lundi 13 mai 2024

DAREDEVIL & ELEKTRA, VOLUME 3 : THE RED FIST SAGA, PART 3 (Chip Zdarsky / Marco Checchetto et Rafael de Latorre)


Le poing a été brisé. Mais la Main a été défaite. Daredevil, sauvé de la destruction de l'île de Makanrushi par le Dr. Samson et Bullet, est à présent hébergé à New York par Cole North qui vient de présenter sa démission à la police. Elektra est en prison, Foggy et Stick sont morts, les super-vilains échappés du Myrmidon y sont à nouveau incarcérés. 


Secoué par North, Daredevil prend sur lui de réparer ce qu'il a provoqué. Pour cela, il le sait, il doit affronter les Stromwyn, qui ont financé la Main mais craignent désormais que les Avengers ne les dérangent. Daredevil offre donc d'être leur espion dans la communauté super-héroïque contre la libération de Elektra. Il obtient cela puis s'en prend à Quinn Stromwyn devant sa soeur Una afin qu'elle fasse aussi libérer les super-vilains.


Il ne reste plus à Daredevil qu'à réaliser la prophétie du grimoire du Poing en allant défier directement la Bête, ce monstre infernal que la Main vénère et dans l'enfer duquel se trouvent ses mis disparus. Quitte à ce que ce soit un voyage sans retour...


Les épisodes 11 à 14 de Daredevil & Elektra sont les derniers de cette série mais aussi les derniers écrits par Chip Zdarsky qui achève donc là un run long de quatre ans. Il est toujours périlleux de conclure son passage sur un titre, surtout après un bail aussi conséquent et des intrigues audacieuses. En même temps, comme j'ai déjà eu l'occasion de le signaler, il existe une curieuse tradition chez les auteurs de Daredevil...


... Qui consiste à quitter la série en laissant à son successeur une situation compliquée. C'est particulièrement vrai depuis une vingtaine d'années quand Brian Michael Bendis transmit le flambeau à Ed Brubaker après avoir jeté Daredevil en prison. Brubaker, à son tour, passa le relais à Andy Diggle avec DD à la tête de la Main. Puis Mark Waid dut gérer les conséquences de Shadowland après que Daredevil ait été possédé. 

Charles Soule dut trouver une astuce pour justifier que Daredevil ait à nouveau une double identité secrète. Et Chip Zdarsky récupéra le personnage après un accident qui failli lui coûter la vie. Je ne vais pas vous dévoiler comment Zdarsky abandonne DD à Saladin Ahmed car la série en vo n'a repris que depuis quelques mois et j'ignore à quand Panini la traduira (si elle sera traduite). Tout ce que je peux vous dire, c'est que cette reprise est absolument grotesque, d'une nullité crasse, et voit défiler un nombre absurde d'artistes moyens puisque Marvel avait misé sur Aaron Kuder, qui n'a jamais été capable d'enchaîner trois épisodes. C'est triste, mais je crois qu'on n'a pas vu l'homme sans peur entre de si mauvaises mains depuis un bail...

Revenons donc à la fin du run de Chip Zdarsky. Le tome précédent de Daredevil & Elektra s'achevait sur une note très noire et on pouvait légitimement se demander comment le scénariste allait rebondir. Mais ce dernier a de la ressource et surtout le souci de boucler ses intrigues, d'aller au bout de ses idées. Le Poing et la Main, c'est terminé. Elektra et les super-vilains recrutés pour cette guerre entre les deux sectes croupissent en prison. Cole North démissionne de la police. Foggy et Stick sont morts. 

Logiquement, Daredevil est brisé. Mais North l'oblige à réagir et à réparer. Les quatre épisodes à venir sont placés sous le signe de cette réparation, mais comme avec DD rien n'est simple, rien n'est paisible, il y aura des sacrifices, terribles. Pour résumer : le héros va comprendre que le Poing était un mensonge comme la Main, il n'a pas été inspiré par Dieu, il s'est trompé. Il doit expier cette faute et ramener littéralement les morts de l'enfer.

Cela va passer par un affrontement direct avec les Stromwyn, puis Elektra, avec le retour, bref mais décisif de Blindspot (une création de Charles Soule, qui prouve encore une fois à quel point Zdarsky aura été l'auteur qui aura eu le plus à coeur de réhabiliter le travail de son prédécesseur, mais aussi de synthétiser celui des scénaristes les plus marquants dans son propre panthéon, avec Kirsten McDuffie introduite par Mark Waid, Typhoid Mary par Ann Nocenti, Wilson Fisk tel que réinventé par Frank Miller).

C'est bien entendu délicat d'analyser ces épisodes sans spoiler. Mais disons que la réussite de Zdarsky repose sur le fait qu'il poursuit son récit dans la direction qu'il a souhaitée : quelque chose de baroque, de fou, de furieux, d'épique, de mystique. Par exemple, il est plus question de foi que de religion à proprement parler : son Daredevil est toujours ce catholique mu par le besoin d'expier ses fautes, d'éprouver ses échecs, d'être guidé par l'amour de Dieu. Mais alors qu'au tout début de son run, on voyait en flashback le jeune Matt Murdock fréquenter l'église, plein de colère contre ce Dieu qui lui avait ôté la vue, puis enlevé son père, à la fin de son parcours il n'a plus besoin de communiquer avec un intermédiaire du Seigneur : il est littéralement illuminé, agi par une force mystique, douloureuse, mais motrice.

En revenant sur ses pas, comme le montre une très belle scène dans l'épisode 11, on mesure avec lui les déceptions qui le hantent, les chagrins qui le déchirent. La géographie de New York, de Hell's Kitchen épouse sa propre géographie intime : il passe devant le magasin où il a tué Leo Carraro, la librairie tenue par Mindy Libris, son appartement (où il a vécu avec son père Jack, Karen Page, son père, Milla Donovan, Kirsten McDuffie, Foggy Nelson, son "frère" Mike, et bien sûr Elektra). Il va à nouveau quitter New York avec la certitude encore plus prononcée qu'il n'y reviendra pas car là où il va, on n'en revient normalement pas.

Tout cela trouve un écho dans le 14ème épisode où divers personnages se souviennent de Matt Murdock, croient le voir. Désormais c'est lui qui hante les autres. Un dialogue bref mais superbe entre Foggy et Reed Richards réfléchit sur l'impossible retour en même temps que la permanence de l'essence d'un individu. C'est sans doute un des dénouements les plus définitifs qui soit avec celui de la fin du run de Waid, de ceux où on imagine qu'il a pu traverser l'esprit de certains chez Marvel que DD cesse d'exister, ici avec quelqu'un qui reprend son pseudonyme et sa mission de protecteur de Hell's Kitchen.

