cause en 1998.


Alors remettre ça en 2025 relève quand même un peu du mauvais goût. Pas plus que Glaser et King, Wright ne peut prétendre livrer une histoire originale puisqu'elle imite celle de Sheckley et son adaptation par Boisset. Etrangement depuis le verdict, les télés françaises ne diffusent plus Le Prix du Danger et la Paramount n'est pas gêné de financer un nouveau plagiat.

Mais est-ce que, au moins, le film est bon ? Hé bien... Pas vraiment. Ou en tout cas pas autant qu'on aurait aimé. Comme je le questionnais en ouverture de cette critique, on peut vraiment se demander pourquoi, au lieu de consacrer plusieurs années à un remake, Wright n'a pas plutôt investi son temps et son talent dans quelque chose d'original (et subséquemment, pourquoi il semble persister dans cette direction puisqu'il devrait réaliser le remake de Barbarella, produit et joué par Sydney Sweeney ?).

Wright a passé 8 ans à développer Ant-Man pour Marvel avant de lâcher l'affaire, comprenant que Kevin Feige ne lui laisserait pas tourner le film qu'il voulait. Il s'est ressaisi avec Baby Driver (2017) et surtout avec le formidable Last Night in Soho (2021). Mais ici, il se rate assez franchement avec un opus sur lequel il n'apporte rien.

Le texte de King, écrit en 82, ne figure déjà pas parmi ses meilleurs. Cette dystopie sur les Etats-Unis sous la coupe d'un empire médiatique qui donne aux masses de nouvelles versions des jeux du cirque de la Rome antique ne brillait pas par sa subtilité. Le film de 87 non plus. Et celui de 2025 toujours pas. Sous ses airs de blockbuster en colère, il fait même peine à voir.

La faute à quoi ? Principalement à la caractérisation de ses personnages, affreusement manichéens. D'un côté le méchant producteur du show et son présentateur vedette. De l'autre le héros furibard après le système. Les seconds rôles sont sommaires, jamais assez développés pour qu'on s'y attache, et aux méthodes anti-Network assez pathétiques (sérieux, des brochures pseudo-révolutionnaires pour faire tomber une major du divertissement corrompant les hautes sphères du pouvoir !).

La course proprement dite n'est pas davantage palpitante. Le film dure 130' et il est bien trop long pour générer la tension qu'il promet en dehors de deux ou trois scènes spectaculaires durant lesquelles Ben Richards court un vrai danger mais dont il sort miraculeusement intact - trop miraculeusement. Car on peut dire qu'il a quand même énormément de chance.

Alors que le jeu l'oppose à des chasseurs armés jusqu'aux dents, hyper entraînés, secondés par des drones omniprésents, des détecteurs d'ADN, et qui sont aidés par d'aimables délateurs, notre coureur réussit à passer entre les mailles du filet avec une facilité qui frise le ridicule. Il quitte Co-Op City et ses milliers de caméra de surveillance, gagne Boston, le Maine, arrive presque au Canada, sans embûches véritables !

Et tout ça avec seulement quatre aillés véritables - un ami du bidonville qui lui fournit de faux papiers, des déguisements ; deux activistes clandestins ; et une automobiliste en otage ! En fait, le film joue contre lui-même : en voulant souligner l'ampleur de la compétition, les moyens innombrables du Network, la distance parcourue par le héros, le temps gagné, il rend les victoires de ce dernier trop improbables.

Plus ramassé, moins voyageur, le film aurait gagné en intensité et en réalisme, avec un protagoniste obligé de se débrouiller avec de petits moyens. Mais son gigantisme rend ses prétentions risibles. Ben Richards n'est défini que par sa colère, jamais il ne se décourage, et quand on le manipule pour relancer la partie, il se montre d'une naïveté confondante.

Quant au dénouement... Je ne vais pas le spoiler, mais c'est le pompon. La fin est littéralement interminable et la dernière scène est pitoyable. Comment Edgar Wright a pu croire que c'était là aussi une bonne idée ? Je suis sévère, je sais que le film a plu, son box office en témoigne, mais moi, je suis passé à côté. C'est du gâchis. 

Je pense qu'il est préférable de remaker de mauvais films mais qui ont quand même des histoires avec du potentiel (c'est en tout cas mieux que de refaire de bons films). Running Man n'était pas un bon film. Le refaire était donc prometteur. Mais le vrai souci, c'est que ce n'était ni un bon film à refaire, ni une bonne histoire de toute façon. Alors, à quoi bon ? Laissons les navets aux oubliettes !

Glen Powell était très bon dans Hit Man, Tout Sauf Toi et Twisters, et il a là un rôle que Bruce Willis par exemple aurait pu tenir. Mais Willis y aurait glissé de l'ironie, alors que Powell ne joue que sur un seul accord, comme écrit dans le script. Au début, il imite Tom Cruise, mêmes mimiques, même démarche, même pas de course. Mais il lui reste encore du chemin avant d'être aussi bon que Cruise.

Colman Domingo manque de vice dans son rôle de présentateur clinquant. Josh Brolin perd son temps en campant un méchant mogul comme ici. Le personnage de Lee Pace mise sur la surprise du moment où il se démasque et ça tombe complètement à plat. Michael Cera en fait des caisses en révolutionnaire. Katy O'Brian s'égare. Seule Emilia Jones sort son épingle du jeu en otage qui découvre la grande manipulation.

C'est vraiment dommage. Mais je pense que Wright s'est de toute façon trompé. Il ne pouvait rien apporter de plus, de meilleur. Running Man n'est pas une bonne histoire, ou en tout cas pas bien traité (ni en roman ni en film). C'est même pire, puisque c'est un plagiat avéré. Et ce remake est finalement aussi raté qu'indigne à cause de tout ça.

vendredi 12 décembre 2025

ADIEU POULET (Pierre Granier-Deferre, 1975)


Alors que la campagne électorale pour la mairie bat son plein à Rouen, le commissaire Verjeat et ses adjoints, Lefèvre et Moitrier, enquêtent dans une maison close où un client est mort en pleine épectase. La tenancière de l'établissement fait comprendre à Verjeat qu'elle a des amis haut placés qui veilleront à ce que sa réputation ne soit pas entachée. Après avoir déposé Verjeat puis Lefèvre, Moitrier reçoit un appel du Central l'avertissant d'une agression en cours : des colleurs d'affiche sont pris à parti violemment par plusieurs hommes armés de barre de fer. Il intervient mais un des agresseurs lui tire dessus.