Je ne dirai pas que cela me ravirait car je suis attaché au personnage de Matt Murdock. Mais j'ai vu au cours des dernières années des tentatives de remplacer l'alter ego d'un héros être réussies et aboutir à des réalisations presque aussi passionnantes que les personnages classiques (Bucky en Captain America, Jane Foster en Thor notamment). Je ne souhaite pas la mort de Matt Murdock, mais je serai pas affligé si, par exemple, Elektra devait rester Daredevil. D'ailleurs, Zdarsky le justifie via la voix off de Matt dans une scène magnifique : en endossant son rôle, Elektra s'est améliorée, s'est rachetée, elle est meilleure que lui à bien des égards.

Rafael de Latorre tire sa révérence sur le titre en dessinant l'épisode 11 : il s'en acquitte avec maîtrise. Visiblement pourtant, ça n'a pas suffi à convaincre Marvel de lui faire signer un contrat d'exclusivité (que l'éditeur offre à des artistes moins doués) puisqu'il a fait ses valises dans la foulée pour aller chez DC où il fait équipe avec Tom King sur la série Le Pingouin.

Puis Marco Checchetto enchaîne les trois derniers numéros. Comme il l'a dit lui-même, cette expérience sur Daredevil a été la plus aboutie de sa carrière. Il ne manque pas sa sortie, on le sent très motivé et inspiré et ses planches dégagent cette puissance qu'a le travail d'un dessinateur désireux de prouver qu'il laissera sa marque sur un titre. Le découpage est superbe, les compositions amples, généreuses, plusieurs scènes sont absolument à couper le souffle. Magistral. Ce qui manque à ce grand artiste ? La capacité à produire plus d'épisodes d'affilée : avec ça, il égalerait son compatriote Valerio Schiti.

J'ai relu ces épisodes avec plaisir, appréciant des éléments que je n'avais pas mesuré à leur juste valeur précédemment. J'ai essayé de les partager avec vous sans trop déflorer le contenu pour ceux qui n'aurait pas tout lu de ce run. Au plaisir.

dimanche 12 mai 2024

DAREDEVIL & ELEKTRA, VOLUME 2 : THE RED FIST SAGA, PART 2 (Chip Zdarsky / Marco Checchetto, Rafael de Latorre et Manuel Garcia)

 

Après avoir organisé l'évasion d'une quinzaine de super-vilains détenus dans la prison du Myrmidon, Daredevil et Elektra les entraînent sur l'île de Makanrushi avec le renfort de Stick mais aussi de Cole North, Foggy Nelson et quelques ninjas. Le Dr. Leonard Samson assure le suivi psychologique de ces recrues. Puis Elektra part pour Paris où se tient le G7 afin de se renseigner sur les chefs d'Etats à la solde de la Main.



A cette occasion, elle va se rendre compte que les actions menées avec Daredevil ont été remarqués par les Avengers mais surtout que le Président américain est corrompu. De son côté, Bullet, enrôlé par Daredevil, veut s'assurer que son fils Lance va bien avant de s'investir dans la guerre qui s'annonce. La Main le capture et l'asservit. La confrontation avec l'armée aux ordres du Punisher est aussi immenete qu'inévitable, même si les troupes du Poing sont loin d'être prêtes.


L'issue de cette bataille va avoir des conséquences terribles pour les deux camps tandis que les Avengers se préparent à intervenir pour stopper Daredevil...
 

Préparez-vous à un tour dans le grand huit de Chip Zdarsky. Je vous avais prévenus : la saga du Poing rouge, c'est quelque chose qu'on n'a pour ainsi dire jamais lu en suivant les aventures de Daredevil. En fait, sans être méchant, c'est ce qu'aurait pu (dû ?) être Shadowland, l'event d'Andy Diggle lorsque celui-ci écrivit la série après le run de Ed Brubaker et Michael Lark.


Revenons à cette époque : c'était en 2010. Un an auparavant, Andy Diggle prend le relais de Ed Brubaker sur Daredevil et, comme le veut une sorte de tradition sur ce titre, le dernier scénariste laisse le héros dans une situation impossible que son successeur devra résoudre (Brubaker avait ainsi hérité de DD quand Bendis l'avait envoyé en prison). Brubaker, lui, en a fait le leader de la Main qui a testé plusieurs candidats (Iron Fist, Tarantula, White Tiger, Wilson Fisk). Le héros se sacrifie et part au Japon avec l'intention de réformer l'organisation.


Sauf que, évidemment, rien ne va se passer comme prévu : Daredevil devient possédé, littéralement, et rentre à new York pour s'emparer de Hell's Kitchen puis de New York avec une armée de ninjas. Marvel voit le potentiel de la situation et donne son feu vert à Diggle pour en tirer un event, Shadowland. Plusieurs street-level heroes (Iron Fist, un noveau Power Man, Moon Knight, les filles du dragon, Spider-Man...) vont s'en mêler pour raisonner Daredevil et les Thunderbolts (alors menés par Luke Cage) y prendront également part.

Hélas ! le résultat est médiocre : c'est mal dessiné (par Billy Tan), l'intrigue est grotesque, le dénouement navrant (DD s'enfuit de New York, dévasté comme lui, pour échapper à une arrestation justifiée - Mark Waid y fera allusion au début de son run mais sans s'y attarder puisque chez Marvel, même quand les héros déconnent, ils échappent à leurs responsabilités.).

Zdarsky, ici, reprend un peu le même topo : Daredevil est désormais le leader du Poing, la tribu rivale de la Main. Il ne repart cependant pas faire le zouave à New York mais ses agissements vont alerter les Avengers et Spider-Man qui décident de le stopper. Avant cela, on aura droit à un combat véritablement dingue entre l'armée du Poing et celle de la Main.

Le scénariste, on le voit bien, a construit The Red Fist Saga en trois actes : le premier, c'est le départ à la guerre, l'embarquement, le recrutement de l'armée ; le deuxième (dans les cinq épisodes de ce tome 2), c'est guerre et châtiment ; et le troisième... Hé bien, pour le troisième, vous le saurez avec la critique que je publierai. Mais il y a clairement trois étapes, trois paliers, avec un crescendo et un diminuendo, quasiment musicaux, où on suit d'abord Daredevil et Elektra, puis DD et Elektra et leurs soldats, puis DD tout seul.

Cela a donc le mérite de la clarté, ce qui n'enlève rien au spectacle, à son intensité, à sa folie. Ce qui surprend en fait, c'est que Zdarsky passe d'un Daredevil qu'on connaît tout, le justicier urbain de Hell's Kitchen, qui s'occupe des problèmes de son quartier, à un Daredevil lancée dans une mission presque mystique pour sauver le monde. Cette différence d'échelle étonne, désarçonne même parce qu'on n'a pas l'habitude de le voir s'engager à ce niveau. Mais en même temps, c'est justifié par ce qui a précédé : Zdarsky a emmené DD au bord du précipice, son alter ego est mort aux yeux du monde, Elektra l'a convaincu. Le conflit dans lequel il s'investit est terminal et il ne peut qu'être réglé de manière globale, définitive. Ce n'est plus le Caïd, Bullseye, c'est la Main qu'il faut éliminer.

Pour autant, Zdarsky n'esquive pas des questions qui fâchent : par exemple, via la relation complexe qui s'établit entre Bullet et Daredevil, quand le premier fait remarquer au second les limites de son initiative. Il a rassemblé des super-vilains en leur racontant que l'île où il les emmenait était le lieu de la seconde chance. Mais ce n'est qu'à moitié vrai : cette île reste une prison, sans barreaux, mais sans plus d'avenir pour les fugitifs qui savent très bien qu'ils ne pourront pas se réintégrer à la société puisqu'ils sont toujours recherchés et que le traitement du Dr. Samson n'a rien d'un remède contre leurs démons. Daredevil n'est pas le sauveur qu'il prétend, c'est un gardien, et surtout il a obtenu que ces vilains le suivent en échange de leur effort de guerre contre la Main, un effort qui pourrait leur coûter la vie.

Encore plus terrible est le duel entre Daredevil et le Punisher : ces deux-là se sont souvent affrontés, mais cette fois, ils sont tous deux à la tête d'une véritable secte armée, qui en fait des possédés, des illuminés. Frank Castle et Matt Murdock sont tous deux tombés dans l'abîme, ils sont devenus fous, tyranniques, la mort les attend. Dans le cas du Punisher, quand intervient la bataille entre le Poing et la Main, Marvel a confié le destin du anti-héros à Jason Aaron, Jesus Saiz et Paul Azaceta à la suite de nombreuses polémiques qui ont fait du personnage un vrai boulet pour l'éditeur parce que des militants de l'extrême-droite américaine arborent son emblème, ce qui est évidemment très embarrassant.

Aaron décide d'assumer franchement cette partie du Punisher en en faisant donc le chef de la Main pour une saga qui veut à la fois prouver qu'il y a encore de la place pour Frank Castle dans l'univers Marvel mais aussi pour s'assurer que l'éditeur le traite sans complaisance. Aaron finira son histoire d'une manière à la fois habile et un peu lâche, se débarrassant de Castle mais pas du Punisher (dont le nom et le mission seront confiés à un autre personnage).

Pour l'heure, dans les pages de Daredevil & Elektra, ce climax se situe à l'épisode 8 qui, comme les 7 et 10, est dessiné par Marco Checchetto. L'artiste se donne à fond pour produire des pages mémorables et le lecteur se régale. C'est vraiment épique, il y a même un dragon ! Vous ne verrez jamais plus l'Homme aux échasses de la même façon après cette bataille aussi. Les adversaires se rendent coup pour coup avec une brutalité à l'honnêteté étonnante. Et on se dit que si Marvel avait un Black Label comme DC, Daredevil & Elektra y aurait eu naturellement sa place.

Checchetto se montre aussi inspiré dans le dernier épisode de l'album où apparaissent Spider-Man et les Avengers. Je ne veux pas trop en dire, mais le dessinateur suit le script, exemplaire, de son scénariste avec une énergie peu commune. Il y a dans ces pages un souffle dramatique ébouriffant.

Rafael de Latorre assure les dessins sur les n° 6 et 7 : c'est évidemment moins flamboyant que Checchetto et parfois on voit bien qu'il a encore des progrès à faire pour découper plus efficacement une scène ici, une autre là. C'est notamment flagrant lors de l'escapade parisienne de Elektra quand elle doit composer avec l'intervention de Iron Man : un passage qui aurait pu être tellement plus puissant mais qui manque de plans mieux composés, d'un découpage moins sommaire. Toutefois, De Latorre a du potentiel. C'est juste que, là, Checchetto se taille la part du lion et écrase tout.

Manuel Garcia est appelé en renfort pour dessiner l'épisode 9, le calme après la tempête, mais aussi un lot de scènes-choc, notamment pour Foggy et Stick, qui annonce la débâcle à venir. Garcia a ce drôle de style où il est capable d'images saisissantes et d'autres où il semble avoir dessiné ça par-dessus la jambe, sans se forcer. C'est donc inégal, mais c'est la seule fois que ça se produira dans toute cette saga.

On peut légitimement se demander comment Zdarsky et compagnie vont rebondir après ce qui semble être le point culminant de cette histoire. Pourtant, croyez-moi quand je vous dis qu'ils en ont encore sous le pied et que le troisième et dernier tome, les quatre derniers épisodes, sont au moins aussi bien. A suivre donc...

THE ONE HAND #4 (Ram V / Lawrence Campbell) - Avec The Six Fingers, 2 comics qui n'en font q'un


Jamais Ari Nassar et Johannes Vale n'ont été aussi proches. Mais le second vient d'assassiner sauvagement Oddell Watts et le premier est accusé du meurtre. Obligé de se cacher, Nasar est déterminé à laver son nom en même temps qu'à arrêter Vale...


Le mois prochain, c'en sera fini de The One Hand comme de The Six Fingers, et on peut s'attendre à un double dénouement vertigineux comme ces deux séries l'auront été. Ram V a complètement renversé la table dans ce pénultième épisode puisque son héros, le flic Ari Nassar, devient un fugitif recherché et qui est soupçonné d'être le tueur en série qu'il a toujours traqué.


Ce twist, cruel, est une convention de la série noire, celle de la figure du faux coupable, de l'innocent accusé à tort. A moins que le scénariste (et son collègue Dan Watters) ne nous réserve encore une ultime surprise. Et si, après tout, le policier était réellement un tueur en série, atteint d'une sorte de trouble dissociatif de la personnalité ?
 

C'est une hypothèse crédible tant The One Hand (et The Six Fingers) interroge la notion d'identité. Cela fait penser à la série télé The Mentalist sur laquelle certains fans avaient théorisé que Patrick Jane était John Le Rouge, l'assassin de sa femme - théorie  on retenue par les scénaristes, c'est bien dommage car cela aurait donné une autre dimension à cette production.


En revanche, il me paraît censé de penser que Ram V a dû lire Paul Auster car ses réflexions sur le langage s'en inspirent ouvertement. Dans une scène au coeur de cet épisode, Nassar retrouve Elizabeth, l'androïde qui fut autrefois Nemone la cyber-prostituée qu'il fréquentait et qui a été reconditionnée.