Admis à l'hôpital en urgence absolue, Moitrier a le temps avant de succomber à ses blessures de dénoncer son assassin à Lefèvre : Antoine Portor, un des hommes de main de Pierre Lardatte, candidat à sa réélection. Verjeat l'apprend et fait une descente à sa permanence où se trouve Roger Portor qu'il charge de prévenir son frère de se rendre sans délai. Puis direction un meeting de Lardatte qui assure ne pas connaître Portor. De retour au Central, le contrôleur général Ledoux avise Verjeat de se concentrer sur Portor pendant qu'il s'occupe de Lardatte.


Le lendemain Mercier, le père du colleur d'affiche tué, se rend à la mairie pour s'expliquer avec Lardatte mais comme il est absent, il prend deux employés en otage. Verjeat tente de calmer Mercier en lui permettant de s'adresser par haut-parleur à Lardatte qu'il accuse d'être responsable de la mort de son fils. L'édile réclame réparation et obtient que Verjeat soit muté la semaine suivante à Montpellier.. Toutefois le commissaire a bien l'intention de s'amuser encore un peu avant de partir comme il l'explique à Lefèvre...


Aujourd'hui, le genre policier en France a été confisqué et par la télé, à coup de séries ineptes (Capitaine Marleau en tête), et par des films dans la veine de ceux d'Olivier Marchal qui, se vantant de sa courte carrière de flic, prétend en raconter les histoires les plus réalistes. Mais en vérité, ni l'un ni l'autre de ces courants ne soucient de produire des oeuvres à la fois divertissantes et crédibles.
 

Il y a juste cinquante ans sortait Adieu Poulet et le revoir aujourd'hui permet de mesurer ce que le cinéma français a abandonné avec ce genre autrefois si populaire. Il y a bien sûr l'absence d'acteurs vedettes pour porter ces longs métrages, mais aussi le manque de cinéastes passionnés par ces histoires, et évidemment, encore, toujours, l'aseptisation engendrée par le financement des films par la télé (avec donc l'obligation de fournir quelque chose de diffusable en prime time).
 

Pierre Granier-Deferre n'était pas un très bon réalisateur, ses meilleurs opus ont été adaptés de Simenon (Le Chat et La Veuve Couderc en 1971, Le Train en 1973) ou de Christopher Frank (Une étrange affaire en 1981), mais c'était un de ces faiseurs très consciencieux qui savait emballer un scénario et diriger des stars, à défaut d'avoir un sens esthétique prononcé.
 

C'est Lino Ventura qui lui demanda de mettre en scène Adieu Poulet : l'acteur sortait d'un échec commercial et voulait se refaire. Granier-Deferre, qui n'avait jamais tourné de polars, accepta d'adapter pour le grand écran le script de Francis Veber, adapté de l'affaire de la fusillade de Puteaux en 1971 (et qui inspira aussi Il n'y a pas de fumée sans feu d'André Cayatte en 73).

Ce faits divers concernait la mort d'un colleur d'affiche, Salah Kaced, 31 ans, tué par des partisans du maire Charles Ceccaldi-Raynaud. Le procès qui s'ensuivit deux ans plus tard valut à l'édile d'être condamné au civil à verser 200 000 Francs à la partie civile, même si le mobile raciste ne fut pas retenu contre les assassins.

Le scénario de Veber, d'après le roman de Raf Vallet, transpose l'action à Rouen mais plus que l'intrigue, ce qui est devenu aujourd'hui le plus intéressant, c'est la mécanique du film. En effet l'histoire est traitée comme un buddy movie avant l'heure, figure de style dont le scénariste se fera ensuite un spécialiste (avec sa trilogie La Chèvre-Les Compères-Les Fugitifs).

Il y a donc un aspect quasi documentaire avec Adieu Poulet : Verjeat est un vieux de la vieille, commissaire taiseux et intègre, puni pour avoir humilié un politicien véreux mais préférant les remontrances à la corruption. Son principal adjoint est Lefèvre, un jeune loup aussi volubile que son supérieur est taciturne, intrépide et insolent, entré dans la police faute de mieux.

Ce type de tandem en précède bien d'autres qui feront des cartons au box office dans la décennie suivante. Si on découvre le film en 2025, on pourrait croire que les français ont copié les américains alors que Adieu Poulet est sorti 12 ans avec L'Arme Fatale par exemple, qui reproduit le même schéma du vieux sage et le chien fou.

Le reste est tout de même moins fameux, il faut bien l'avouer, manquant cruellement de subtilité. Tourné durant le septennat de Valéry Giscard d'Estaing, le film sent le tabac froid, a un look grisâtre, et un air de "tous pourris" un peu rance. Même nos deux héros usent de méthodes limite, tabassant les indics et les prévenus, rusant avec la complicité d'une mère maquerelle.

En outre la photo est très laide et même la musique de Philippe Sarde déçoit. Granier-Deferre se montre très maladroit quand il s'agit de filmer l'action la plus mouvementée, glissant même un gag inutile (avec Dominique Zardi, un fidèle des films de Claude Chabrol). Mais quand il se concentre sur son duo d'inspecteurs, pas de souci : on leur pardonne tout.

Lino Ventura reprend un rôle qui lui va comme un gant : il a 56 ans à l'époque et toujours ce style de jeu très mesuré qui a fait sa gloire, avec quelques moments où il peut se permettre d'en rajouter dans le registre du vieux briscard revanchard et désabusé. Patrick Dewaere lui donne pour la première et dernière fois la réplique et son interprétation est un parfait contrepoint : le succès du film, un an après celui des Valseuses, en fera une vedette.

Les seconds rôles sont impeccablement tenus aussi bien par Julien Guiomar en supérieur à la botte de Victor Lanoux en politicard veule. Claude Rich campe un magistrat inflexible qui va aider, à son insu, Verjeat. Et Pierre Tornade incarne le pauvre Pignol, rôle ingrat du remplaçant désigné de Ventura au Central. On n'oubliera pas non plus Claude Brosset, parfait en tueur en cavale.

Adieu Poulet n'est pas un grand film, encore moins un grand polar, mais il montre comment il y a 50 ans tout pile le cinéma français, qui n'était pas encore tenu par les bourses par la télé, savait proposer ce genre de longs métrages, manichéen certes mais très efficace.

jeudi 11 décembre 2025

COUP DE TÊTE (Jean-Jacques Annaud, 1979)


François Perrin est l'ailier droit de l'équipe réserve du club de Trincamp, petite ville passionnée par le football et les exploits de ses joueurs en Coupe de France. Lors d'un entraînement, il bouscule sans le faire exprès Berthier, la vedette de l'équipe, qui exige son renvoi. Licencié de l'usine, dont le patron est Sivardière, également propriétaire du club, Perrin survit de petits boulots mais il est devenu indésirable jusque dans le bar "Le Penalty", où il a ses habitudes.


Alors qu'il s'apprête à quitter Trincamp, il est arrêté par la police qui l'accuse du viol d'une jeune femme, Stéphanie, en réalité agressée par Berthier. Identifié à tort par Brochard et Lozenard, deux commerçants et supporters, il est incarcéré. Mais au cours du déplacement de l'équipe pour les 16èmes de finale de la Coupe de France, le car qui transporte les joueurs finit dans un ravin. Sivardière fait le compte des blessés et il manque un attaquant valide pour pouvoir disputer le match. 
 

Le vieux Jeanjean, qui fait partie de l'encadrement sportif, suggère alors de faire appel à Perrin. Sivardière fait jouer ses relations pour qu'il obtienne une permission. Mais à peine dehors, Perrin fausse compagnie à son escorte et va chez Stéphanie pour se venger. Pourtant face à elle, il ne peut passer à l'acte et, devant un café, il lui raconte toutes les vicissitudes de son existence. Des gendarmes le retrouvent et le conduisent au stade. Perrin va inscrire les deux buts qui assurent la victoire à Trincamp et passer en un éclair de paria à héros local...


Je ne parle pas souvent de films français parce que le cinéma hexagonal ne m'inspire plus. Je trouve que la majorité des cinéastes et des acteurs actuels sont sans intérêt, et le financement des films par la télévision a conduit à une aseptisation déprimante de la production. Aussi, la plupart du temps, quand j'ai envie de voir un film "de chez nous", je revois des films que j'ai aimés il y a longtemps.


Coup de Tête en fait partie. Il s'agit du deuxième long métrage réalisé par Jean-Jacques Annaud, avant La Guerre du Feu, Le Nom de la Rose, L'Ours et toutes les superproductions dont il s'est ensuite fait le spécialistes. Si bien qu'aujourd'hui certains doutent même qu'il ait pu signer une comédie populaire avec en toile de fond le football.
 

Deux ans avant, Annaud avait sorti La Victoire en Chantant, bide commercial cuisant qui reçut pourtant l'Oscar du meilleur film étranger... Au profit de la Côte d'Ivoire ! Hollywood lui fait alors les yeux doux mais il pense ne pas avoir la maturité suffisante pour répondre aux exigences des majors américaines et préfère revenir en France.


L'idée de Coup de Tête (d'abord intitulé Le Hareng, parce que l'action est censée se situer en Bretagne, puis Le Bourrin, surnom péjoratif qu'on attribue aux joueurs qui compense leur manque de technique par l'engagement physique) lui vient d'un discussion avec le journaliste Alain Godard. Annaud fait appel à Francis Veber, déjà réputé pour ses comédies, pour travailler ensemble sur le script.

Les deux hommes vont effectuer un véritable travail de documentaristes en allant pendant un an à la rencontre du milieu dont ils veulent parler : ils interrogent des joueurs, des entraîneurs, des patrons de club, des supporters, à Melun, Montargis, Concarneau, assistent aux troisièmes mi-temps, aux séances d'entraînement, aux échanges dans les vestiaires.

Fort de 250 pages d'informations, ils construisent l'histoire à laquelle Veber donne des dialogues. La Gaumont produit mais sans vraiment croire au projet et le budget est donc modeste. Qui plus est, Annaud va s'opposer à Alain Poiré, le patron du studio, quand il s'agira de caster Patrick Dewaere dans le rôle principal.

Poiré refuse de le signer parce que Dewaere a des soucis récurrents avec la drogue (conséquence d'un mal-être persistant depuis l'enfance où il a subi un viol et été soumis à la pression de sa famille pour qu'il devienne acteur) et aussi parce que l'acteur a refusé de tourner dans La Carapate de Gérad Oury alors qu'il avait pourtant signé son contrat.

Annaud ne lâche pourtant rien, même quand Poiré tente de lui imposer Gérard Depardieu, et il obtient gain de cause, même si les assurances rechignent à couvrir Dewaere qui, pour remercier le cinéaste, entame une cure de désintoxication puis s'entraîne comme un fou sous les ordres de... Guy Roux, mythique entraîneur de l'A.J. Auxerre, consultant sur le film.

Pourtant une fois sur le terrain, Roux constate que si Dewaere est en bonne condition physique, il est nul balle au pied et Annaud cédera à contrecoeur en le faisant doubler par Lucien Denis, un des joueurs de Roux à Auxerre. Le club et ses supporters n'en resteront pas là : plusieurs autres joueurs apparaissent dans l'équipe de Trincamp et les habitants feront de la figuration dans les gradins.