D'abord, vous remarquerez que Nemone est un palindrome, un mot qu'on peut lire dans les deux sens (comme Laval). Or cette symétrie est centrale dans l'intrigue des deux séries : le flic, le tueur, l'humain, l'androïde. Et il y a cette formule employée par Elizabeth quand elle évoque un langage qu'on reconnaît mais qu'on ne comprend pas, référence explicite aux glyphes tracés par le tueur et aujourd'hui repris par Johannes Vale qui, justement, identifie ces signes comme un langage familier mais qu'il cherche à décrypter.

Johannes Vale est un étudiant archéologue, souvenez-vous, c'est-à-dire qu'il se destine à étudier les civilisations préhistoriques avant l'apparition de l'écriture, d'où son intérêt obsessionnel pour les glyphes du tueur. Ari Nassar est un inspecteur de police, qui lui investigue sur les criminels, c'est lui aussi une sorte d'archéologue donc qui cherche dans les indices laissés sur une scène de crime ce qui le ménera au criminel, et il a un comportement aussi obsessionnel que Vale.

Si on creuse encore un peu profond et qu'on se penche sur Nemone/Elizabeth, on se rend compte qu'elle a commencé à mal fonctionner quand elle a aussi été obsédé par des événements inquiétants, comme les crashs d'avion qu'elle pensait provoqués, comme l'imaginerait un complotiste. Comme elle était un modèle ancien, dépassé, elle a dû être recyclée, reconditionnée, car elle ne pouvait plus être réparée. Elle a changé d'identité, de fonction, tout en semblant conserver des souvenirs fragmentaires de son ancienne existence. Et cela aussi semble l'obséder, comme quand elle reconnaît à demi-mots son attachement à Nassar mais aussi son attirance pour Vale qu'elle n'a pourtant jamais vu mais vers lequel une force étrange la guide.

Ces trois personnages convergent inéluctablement les uns vers les autres. Mac, le collègue et ami de Nassar, lui apprend qu'au moment du meurtre de Watts, les caméras de surveillance de l'hôpital situées à proximité de la scène ont cessé providentiellement de fonctionner. Mais ce n'est pas tout : ensuite d'autres caméras dans des rues et quartiers alentours ont cessé d'enregistrer et cela forme un itinéraire qui conduit chez... Johannes Vale (même si quand Nassar s'y rend, il ne l'y trouve pas : c'est Ada, la galériste qui y est et qui va fournir au détective une dernière piste évidente).

Ce fascinant jeu de pistes est superbement mis en images par Lawrence Campbell dont les à-plats noirs mangent d'importantes portions de chaque plan, comme si les ténèbres engloutissaient toujours davantage Ari Nassar. La seule scène vraiment éclairée, lumineuse, est, ce n'est pas un hasard, celle où Nassar dialogue avec Elizabeth/ Nemone, à la table d'un café sur une terrasse ensoleillée. Lumière est faite sur une partie importante, cruciale du mystère alors.

Dans ce ténèbres angoissantes, oppressantes, ce qui n'est pas englouti revêt alors un rôle déterminant : ce sont les verres des lunettes de Nassar (donc ses yeux, donc ce qu'il voit, ce qui va le guider), l'éclat métallique d'un pistolet automatique, le raie de lumière par une porte ouverte d'un appartement plongé dans le noir, le feu d'un brasero, l'écran d'un ordinateur. Les seules manifestations lumineuses dans ce monde nocturne.

On ne peut toujours pas anticiper l'issue de cette histoire à double fond mais c'est ce qui la rend encore plus excitante. Et qui en fera un des projets phares de 2024.

samedi 11 mai 2024

DAREDEVIL & ELEKTRA , VOLUME 1: THE RED FIST SAGA, PART 1 (Chip Zdarsky / Marco Checchetto & Rafael de Latorre)

Attention ! Ce qui suit contient des spoilers concernant Devil's Reign.


Matt Murdock est mort - ou du moins c'est ce que lui veut faire croire. Seuls quelques amis de Daredevil sont dans la confidence que c'est en vérité Mike Murdock qui a été tué par Wilson Fisk (introuvable depuis) et enterré. Daredevil veut profiter de cette situation pour quitter New York sans qu'on s'inquiété de la disparition de son alter ego.


Elektra de son côté a rejoint Stick à Makanrushi, une île située au large du Japon et de la Russie (qui prétend qu'elle lui appartient). C'est là qu'ils veulent établir une base pour préparer la guerre qui va opposer le Poing à la Main pour le sort du monde. A New York, pendant ce temps-là, Daredevil s'apprête à faire ses adieux à Kirsten McDuffie lorsque surgit sur sa route Robert "Goldy" Goldman...


Goldy a étudié le Droit avec Murdock et Foggy Nelson et il est investi de pouvoirs quasi-divins dont il aurait usé pour manipuler Matt toute sa vie afin d'en faire le héros qu'il est devenu et celui qu'il doit se préparer à être. Après l'avoir éprouvé mentalement en lui faisant croire à la mort de Kirsten McDuffie, il se rend finalement à la police.


Avant de rejoindre Elektra et Stick, Daredevil croise Aka, qui a été formée aux côtés d'Elektra au sein de la Main et qui lui révèle qui en est désormais le chef : Frank Castle/ le Punisher ! Face à cet ennemi redoutable, Daredevil et Elektra doivent traverser un rite de passage destiné à les unir puis recruter des soldats...


Quand Chip Zdarsky se lance dans Daredevil & Elektra, il a déjà écrit 45 épisodes en comptant son run sur Daredevil, l'event Devil's Reign et les 3 épisodes de la mini-série Elektra : Woman without Fear (publiée en même temps que Devil's Reign). Il aurait pu en rester là, sauf qu'il avait encore une histoire en réserve, dont il avait semé les graines auparavant.


En effet, dans son run sur DD, à quelques reprises, discrètement, est évoqué le Poing, une organisation rivale de la Main mais vaincue par cette dernière. Or, selon Elektra, la Main s'apprête, avec l'appui d'alliés puissants, à prendre le contrôle des grandes puissances gouvernementales dans le monde. Elle cherche donc à convaincre Daredevil de s'engager dans une guerre en ressuscitant le Poing.

Sauf qu'au moment où elle s'y prend, Daredevil est au plus mal : il s'est livré aux autorités et est incarcéré en attendant son procès pour le meurtre de Leo Carraro. De plus, il pense que Elektra le manipule et il lui fait d'autant moins confiance qu'elle est un assassin professionnel quand lui-même cherche à expier un crime qu'il a commis. Puis pris dans la tourmente de Devil's Reign, le sujet n'est plus à l'ordre du jour, même si, entre temps, Elektra lui a prouvé qu'elle méritait une seconde chance en ayant endossé le costume, le nom et la mission de Daredevil en protégeant Hell's Kitchen en l'absence de Murdock.

On en arrive donc à Daredevil & Elektra, sorte de deuxième run, ou deuxième acte du run de Zdarsky. A l'issue de Devil's Reign, tout le monde croit Matt Murdock mort, tué par Wilson Fisk - en vérité, ce dernier a tué Mike Murdock, le "jumeau" de Matt. Pour Daredevil, c'est un "fresh start" providentiel : i va quitter New York après avoir accepté de relancer le Poing aux côtés de Elektra contre la Main.

Zdarsky commence par deux épisodes déroutants où Daredevil croise Robert "Godly" Goldman, assistant du procureur, qui s'était chargé de sa mise en accusation dans l'affaire Leo Carraro. Mais les deux hommes se connaissent depuis longtemps puisqu'ils ont étudié le Droit ensemble, aux côtés de Foggy Nelson, à l'époque où Matt Murdock n'était pas encore Daredevil et qu'il sortait avec Elektra Natchios, avant la mort du père de celle-ci.

Goldman est investi de pouvoirs quasi-divins, il connaît la double identité de Daredevil et surtout il prétend avoir manipulé les événements qui en ont fait le héros qu'il est et celui qu'il doit devenir. Pour le prouver, il l'éprouve avec la mort supposée de Kirsten McDuffie puis se rend à la police. Zdarsky va ressortir Goldy plus tard en entretenant le doute sur ce qu'il raconte, face à un Daredevil qui ne sait plus quoi en penser. C'est perturbant, surtout pour un héros comme lui qui, fervent catholique, s'est toujours considéré comme l'instrument de Dieu. Et pour le lecteur aussi qui se demande franchement si c'est du lard ou du cochon.

Puis le récit emprunte l'itinéraire qui va être celui des épisodes suivants jusqu'à la fin de La Saga du Poing Rouge. Et là Zdarsky tente quelque chose de très original et très baroque à la fois, certainement une des histoires les plus bizarres depuis celle écrite par Ann Nocenti et mise en images par John Romita Jr quand Daredevil, après l'event Inferno, quitte New York, parcourt l'Amérique profonde, fait équipe avec Karnak et Gorgone des Inhumains jusqu'à descendre littéralement en Enfer.

Si vous n'avez pas aimé ceci, alors autant vous prévenir tout de suite, The Red Fist Saga risque de vous laisser complètement perplexe. C'est peut-être encore plus barjo et épique. Mais, pour moi, c'est ce que Zdarsky a fait de mieux avec Daredevil. Non pas que ce qui a précédé soit mauvais : il y a eu des passages formidables, et d'autres franchement médiocres (en fait tout ce qui a conclu le premier acte, avec Bullseye). Mais là, il se lâche, il lâche les chevaux : le succès de ses précédents épisodes lui a valu des critiques dithyrambiques, de très bonnes ventes, Devil's Reign a été une agréable surprise pour un event, donc Marvel lui a laissé carte blanche. Et il la joue à fond.

En vérité, c'est souvent quand Daredevil (la série comme le personnage) sort des sentiers battus, par la volonté de ses auteurs, que c'est pour le meilleur. Et là, on est servi : c'est mystique, déjanté, épique, spectaculaire, imprévisible, et pas consensuel pour un sou. Mais si j'ai adoré, je comprends aussi que d'autres aient détesté ou n'aient pas compris. Il faut être prêt, ouvert. Dès le début.

Ces cinq premiers épisodes regorgent de moments incroyables, dès les premières pages dont une, découpée en un "gaufrier" de neuf cases, avec seulement la tête de DD, barbu, dans la pénombre, qui est une sorte de teaser pour tout ce qui va suivre. Le deuxième numéro correspond au 650ème épisode de la série, tous volumes confondus, et comme le premier, il a une pagination plus fournie mais aussi des guests au dessin - et du beau monde : Alex Maleev, Paul Azaceta, Chris Samnee (pour le meilleur. Pour le pire : John Romita Jr., Klaus Janson, Phil Noto et Mike Hawthorne...).

Marco Checchetto dessine l'intégralité du premier épisode et les scènes au présent du deuxième, puis revient pour le n°5. Ses planches sont magnifiques, d'une intensité et d'une énergie folles. Qui plus, après avoir épuisé plusieurs coloristes (Sunny Gho, Nolan Woodward, Marco Meniz...), cette fois il peut compter sur l'épatant Matthew Wilson pour valoriser son trait avec des nuances sublimes. Il signe de scènes mémorables, notamment celles dans la prison du Myrmidon ou le face-à-face entre DD et Godly.

Rafael de Latorre dessine les épisodes 3 et 4 et les flashbacks de l'épisode 2 plus l'épilogue du 1. Je ne connaissais pas cet artiste avant, mais il s'impose avec une autorité impressionnante. C'est le meilleur remplaçant qu'ait eu Checchetto, avec lequel il partage une certaine rudesse, un côté anguleux dans le trait, même s'il est moins détaillé au niveau des décors. Mais avec ces deux dessinateurs à la barre, le résultat est vraiment balèze.

C'est donc un démarrage en boulet de canon pour une saga très atypique et déconcertante, mais stimulante et dynamique. A suivre donc...

vendredi 10 mai 2024

OLD BOY (Spike Lee, 2013)


1993. Mari Infidèle, père absent, publiciste alcoolique, Joe Doucette croise, ivre mort, une femme avec un parapluie jaune un soir après un dîner d'affaires qui a mal tourné. A son réveil, il se trouve enfermé dans une chambre d'hôtel sans fenêtre ni poignée à la porte. Ses ravisseurs invisibles lui fournissent de la nourriture, de l'alcool et des articles d'hygiène mais sans aucune explication sur sa captivité.


La télé dans sa chambre l'informe du viol et du meurtre de sa femme pour lequel il est le principal suspect. Sa fille, Mia, a été placée dans une famille d'adoption. Durant les 20 années suivantes, Joe reste ainsi détenu. D'abord désespéré, il se laisse aller puis se ressaisit avec l'intention de s'évader et de se venger. Il dresse une liste d'individus capables de lui faire endurer ce calvaire et rédige des lettres qu'il remettra à sa fille pour lui expliquer son absence.


Drogué, il reprend connaissance dans une malle au milieu d'un champ. Dans ses poches, il trouve de l'argent et un téléphone portable puis remarque la femme au parapluie jaune. Il la poursuit mais elle le sème en donnant son parapluie à un homme dans la file d'attente d'une camionnette où un médecin et une infirmière dispensent des soins gratuits aux nécessiteux. L'infirmière, Marie Sebastian, lui donne sa carte en cas de besoin.