Le match auquel on assiste a d'ailleurs été filmé durant la mi-temps d'Auxerre-Troyes (0-0) durant un véritable 16èmes de Coupe de France et cette année-là, l'A.J.A. se hissera jusqu'en finale avant de monter en première division l'année suivante ! Ne cherchez pas Trincamp sur la carte de France, cette ville n'existe pas, son nom a été inspiré par Guingamp.

Le film, lui, ne fera pas d'étincelles au box office, l'affiche suggérait maladroitement un film sur le foot et les spectateurs ont été déçus. Pourtant, au fil des rediffusions télé, c'est devenu un long métrage très populaire. Son bide initial a aussi été causé par le refus de Dewaere de le promouvoir car il détestait ce que le petit écran et ses émissions disait des films, avec condescendance, comme si c'était un geste de politesse d'en parler.

Dewaere avait le sang chaud : sur le tournage, la dernière semaine, il s'est fâché contre un accessoiriste et refusé de s'excuser, provoquant une brève grève des techniciens. Ensuite, il a cassé la gueule à un photographe de "France Dimanche" qui avait pris des clichés de sa famille - ça plus ses propos contre la télé lui ont valu d'être ostracisés pendant quelque temps. Plus tard, il écrivit une lettre d'excuses à Annaud avant de mettre fin à ses jours en 1982.

Mais bon sang, il ne méritait pas ça ! Parce que Dewaere est exceptionnel dans Coup de Tête, comme il l'a toujours été dans tous ses films. Cet écorché vif incarnait à la perfection ce François Perrin mis au ban de la petite société bourgeoise de Trincamp avant de savourer une vengeance particulièrement savoureuse. 

Annaud et Veber ont fait attention à ce sujet, sachant que si Perrin mettait ses menaces à exécution, le public n'aurait plus aucune sympathie pour lui. D'où le twist final, que je ne dévoilerai pas, mais qui est épatant. Comme l'a dit Annaud : "la vengeance n'est pas un plat qui se mange froid. C'est un plat qui ne se mange pas."

Et puis le film est aussi excellent par la qualité des seconds rôles : aujourd'hui, les noms de Jean Bouise, Michel Aumont, Paul Le Person, Maurice Barrier, Robert Dalban, Hubert Deschamps sonnent comme des vestiges d'une autre époque. Mais c'étaient tous des comédiens fabuleux, rendant leurs personnages veules à souhait, et valorisant celui de Dewaere en retour.

Et puis il y a France Dougnac, dont ce doit être le plus grand rôle, mais qui est superbe, à la fois celle qui provoque la chute de Perrin et l'aide ensuite à être réhabilité.

Enfin, Coup de Tête, c'est une merveilleuse bande originale qu'on doit à Pierre Bachelet, avant sa carrière de chanteur. Celui qui composa aussi le chanson d'Emmanuelle signe en particulier un thème magnifique qui faillit ne jamais voir le jour : en effet le siffleur professionnel engagé pour l'interpréter arriva en studio les lèvres gercées... Et fut remplacé au pied levé par Bachelet lui-même ! Hélas ! Cette BOF est introuvable et c'est un vrai scandale.

Ecoutez ça :


J'adore ce film et je le conseille à tout le monde. C'est drôle, cruel, jubilatoire, Dewaere est formidable. Pour un peu, je la jouerai vieux con en pensant qu'on ne fait plus de film pareil maintenant....

mercredi 10 décembre 2025

ULTIMATE SPIDER-MAN #23 (Jonathan Hickman / David Messina, Marco Checchetto)


Otto Octavius s'apprête à aider Ben Parker et J.J. Jameson à lancer leur direct pour discréditer publiquement Wilson Fisk lorsque Mary Jane et Peter Parker apprennent que leur fils Richard est sur le point d'infiltrer le gratte-ciel du Caïd avec Black Cat. Spider-Man se rend sur place tandis que le Bouffon Vert est conduit devant Captain Britain, membre du Conseil du Créateur...


Ce pénultième numéro de la série paraît donc avec un mois de retard et la fin d'Ultimate Spider-Man aura donc lieu en Janvier 2026. Je vous l'ai dit, même Jonathan Hickman a appris l'arrêt de la ligne Ultimate, que Marvel lui avait confiée, par surprise. Les aventures de sa version du Tisseur vont donc s'achever en même temps que les autres titres de la gamme (sauf Ultimate Wolverine qui a été prolongé de 12 à 16 épisodes).
 

Ce 23ème chapitre est donc une mise en bouche avant que le rideau ne se baisse. Hickman a eu droit à plus de pages (une trentaine) et il en profite pour gratifier le lecteur de ce dont il l'a souvent privé : de l'action. Et il y a fort à parier que le mois prochain sera encore plus musclé au regard de ce à quoi on a droit cette fois.


La narration déploie quatre fils : le premier concerne Ben Parker et JJ Jameson qui lancent en direct leur article sur qui est vraiment Wilson Fisk, le deuxième à propos du casse de Richard Parker et Black Cat dans l'immeuble du Caïd, le troisième avec le Bouffon Vert en route pour se venger, et le quatrième avec Spider-Man face à Fisk et Mr. Negative.


Ce dernier fil est le plus important en nombre de pages et le plus spectaculaire. On jubile devant cette baston mémorable formidablement mise en images par Marco Checchetto. Le découpage est très énergique, les compositions de chaque plan participent à l'intensité du combat, et Hickman l'orchestre de la manière la plus excitante possible.

D'autant plus qu'avant l'entrée en scène de Spider-Man, on assiste à un début de duel entre Fisk et Negative qui, aussitôt leur ennemi commun dans la place, oublient leurs différends et s'allient pour le terrasser. Rien que pour ça, il sera beaucoup pardonné à l'équipe créative qui se sera amusée à nous faire languir pendant deux ans.

Hélas ! je dois dire que ça ne me suffit pas complètement pour excuser le reste. Checchetto est bien là (il signe les planches 5 à 12, 15-16, 19, 24-25, 28-29 et 31, ce qui témoigne d'une prestation plus en pointillés que vraiment constante). Mais David Messina assure le reste, avec certes des scènes plus mouvementées que d'habitude mais moins percutantes.