Joe se rend ensuite chez son ami Chucky, qui tient un bar et lui raconte son histoire. Il l'aide à localiser les individus sur sa liste et à en rayer ceux qui sont décédés lorsqu'il reçoit un appel anonyme d'un homme qui déclare être celui qui l'a fait enfermer et qui le défie de le retrouver. Joe fait un malaise. Marie vient le perfuser et lui propose son aide après avoir lu quelques-unes des lettres adressées à Mia. Ni Joe ni Marie ne savent dans quel engrenage ils s'apprêtent à plonger et à quelles révélations ils vont s'exposer...


Les remakes ont toujours suscité la polémique, particulièrement évidemment quand il s'agit de refaire des films considérés comme (presque) parfaits. Old Boy de Park Chan-wook, sorti en 2003, avait fait sensation grâce à son intrigue et sa mise en scène et ce film noir au twist renversant semblait intouchable. Mais le studio Universal n'a pas résisté à la tentation de l'adapter pour le marché américain.


Steven Spielberg a longtemps été attaché au projet avec Will Smith pour le rôle principal avant que finalement Spike Lee n'en hérite. Le cinéaste reniera plus ou moins le produit final car son montage initial de 140' a été rejeté et raboté pour en faire un long métrage de 105'. Josh Brolin exprimera aussi son mécontentement à ce sujet, estimant que le résultat sorti en salles ne rendait pas justice au script de Mark Protosevich et à la vision de Lee.
 

Et, partant de là, on revient au principe même du remake. Pourquoi refaire des films ? Sur ce sujet, j'ai un avis : je n'ai rien contre les remakes, je ne cours pas après mais quand j'ai l'envie d'en découvrir un, je le regarde sans a priori négatif. En fait, je considère la chose comme un faux problème.

En effet, si on compare cette démarche avec ce qui se fait au théâtre, cela diminue la polémique. Au théâtre, il existe un répertoire de pièces et les metteurs en scène, les compagnies qui se les approprient en donnent tous des versions différentes. En réalité, il s'agir de remakes. Et quand on considère le nombre de versions qu'il existe de Hamlet ou du Bourgeois Gentilhomme, on peut les voir comme des remakes : c'est la même histoire, les mêmes personnages, mais pas la même manière de les mettre en scène, de les jouer. Sans parler des éléments cosmétiques : il arrive fréquemment que l'action soit resituée dans une autre époque, avec d'autres décors, d'autres costumes, etc.

Donc, il n'y a rien de sacré, rien de définitif. On peut bien sûr hurler en imaginant un remake de Citizen Kane ou de La Règle du Jeu. Mais qui sait si celui qui oserait faire cela n'en  tirerait pas un bon film, peut-être aussi bon que l'original, voir meilleur ? C'est peu probable, mais pas impossible.

Je n'ai jamais vu le Old Boy de Park Chan-wook, encore moins lu le manga dont il est tiré (et paraît-il très librement adapté, ce qui prouve bien que déjà d'un média à l'autre il y a des altérations). J'ai découvert cette histoire avec le remake de Spike Lee, dont il n'existe au demeurant aucun director's cut. Donc, c'est dire s'il s'agit d'un objet bâtard.

Mais évidemment ça n'empêche en rien d'apprécier la virtuosité de ce récit et de son twist. Lee l'illustre avec un vrai talent, mais si, bien sûr, il ne s'agit pas de son film le plus personnel. On sent bien ce que le cinéaste a vraisemblablement dû laisser dans la salle de montage : il y a des transitions un peu abruptes, des baisses de rythme, c'est un film "malade" comme aurait dit Truffaut. Par ailleurs, il est étrange que Lee, si attaché à la représentation des afro-américains dans son cinéma (et le cinéma en général), n'ait pas dirigé Denzel Washington dans le rôle de Joe  Doucette (bon, il y a quand même Samuel L. Jackson dans un rôle secondaire), même si cela aurait imposé de recaster un autre personnage.

Mais, ça et là, il y a des fulgurances qui ne trompent pas, des éclairs de violence notamment que Spike Lee met en valeur formidablement, avec notamment un superbe plan-séquence et une baston terrible quand Joe Doucette revient là où il a été détenu. La scène de sexe entre Joe et Marie a aussi une forme de crudité qui appartient bien au réalisateur de Nola Darling.

L'essence est là, mais il est indéniable que l'ensemble manque de liant, de fluidité. On sent trop vite l'attirance de Marie pour Joe, qui n'a pas qu'à voir avec l'affection qu'éprouve la jeune infirmière pour les chiens errants. Joe passe un peu trop vite de l'abattement à la reprise de soi durant sa détention. Sur ce dernier point, le film échoue franchement à faire ressentir le temps qui passe et à quel point il marque le personnage principal, qui n'a pas l'air assez vieux quand il recouvre sa liberté (alors qu'il a pris 20 ans - mettons qu'il en ait 30-35 quand il est piégé, ça signifie qu'il en a 50-55 à sa sortie, et ça ne se voit pas ici).

Josh Brolin n'a rien à se reprocher : il a cette gueule de brute démolie, marmoréenne, un peu à la Charles Bronson, qui convient parfaitement au rôle. Il est crédible. Et il a avec Elizabeth Olsen une partenaire excellente, troublante à souhait. Sharlto Copley est dérangé à souhait. Et, bon sang, Pom Klementieff est affolante en assistante badass !

Inabouti donc. Mais pas indigne.

MASTERPIECE #5 (Brian Michael Bendis / Alex Maleev)


Où Emma a trouvé le talon d'Achille de Zero Preston en enrôlant son propre fils, Solomon, dans son équipe. Le milliardaire réplique aussitôt en envoyant aux trousses de la jeune fille et ses amis la tueuse Stacy, vieille connaissance de Parangon...
 

Alex Maleev a récemment répondu aux questions de Comics Blog lors de son passage à Paris : il est revenu sur sa longue carrière (une trentaine d'années d'activité tout de même), sa collaboration avec Brian Michael Bendis et évidemment leur dernière série en date, Masterpiece, dont le cinquième et pénultième épisode vient de sortir.
 

Avez-vous déjà remarqué que quand, par exemple, un omnibus sort, le titre de la série est associé au scénariste, mais l'artiste est rarement mentionné à côté du nom de celui-ci ? De même, en visionnant les reviews de Youtubeurs, le plus souvent est mentionné l'auteur, mais pas le dessinateur. Comme si, en vérité, pour les éditeurs comme pour les lecteurs, un comic-book se dessinait tout seul...