Hickman ralentit trop le rythme de son récit avec toutes ces pistes narratives, quand bien même elles ont le mérite de préparer à la fin des arcs de chaque personnage. Mais par exemple, tout ce qui se passe avec Ben Parker, Jameson, l'Homme-Taupe, Octavius ralentit trop l'ensemble, prend trop de pages.

Au détriment de ce qui se joue avec Richard et Black Cat  dont les scènes ont du mal à trouver leur position, trop souvent entrecoupées. Quant au parcours du Bouffon Vert, il reste suspendu au prochain et dernier épisode. Tout ça est en fait à l'image des travaux de Hickman depuis un petit moment maintenant : ce n'est pas inintéressant en soi, mais c'est confus, et écrit sans beaucoup de nerf.

Je me demande surtout ce qu'on retiendra de cette expérience Ultimate et de son Spider-Man. Hickman a donné à certains fans ce que les editors de la version classique leur refusent de manière obtuse, mais la série paraît s'être déroulée constamment à la marge du reste du projet initial. Et les autres séries n'auront jamais eu l'impact des titres de la première version de cet collection.

Est-ce en faisant ce constat que Marvel a décidé d'arrêter les frais (malgré des chiffres de vente satisfaisants) ? Ou parce que l'éditeur a compris que la partie était nettement perdue face à l'univers Absolute de DC, plus radical, plus audacieux ? En tout cas, même Hickman n'aura pas suffi à rendre cela indispensable...

ETAT SECOND (Peter Weir, 1993)


Un avion de ligne s'écrase dans un champ de maïs. Les secours, les pompiers et la police arrivent sur place et constatent l'étendue de la catastrophe. Un homme, Max Klein, sort des maïs en tenant dans ses bras un nourrisson et par la main un enfant, Byron Hummel, par la main, suivis d'autres rescapés. Un infirmier lui demande s'il va bien, il lui répond qu'il cherche la mère du bébé et le lui rend. Puis il s'éloigne du lieu du crash en montant dans un taxi. l loue une voiture dans la ville voisine et s'arrête en chemin pour rendre visite à Alison, une amie du lycée qu'il n'a plus vue depuis 20 ans.
  

Ils vont manger dans un diner, sans qu'elle se doute d'où il vient, mais s'étonne de le voir manger des fraises alors qu'il y était allergique. Il ne fait pourtant aucune réaction. Le lendemain matin, des agents du FBI le trouvent dans une chambre de motel et lui demandent pourquoi il n'a pas appelé sa famille pour les rassurer. La compagnie aérienne lui offre un billet de train pour rentrer mais il préfère reprendre l'avion. Il fait le voyage en compagnie d'un psychiatre employé par la compagnie, le Dr. Perlman.


Une fois chez lui, Max rassure enfin sa femme, Laura, et leur fils, Jonah. Perlman lui laisse sa carte de visite. Durant les jours suivants, les médias le harcèlent en le considérant comme un héros pour avoir sauvé plusieurs passagers. Max les fuit et commence à prendre des risques inconsidérés, convaincu que Dieu a voulu le tuer et qu'il est désormais invulnérable. Perlman resurgit pour lui demander de rencontrer une autre rescapé, Carla Rodriguez, qui a perdu son fils de 2 ans dans le crash et se laisse mourir à petit feu...


En 1993, Peter Weir est un cinéaste respecté par la critique et adoré du public, pourtant les grands studios ne savent pas sur quel pied danser avec ce cinéaste australien qui change de genre à chaque film : il a signé un polar atypique avec Witness, une fable humaniste avec Le Cercle des Poètes Disparus... Et le voilà qui aux commandes de Fearless (en vo) qui a tout d'un film catastrophe.


C'est la 20th Century Fox qui finance ce projet au début trompeur, car si Etat Second (en vf) démarre effectivement sur une spectaculaire scène de crash aérien, la suite est toute autre. Le scénario est adapté du roman de Rafael Yglesias par lui-même et explore le sentiment de culpabilité du survivant à travers deux rescapés de cette catastrophe.


Le film s'ingénie à aller dans le sens contraire à celui que l'audience attend. C'est sa grande qualité, mais c'est aussi ce qui explique son échec commercial. Peter Weir refuse tout sensationnalisme au profit d'un récit intimiste et parfois très symbolique. On croit entrevoir l'esquisse d'une romance, qui ne se concrétisera pas. Et la fin joue avec nos nerfs.


Toute l'oeuvre de Peter Weir, qui ne tournera plus que trois films ensuite (The Truman Show, Master and Commander et Les Chemins de la Liberté), est traversée par des personnages aux destins contrariés dans des histoires qui ne se donnent pas facilement au spectateur. C'est un cinéma de la patience, de l'étrangeté aussi, mais qui, si on accepte d'y plonger, vous restera longtemps en mémoire.

Le héros de Etat Second ne veut justement pas en être un alors qu'il a pourtant accompli un authentique acte de bravoure. Alors qu'il avait la phobie de l'avion, il accompagne son associé pour un voyage d'affaires lorsque l'appareil dans lequel ils ont embarqué rencontre de gros ennuis techniques et que le commandant de bord prévient les passagers qu'il va atterrir en catastrophe.

Avant le crash pourtant Max Klein est saisi par un sentiment de sérénité inattendu. Il voit un jeune garçon assis seul quelques rangées devant lui et, pour le rassurer, va s'installer à côté de lui. Il observe les passagers affolés et leur livre un regard, un geste rassurants en progressant. Puis c'est le choc, l'avion se disloque, prend feu...

Il s'en sort sans une blessure (à l'exception d'une égratignure au flanc) et guide les survivants hors de l'appareil sur le point d'exploser, dans le plus grand calme. Au lieu de rester sur zone pour être examiné, il s'éclipse et loue une voiture dans la ville voisine. Pendant 24 h., il disparaît des radars, passe voir une vieille amie, avant de rentrer auprès de sa femme et de son fils, en compagnie d'un psychiatre.

Le film montre cet homme qui semble être devenu un autre, il est distant avec les siens, refuse d'être suivi par un thérapeute, prend des risques comme pour défier Dieu qui a voulu, selon lui, le tuer. Il est un miraculé et se sent intouchable. Une scène le montre grimpant sur la corniche du toit d'un immeuble, grisé par la sensation d'être littéralement au bord du précipice.

Max Klein rencontre ensuite une autre survivante, Carla Rodriguez, qui a perdu son fils de 2 ans dans le crash. Elle ne s'en remet pas, se laisse dépérir, culpabilise. En plein complexe messianique, il entreprend de la sauver, de lui redonner goût à la vie. Il l'embrasse même à un moment, mais pas pour la séduire, juste comme un geste supplémentaire pour qu'elle apprécie un plaisir simple.

Peter Weir ne fait pas de Carla une rivale pour Laura, l'épouse de Max, mais plutôt un personnage qui va leur permettre de le protéger de lui-même, de le ramener à son tour à la vie. Une fois rétablie, Carla sacrifie son amitié avec Max pour qu'il consente enfin à revenir chez lui, près de sa famille, de son fils, de sa femme. Dans ces circonstances, dire "adieu", c'est une manière de rendre quelqu'un aux siens.

Le deuil dans Fearless est moins une affaire de chagrin que de renaissance, de nouveau départ. Max dit à Carla qu'il n'a pas envie de revenir, mais elle, à ce moment-là, grâce à lui, est revenue à la vie et, en le quittant, elle espère le motiver à faire de même. C'est une nouvelle fois en frôlant la mort qu'il va être vivant, et rentrer chez lui, littéralement, revenir à la vie.

Le film se déroule sur un rythme lent, contemplatif. Il est ponctué de moments à la fois intenses et légers, sans effusions, Peter Weir ne cède jamais au mélodrame, au pathos. Cette intériorité tranche avec ce qu'on pourrait attendre de l'histoire d'un homme qui défie Dieu pour prouver qu'il est invulnérable. Mais ce pari est gagnant car il fait de Max Klein un sujet fascinant, dont on ne sait pas s'il va s'en tirer, sombrer ou refaire surface.

Outre la mise en scène très sobre et élégante, on a droit à une interprétation de haute volée. Jeff Bridges n'a jamais été un acteur qui a eu la reconnaissance qu'il méritait, parce qu'il privilégie la simplicité, l'incarnation aux effets, à la composition, à la performance. C'est pour ça qu'il est si bon en général, et tellement bon ici.

Face à lui, Rosie Pérez, on le sent, a été canalisée par Peter Weir : son jeu d'habitude si volcanique est ici une merveille de délicatesse, de sensibilité (le rôle était prévu pour Winona Ryder mais Bridges pensa qu'elle serait trop jeune). Isabella Rossellini campe une épouse perdue, dépassée, mais résolue. Tom Hulce est parfait en avocat âpre au gain. Et John Turturo est encore meilleur en psy qui laisse faire les choses plutôt que de prétendre avoir réponse à tout.

Etat Second est un film curieux - comme tous les films de son réalisateur. Il introduit un personnage énigmatique, qui sort de lui-même, s'égare et retrouve son chemin. Si parfois la charge symbolique est un peu maladroite, elle contribue à raconter une histoire imprévisible et intense, mais avec une étonnante douceur.

mardi 9 décembre 2025

SUSIE ET LES BAKER BOYS (Steve Kloves, 1989)


Les Fabulous Baker Boys sont deux frères, Jack et Frank, qui jouent ensemble depuis quinze ans dans des clubs et des hôtels à Seattle et dans ses environs, jouant sur une paire de pianos à queue des standards de jazz et de variété. Frank est également le manager du duo, et Jack commence à se lasser d'interpréter toujours les mêmes morceaux - il collectionne les aventures d'un soir, s'occupe de son vieux labrador et passe du temps avec Nina, une fillette qui habite avec sa mère dans le même immeuble que lui.


Les contrats se faisant rare et donc les revenus en baisse, Frank a l'idée d'engager une chanteuse pour redynamiser leur numéro. Les deux frères auditionnent une trentaine de jeunes femmes, sans succès, jusqu'à l'arrivée, avec 1h. 30 de retard, de Susie Diamond qui les convainc de l'écouter. Elle les impressionne assez pour qu'ils l'engagent. Leur première représentation en trio est imparfaite mais leur vaut de nouveaux engagements mieux rémunérés.


Le trio s'établit dans un complexe hôtelier luxueux pour un mois pendant les fêtes de fin d'année. Voyant Jack flirter avec Susie, Frank s'en inquiète en expliquant à son frère que cela risque de perturber l'équilibre du groupe. Lorsque son fils se blesse légèrement, Frank est obligé de partir précipitamment et Jack se produit seul le soir du Nouvel An avec Susie. Au terme d'une prestation éblouissante, l'inévitable se produit...


Steve Kloves avait 29 ans quand il réalise The Fabulous Baker Boys (en vo) qu'il a commencé à écrire quatre ans auparavant. L'histoire lui a été inspiré par le duo de pianistes Ferrante & Teicher quand ils furent programmés au Ed Sullivan Show dans les années 60 et c'est après avoir rencontré d'autres musiciens qui se produisaient dans des bars, clubs, restaurants, hôtels qu'il a étoffé son script.


Le studio 20th Century Fox acquiert les droits de son histoire mais rechigne évidemment à le laisser en être le réalisateur. Kloves rêve alors de collaborer avec George Roy Hill mais entre les deux hommes, le courant ne passe pas. Sydney Pollack est alors contacté mais contre toute attente il va défendre le jeune auteur pour qu'on le laisse diriger le film alors que lui en sera un des producteurs exécutifs.
 