Alors quand on donne la parole à quelqu'un comme Alex Maleev, c'est déjà un bel effort (et je dis sans flagornerie pour Comics Blog, dont le ton des articles est souvent agaçant). Surtout que Maleev a donc de l'expérience, il a travaillé pour Marvel, DC, des indépendants, il a même commencé dans l'auto-édition en Bulgarie.


Une chose qu'on apprend dans cette interview, c'est que le dessinateur reçoit le script de Bendis au fur et à mesure, et non d'un seul bloc. D'ailleurs, il confie préférer cela car il aime découvrir l'histoire progressivement, comme le lecteur, sans connaître la fin à l'avance. 

Cela peut sembler anecdotique, mais ça en dit plus long qu'on le croit sur Masterpiece notamment. L'histoire de cette série se déroule de telle manière qu'il est impossible d'anticiper : on ne sait pas ce qui va se passer, juste ce qui s'est passé. En l'occurrence, comment la fille unique d'un couple de voleurs légendaires a été abordé par un milliardaire qui a été leur victime, non pour se venger mais pour s'en prendre à une rivale. Mais cette rivale s'y est préparée et cherche à son tour à acheter les services de la jeune fille.

Dès lors, avec ses alliés, celle-ci entreprend de neutraliser ces deux adversaires. Mais jusqu'à présent, elle ignorait comment, ou plutôt toutes ses tentatives ont échoué. Mais dans cet épisode, elle a trouvé un moyen de touche Zero Preston, le milliardaire, en recrutant son fils, Solomon, qui n'a aucune affection pour lui. Et, à la fin du même épisode, Emma, l'héroïne, propose une alliance à Katie Roots, l'ennemie de Preston, pour, sans doute, tester son idée de faire d'une pierre, deux coups.

Revenons aux propos de Maleev sur la réalisation de la série. Le dessinateur est sur un quasi pied d'égalité avec le lecteur : il ignore le dénouement de l'histoire (même si, à cette heure, il a dû finir de la dessiner). Il doit donc composer avec ce manque et l'illustrer de manière crédible, avec des personnages qui avancent à tâtons, ne savent pas à qui se fier, sir leur plan va fonctionner.

C'est sur ce fil que de déroule la série et sur ce fil que nous avançons. D'où un sentiment de flottement dans la narration. On a l'impression que Bendis, coutumier du fait, dilue, décompresse, gagne du temps. L'intrigue ne semble pas beaucoup progresser. D'ailleurs, y a-t-il vraiment une intrigue ? Ou est-ce juste un prétexte pour montrer la formation de l'équipe d'Emma, encore incomplète au terme de cet épisode ? Ces questions sont légitimes.

Mais en vérité, tout ça colle : en effet, Emma est une jeune fille propulsée dans un monde, des affaires dont elle n'avait aucune connaissance. Elle a appris sur le tas qui étaient ses parents, qui étaient leurs amis et leurs ennemis, quel rôle lui attribuait Zero Preston puis Katie Roots. Elle a improvisé, en se fiant à la fois aux conseils des anciens (Gleason et Parangon), à l'amitié de ses recrues (Lawrence, Skottie, Solomon) et à son propre instinct. Autrement dit elle a constamment, depuis le début, le nez dans le guidon, aucun recul possible. Comme nous qui voyons les événements s'enchaîner sans bien saisir leur importance, leurs conséquences.

Il y a deux adultes très riches qui s'affrontent et au milieu une improbable équipe de vétérans et de débutants qui tentent de s'en tirer, sans être exploités par l'un ou l'autre camp. Ils sont désavantagés, mais pas découragés. Et un peu chanceux quand même. Tout ça est raconté avec fraîcheur mais de façon évidemment déroutante parce que ce n'est pas comme ça que c'est écrit habituellement.

Un scénariste est celui qui distribue les cartes, fait des plans. Le dessinateur est celui qui les met en forme. Et parce que Maleev tient à ne pas trop en savoir, il préserve le projet en lui conservant sa spontanéité, son déséquilibre. C'est malin, plus qu'on ne peut le croire a priori. On verra le mois prochain si ce processus étonnant aboutit à un vrai Masterpiece ou à un pétard mouillé. Mais on ne pourra guère lui reprocher de ne pas avoir essayé quelque chose d'inattendu et d'attachant.

jeudi 9 mai 2024

DEVIL'S REIGN (Chip Zdarsky / Marco Checchetto)


Pendant sa lune de miel, Wilson Fisk a découvert que le dossier qui contenait les informations concernant Daredevil et notamment sa véritable identité est illisible. Pour savoir ce qui s'est passé, il attire son ennemi dans une rue bouclée de Hell's Kitchen mais ce dernier se moque de lui. Fisk, fou de rage, convoque les médias sur le perron de l'hôtel de ville pour une conférence de presse où il décrète que désormais tous les justiciers masqués sont indésirables à New York.

 


Pour appréhender les rebelles, Fisk mobilise de nouveaux Thunderbolts, à la fois sous la forme d'une équipe réduite d'agents masqués et de policiers en armures équipés d'inhibiteurs de pouvoirs. Le Baxter Building est réquisitionné et confié au Dr. Octopus, Reed et Sue Richards sont incarcérés, Ben Grimm, Johnny Storm, Valeria et Franklin Richards s'enfuient. Daredevil vient en aide à Miles Morales avec d'autres héros qui se cachent dans les sous-sols du manoir des Avengers.


Daredevil révèle à ses alliés comment, grâce aux enfants de l'Homme Pourpre, il a réussi à effacer des mémoires sa véritable identité, ce qui provoqué l'ire de Fisk et tout ce qui s'ensuit. Tony Stark propose une solution pour vaincre le Caïd : se présenter face à lui à l'élection municipale, mais ses amis préféreraient que Luke Cage candidate car il n'a jamais agi masqué et reste populaire. Les arrestations se poursuivent pendant ce temps et vont obliger le groupe de résistants à changer leur plan pour une attaque plus frontale.


Ils ignorent que Fisk détient l'Homme Pourpre grâce à qui il commence à influencer les intentions de vote en sa faveur, et que Octopus a tiré d'une dimension parallèle des adjoints puissants et à ses ordres dans le but de neutraliser Fisk le moment venu. En exposant Typhoid Mary au pouvoir de l'Homme Pourpre, Fisk réveille ses souvenirs puis se rappelle à son tour qui est vraiment Daredevil. Ce qui va le pousser à commettre l'irréparable...