Curieusement personne ne veut de deux véritables frères pour camper Jack et Frank Baker. Bill Murray et Chevy Chase sont envisagés, sans suite. Alors on propose à Dennis et Randy Quaid les rôles, mais ils déclinent. Jeff Bridges manifeste son intérêt et va faire le forcing pour que son frère Beau lui donne la réplique. Le studio aimerait quelqu'un de plus connu que ce dernier avant de s'incliner.


Pour le rôle clé de Susie, c'est Whitney Houston qui est le plus désirée, mais à cette époque elle privilégie sa carrière de chanteuse et ne veut pas ajouter à son agenda un tournage de film. Le script passe dans les mains de Jodie Foster, Jennifer Jason Leigh, Debra Winger. Madonna refuse, estimant l'histoire "trop mièvre" (la star n'a décidément jamais eu de flair pour s'imposer sur grand écran).

Michelle Pfeiffer n'est encore qu'une actrice en devenir et la Fox accepte à contrecoeur de l'auditionner - un parallèle avec son personnage dans le film car elle aussi met finalement tout le monde d'accord. Durant le tournage, les frères Bridges jouent vraiment du piano et Pfeiffer en playback ce qu'elle a enregistré au préalable.

Pourtant, énième bizarrerie dans la production, Dave Grusin, compositeur de la bande originale, ne va pas garder les enregistrements de Jeff et Beau Bridges, préférant rejouer leurs parties avec son ami John Hammond. Pas très classe. Mais, enfin, on notera que les trois comédiens ont vraiment fait le taf quand on le leur a demandé.

36 ans après sa sortie et son score qui a juste remboursé son budget, que penser de Susie et les Baker Boys (en vf) ? Il y a des choses qui ont méchamment vieilli, au premier rang desquelles la bande son de Grusin, bien moins inspiré que d'habitude, et qui, à la moindre occasion, nous inflige des solos de saxo ténor sirupeux pour suggérer la tension érotique entre Jack et Susie ou l'ambiance mélancolique.

On se dit aussi que l'histoire aurait sûrement gagné à se situer dans le passé, quand des musiciens galéraient dans des clubs, parce que les années 80 collent moins à ce genre de récit (c'était quand même la décennie pathétique des yuppies, avec des coiffures au brushing affreuses, des coupes de vêtements moches). Mais Kloves n'aurait sûrement pas eu les moyens pour reconstituer les années 40-50 s'il l'avait voulu...

En vérité, The Fabulous Baker Boys ressemble à la version jazz de A Star is born. Les deux frangins n'ont jamais confirmé leurs brillants débuts et traînent dans des clubs indignes de leur talent depuis 15 ans jusqu'à ce qu'ils rencontrent Susie. Elle va être à la fois leur moyen de se relancer et l'instrument de leur chute.

Parce qu'elle est aussi ambitieuse que décomplexée, la jeune femme remobilise les troupes tout en menaçant gravement l'équilibre du duo. Frank s'en rend vite compte quand il voit avec quelle désinvolture mais aussi avec quel talent elle mène son affaire, et surtout quand Jack et elle se mettent à flirter. Il voit avant tout le monde que la chance se paie.

Jack et Susie deviennent amants, sans s'attacher vraiment - surtout Jack, qui est l'archétype du mec qui a renoncé et se fiche de tout. Frank en revanche tient autant au groupe pour ce qu'il représente que parce qu'il lui permet de faire vivre toute sa famille : il a des responsabilités, contrairement aux deux solitaires que sont Jack et Susie.

Le point de bascule du récit a lieu lors d'une scène devenue l'emblème du film quand Susie, assise puis allongée langoureusement sur le piano de Jack, chante d'une manière scandaleusement sensuelle Makin' whoppee. Elle exécute un numéro de charme auquel ne résistera pas son partenaire... Et encore moins le trio car cela lui vaut d'être remarquée par un producteur qui la décidera à plaquer les deux frères pour un emploi plus rémunérateur.

Susie sortie de la photo, les deux frères règlent leurs comptes. Mais surtout soldent leur histoire. Jack admet enfin qu'il n'en peut plus et Frank l'admet. Ils se réconcilient. Jack regagnera-t-il le coeur de Susie ? Le dénouement était sans doute trop flou, pas assez franchement positif pour plaire au grand public, mais Kloves a l'honnêteté de ne pas céder à un happy end trop explicite.

Sa réalisation est très maîtrisée et élégante, il faut dire qu'il a pu compter sur un directeur de la photo aussi renommé que Michael Ballhaus (Les Affranchis de Scorsese, Dracula de Coppola...), mais tout de même c'est bien dommage qu'après ça Kloves n'ait pas persévérer derrière la caméra, retournant écrire pour les autres (on lui doit les adaptations des romans Harry Potter).

Il n'y a pas de seconds rôles dans le film, le trio suffit - et quel trio ! Jeff Bridges est formidable en loser magnifique. Beau Bridges est épatant en grand frère clairvoyant. Et Michelle Pfeiffer est absolument éblouissante : même si donc le film n'a pas vraiment performé, elle, y a gagné ses galons de star. Elle chante en plus divinement !

Un très chouette film.

lundi 8 décembre 2025

SERIE NOIRE POUR UNE NUIT BLANCHE (John Landis, 1985)


Ingénieur dépressif et insomniaque, Ed Okin découvre que sa femme le trompe. La nuit venue, il quitte le domicile conjugal et roule jusqu'à l'aéroport de Los Angeles pour se rendre à Las Vegas où son collègue Herb lui a assuré qu'on trouvait des prostituées capables de satisfaire le moindre de vos désirs pour peu qu'on y mette le prix. Mais alors qu'il se gare dans le parking souterrain, Diana, une belle trafiquante de diamants, atterrit sur le capot de sa voiture dans laquelle elle monte et le supplie de l'emmener loin d'agents iraniens lancés à sa poursuite.


Il la conduit jusqu'aux quais où mouillent des yachts dont l'un appartient à un certain Jack Caper, homme d'affaires riche et influent qui pourrait la sortir de ce mauvais pas. Mais le gardien du bateau lui répond qu'elle est persona non grata à bord. Direction un plateau de tournage à Hollywood où elle trouve une amie actrice, Christie, à qui elle demande de garder un trousseau et qu'elle accepte de cacher dans la doublure de son manteau.


Avant de le laisser tranquille, Diana obtient de Ed qu'il lui rende un dernier service en la déposant à un hôtel où réside Hamid, un notable iranien. Mais avant cela, Ed exige de connaître le fin mot de cette histoire. Diana lui explique avoir fait passer illégalement des émeraudes provenant du trésor du Shah d'Iran aux Etats-Unis, raison pour laquelle elle est poursuivie par tout un tas de gens qui veulent mettre la main dessus. Une fois à l'hôtel, Ed ne peut se résoudre à laisser seule Diana et monte à l'étage de la suite d'Hamid où il tombe sur plusieurs cadavres et leur assassin qui tient la jeune femme...
 

En 1985, John Landis est au sommet de sa gloire : il a réalisé le cultissime The Blues Brothers (1980), Le Loup-Garou de Londres (1981, qui lui vaudra de diriger le clip Thriller de Michael Jackson en 83), Un Fauteuil pour Deux (1983) et des segments du film La Quatrième Dimension (1984). Le studio Universal accepte donc son nouveau projet avec enthousiasme : Into the Night (en vo).


Le script est écrit par Ron Koslow et promet d'être une comédie policière et d'espionnage dans le cadre de Los Angeles. Mais, en vérité c'est comme si Landis ne l'avait que parcouru et retenu comme prétexte à l'organisation d'une grande fête avec ses meilleurs copains et idoles. Et ça, ni la critique ni le public ne le lui passeront.


En effet, Série Noire pour une Nuit Blanche (en vf) sera un four (à peine 7 M $ de recettes pour 8 M $ de budget). De fait, Landis donne l'impression d'avoir oublié son film au profit d'une réunion d'amis que finalement peu de monde aura identifié puisque ce sont en majorité des cinéastes, scénaristes, musiciens.
 

Pour ne rien arranger, après trois semaines de tournage (sur 60 jours au total), Landis comparaît devant la justice. Il est accusé d'homicide involontaire pour un accident tragique survenu sur le plateau de La Quatrième Dimension - le crash d'un hélicoptère qui coûtera la vie à deux enfants et au comédien Vic Morrow). Heureusement pour lui, il ne sera pas condamné.

Tout n'est pas à jeter dans Into the Night : le personnage de Ed Okin est un insomniaque qui va vivre la nuit la plus agitée de sa vie au terme de laquelle il retrouvera enfin le sommeil qui le fuit depuis des mois sans explication. En rencontrant Diana, il entame un voyage nocturne qui, au bout du compte, l'illumine sur ses sentiments, sa raison d'être, tandis qu'elle trouve un homme qui l'aime après l'avoir aidée sans lui poser de questions.

Il y avait donc la matière à une screwball comedy prometteuse, mais le rythme fait cruellement défaut à l'histoire. La faute à un montage trop lâche et une durée trop longue (110'). Et donc à la désinvolture du cinéaste envers son propre long métrage, comme s'il avait péché par excès de confiance. Ou tout simplement comme l'énième exemple d'un réalisateur trop choyé.

C'est dommage, mais implacable. L'intrigue est tellement diluée, sinueuse qu'on finit par ne plus trop savoir ce que tout ça raconte. Il y a des diamants volés, des iraniens complètement stupides à la gâchette facile, un tueur à gages dont ignore pour qui il travaille, une femme d'affaires perse, un riche homme d'affaires influent et mourant, une actrice sacrifiée...

N'en jetez plus ! Landis aurait pu exploiter tous ces éléments pour en rire (et nous faire rire avec) dans la Mecque du cinéma, comme pour passer en revue tous les clichés des genres qu'il explore et en pointer les artificialités. Mais il n'en fait rien. Pas de satire, pas non plus de francs éclats de rire. Le film est trop violent pour être marrant, pas assez marrant pour être parodique, etc.

Ce qui est le plus étrange, c'est que ce qui démarre comme une comédie sur un loser et celle qui va dynamiter son existence devient une sorte de polar et de film d'espionnage de plus en plus sombre, avec carrément un type qui préfère se faire sauter le caisson que de se rendre à la fin. Les émeraudes après qui tout le monde court n'intéressent plus personne depuis belle lurette alors.

Je ne vais pour dresser la liste exhaustive des guests que Landis a complaisamment placé ça et là mais il y a ses confrères comme Jonathan DemmeDavid Cronenberg, Paul Mazursky et Jim Henson (le créateur des Muppets), le guitariste de blues Carl Perkins, et ses idoles Don Siegel et Roger Vadim.

Le casting comprend dans, moins des seconds rôles, de la figuration des gens comme Dan Aykroyd (déjà là dans Un Fauteuil pour deux), Vera Miles, Richard Farnsworth, Irene Papas, et surtout David Bowie, le seul dont on regrette que le temps de présence à l'écran ne soit plus long et surtout mieux éclairé.

Jeff Goldblum et Michelle Pfeiffer (qui, elle, a eu le droit d'inviter sa soeur Dedee dans un caméo) forment le couple vedette du film. On ne peut pas dire que leur alchimie crève l'écran, mais ils sont très bons chacun de leur côté : Goldblum joue très bien le mec désabusé à cause du manque de sommeil, ce qui fournit un quiproquo amusant quand Bowie le prend pour un professionnel impassible, et Michelle Pfeiffer est tellement belle que c'est presque scandaleux que son rôle n'ait pas été plus développé.

Série Noire pour une Nuit Blanche est un film qui aurait pu. Mais que son réalisateur a oublié en cours de route. A moins qu'il ne l'ait jamais envisagé sérieusement, trop occupé à préparer ce qui normalement se déroule à la fin d'un tournage : un gueuleton entre amis. Mais auquel le public, lui, n'a pas été convié...