L'erreur qu'on ne doit pas commettre au moment de commencer la lecture de Devil's Reign est de penser qu'il s'agit d'un event avec en son centre Daredevil. Même s'il s'agit de la suite directe des 36 premiers épisodes du run de Chip Zdarsky sur la série de l'homme sans peur, il décale subtilement le coeur de ce récit pour que son acteur principal soit Wilson Fisk. C'est lui, ici, le diable et c'est son règne qu'on observe.


En effet, à la fin de Dardevil #36, Fisk épouse Typhoid Mary et part en lune de miel dans un chalet où il détient ses dossiers les plus compromettants sur ses alliés et ennemis. Evidemment, il en possède un sur Daredevil qui contient son identité civile. Mais durant le run de Charles Soule, sur lequel Zdarsky s'est beaucoup appuyé, Matt Murdock révélait comment il avait réussi à effacer des mémoires de tout le monde son vrai nom, en faisant appel aux enfants de l'Homme Pourpre.


Certes, l'opération n'a pas fonctionné sur tout le monde : par exemple, Elektra, du fait de ses nombreuses morts et renaissances, n'a rien oublié. Murdock a aussi mis son ami Foggy Nelson dans la confidence. Mais il a rompu avec Kirsten McDuffie pour la protéger sans rien lui dire de sa manoeuvre. Et le pouvoir des enfants de Zebediah Kilgrave a fonctionné de telle sorte que même un document écrit associant Daredevil et Murdock serait illisible, comme dans le cas de Fisk.

Ce dernier comprend que quelque chose cloche et bien sûr il devine que Daredevil en est responsable. Furieux, frustré, il réplique en prenant une mesure radicale, qui n'épargnera aucun justicier masqué : il les bannit de New York.

Le lecteur peut alors penser à un autre event mythique, Civil War de Mark Millar et Steve McNiven, avec le Registration Act pensé à l'époque par Iron Man pour faire des héros des agents gouvernementaux encadrés légalement à condition qu'ils révèlent leur identité secrète. Mais c'est un peu différent ici : d'abord parce que la procédure enclenchée par Fisk ne concerne que New York (où sont tout de même basé un nombre élevé de super-héros) et pas tous les Etats-Unis, et ensuite la finalité est que les justiciers arrêtés sont envoyés en prison en attente d'un procès. Il n'y a pas d'un côté un camp pour, et un autre contre, c'est toute la communauté des super-héros qui est visée par la répression menée par les Thunderbolts, bras armé de Fisk.

Chip Zdarsky se montre malin et redoutable : il situe son récit pendant la campagne électorale pour la mairie de New York, ce qui signifie que Fisk fait aussi cela pour être réélu en argumentant que si les super-héros sauvent des vies, ils attirent aussi des super-vilains qui tuent et détruisent en masse et surtout qu'aucun justicier ne répond de ses actes, de ses méthodes pour lutter contre le crime, se substituant à la police, pouvant faire usage de la force sans contrôle.

Le scénariste contrebalance cela par une riposte subtile : on ne peut vaincre Fisk par la force, donc Tony Stark propose de le battre dans les urnes et il veut se présenter contre lui aux élections. Cependant un consensus se fait : c'est Luke Cage le mieux placé, parce qu'il n'a jamais agi masqué, qu'il est issu d'un milieu modeste, qu'il est resté proche du peuple. Cette dimension politique aurait pu être pleinement développée, et certainement de manière passionnante, dans une série mensuelle, mais elle occupe déjà une bonne place, bien écrite ici.

Les épisodes s'enchaînent sur un rythme soutenu avec des péripéties et des rebondissements forts, notamment en ce qui concerne les arrestations de quelques héros emblématiques : Moon Knight incarne cette frange de justiciers violents a priori ingérables, Mr. Fantastic et la Femme Invisible sont plus respectables, Spider-Man (à l'époque avec Ben Reilly sous le masque) est un symbole. On a même droit à une surprise concernant Iron Man (même si cet élément précis est trop noyé dans l'action). Assurément, les ambitions d'Octopus auraient également mérité plus d'espace et auraient pu fournir une troisième ligne narrative entre Daredevil et Fisk.

Surtout, le dernier acte (à partir de l'épisode 5) voit un véritable drame éclater. Tuer un héros est une habitude dans ce genre d'events, mais cette ruse ne fonctionne plus vraiment car elle a été trop utilisée. Zdarsky sacrifie quand même un personnage mais son choix est plus surprenant et finalement plus poignant, plus cruel, de telle sorte qu'il justifie mieux la colère de Daredevil, à deux doigts lui aussi alors de commettre l'irréparable. Tout cela aboutit à un final très bien mené, dense, spectaculaire, au point que Devil's Reign est un des rares events où on aurait volontiers accepté un, voire deux, épisodes supplémentaires (d'autant plus que Devil's Reign : Omega #1 ne sert pas à grand-chose, sinon teaser la mini-série Thunderbolts qui a été lancée ensuite et à annoncer dans quoi Daredevil et Elektra allaient se lancer).

Marco Checchetto a eu trois mois pour se préparer à dessiner les six épisodes de Devil's Reign et il a tenu le coup. C'est donc un vrai bonheur visuel de le voir à l'oeuvre sur une histoire aussi ambitieuse en termes de qualité graphique, avec une quantité non négligeable de personnages, de décors, d'actions à représenter.

L'artiste italien démontre surtout qu'il maîtrise tous les personnages de Marvel et s'acquitte avec brio de scènes d'ensemble très touffues avec des compositions dynamiques. Si Daredevil est très présent, légitimement, d'autres héros ont droit à de grands moments, comme Spider-Man  dont le combat contre  le Maître de Corvée est vraiment tendu. L'alliance des détenus du Myrmidon, la prison pour super-héros, lors de leur évasion, est aussi un beau morceau de bravoure. La bataille finale est grandiose. Les fondamentaux de ce genre d'exercice sont donc servis avec beaucoup de soin.

Mais, fondamentalement, c'est un portrait troublant, puissant, du Caïd que donne à voir Devil's Reign. On l'a rarement vu dans un état pareil, aussi machiavélique, aussi brutal, aussi désespéré. Et si le grand enseignement de cet event, c'était d'axer davantage ce genre de projet sur un vilain que sur un ou des héros ? C'est ce qu'a fait DC depuis deux ans avec Amanda Waller dans les coulisses de Knights Terror, Beast World et bientôt Absolute Power. Et c'est ce qui a réussi si bien avec Devil's Reign. Un bon méchant, comme disait Hitchcock, fait toujours une bonne histoire.

On a assisté en tout cas à la fin du premier acte du run de Chip Zdarsky. Le scénariste va enchaîner avec un deuxième passage, plus bref, mais aussi plus fou, plus baroque, avec les 15 épisodes de Daredevil & Elektra. A suivre donc...